Corona—cultures

Arsène Doyon–Porret (“PODA”), dessin et coloriage, crayons et feutre noir, octobre 2021

Sur les stades de foot, les enfants shootent le ballOVID-19! La pandémie COVID-19 inspire sa sublimation. Elle éprouve le monde depuis environ 17 280 heures. Avec des reflux et des récidives, des embellies et des rechutes, la pathologie désorganise les sociétés, éprouve l’économie et alarme les individus. Elle impacte négativement l’espérance de vie.

Beaucoup d’incertitude sur son origine: un laboratoire chinois mal sécurisé? La chaîne de distanciation biologique brisée entre les espèces -zoonose? Un acte malveillant? «L’industrialisation des élevages couplés à l’accélération des échanges à l’échelle mondiale et à la dégradation de la santé des populations dans les pays industrialisés»? (Barbare Steiger, De la démocratie en pandémie, Tracts Gallimard, No 23, janvier 21). Quoi d’autre?

Trauma pandémique

Dans les sociétés nanties et sécularisées, la mort retrouve une visibilité oubliée depuis des décennies, car, à l’opposé du sexe, elle reste le tabou majeur de notre société médicalisée selon Philippe Ariès. Peut-on oublier l’étreinte collective de la mort, les convois militaires funéraire, les inhumations solitaires en vrac, le tocsin funèbre à Bergame, épicentre pandémique en Italie? Des images d’Ancien régime. Des images fondatrices du trauma pandémique en Europe qui s’est ajouté à l’incertitude sur la genèse pandémique.

Au terme d’un cycle néolibéral, la remise en selle de l’État providence et la «politique budgétaire keynésienne» de relance donnent la mesure de l’ampleur du choc social et politique. Cher à la social-démocratie, l’État providence se réaffirme dans sa double dimension historique : contrôle social et déficit des comptes publics. Peut-être découvrions-nous notre impréparation?

En des formes différentes, la pandémie préoccupe et mobilise chacune et chacun. Plus que la faim dans le monde, le chaos climatique, la mortalité routière, la criminalité et la morbidité du narcotrafic mafieux ou l’errance cosmopolite des déracinés de la misère que la Méditerranée submerge. Ce “concernement” universel, quasi quotidien, est globalement morbide et angoissant. Bientôt, les parents fâchés rabroueront-ils ainsi les polissons : «Si tu n’es pas sage, j’appelle COVID-19»?

En Suisse (8,5 millions d’habitants), plus de 9.400 personnes sont décédées de la Covid-19. En Europe, plus de 900.000 personnes ont succombé au virus, selon un comptage réalisé par l’AFP.

Le tabassage médiatico-pandémique et statistique sur les radios publiques n’arrange pas les choses avec les chiffres oscillants de la démographie morbide en temps réel! La cité des vivants est assiégée jour et nuit.

Y rêvons-nous?

Ainsi, dans notre intimité, nous ne cessons d’y penser, voire d’y rêver chaque nuit que Dieu fait. Dans notre for intérieur, nous avons un avis raisonnable ou insensé sur les gestes barrières, sur les gels désinfectants, sur le vaccin traditionnel ou à ARN messager, sur le passe sanitaire que des démagogues ombrageux dénoncent comme le retour de l’Ausweis nazi. Sans rien y connaître, entre refus, prudence, crainte, adaptation et soumission, nous sommes devenus les spécialistes quotidiens de la prophylaxie. Nous avons un budget dédié aux produits de protection. Les tests seront bientôt payants. Les pharmaciens sont heureux. Nous nous sommes mués en hygiénistes professionnels sur-adaptés au moment de la COVID-19. Nous sommes les «Modernes» covidés-19 par rapport aux «Anciens» pestiférés ou cholériques du temps passé. Singulière adaptation collective!

COVID-19 produit à forte intensité des sous-cultures qui fabriquent un imaginaire social aussi  consumériste et ludique.

La mode

La « Pandemic Fashion » est née. Le «confinement» est tendance. Les gestes-barrières sont du dernier cri! Le « Lockdown » est esthétisé. On le rend sublime, désirable et attractif. Sa plus-value symbolique et marchande s’ajoute à celle du matériel de protection médicalisé non couvert par les assurances maladies: hygiaphones, gel, masques, gants.

