SAS Rogue Heroes

Série télévisée parue en 2022, tirée du livre du même nom de Ben MacIntyre, SAS Rogue Heroes retrace de façon chamarrée la création du Special Air Service puis ses coups de mains intrépides menés lors de la Guerre du Désert de 1941 à 1943. Lorsque Tobrouk tombe aux forces de l’Axe en novembre 1941, ces dernières se trouvent à moins de 100km d’Alexandrie ; déjà en mai l’île de Crète avait été perdue ; désormais le canal de Suez, artère vitale pour les armées britanniques, est directement menacé. La création du SAS, une unité qui regroupera les têtes brûlées de l’armée britannique, de l’aristocrate excentrique à l’irlandais bagarreur, vise à apporter une réponse inédite à ce défi. Fraîchement constitué, le SAS mènera avec succès des raids audacieux sur les aérodromes et les points de ravitaillement italiens et allemands.

Écrivain britannique de renom, Ben Macintyre a su se forger au fil des ans une solide réputation en qualité d’auteur spécialiste des récits d’espionnage qui se fondent sur une histoire véritable. Son livre, SAS Rogue Heroes relève de ce genre-là si bien qu’il fera dire à Steven Knight, le réalisateur de la série, que l’histoire qu’il raconte est « presque vraie », selon ce qui figure au générique d’ouverture.

Sur fond de musique rock contemporaine, Knight offre à ses spectateurs des scènes de combats hardis, truffées de jurons, de bagarres, de beuveries et de l’une ou l’autre scène de séduction. Tourné au Maroc, Knight sait à la fois tirer parti des charmes de l’Orient et des paysages enivrants du désert.

On retrouve ici le cinéma anglais dans sa zone de confort, le period drama, où des personnages élégants et romantiques, revêtus de beaux uniformes d’époque s’expriment dans un anglais désormais désuet.

Sans se prendre au sérieux, la série rend hommage à l’insolence et au courage des soldats du SAS mais aussi à la largeur d’esprit du commandement britannique qui a lâché la bride à une bande de corsaires intrépides. Interprétée avec talent par Connor Swindells, Jack O’Connell et Alfie Allen dans le rôle des trois fondateurs du SAS, par Dominic West (qu’on retrouve dans la série 5 de The Crown) dans le rôle de Dudley Clarke, un personnage louche qui tisse sa toile dans les bordels du Caire, et par Sofia Boutella qui campe une séduisante espionne française. SAS Rogue Heroes fournira à un public (sans doute principalement masculin) l’occasion d’un bon moment autour d’un verre de bière ou de whisky, loin des réalités de la guerre que l’Ukraine vient sans cesse rappeler à nos mémoires.

 

 

Souvenirs de la Révolution culturelle

Dans la jeunesse de La Ligne Claire au cours des années septante du siècle passé, il était de bon ton d’écrire W Mao (prononcez viva Mao) sur les cartables en toile alors à la mode en Italie ; au même moment à peu près, des écoliers chinois du même âge que le nôtre massacraient leurs professeurs à coups de bâtons ferrés. C’était le temps de la Révolution Culturelle que le Président Mao Tsé Toung (selon l’orthographe de l’époque) avait lancée en 1966 et qui ne s’achèverait véritablement qu’avec sa mort en 1976.

Tania Branigan, correspondante du Guardian en Chine de 2008 à 2015 tire de cette sombre période un petit livre, Red Memory, qui n’a pas vocation à être une histoire de la Révolution Culturelle mais plutôt à expliquer comment à un demi-siècle de distance ses acteurs en conservent le souvenir ou au contraire en entretiennent l’oubli.

Dans les années 1970, les dirigeants de l’Europe de l’Est, Brezhnev ou Honecker apparaissent bien ternes dans leur gabardine tandis qu’Andy Warhol faisait de Mao avec ses portraits sérigraphiés une star de la culture pop. Il faut toute la lucidité de Simon Leys, auteur des Habits neufs du Président Mao pour percevoir la réalité meurtrière de la Révolution Culturelle et faire pièce par exemple à Maria Antonietta Macciocchi, auteur quant à elle sur le même sujet de Deux mille ans de bonheur.

Tania Branigan part donc à la rencontre tant des acteurs de la Révolution Culturelle, les Gardes Rouges, que de leurs victimes, deux groupes aux contours flous car la Révolution Culturelle se nourrit de dénonciations, de mises en scène, de brimades et de massacres, où les bourreaux d’aujourd’hui peuvent se révéler les victimes de demain.

