Naufrages

Un naufrage est ordinairement la perte d’un navire produite, ou par les vents, ou par la mer, ou par les écueils ». Dictionnaire de la marine française, Paris, 1813, p. 407.

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Robot abyssal

12 mars 2019 : suite au feu à bord, le navire italien Grande-America chargé de 365 conteneurs a sombré à 263 km au sud-ouest de Penmarc’h par 4 600 mètres de profondeur. La pollution chimique est considérable : cargaison au fond des abysses, double nappe d’hydrocarbure que disperse la mer agitée. Départements partiellement concernés : Gironde et Charente-Maritime. 45 conteneurs coulés sont répertoriés comme stockant des matières particulièrement dangereuses.

Maintenant, ou le sait: la Grande America est une bombe chimique à retardement. Cargaison toxique: 1050 tonnes de matières périlleuses – dont 85 tonnes d’hydrogénosulfure de sodium, 16 tonnes de white-spirit, 720 tonnes d’acide chlorhydrique, 25 tonnes de fongicides ou encore 9 tonnes d’aérosol. Le tout s’ajoutant à 2200 tonnes de fioul lourd, 190 tonnes de diesel marin et 70 000 litres d’huile.

A une telle profondeur, la pression va faire exploser les conteneurs.

On évoque l’intervention d’un robot abyssal pour tenter fouiller l’épave perdue à jamais !

Prises de court, des associations littorales et de protection environnementale annoncent qu’elles porteront plainte pour « pollution et abandon de déchets ».

Le législateur européen est incriminé : que faire pour protéger le milieu maritime que sillonnent les gigantesques navires de la globalisation dont l’effet destructeur du milieu maritime escorte celui lié à la surpêche en eaux profondes ?

60 000 navires !

Poussé par la concurrence sauvage qu’accélère la mondialisation consumériste (95% des produits commercialisé sur la planète transitent par les mers ou les océans), le transport maritime, souvent trusté en partie par les pavillons de complaisance, jouerait parfois la carte de la déréglementation juridique de la sécurité navale. Près de 60 000 navires composent la flotte marchande globalisée qui transporte  annuellement 450 millions de conteneurs. Poids économique annuel : 450 milliards de dollars !

Aujourd’hui, parfois à un prix humain élevé, les magnats de la marine ont réussi à fixer des coûts extrêmement bas en terme de transport mondialisé duquel dépend le mode de vie et le confort intouchables du consommateur occidental. Quotidiennement, les milliers de cargos qui sillonnent les océans permettent le réassort de nos supers-marchés.

Un naufrage tous les trois jours

Dans ce contexte, certains évoquent le laxisme naval. Au prix fort de l’impact environnemental et sécuritaire sur les équipages, l’eau vive des océans et de la mer, la faune et la flore maritimes ainsi que le littoral.

Si le transport maritime pèse un poids considérable sur les facteurs polluants d’accélération du réchauffement climatique et de l’acidification de l’eau des mers, la courbe mondiale du naufrage est tout aussi élevée. Bien que depuis le naufrage en 1967 du Torrey-Canyon les plus grosses marées noires surviennent en France (au large de la côte entre Brest et La Rochelle, environ 416 000 tonnes de pétrole submergé), au niveau planétaire on dénombre en moyenne un naufrage tous les trois jours.

Cécité des mers

Les transporteurs n’ont aucun droit de regard sur ce qu’ils déplacent à bord des immeubles flottants que sont les porte-conteneurs. Cette « cécité des mers » ou opacité juridique de l’industrie maritime tend à rendre invisible les catastrophes répétées. Les médias n’en disent pas grand-chose.

La « cécité des mers » n’est pas nouvelle.

Les naufrages sont aussi anciens que la navigation humaine sur les mers.

Dès la fin du XVIIe siècle, souvent sous la houlette de l’État comme en France (1668, Colbert, Chambre général des assurances), la croissance des assurance (Lloyd’s of London) veut limiter les conséquences financières de l’armateur pour le risque maritime. Celui-ci résulte de la guerre de course (piraterie), du naufrage accidentel ou criminel fomenté par les redoutables naufrageurs du littoral qui pillent les épaves fracassées.

Business colossal à la surface des océans ! Décroissance possible ? Décroissance probable ?

L’épave du Grande America : une bombe à retardement pour le milieu maritime ? « La mer absorbe notre pollution et la mer en meurt », selon Christian Buchet, directeur du Centre de la mer de l’Institut catholique (Paris).

On dit que les géants des mers sont les « poumons invisibles de la mondialisation ». Notre système respiratoire est programmé  pour nous faire respirer. Pas pour nous faire suffoquer !

 

Voir : Denis Delestrac, reportage : « Cargo : la face cachée du fret », https://www.rts.ch/play/tv/histoire-vivante/video/cargos-la-face-cachee-du-fret?id=9731813

Lire : Jacques Péret, Naufrages et pilleurs d’épaves sur les côtes charentaises aux XVIIe et XVIIIe siècles, Geste éditions, 2004.

 

A venir:

festival Histoire et cité, 2019: Histoires d’eaux (27-31 mars 2019 ): https://histoire-cite.ch/

 

Michel Porret

Professeur ordinaire puis honoraire (UNIGE), Michel Porret préside les Rencontres Internationales de Genève. D’abord libraire (CFC), il obtient sa maturité classique au Collège du soir avant un doctorat en histoire avec Bronislaw Baczko. Directeur de Beccaria. Revue d’histoire du droit de punir et des collections L’Équinoxe et Achevé d’imprimer (GEORG), il travaille sur la justice, les Lumières, l’utopie, la bande dessinée. Parmi 350 publications, dernier livre : Le sang des lilas. Une mère mélancolique égorge ses quatre enfants en mai 1885 à Genève, 2019. L'actualité nourrit son lien comparatiste au passé.

2 réponses à “Naufrages

  1. Ces porte-conteneurs évoluent sur les mers depuis 1954 et sont de plus en gros. Le dernier né, l’OOCL Hong Kong (2017) mesure 400 m de long. Selon Jacques Attali, dans Histoires de la mer (2018), sa capacité en « box » serait de 21413 EVP (EVP= équivalent vingt pieds=7,5 m de long, 8 pieds de large). Vu la quantité circulante de ces box, de ces navires, d’âges différents et la diversité géographique et culturelle des transporteurs, le contenu de ces box est il réglementé ? Si oui par qui, comment et avec quelle autorité ?
    La vie sur notre planète est apparue dans les océans il y a environ 3 Ma d’années, puis sur les continents il y a environ 500 Mo d’années. Une des caractéristiques de notre civilisation et de son économie, depuis le 18ème siècle, est d’être parvenue a polluer la biosphère en quasiment en toute impunité avec les conséquences actuelles que l’on découvre. Une solution est requise, mais je le crains, sera fort complexe à mettre en place.

  2. La mer recouvre apparement tout et c’est pratique pour de nombreux charlatans.

    Mais comme on retrouve du plastique à 4’000 mètres sous sa surface, ce n’est que question de temps pour que remontent à la surface nombre de trésors empoisonnés, type déchets radioactifs et autres délicatesses.

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