Masques démédicalisés, colorés, ludiques et de luxe, gel parfumé au gingembre, au musc ou à la bergamote. Parmi d’autres labels, « Pour un homme de Caron » propose un « gel parfumé pour mains désinfectant » sous la même présentation fastueuse que les parfums ou eaux de toilette de la gamme. Avec un prix avoisinant. Se désinfecter les mains, quel chic!

Entre deux accalmies, pas seulement à la nuit tombée, l’infection rôde. Certes. Or, la haute couture et le prêt-à-porter récupèrent, transcendent et érotisent les codes hygiéniste et les gestes barrières. On joue sur la «pop culture». Le masque imprimé sur un t-shirt devient l’icône universaliste de la pandémie dévorante comme la figure de Che Guevara a été celle de la révolution universelle dans les années 1960, avant d’être étouffée dans l’œuf.

Corona Style

On décline Éros et Thanatos en des formes provocantes, chatoyantes et séduisantes. On parle maintenant du «Corona style» (pas la bière mexicaine mais le virus insatiable). Il inspire les créateurs et les “performateurs” contemporains qui subliment ou ridiculisent COVID-19.

Corona style gagne aussi l’industrie pornographique dont la consommation en ligne est exponentielle depuis deux ans. Dès l’aube de la pandémie, la «surconsommation de pornographie entraînerait des problèmes érectiles» s’alarme finement un grand quotidien romand qui perpétue le préjugé des seuls adeptes masculins du X.

«New Coronavirus Porn», «Pandemic-porn videos», «Coronavirus vidéo porno», «Pandmia videos porn», «Pandemie Xart Pornos»: l’”X-culture” prolifère dans tous ses états et en toutes ses posture (dé)masquées.

Le code pandémique se glisse progressivement en pornographie. Le geste-barrière, la seringue, le gant hygiéniste et le masque adapté aux intimités d’Éros deviennent les ingrédients obscènes et transgressifs du commerce sexuel en style genré.

Quelle étreinte à travers l’hygiaphone?  La distance des corps virtuellement infectés invite au corps à corps jouissif irrépressible. Le geste-barrière devient le geste qui dénude le derrière.

Il reste à écrire l’anthropologie des cultures en pandémie.  Champ complexe. Celui de l’imaginaire érotique du désir masqué serait le contrepoint résiliant à l’imaginaire dystopique du COVID 19-84. Tout comme le ballOVID-19!

On joue?

 

Qui a peur de l’Homme noir ?

 

Arsène Doyon-Porret, “L’Homme noir”, mai 2021, crayon noir sur papier.

«A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles […] A, noir corset velu de mouches éclatantes/Qui bombinent autour des puanteurs cruelles […]», Arthur Rimbaud, « Voyelles », (1872, 73 ; 1883).

à Youri

On le sait. Mais on se tait. Un nouveau spectre hante le monde contemporain, où s’élargit la fracture socio-culturelle entre les démunis et les nantis : la police de la pensée. Celle dont l’immense écrivaine suédoise Karin Boye et son confrère anglais George Orwell ont écrit l’anthropologie politique, respectivement dans La Kallocaïne (1940) et 1984 (1949).

Croisade puritaine

Cette Sainte-alliance du manichéisme endosse maintenant l’accoutrement rapiécé du «progressisme» pour un nouveau contrat naturaliste qui garantirait l’égalité angélique en déconstruisant les habitudes et les couches culturelles soi-disant favorables à l’oppression des un(e) et des autres. Cet imaginaire tenace trouve des relais militants, légalistes mais aussi opportunistes dans les institutions privées et publiques. L’école et l’université, places démocratiques de l’apprentissage des savoirs et de la recherche fondamentale, sont visées par le raid puritain.

Assignées du côté de la culpabilité, sommées de revisiter le passé au nom du présentisme moral, les institutions piétinent sur la planche glissante de la police de la pensé et du révisionnisme: rebaptiser les rues, déboulonner les statues, débroussailler les bibliothèques, transformer le langage millénaire au risque de l’incommunicabilité, relativiser la pensée, briser l’historicité des mots et des choses, effriter les traditions. Inventaire infini à la Prévert, la poétique en moins.