Après la mort de Mao, Deng Xiaoping reconnaîtra que la Révolution Culturelle s’était révélée une catastrophe non seulement en raison de ses deux millions de morts mais aussi de la destruction du patrimoine culturel de la Chine et même de l’éthique de piété filiale issue de la pensée de Confucius. De plus Deng admet que cette catastrophe trouve sa source dans le culte de la personnalité dont Mao avait fait l’objet. Trente ans plus tard, Xi Jinping, pourtant lui aussi une victime de la Révolution Culturelle aux côtés de son père et de sa demi-sœur, dégouté par le chaos induit par la Révolution Culturelle, s’est attribué un pouvoir personnel inégalé depuis l’époque de Mao, alimenté par la « pensée Xi Jinping » à l’instar du Petit Livre Rouge.

Dans la Chine de XI Jinping, il n’est bien entendu pas question de chaos ; il n’y est pas non plus question de la Révolution Culturelle au motif que c’est elle qui avait présidée à ce chaos. Désormais non seulement la Révolution Culturelle est-elle bannie des mémoires mais sa simple évocation relève du crime de nihilisme historique. Aussi, pour le quart d’heure la Chine se voit condamnée non seulement à porter le fardeau de cette époque terrible mais à ne plus pouvoir en parler librement. Tania Branigan observe qu’en Chine il existe une relation inverse entre la nécessité d’aborder le sujet et son caractère acceptable par le parti communiste ; aussi les leçons historiques, politiques et morales que la Chine devrait pouvoir tirer de cet épisode brutal demeurent irrecevables dans le contexte politique désormais forgé par Xi Jinping. A cet aune, Red Memory, en définitive un recueil de témoignages oraux, revêt une densité toute particulière dans une Chine condamnée à ployer sous le poids de ce traumatisme faute de pouvoir en parler.

 

 

Tania Branigan, Red Memory, W.W. Norton; 288 pages; 2023

Blake et Mortimer – Huit heures à Berlin

Censée se déroulée en 1963 dans la ville de Berlin, désormais coupée en deux, cette dernière aventure de Blake et Mortimer se situe en gros entre les épisodes du Piège Diabolique et L’Affaire du Collier, tous deux du crayon de Jacobs.

29e album de la série, Huit heures à Berlin est dû à la plume conjointe de José-Louis Bocquet et de Jean-Luc Fromental, qui s’attaquent ici pour la première fois aux deux héros ; Antoine Aubin quant à lui s’était déjà distingué par l’agrément de son dessin et sa fidélité à la ligne claire de Jacobs en qualité d’illustrateur lors de la parution de la Malédiction des Trente Deniers en 2010 et de l’Onde Septimus en 2013.

Les auteurs reprennent et mêlent des thèmes classiques que l’on trouve tant dans l’œuvre de Jacobs que dans les aventures de Tintin, le thème du déguisement, le thème du savant fou et le thème du cobaye que ce savant fou manipule. Olrik par exemple s’était déjà déguisé en Docteur Grossgrabenstein dans Le Mystère de la Grande Pyramide tandis que tout le récit de la Marque Jaune tourne autour de la manipulation d’Olrik par le Docteur Septimus. Les auteurs croisent ces deux thèmes et les développent dans la mesure où le déguisement n’est plus volontaire mais est imposé à son sujet par le savant fou, ici le sinistre Docteur Kranz, par le truchement de manipulations cérébrales.

De l’avis de La Ligne Claire, le scénario mêle avec habilités les brouillards de la guerre froide à la façon de John le Carré, les dérives de la science, et, avec la scène de la voiture qui dérape dans le lac Léman, un clin d’œil évident à l’Affaire Tournesol. Le tout débouche sur un album réussi, à la fois intriguant et fidèle aux canons imposés par le créateur de la série.

 

 

Huit Heures à Berlin, Éditions Blake et Mortimer, 2022

Philippe Pozzo di Borgo: le Promeneur immobile

Il est le tétraplégique le plus illustre au monde, rendu célèbre par le film Les Intouchables (2011) et avant cela par son livre Le Second Souffle (2001) rédigé huit ans après l’accident de parapente qui allait le rendre totalement paralysé pour la vie. Puisqu’il ne peut plus désormais se déplacer, Philippe Pozzo di Borgo se promène dans sa chambre, dans sa tête, parmi ses amis. Ces promenades sont l’objet de ce petit livre, où l’auteur rend compte des deux vies qu’il a menées, l’une bruyante et agitée, l’autre insensible, inerte et souffrante.

