Pape François

Coup de théâtre à l’Ordre de Malte

Coup de théâtre à Rome. La semaine dernière, de manière tout à fait inédite le Pape François a résolu de révoquer tous les organes de direction de l’Ordre de Malte y compris la fonction de Grand Chancelier occupée par Albrecht Boeseleger, de nommer un Conseil souverain provisoire, de convoquer un chapitre général extraordinaire pour le 25 janvier 2023 et de promulguer avec effet immédiat une nouvelle Charte.

La crise institutionnelle que connaît l’Ordre remonte au mandat de l’ancien Grand Maître Fra’ Matthew Festing (1949-2021), qui avait licencié Boeselager, à la suite de quoi le Pape François avait contraint le Grand Maître à la démission et rétabli Boeselager dans ses fonctions en 2017. Le successeur de Festing, Giacomo della Torre, était quant à lui décédé en 2020 à l’âge de 75 ans à l’issue d’un court règne. En attendant l’élection d’un nouveau Grand-Maître, ses fonctions étaient assurées par la lieutenance de Fra’ Marco Luzzago, décédé à son tour en juin 2022 et auquel a succédé Fra’ John Dunlap, actuel Lieutenant Grand Maître, nommé d’office par le Pape François en dépit des règles internes à l’Ordre.

Le licenciement de Boeselager avait causé un grand émoi si bien que certains chevaliers de l’Ordre s’étaient alors adressés au Pape François qui avait nommé alors un délégué pontifical en la personne du Cardinal Silvano Maria Tomasi afin de procéder à une vaste réforme constitutionnelle de l’Ordre. Or la réforme de Tomasi prévoit que l’Ordre soit un sujet du Saint-Siège, une affirmation dont certains craignent qu’elle ne mette en cause la souveraineté de l’Ordre qui, en qualité de sujet de droit public international, entretient des relations diplomatiques avec plus de cent pays dans le monde. Toutefois le Pape a estimé, se fondant sur une décision de la Cour des Cardinaux en 1953, que cette souveraineté se limitait aux affaires temporelles et que son caractère d’ordre religieux en faisait bien un sujet du Saint-Siège au même titre que les autres ordres religieux.

Si le Pape salue l’activité de l’Ordre dans le domaine humanitaire, il a pour intention de lui conférer à nouveau un caractère proprement religieux, loin des mondanités qui parfois l’animent. Aussi souhaite-t-il renforcer le rôle des chevaliers profès qui prononcent des vœux à l’instar des religieux, de les inviter à vivre au sein de prieurés et enfin de doter l’Ordre d’une gouvernance plus moderne notamment dans le domaine des finances et de la conformité.

Or, ces jours derniers de vives tensions auraient vu le jour entre le délégué du Pape et une partie de la direction de l’Ordre au sujet pas seulement de la souveraineté et des statuts, mais aussi de son indépendance financière à l’égard du Saint-Siège. Le 12 août dernier, treize présidents d’associations nationales, dont celle d’Allemagne, la plus riche et la plus ancienne, avaient écrit au Pape en lui demandant de revoir ses projets de réforme et, notamment, l’accroissement des responsabilités des frères profès à qui, selon les présidents, fait défaut l’expérience voulue. La question de la souveraineté de l’Ordre est particulièrement délicate car dès lors que sa constitution peut être modifiée par un autre chef d’État, en l’occurrence le pape, l’Ordre de Malte demeure-t-il véritablement souverain ?

Mal leur en a pris. De l’avis de La Ligne Claire, Bergoglio ne souffre guère la contradiction si bien que la lettre des présidents a produit l’effet inverse de celui qu’ils escomptaient.

Entretemps le Pape a tranché et la nouvelle Charte constitutionnelle est entrée en vigueur. Désormais le Grand Maître ne sera plus élu à ma vie mais, à l’instar des autres ordres religieux, pour dix ans renouvelables une fois ; de plus, il devra se soumettre à une limite d’âge de 85 ans. Et surtout la fonction sera d’une part désormais accessible aux dames et ne sera plus restreinte aux chevaliers ou dames d’honneur et dévotion, ce qui en français signifie que le Grand Maître pourra ne pas être noble. Il n’est sans doute pas anodin dans ce contexte que Dunlap soit un Canadien, éloigné de la noblesse européenne.

En définitive, le Pape aura imposé sa propre vision à l’Ordre de Malte, celle d’un ordre religieux invité à redécouvrir sa vocation hospitalière d’origine et qui soit animé par des frères profès plutôt que des laïcs. Quant à Boeselager, celui-là même que le Pape avait réhabilité et qui a voué sa vie à l’Ordre, il a sans doute fait les frais de la fronde avortée des présidents des associations nationales. Plus généralement les 13 mille laïcs, membres des associations nationales ou des services hospitaliers, désormais gouvernés par une poignée de frères profès, resteront sur leur faim. Le 25 janvier prochain s’ouvrira un tout nouveau chapitre dans l’histoire millénaire de l’Ordre.

Dominique de la Barre

Dominique de la Barre est un Belge de l'étranger naturalisé suisse, amateur d'histoire et du patrimoine culturel européen, attaché aux questions liées à la transmission.

4 réponses à “Coup de théâtre à l’Ordre de Malte

  1. Cette ordre brutal du Saint Père comporte bien sûr comme il le sait (la lettre des présidents n’est que l’aboutissement de nombreuses mises en garde depuis cinq ans) deux problèmes (je le dis en qualité d’ancien membre de la commission papale de 2017) :

    1) un problème institutionnel et constitutionnel: la Charte Constitutionnelle et le Code de l’Ordre Souverain sont violés, alors que rien ne l’imposait, sauf la réalité que les organes élus légitimes refuseraient la nouvelle constitution non discutée ni votée par un chapitre de l’Ordre; les gouvernements qui reconnaissent la souveraineté de l’Ordre apprécieront, les membres de l’Ordre également ;

    2) un problème managérial: 37 membres Profès (dont 20 ont plus de 70 ans et presqu’aucun n’a d’expérience de management) doivent désormais diriger 48 associations, avec 45 000 professionnels et 100 000 bénévoles que jusqu’à présent 13 500 Chevaliers et Dames (désormais simples collaborateurs et non membres à part entière) animaient.

    Et l’Ordre doit dorénavant dépendre du Droit Canon alors que les associations relèvent de leur droit national respectif.

    Et la solidarité financière qui prévoit désormais que toute association en défaut dans le monde sera garantie par l’Ordre à Rome (et donc par toutes les autres associations). Les donateurs institutionnels de l’Allemagne par exemple ( 80 % du budget annuel de l’Ordre) apprécieront quand une des associations américaines sera en défaut, comme cela s’est déjà vu par le passé .

    Tout cela sans véritablement réformer sur le plan religieux car les 37 Profès actuels bénéficient tous de dispenses de certains de leurs vœux, surtout celui de pauvreté.

    Tout ceci est mal pensé, mal ficelé, et se terminera sans doute mal pour l’Ordre, l’Eglise et surtout nos Seigneurs les pauvres et les malades.

    On peut espérer que si ce désastre se concrétise, les associations privilégieront le service aux Pauvres et Malades et laisseront Rome comme une coquille vide.

  2. Bonjour
    Je ne peux que vous recommander le livre de Roger peyreffite sur les chevaliers de Malte écrit au début des années cinquante
    Tout y est
    L auteur est pour certains un peu sulfureux mais c’est très bien vu et documenté

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