Les effets latéraux de la croisade puritaine peuvent atteindre le burlesque digne des Marx Brothers, le génie créatif et subversif en moins

Croque-mitaine

Sur le préau des écoles, depuis longtemps les enfants jouent à «Qui a peur de l’Homme noir». Un jeu enfantin d’habileté, de stratégie, de poursuite, de rôle. À la fin du XVIIIe siècle, ses règles sont déjà figées.

Trois champs divisent le terrain de jeu : un central (A) avec l’«Homme noir», deux latéraux (B, C), où se placent les joueurs. Au cri initial de «Qui a peur de l’Homme noir?», les joueurs répondent «Personne!» S’ensuit une course-poursuite effrénée entre les joueurs à travers les trois camps. Les prisonniers de l’Homme noir deviennent ses alliés pour saisir les joueurs encore libres. Au terme de la poursuite, les adversaires occupent les camps opposés par rapport au début de la partie. À nouveau l’Homme noir crie «Avez-vous peur de l’Homme noir?» Les joueurs encore libres hurlent : «Non!» Une nouvelle traque s’ouvre: l’Homme noir et ses partisans-prisonniers s’unissent contre ceux qui les défient encore. Le jeu s’arrête lorsque tous les acteurs ont été happés. Le dernier joueur toujours libre, soit le plus brave de tous, le plus méritant, le plus chanceux, devient l’Homme noir de la partie suivante. Passage de témoin.

Vraisemblablement né en Allemagne et en Autriche durant la pandémie de la peste noire au XIVe siècle, ce jeu renvoie à la figure millénaire du croque-mitaine, soit la mort qu’incarne l’Homme noir dans un imaginaire des ténèbres propre à notre civilisation depuis les Grecs au moins.

Vacarme, agitation, fou-rire: aux récréations scolaires, les enfants adorent ce jeu de rôle. La course poursuite illustre la manière dont les vivants luttent contre la mort qui un jour rattrape la vie. Anthropologiquement, le jeu collectif de l’Homme noir est un simulacre de cette épreuve. Empli de vertige, il masque la peur, valide la témérité, libère l’imaginaire de l’effroi. Est-ce seulement le hasard qui fait triompher l’Homme noir? Comment y échapper? Peut-on y échapper? Pourquoi vouloir être une fois ou l’autre l’Homme noir, cette figure ambivalente de la mort dans le jeu de la vie?

L’Homme vert

Retour tragique du préau:

-Papa! On n’a plus le droit de dire Qui a peur de l’Homme noir, car c’est raciste! On doit dire Qui a peur de l’Homme vert!

-Comment ça L’Homme vert? Mais cela discrimine les Martiens! Rappelle-toi du film Mars attaque !

-Papa, c’est raciste de dire Qui a peur de l’Homme noir?

-Mais non, les sociétés humaines ont souvent associé le noir à la peur et à la mort. Pourquoi? Il est malaisé de voir clair dans les ténèbres, d’où jaillit l’effroi face à l’invisible! Rappelle-toi de Tintin qui pénètre avec appréhension la caverne obscure du yéti. Dans la mythologie grecque, le fleuve Styx sépare la lumière du jour (vie) de l’obscurité de l’enfer (mort). Dans d’autres civilisations, c’est le blanc qui peut signifier la mort voire l’effroi. Les spécialistes disent que l’Homme noir est une créature «nyctomorphe»! Une créature étrange qui prend simplement la forme et la teinte de la nuit. Alors!

-Alors, papa on fait quoi?

-Eh bien…. Les couleurs n’ont rien à voir avec les races qui n’existent pas. Ceux qui lient les deux choses pour hiérarchiser les couleurs de peau sont racistes. Il faut expliquer cela aux potes! D’ailleurs, la couleur verte est chargée du sens social de l’infamie voire de la naïveté. Continuez de jouer ensemble à Qui a peur de l’Homme noir? Comme d’autres créatures de la nuit, loup-garou, ogre ou vampire, le croque-mitaine est une très vieille figure. Dans notre culture, dans notre imaginaire, dans notre histoire, elle s’apparente à l’image du diable qui soude la peur ou le mal à la destinée humaine. Le jeu de Qui a peur de l’Homme noir? fait justement dépasser l’effroi diabolique lié aux ténèbres et au mal, tout en rappelant que le vie est une course-poursuite. Les êtres humains, dont la peau est naturellement noire, n’ont rien à voir avec cette affaire ludique!