Car la souffrance, qui cause des escarres par exemple, est depuis près de trente ans la compagne de tous les instants de Pozzo di Borgo, qui lui rappelle sans cesse qui il est. Jamais avare, à la souffrance de la paralysie s’ajoute celle du deuil de Béatrice, sa première femme, trois ans après son accident ; aussi c’est elle, la souffrance, qui invite l’auteur à vivre dans la vérité, qui accepte.

Rédigé d’une plume libre, le Promeneur Immobile se lit comme l’éloge de la fragilité, du dénuement même, du silence et de la solitude et témoigne de la certitude désormais acquise par l’auteur de ne devoir son salut qu’à ses semblables, tous handicapés à un degré ou un autre.

Comme l’animal, l’homme éprouve la douleur mais seul l’homme connait la souffrance et est en mesure de découvrir que de son sein, consubstantiel de la vie selon le mot d’Etty Hillesum, l’amour tapi en surgit.

On se souviendra que 5% des recettes du film Les Intouchables sont versés à l’Association Simon de Cyrène, du nom de ce type qui est réquisitionné pour porter la croix de Jésus, et qui n’avait rien demandé. Si l’auteur se décrit volontiers comme mécréant et même païen, son langage ne diffère guère de celui du Pape François, mettons dans l’encyclique Fratelli Tutti, pour cette raison que l’un et l’autre ont fait l’expérience de la fraternité vécue.

Car Pozzo di Borgo s’y connaît, lui qui rejoint le Pape dans son appel contre l’euthanasie, qui, à l’abolition de la peine de mort, prétend faire succéder l’abolition de la peine de vie, cette vie qu’on mène à pied, à cheval ou en chaise roulante. L’euthanasie écrit Pozzo di Borgo, c’est dépouiller l’homme de sa dignité. On ne touche pas aux intouchables.

 

Philippe Pozzo di Borgo, Le Promeneur Immobile, Albin Michel, 2022

 

The Crown season 5

The Crown, saison 5

La revue tous deux ans environ de la série The Crown, dont la cinquième saison est parue en novembre dernier, figure en bonne place parmi les devoirs d’état de La Ligne Claire, auxquels bien entendu elle se plie de bonne grâce.

La saison 5 nous emmène dans les années nonante du siècle dernier, une décennie agitée pour la famille royale britannique marquée notamment par le divorce du Prince et de la Princesse de Galles et la mort tragique de la princesse. Il revient bien entendu de classer The Crown parmi les œuvres de fiction, au sens où la série de plait à imaginer des scènes et des dialogues entre les protagonistes qui ne sont pas connus du public mais qui paraissent plausibles à l’écran. Cependant, la qualité de la réalisation a pu lui conférer dans l’esprit de certains l’aspect d’un documentaire ; aussi, dès le lancement de la série, ont surgi des controverses quant au mélange de la réalité et de la fiction opéré par Netflix, le producteur de la série. Avec la saison 5 qui se rapproche du temps présent, ces controverses ont resurgi de façon plus aigüe à telle enseigne que les anciens premiers ministres John Major et Tony Blair ont jugé nécessaire de publier des démentis au sujet de la manière dont leur personnage est dépeint dans la série. Le lecteur trouvera aisément sur YouTube des émissions lui proposant de démêler le vrai du faux dans The Crown ; certaines de ces fictions artistiques, le complot mené par le Prince de Galles pour amener sa mère à abdiquer par exemple, sont si évidentes et absurdes qu’on ne les méprendra pas pour la réalité ; d’autres comme la mention fictive par la Princesse Diana de son fils le Prince William lors de la fameuse interview accordée à Martin Bashir à la BBC, elle-même obtenue par tromperie, relèvent de la faute de goût.

Certes les aventures conjugales et extra-conjugales dominent l’activité de la famille royale en ces années-là mais elles semblent insuffisantes pour nourrir le récit tenu par Peter Morgan, le créateur de la série ; aussi fait-il recours à de nombreux flashbacks, Timothy Dalton dans le rôle de Peter Townsend, la flamme de la Princesse Margareth dans ls années 50 et un curieux épisode consacré à l’assassinat de la famille Romanov en 1918, cousins de Georges V alors le roi d’Angleterre, et dont La Ligne Claire estime qu’il est là pour meubler les espaces vides.

