Jean Vanier, le Sacrement de la Tendresse

Alors que vient de s’achever la cérémonie des Césars, au cours de laquelle le cinéma français se lance des fleurs à soi-même au fil d’une soirée où le vulgaire le dispute au ridicule, ce film de Frédérique Bedos, au contraire tout orienté vers le vrai, le simple, le beau, se veut un témoignage lumineux (mais sans les paillettes justement) de l’œuvre et de la vie de Jean Vanier, réalisé au soir de sa vie.

Auteur d’un livre à succès, La Petite Fille à la Balançoire, qui témoigne de son enfance, Frédérique Bedos est à l’origine du projet Imagine, une série de films consacrés à des héros humbles ou méconnus, et dans laquelle s’inscrit le Sacrement de la Tendresse

Né dans un éminente famille canadienne, vers ses 35 ans Vanier ressent cet appel d’aller à la rencontre des handicapés mentaux, alors rejetés par la société et internés à l’asile des fous dans des conditions souvent dégradantes. Pour Vanier. Il ne s’agit pas tant de faire quelque chose que de construire une relation. Il ressort de l’asile avec ceux qui deviendront ses deux premiers compagnons, Raphaël et Philippe, des compagnons, ceux avec qui on partage le pain, et avec qui il s’établit dans une petite maison à Trosly-Breuil à proximité de Compiègne. C’est là qu’en 1963 naît l’Arche, celle qui recueille le reste d’humanité alors que la terre se noie sous les flots de l’argent et de la quête du succès.

Tourné au sein de trois communautés de l’Arche, à Trosly-Breuil, à Bethléem et à Calcutta, le film nous dévoile une grande âme, un personnage rayonnant qui, à la manière d’un vitrail, laisse transparaître la lumière divine qui habite en tout homme.

Toute l’existence, l’œuvre et la personne même de Vanier justifient pleinement le titre du film – le Sacrement de la Tendresse ; un sacrement, nous rappelle le Catéchisme de l’Eglise Catholique, est un signe efficace de la grâce de Dieu, et dont l’efficacité s’incarne ici dans l’action entreprise par Vanier. Animé d’un grande foi catholique, à la fois ardente et discrète, ouverte à tous, Vanier lui confère son sens premier, l’universalité puisque catholique signifie universel en grec.

Si la personnalité de Vannier émerge puissante et humble de ce film, elle embrasse de surcroît tous ceux qui forment les 147 Communautés de l’Arche à travers le monde, les handicapés comme les assistants, une communauté de vie riche et bouleversante. Car ces handicapés raisonnent exactement comme La Ligne Claire, ses lecteurs et les assistants mais de manière totalement différente, ils empruntent des chemins inconnus et parviennent à des buts au départ insoupçonnés. On est déconcerté.

A la suite de l’Abbé Pierre ou de Mère Theresa, Jean Vanier s’est engagé sur un chemin, qui est un scandale aux yeux du monde. Vous n’avez encore jamais rencontré de saint ? Allez voir ce film, Frédérique Bedos vous en fournit l’occasion.

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Les Nouvelles Routes de la Soie

Les Nouvelles Routes de la Soie

Avec les Nouvelles Routes de la Soie, Peter Frankopan revient sur sa thèse centrale, le retour du poids de l’Asie au détriment de l’Europe et de manière plus générale de l’hémisphère occidental. En somme estime-t-il, les cinq siècles de domination européenne sur le monde n’auront été qu’une parenthèse qui se referme avec les deux guerres mondiales et la décolonisation de sorte que le centre de gravité de l’économie mondiale retrouve son équilibre historique, situé en Asie centrale. Adepte de l’histoire longue, ennemi d’une vision euro-centrique du monde et de son histoire, Frankopan s’intéresse en particulier à l’initiative stratégique chinoise Route et Ceinture, mieux connue en anglais sous le nom de One Belt, one Road Initiative. Si cette dénomination peut prêter à confusion dès lors que la Ceinture désigne le faisceau de routes et de voies ferrées reliant l’Asie à l’Europe et que la Route désigne les voies maritimes et les infrastructures portuaires qui ceignent l’Eurasie, son importance stratégique s’impose.

Cette initiative, portée par le président chinois Xi Jinping dès 2013 a pour objectifs de relier la Chine plus étroitement au reste du monde, de limiter sa dépendance aux approvisionnements qui empruntent le canal de Suez et le détroit de Malacca et surtout de s’assurer l’accès aux ressources naturelles les plus variées, l’eau des hauts plateaux, le blé des steppes, les minerais et les terres rares, et les hydrocarbures de la mer Caspienne.

Auteur érudit, Frankopan saisit bien ces enjeux majeurs et en maîtrise toutes les données, au risque parfois d’assommer son lecteur de chiffres et de statistiques. On regrettera que la seule carte publiée dans l’édition française couvre la moitié du monde mais ne fournisse que peu d’aide au lecteur puisque ni les Routes ni la Ceinture n’y sont portées.

On se souviendra que Frankopan, professeur d’histoire à l’université d’Oxford, avait fait des Routes de la Soie une nouvelle clé de lecture de l’histoire du monde. Avec les Nouvelles Routes de la Soie l’auteur franchit un pas audacieux dans la mesure où il se départit de son métier d’historien et ne traite plus du passé mais de l’actualité géo-politique et même de l’avenir, comme l’indique le titre du dernier chapitre.

Ce pas est sans doute le pas de trop. Trop concentré sur l’actualité, le livre manque souvent de recul ; par exemple il évoque à plusieurs reprises la hausse du prix du pétrole alors que le cours du Brent, aujourd’hui à environ USD62 le baril se situe en baisse de près de 30% par rapport au pic de USD85 atteint en octobre 2018 ; les commentaires au sujet du Bitcoin qui a perdu 80% de sa valeur au cours de l’année 2018 paraissent plus déphasés encore. De plus, if the facts don’t fit the theory, change the facts blaguait Einstein, et observons que l’auteur quitte à ses périls la réalité des faits pour s’aventurer sur le terrain des prévisions et même de simples suppositions (« que serait par exemple le marché immobilier à Londres sans les Russes et les Chinois ? »).

Un mot enfin au sujet de la traduction qui, de l’avis de La Ligne Claire, demeure lourde; à titre d’exemple une US investment firm devient une firme d’investissement états-unienne, plus difficile à digérer.

En définitive, si le sujet des Nouvelles Routes de la Soie et celui de One Belt, One Road ont toute leur importance, l’auteur qui se veut à la fois un historien adepte du long cours des choses et un journaliste en prise avec l’actualité immédiate laisse au lecteur un petit ouvrage dont ne sait s’il relève du lard ou du cochon.

 

Peter Frankopan, Les Nouvelles Routes de la Soie, Editions Nevicata, 223 pages.