Le jeu Qui a peur de l’Homme noir est-il condamné à disparaître? Né au temps létal de la pandémie bubonique, va-t-il agoniser au temps du politiquement-correct sous l’appellation loufoque de Qui a peur de l’Homme vert? Sans trahir l’éthique de la fraternité humaine, aux antipodes d’une quelconque idéologie raciale (ou raciste) qui exprime toujours un rapport de domination politique et économique, symbolisant la balance entre la vie et la mort, son ludisme pédagogique restitue l’épaisseur anthropologique et la complexité culturelles dont nous sommes heureusement pétris. C’est cela qu’il importe de transmettre aux enfants en ne gommant surtout pas les héritages du passé, mais en leur montrant, en croisant les lectures, les films et les expériences sociales, les vrais enjeux de la fabrique sociale des inégalités qui ne résident pas dans l’intitulé d’un jeu ancestral. N’en déplaise au néo-puritanisme.

-Dis papa, dans la bibliothèque, ce gros livre Le Rouge et le noir, il n’est donc pas raciste!

 

Toujours fondamental : Roger Caillois, Les Jeux et les hommes (Le masque et le vertige), Paris, Gallimard, 1958 (nombreuses rééditions) ; Auguste Omont: « L’homme noir » in: Les jeux de l’enfance à l’école et dans la famille, Paris, Librairie Classique Internationale Fouraut, 1894.

 

Cash Marx

Everybody knows the fight was fixed
The poor stay poor, the rich get rich
That’s how it goes
Everybody knows. /Leonard Cohen, Everybody Knows.

 

https://pre00.deviantart.net/9dd2/th/pre/i/2014/261/7/9/lego_karl_marx_and_friedrich_engels_by_luciferslego-d7znvju.jpg

Karl Marx, père du matérialisme historique, est né le 5 mai 1818 à Trèves en Rhénanie, région viticole de la Moselle, proche de la frontière luxembourgeoise. Il meurt pauvre le 14 mars 1883 à Londres. La commémoration discrète du bicentenaire de sa naissance étonne et détonne dans l’actualité du mouvement social au prisme de Mai 68.

La statue du Commandeur

Habile à opérer la synthèse du communiste et du capitalisme en oubliant la démocratie, la Chine a offert à la municipalité divisée de Trèves une colossale statue en pied de l’auteur du Manifeste du parti communiste (1848). Près de six mètres (socle inclus) et plusieurs tonnes de bronze. Le monument dépasse l’ensemble statuaire de bronze dressé au Marx-Engels Forum de Berlin (3.85 mètres) inauguré en 1986. Un objet mémoriel du communisme dû au plasticien chinois Wu Weishan.

En 2017, le conseil municipal de Trèves accepte le pesant don chinois par 42 voix pour et 7 contre (4 absentions). « Nous sommes au côté de l’enfant de notre cité. Et nous évoquons Karl Marx de façon constructive et active » dit Malu Dreyer, ministre-présidente sociale-démocrate du Land de Rhénanie-Palatinat. En fait, un simple geste d’amitié transnationale entre les peuples.

Trente ans après la chute du mur de Berlin, Marx est donc ” reboulonné ” ! Couverte d’un drap rouge-révolution, sa statue est dévoilée et inaugurée le samedi 5 mai en présence d’un plénipotentiaire chinois. Liesse convenue, mais finalement rituel bon enfant et plutôt consumériste.

Chaque année, près de 15 000 touristes chinois visitent la ville natale de Marx dont le musée éponyme est fréquenté annuellement par 40 000 personnes. En face du musée… un nouveau restaurant chinois ! Retour ému aux sources révolutionnaires et aux raviolis à la vapeur !

Pop culture

Statufié, Marx est aujourd’hui une icône de la pop culture. Il rapporte du cash grâce aux produits dérivés qui multiplient son effigie. Marx est mort, vive Marx !