Aussi en dépit d’interprétations remarquables par Jonathan Pryce (Prince Philippe), Dominic West (Prince de Galles) et Elizabeth Debicki (Princesse Diana), qui ont su à merveille répliquer les attitudes de leur personnage, on reste sur sa faim. Au fil de ces épisodes somme toute assez décousus, le spectateur assiste à une interprétation de la reine par Imelda Staunton quelque peu en retrait et que viennent alimenter des dialogues souvent médiocres et pas toujours subtils. On se consolera en songeant que le personnage principal, la received pronunciation propre à la famille royale figure toujours en bonne place en dépit de son caractère désormais désuet.

 

Le Saint Suaire de Turin

Le Saint Suaire de Turin

Le Saint-Suaire de Turin fait partie des objets les plus étudiés au monde si bien qu’on ne compte plus les ouvrages qui lui ont été consacrés, parmi lesquels celui de Jean-Christian Petitfils, « L’enquête définitive » figure en dernière date. L’auteur a pour objectif de démontrer l’authenticité du suaire de Turin à travers une triple analyse historique, scientifique et artistique et entend notamment réfuter les conclusions d’une datation au Carbone 14 en 1988 et qui datait le linceul du XIVe et en faisant donc un faux. En réalité, plutôt que d’un suaire, à savoir un voile qui recouvre la tête d’un défunt, il s’agit d’un linceul, un linge qui enveloppe le corps tout entier. Dans ce contexte le caractère authentique du linceul signifie que c’est celui qui a enveloppé Jésus-Christ lors de la mise au tombeau.

Petitfils, ancien banquier à la retraite, auteur d’une trentaine d’ouvrages consacrés en particulier au Grand Siècle, incarne une tendance où le narrateur raconte l’histoire académique en adoptant le style d’un ouvrage de vulgarisation. Auteur en 2013 d’une biographie de Jésus, Petitfils aborde ici l’histoire du linceul conservé de nos jours dans une chapelle de la cathédrale Saint Jean à Turin et qui laisse apparaître les marques des supplices, flagellation, crucifixion, couronne d’épines, infligés à Jésus de Nazareth, tels que les rapportent les Évangiles. D’emblée il avertit son lecteur que son livre n’aborde pas une question de foi mais constitue une enquête à propos d’une énigme qui touche à la foi.

 

Histoire du linceul

Les plus anciennes preuves indiscutables du suaire que nous connaissons aujourd’hui à Turin remontent à la deuxième moitié du XIVe siècle en Champagne. Or, on peut dater la mort de Jésus au 3 avril de l’an 33 de notre ère. Que s’est-il passé entretemps ? En 387 à Édesse, alors une ville byzantine, aujourd’hui la ville turque d’Urfa, est documentée la première apparition d’un linge dont Petitfils pense qu’il est l’actuel Saint-Suaire de Turin. Face à ce trou de près de quatre siècles, on ne peut affirmer de certitudes si bien que l’auteur est contraint de formuler de nombreuses suppositions ou d’en rendre compte. En 944 ce linceul supposé est exposé à Constantinople à l’occasion de la fête de l’Assomption ; à la suite du sac de Constantinople par les croisés latins en 1204, le linceul aurait été vendu au Roi de France qui l’aurait cédé à un fidèle, Geoffroy de Chancy, qui fera construire au XIVe siècle une collégiale destinée à l’abriter à Lirey, dans le diocèse de Troyes en Champagne. Le linceul deviendra ensuite propriété de la Maison de Savoie qui en cèdera la propriété au Saint-Siège en 1983.

 

Le linceul et la science

En 1898, un photographe turinois appelé Secondo Pia prend la toute première photo du linceul. Il découvre stupéfait que le linceul est en réalité un négatif de sorte que le négatif argenté de Pia révèle en positif le visage de l’homme que le linceul a enveloppé.

Depuis lors le linceul fera l’objet de nombreuses études scientifiques dont la datation au Carbone 4 de 1988 que Petitfils qualifie de fiasco en raison de la violation des protocoles et du choix des échantillons qui ont pu être contaminés par les ravages d’un incendie de 1532 et le raccommodage qu’il avait subi à sa suite.

Toute cette partie peut s’avérer ardue pour le lecteur dont les connaissances en matière de sciences de la nature, comme celles de La Ligne Claire, se sont arrêtées au Bac C. Petitfils passe en revue les travaux de physiciens, de chimistes, de statisticiens, de spécialistes des textiles anciens, de photographes, de médecins légistes, de botanistes, d’archéologues, de numismates et d’historiens dans le but de démontrer le caractère authentique du linceul. Si on peut saluer ce travail, il demeurera difficile au lecteur novice de forger sa propre opinion d’autant qu’il trouvera sans peine une argumentation contraire sur internet. De ce point de vue, La Ligne Claire déplore le choix du sous-titre « l’enquête définitive » non seulement en raison de sa tonalité quelque peu sensationnelle mais parce qu’après Petitfils viendront d’autres chercheurs, qui disposeront de nouveaux outils inconnus aujourd’hui et qui permettront justement de faire avancer la science. Tout récemment par exemple, au printemps de cette année, une étude aux rayons X a suggéré que le linceul avait 2000 ans d’ancienneté, une condition nécessaire à son caractère authentique.

 

La représentation de Jésus dans les arts

Enfin, dans la troisième partie l’auteur fait observer qu’au tout début du christianisme, il n’existait pas de représentation de Jésus car la loi juive interdisait l’art figuratif. Plus tard les premières représentations s’inspireront de l’art païen et on verra Jésus représenté comme un berger par exemple. Mais ce n’est qu’au Ve siècle, c’est-à-dire peu après l’apparition du linceul à Édesse, qu’on voit apparaître la représentation de Jésus qui nous est désormais familière et qui s’en inspire directement : cheveux partagés par une raie, barbe bifide etc. Petitfils y voit une marque du caractère authentique, tel qu’il était perçu alors.

 

Argumentation

En définitive Petitfils avance quantité d’arguments en faveur du caractère authentique du linceul : tissu issu du Proche-Orient au 1er siècle, pollens de plantes propres à la Judée, fleurs fleurissant au printemps, détection de piécettes de monnaie frappées sous Ponce Pilate, marques de la flagellation par un fouet romain, la plaie infligée par une lance romaine, marques du supplice romain de la crucifixion. Les piécettes par exemple ne sont pas décelables à l’œil nu si bien que même les partisans de l’authenticité hésiteront à suivre Petitfils sur ce terrain-là. Les lecteurs soucieux d’examiner les détails du linceul pourront le faire ici ou encore ici ; ils y apprendront par exemple que l’image de l’homme au linceul est non seulement un négatif mais qu’elle est tri-dimensionnelle.

Dans tout ce débat l’Église, désormais propriétaire du linceul, favorable en principe aux études scientifiques, se tient prudemment à l’écart des débats au sujet de leur interprétation. La foi en la Résurrection constitue le cœur du christianisme mais que le linceul soit une véritable relique ou une simple icône n’apporte pas de démonstration de cet article de foi. Lors de la dernière ostension du Saint-Suaire à Turin en 2020, La Ligne Claire et son épouse avaient contemplé émus l’homme du linceul revêtu des marques du supplice atroce de la flagellation puis de la crucifixion. Cela leur a suffi. Pour cette raison, La Ligne Claire juge que le livre de Petitfils ne convaincra que les convaincus.

 

Jean-Christian Petitfils, Le Saint Suaire de Turin – l’enquête définitive, Taillandier, 2022, 464 pages

Apologie de la foi catholique

Évêque depuis juin dernier de Winona-Rochester au Minnesota, Robert Barron est connu comme le fondateur de l’institut Word on Fire (https://www.wordonfire.org/), qui promeut l’apostolat en ligne. C’est à son inspiration et impulsion qu’on doit la publication de The New Apologetics, un petit recueil d’une quarantaine d’essais traitant de la théologie et de la philosophie, de la psychologie et de la sociologie, des sciences et des arts. Par apologie il y a lieu d’entendre la défense raisonnée de la foi (ici catholique), à la fois une nécessité et un devoir selon ce qui est écrit au chapitre III, verset 15 de la 1ère épître de Saint Pierre. Son but est d’affirmer la vérité de la Révélation, l’harmonie entre foi et raison et une saine compréhension de la liberté humaine.

La Nouvelle Apologie s’inscrit résolument dans le contexte de la nouvelle évangélisation proclamée par Jean-Paul II et entend s’adresser au monde actuel postchrétien, parfois anti-chrétien, athée et surtout relativiste. Elle se veut le reflet de l’attention que l’Église catholique accorde aux sciences et affirme résolument la cohabitation en l’homme de la foi et de la raison, deux modes de la connaissance humaine. Puisant à la source d’une longue et solide tradition intellectuelle qui remonte aux Pères de l’Église, elle connaît et reconnaît ses ennemis, Sartre, Nietzsche ou Marx et la société athée qu’ils ont engendrée.