On peut commencer par Karl, « poupée Art Toy de tissu, disponible en deux tailles (48 et 115 cm), 34 ou 109 euros. À lire l’offre publicitaire, ce véritable « doudou design au style unique » est fabriqué pour les « enfants de 0 à 112 ans » ! Vendu dans un petit sac en tissu orné d’une brève biographie et d’une citation-choc sur la nécessité d’abolir l’exploitation de l’homme par l’homme, ce produit « dérivé incontournable » vise tous les fans de Marx, partisans ou non de la lutte des classes. Qu’on se le dise !

La cuvée Marx

Petits bustes blancs ou rouges, crayon avec la signature de l’économiste, cartes postales, affiches, tasses, t-shirts : parmi d’autres, ces objets effigiés s’achalandent dans la boutique de la Karl-Marx Haus à Trèves — élégante et bourgeoise maison natale devenue musée (10 Brückenstrasse). Le chic du chic pour réconforter votre ami banquier un soir où Wall-Street fléchit : la cuvée Karl Marx (rouge), vendue à dix euros aux prolétaires de tous les pays mais aux autres aussi !

Pour enrichir son musée domestique, avec l’effigie de Marx, on peut encore acquérir des billets de 0 euros (prix de vente 3 euros), un canard de bain (5.90 euros), un moule à biscuit ou un tapis de souris d’ordinateur. Le pavé numérique remplace le pavé de granit dans la gueule des exploiteurs.

S’y ajoutent aussi la bière Karl Marx et un produit d’hygiène buccal parfumé à la menthe (2.70 euros). Sur les posters, les slogans marxistes ornent le portrait du philosophe matérialiste. Des capitalistes écologistes les détournent pour prôner commercialement les bienfaits de la caféine : « Buveurs de café de tous les pays, unissez vous ! »

Manga et BD

Aujourd’hui le Capital est un manga japonais traduit en français avec une préface d’Olivier Besancenot (2008). Depuis 2013, l’éditeur Dargaud vend la biographie austère du compère d’Engels. En 158 minutes, Le Jeune Karl Marx, biopic coloré du cinéaste Raoul Peck, évoque les années de formation du philosophe. Visuel… visuel.

En Pologne Kolejka, Monopoly version communiste traduit dans plusieurs langues, s’arrache depuis 2012, souvent pour… moquer le communisme.

Lego et Playmobil

Du côté des jouets éducatifs et autres historical toys, les rarissimes et minuscules figurines Lego de Marx et d’Engels ne sont pas officielles, contrairement à celle de la créature de Frankenstein. Des collectionneurs imaginatifs les ont bricolées. Leur valeur flambe aux bourses d’échange ! Or, l’insurrection gronde car le peuple murmure son mécontentement.

Il réclame une figure Playmobil de Marx…. après celle de Luther, vendue à 750 000 exemplaires à partir de 2017. Au siège social de la marque allemande, on hésite à relancer ainsi la lutte des classes en augmentant les cadences trois-huit des ouvriers sur les chaînes de montage des jouets.

La pop culture célèbre Marx comme jadis elle a exalté Che Guevera. Dans les années 1970, le poster rouge et noir du guérillero anti-impérialiste et barbu au béret basque ornait les chambres des adolescents entre un portrait de Tintin, une photographie des Américains sur la Lune et une autre de Janis Joplin – ” Me and Bobby McGee “. Toute la conscience du monde en quelque sorte.

Cash Marx en avant ! Le vieux monde galope derrière toi !

Au fait, combien de temps encore la galopade ?

 

Dettes partielles : https://www.letemps.ch/monde/celebrations-mouvementees-penseur-karl-marx-Allemagne; http://www.liberation.fr/planete/2018/05/03/capitalisme-et-canards-de-bain-le-jour-ou-karl-marx-est-devenu-pop_1647477

(LM32)

Entre le pouce et l’index : Hand Spinner

 

 

À Arsène

Mai 2017 marque une date dans l’histoire du consumérisme ludique. Comme autour de ruches studieuses, un bourdonnement inédit s’élève aujourd’hui des cours de récréation : le doux ronflement du Hand Spinner ou Fidget Spinner. La « toupie à main » ou « toupie à tripoter » fait tourner la tête des petits et des grands. Si elle hypnotise gentiment ses nombreux adeptes en culottes courtes et moins nombreux en jupettes, plus d’une fois, elle irrite les institutrices/instituteurs qui les bannissent de la classe ou carrément les interdisent dans l’espace scolaire comme dans certains établissements nord-américains. Les enfants en bas âges ne doivent pas ingurgiter la toupie à main.