La Nouvelle Apologie fait de la beauté, la splendeur de la vérité selon le titre de l’encyclique de Jean-Paul II, le fer de lance de son approche car seule la beauté, pas toujours présente dans la culture catholique actuelle il est vrai, est à même de désarmer les objections que lui adresse le relativisme contemporain.

The New Apologetics fait référence à des références culturelles, et en particulier littéraires, tirées du monde anglo-saxon qui ne seront pas toutes familières à un lecteur de langue française ; néanmoins, ses enseignements sont applicables à d’autres cultures pour la raison-même que la foi chrétienne s’inscrit dans la réalité très concrète de l’incarnation.

Ce petit livre a vocation à constituer un manifeste de la foi catholique afin d’être tout à tous (1 Cor IX, 22). Plus qu’un manuel d’argumentation, il a vocation à être entendu dans et par le monde d’aujourd’hui, en ligne et hors ligne, par les jeunes en particulier et par tous ceux qui en Occident se sont éloignés de l’Église.

 

 

 

The New Apologetics, Word on Fire, 288 pages, 2022

 

Les Vendanges d’un Destin

Le vin, fruit de la terre et du travail des hommes. Cette citation tirée de la liturgie catholique apparait à trois reprises dans les Vendanges et constitue la maxime de ces mémoires que May-Eliane de Lencquesaing écrit au soir de sa longue vie. Car le vin auquel elle a consacré une belle part de sa vie n’est pas à ses yeux un produit, certes pas industriel mais pas même agricole, mais justement le fruit d’un fruit.

May-Eliane de Lencquesaing nait en 1925 au sein d’une famille, les Miailhe, implantée dans le milieu bordelais de la gestion des domaines et du négoce en vins. Elle reçoit une éducation stricte, très catholique certes mais néanmoins imprégnée d’une austérité toute protestante. Un père autoritaire brisera ses espoirs d’études universitaires à la suite d’un incident banal mais May-Eliane n’est pas de celles que l’adversité fait reculer. Son mariage en 1948 au capitaine Hervé de Lencquesaing, issu quant à lui d’une famille picarde, mais qui puise ses origines dans le Hainaut, la conduira à mener la vie de militaire, de valise en garnison à Lille et à Reims, mais aussi à deux reprises aux Etats-Unis.

De retour du Kansas en 1971, elle est élue conseillère communale de Quiestède, une commune du Pas-de-Calais où les Lencquesaing possèdent Laprée, leur château familial. Ce sera son premier engagement social, marqué notamment par la création d’un centre pour enfants ou encore d’une association de familles rurales.

En 1978 une décision du sort va faire bousculer son destin. De même que les soldats romains jouent la tunique de Jésus aux dés, la fratrie Miailhe répartit son hoirie au sort afin de mettre un terme à une succession difficile. A May-Eliane échoit le domaine de Pichon – Longueville- Comtesse de Lalande à Pauillac, souvent appelé Pichon-Comtesse en raccourci. Or elle a quitté Bordeaux trente ans plus tôt, son réseau s’est délité. Certes Pichon-Comtesse est un vignoble prestigieux mais les installations vieillottes portent encore les marques de l’occupation allemande. May-Eliane de Lencquesaing, accompagnée de son mari, suit alors des cours d’œnologie et entame une carrière de dirigeante d’une petite entreprise dont elle développe bientôt tous les aspects, la production, les investissements en matériel, la démarche commerciale, la recherche scientifique pour laquelle elle fait appel à l’université et les finances; enfin, elle développe une politique de ressources humaines pour reprendre un terme moderne, et fait construire des logements dignes pour les ouvriers vendangeurs venus d’Andalousie. Tous ces efforts portent leur fruit, à nouveau ce mot, et voilà bientôt tant Pichon-Comtesse que la Générale, comme on l’appelle désormais, couronnées de prix et de décorations.

Planter deux graines là où il n’y en avait qu’une, c’est faire œuvre de création. Un jour un général canadien lui avait confié cette phrase en guise de dédicace. May-Eliane en fera un principe de vie. Il est frappant à la lecture des Vendanges d’observer combien May-Eliane de Lencquesaing associe la viticulture à la maternité, à savoir l’accouchement puis l’éducation d’un être unique. Comme le vin, cet être sera appelé à rapprocher les hommes, davantage encore lorsqu’il aura vieilli, toujours comme le vin.

May-Eliane de Lencquesaing avait connu une première indivision et était résolue à ne pas en laisser une seconde à ses propres enfants ; aussi en 2006 elle vendit Pichon-Comtesse à un groupe champenois.

Que fait-on quand on a 78 ans ? Une tournante de bridge, 18 trous de golf si l’arthrose le permet, une croisière en Norvège ? Rien de tout cela pour la Générale. Elle acquière en 2003 le domaine de Glenelly en Afrique du Sud, non pas un vignoble mais l’emplacement d’un vignoble ancien alors planté d’arbres fruitiers. Elle y plantera des vignes nouvelles et fera de Glenelly une création personnelle, fruit de choix individuels, qui 19 ans plus tard livre tant des vins de cépage que des vins d’assemblage, selon la tradition bordelaise, et qui en font la renommée de par le monde. Fidèle à son sens de l’action sociale elle construit sur le domaine un centre d’accueil (Care centre) pour les familles et leurs enfants en particulier, et des maisons pour les ouvriers.

Originaire d’Orient, la vigne a d’abord été domestiquée par l’homme. Vigoureuse, malléable, mystérieuse aussi, ce sont les Romains qui l’ont introduite en Gaule si bien que déjà Pline l’Ancien célébrait sa cultivation à Bordeaux au 1er siècle de notre ère.

Malheur à l’homme qui boit le vin à même l’amphore écrit le prophète Amos au chapitre VI. On ne sait si la Générale a été mue par la crainte de ces menaces prophétiques ; ce que l’on sait en revanche c’est qu’elle a fondé non pas un mais deux musées du verre, l’un à Pichon et l’autre à Glenelly, qui accueillent des œuvres d’art de qualité sans lesquelles on ne pourrait goûter le vin.

Aux yeux de May-Eliane de Lencquesaing, on ne saurait trop le redire, le vin n’est pas un simple produit. Il donne du goût aux mets, il rassemble les familles autour d’une table et les fidèles lors des cérémonies religieuses, il est en somme la marque d’une civilisation, à laquelle elle a voué deux des quatre saisons de sa vie.

 

May-Eliane de Lencquesaing, Les vendanges d’un destin, Tallandier, 2022, 375 pages.

 

 

L’Eglise et le féminin

Titulaire en 2014 du Prix Ratzinger, membre de l’Académie Pontificale pour la Vie, enseignante au Collège des Bernardins, docteur en sciences des religions, en un mot théologienne de premier plan, Anne-Marie Pelletier examine dans son dernier livre, l’Église et le féminin, la place des femmes au sein de l’Église à la lumière de la Tradition.

Point de départ essentiel de sa réflexion, Pelletier s’appuie sur la Tradition, qu’elle distingue des traditions et qu’elle conçoit comme un mouvement de la foi, plutôt qu’un message immobile. Très attachée à la Bible aussi, elle la lit comme le récit où Dieu se déploie dans la réalité très concrète, charnelle et parfois crue de notre humanité.

Pelletier s’attache d’abord à effectuer un travail d’archéologie ou, si l’on préfère, de mémoire critique, qui vise à identifier la distribution des rôles et du pouvoir parmi les sexes dans l’histoire du peuple de Dieu. L’auteur estime cette phase d’archéologie un préalable indispensable à toute réflexion au sujet de l’Église en tant qu’institution. Car le judaïsme puis le christianisme ne naissent pas dans le vide mais dans le monde concret des civilisations méditerranéennes.

Comme la plupart des espèces animales, l’homme est un être sexué. A la différence des animaux, l’homme en a conscience et voit dans la rencontre des sexes un mystère où l’identique (« la chair de ma chair ») rencontre le différent. Pelletier montre que la recherche anthropologique fait apparaître dans toutes les cultures une prépondérance du masculin sur le féminin qui repose entre autres sur une peur de la femme et sa supposée impureté (voir par exemple le chapitre 12 du Lévitique).

En dépit du caractère rigoureusement novateur du christianisme qui se fonde en définitive sur la foi en la résurrection de la chair, un concept impensable pour les Grecs, le monde chrétien s’alignera rapidement sur les représentations des sexes héritées de l’Antiquité. Là où Paul écrit au chapitre 3 de l’épître aux Galates qu’il n’y a plus homme ni femme car tous ne font qu’un dans le Christ, les structures sociales de l’Antiquité demeurent en place et déboucheront sur la chrétienté du Moyen-Âge où les femmes seront reléguées à l’espace domestique ou, si elles sont religieuses, à la clôture. Pelletier relève cependant que, dès lors que l’Église considère le mariage comme un sacrement, elle met fin à l’arbitraire masculin de la répudiation ; de même la vie en qualité de vierge consacrée au Christ permet aux femmes de s’affranchir de la tutelle du père puis de celle du mari.