Sur les préaux, la toupie à main, qui entraîne le regard des enfants  et parfois en inspire les rondes endiablées, supplée le trafic et la frénésie apocalyptique du Pokémon ou des photographies de footballers, voire de hockeyeurs sous d’autres latitudes.

Apaiser… canaliser par la puissance cinétique

Brevetée en 1997 dit-on par l’Américaine Catherine Hettinger qui faute de moyen abandonne son brevet en 2005, fabriquée sous licence en millions d’exemplaires en Chine d’où elle arrive par containers maritimes ou aériens, vendue à la sauvette sur les marchés ou à la devanture des magasins les plus variés à des prix défiant les lois du libéralisme économique, souvent en rupture de stock, la toupie à main envahit l’espace médiatique et social. Elle nourrit l’imaginaire de la maîtrise et de la méditation cinétiques.

Cet objet portatif d’une nouvelle passion enfantine et démocratique aurait été conçu à l’origine à des finalités thérapeutiques pour canaliser l’énergie et concentrer l’attention galopante d’enfants hyperactifs ou autistes — voire apaiser des adultes agités.

Le boomerang de Batman

En acier inoxydable, en laiton, en plastique, en cuivre, en bois voire en titane ou en matériau composite, la toupie à main est parfois lumineuse avec sa diode électroluminescente qui peut lacérer l’obscurité.

Monochrome, « cosmos », zébrée ou bariolée, chromée, sombre, marquetée ou pailletée, elle est usinée pour attirer l’œil. Elle est composée en son centre d’un palier rotatif pour les doigts, ce qui permet à la centrifugeuse de tourner très rapidement au moyen de roulements à billes dont la masse égale garantit l’équilibre du système. Le roulement à bille est en métal, en céramique ou en matériaux hybride. Si le métallique est silencieux, il tourne moins longtemps que celui bruyant en céramique.

La lubrification et le dépoussiérage des roulements à bille améliorent leurs performances rotatoires. Autour du palier rotatif ou centrifugeuse rayonnent sur un ou plusieurs plans deux, trois ou cinq branches lestées. Le modèle commun est une toupie à main à trois hélices de forme arrondie mais parfois aussi acérées comme un coutelas. Avec deux branches, la toupie à main évoque le boomerang de Batman !

Le tour du monde en quelques secondes

Comme l’enseignent les milliers de vidéos de démonstration en ligne, utiliser la « toupie à main » consiste à placer son centre entre le pouce et l’index afin de la faire tourner le plus longtemps possible, mais au minimum une minute. Spécifiques au matériau utilisé, les vibrations subtiles qui en résultent attisent l’attrait sensoriel  qu’exerce la puissance cinétique de la toupie à main.

Elle induit le micro exploit !

Le néophyte brandit la toupie frémissante au bout de l’index triomphant. Parfois — la toupie en rotation maximale — il la change de main ou effectue le « tour du monde » en quelques secondes, car il lui fait opérer une révolution autour de son corps, comme la translation de la Terre autour du soleil. Le virtuose, quand à lui, n’hésite pas à la faire tourner sur le front, au bout du nez ou d’un pied voire à l’extrémité d’un bâton !

La bataille des soucoupes volantes

D’autres joueurs organisent des joutes de toupie à main en les entrechoquant comme des soucoupes volantes fulgurantes et belliqueuses ! Certains champions — dit-on sur les préaux — auraient réussi à faire tourner d’un seul coup d’index une toupie durant… six minutes, voire dix ! Après avoir assisté à sa montée en vitesse, il est jouissif d’observer la lente décélération de la toupie à main… jusqu’à son immobilité sépulcrale.

Scruter la dynamique de la toupie à main apaiserait la vie intérieure. La fascination croissante pour la rotation harmonieuse et doucement vrombissante de la toupie à main sublime-t-elle l’effroi que génère notre monde qui tourne de manière toujours plus chaotique sur l’axe planétaire des innombrables dérèglements et déséquilibres ? Peut-être. Or, il n’est pas certain que l’engouement planétaire pour la toupie à main survive à l’été qui arrive.