Dans une deuxième partie, Anne-Marie Pelletier traite de deux questions importantes pour apprécier le rôle de la femme dans l’Église, la métaphore conjugale et l’existence d’un spécifique féminin. Si l’auteur souligne l’usage abondant dont font la Bible et Église de la métaphore conjugale pour exprimer l’union du Christ et de l’Église, elle ne manque pas de relever que Dieu, alors qu’il est asexué, se voit assigner le rôle masculin de l’époux dans cette relation tandis que Sion puis l’Église sont campées dans le rôle de l’épouse, parfois d’ailleurs comme au chapitre 16 d’Ézéchiel sous des images très violentes. Quant à la question du spécifique féminin, le Magistère depuis Paul VI répond oui avec enthousiasme mais au risque, selon Pelletier, de sacraliser en quelque sorte l’image de la Femme au détriment des femmes concrètes qui ne se reconnaissent pas toujours dans le portrait d’elles-mêmes que leur tend l’Église.

En dépit de cette appréciation critique qu’Anne-Marie Pelletier porte du regard que l’Église porte elle-même sur les femmes et les rôles qu’elle leur réserve, elle demeure convaincue, en raison précisément de l’Incarnation comme une réalité charnelle, de la nécessité d’une anthropologie qui se fonde sur la distinction des sexes. C’est la raison pour laquelle elle estime les théories du gender comme un péril anthropologique, auxquelles elle oppose la différence, et la différence des sexes en particulier, comme une nécessité d’ordre positif.

On cherchera en vain des points médians ou d’autres marques d’écriture inclusive dans ce petit livre à la plume si élégante et ferme et qui, pour cette raison, porte. De son propre aveu, pas optimiste mais portée par l’espérance, Anne-Marie Pelletier propose dans son livre une nouvelle ecclésiologie qui tienne compte non seulement des spécificités de chaque sexe mais qui s’affranchisse de la distinction rigide entre clercs et laïcs alors que les uns et les autres sont des baptisés. Elle rappelle avec force que les charismes de l’Esprit évoqués par saint Paul ne sont pas attribués à un sexe ou à l’autre.

 

Anne-Marie Pelletier, L’Église et le féminin – Revisiter l’histoire pour servir l’Évangile, Éditions Salvator, 2021, 171 pages.

 

Downton Abbey

Downton Abbey : éternel recommencement

Peu liée par les contingences de l’actualité, La Ligne Claire a regardé avec plus de neuf mois de retard Downton Abbey, une nouvelle ère, paru au cinéma vers la fin de 2021. On ne change pas une équipe qui gagne de sorte que le réalisateur conserve non seulement son écurie d’acteurs mais reprend en substance le scénario de son premier film. Là où la famille royale s’était invitée en séjour à Downton Abbey, c’est désormais une équipe de cinéma qui y débarque, clin d’œil à la vraie vie qui voit le film tourné au château de Highclere, propriété du comte de Carnarvon. Mais une nouvelle invention technologique, le cinéma parlant, vient brouiller les cartes et distribuer les rôles de manière astucieuse si bien que chacun des personnages se verra amené à jouer un rôle autre que celui que la série lui assigne traditionnellement de façon quelque peu étriquée. Une intrigue secondaire permet à Lord et Lady Grantham de s’évader vers la Côte d’Azur et au réalisateur de détourner l’attention du spectateur du recyclage d’un scénario existant. Cela dit, le film n’est pas sans charme ni sans humour, y compris là où l’œil malicieux de la comtesse douairière s’éteint et sa langue se tait, non sans avoir remporté une dernière joute verbale.

La Ligne Claire estime que Downton Abbey a depuis longtemps épuisé son sujet et qu’il est temps que son scénariste, Julian Fellowes, déploie ses talents ailleurs. Cependant, Wikipedia nous apprend qu’à la fin de septembre 2020, les recettes du film à l’échelle du monde s’élevaient à plus de 92 millions de dollars, si bien que la perspective que les lecteurs de La Ligne Claire soient affligés d’un nouvel article au sujet de Downton Abbey d’ici deux à trois ans paraît inévitable.