Fête du village à Founex

Il y a quelques jours se déroulait la fête du village de Founex. Le temps magnifique était propice si bien que la grand’rue du village s’était transformée le soir tombée en une rambla où les habitants de la commune et même des communes voisines venaient prendre part à la passeggiata la nuit tombée, que l’on pourrait définir comme l’art de la flânerie, l’art de déambuler, de saluer d’un hochement de la tête les voisins qu’on reconnaît ou croit reconnaître.

A droite et à gauche on avait érigé des buvettes sous des tentes blanches et devant lesquelles, assis sur des bancs, et attablés sur des Biertische, on pouvait siffler un petit vin, rosé ou blanc, celui du maire, qu’on appelle ici le syndic, ou celui de son adversaire malheureux aux dernières élections. La Suisse compte de nombreux lacs mais peu de poissons et c’est sans surprise qu’on retrouvera les filets de fera ou de perche accompagnés de sauce béarnaise. Plus loin, certains ne se privaient pas d’enfourner des malakoffs malgré la grande chaleur ; les malakoffs, ce sont ces beignets au fromage, qui comme la station du métro parisien du même nom, évoquent le souvenir de la bataille de Sébastopol pendant la guerre de Crimée et de la tour Malakoff qui gardait la ville, finalement prise par les troupes anglaises et françaises. Des mercenaires suisses, originaires pour beaucoup de la côte vaudoise, avaient pris part à ce long siège (1853 à 1855) durant lequel, terrés dans les tranchées, ils faisaient frire du fromage accompagné de pain et de vin blanc ; de retour aux pays ils donnèrent à leur nouveau plat le nom de la tour dont ils avaient assuré la capture.

Au milieu du village jouait, ma foi assez bien, un groupe rock au répertoire assez éclectique. Les Stones, les Doors et puis « Siffler sur la colline ». Un petit garçon accompagnait l’orchestre en fredonnant « zai, zai, zai, zai » un refrain qu’il avait dû apprendre en écoutant les CDs de ses parents, voire de ses grands-parents – tempus fugit – tandis qu’un Sikh, les cheveux noués en chignon, écoutait lui aussi la musique avec une grande attention. Représentant de l’une des quelques cent nationalités qui forment la population de Founex, La Ligne Claire se disait à elle-même que cette chanson, si ancrée dans la mémoire de la variété de langue française, lui devait paraître bien lointaine et que l’histoire de ce prétendant malheureux éconduit par sa bergère devait lui échapper. Au souvenir des chansons de son enfance, une certaine mélancolie vint s’emparer de La Ligne Claire qui aurait bien voulu que l’orchestre chantât aussi « Le Petit Pain au Chocolat » où c’est au contraire la boulangère qui soupire après l’un de ses clients. Mais cela, tous les Founachus vous le diront, cela n’arrive que dans les chansons.

Burkini – nouvelles révélations

Face à l’émoi causé par l’affaire du burkini chez nos voisins français, La Ligne Claire s’est résolu à quitter son bureau, où de toutes façons il faisait trop chaud, pour mesurer de ses propres yeux l’ampleur du problème. Si la décision du Conseil d’Etat il y a deux jours a pour le moment, semble-t-il, tranché le débat, La Ligne Claire souhaite faire part à ses lecteurs du résultat de ses investigations.

Soucieux de la légalité républicaine, nous reproduisons ici un extrait de l’arrêté pris par le maire de Nice qui interdisait ses plages, jusqu’au 15 septembre, «toute personne n’ayant pas une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité, respectant les règles d’hygiène et de sécurité». On mesure d’amblée l’ampleur du problème pour les vacanciers contraints de s’équiper d’une tenue de bain jusqu’au 15 septembre et d’une deuxième après. Les parents de La Ligne Claire avaient été autrefois mis en face de situations similaires – enfin, mutatis mutandis – lorsque, il y a un demi-siècle, embarqués vers les mers du sud sur un paquebot britannique, une fois franchie le tropique du Cancer, il leur fallait remiser le smoking noir et endosser un smoking blanc pour aller dîner dans la salle-à-manger de première classe.

Pendant ce temps-là La Ligne Claire avait enfilé ses espadrilles et étaient descendue à la plage. Or voilà que se présente à ses yeux une femme en monokini.

Monokini

Que dit l’arrêté municipal à ce propos ? « Que la dame a lieu de porter une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité ». Mais voilà, face à l’absence de jurisprudence en la matière, comment juger ? Heureusement La Ligne Claire s’est souvenue des paroles mémorables du bon roi Henri IV «Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France ». A cette aune, le monokini fait à coup sûr partie de la tradition républicaine car, comme le rappelait récemment Emmanuel Macron « il y a une république avant la république » sans qu’on sache pour autant ce qu’il ait voulu dire.

Un peu plus loin, La Ligne Claire tombe nez à nez sur une autre dame qui, certes, portait un bikini mais un string.

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Méfiante, La Ligne Claire croyait se souvenir que l’Académie Française avait banni cet anglicisme de mauvais aloi et qu’une commission en avait recommandé le remplacement par maillot-ficelle (à noter qu’une seconde commission est toujours en séance pour déterminer si, oui ou non, l’usage du trait d’union s’impose en pareil cas). Mais au sens de l’arrêté municipal, le string n’est-il pas le nœud du problème ? Car, face à une possible infraction aux bonnes mœurs, il y a lieu de peser la diversité culturelle puisque le string nous vient du Brésil, un pays dont les chanteurs célèbrent Brigitte Bardot et auquel nous unit une tradition dynastique puisque feue Madame la Comtesse de Paris était issue de la Maison d’Orléans-Bragance qui avait régné sur ce vaste empire il n’y a guère.

Face à l’ampleur de la question, La Ligne Claire s’est résolue de faire appel aux services de deux célèbres détectives de la police judiciaire qui, forts de leur déguisement, se glissent incognito parmi les maillots, de la Baule à Saint-Tropez.

Dupont et Dupond

Un peu plus loin encore, une dame faisait de la plongée sous-marine, équipée d’un masque et d’un tuba. Or, depuis 2010, une loi interdit de dissimuler le visage dans l’espace public. La plage est assurément un lieu public, mais la mer ?

Masque de plongée

  • Pour nous l’affaire est claire, n’est-ce pas ?
  • Atteinte à l’ordre public
  • Mais sans masque je ne puis plonger
  • Dura lex sed lex
  • Madame, au nom de la loi, ôtez votre masque et remettez votre bikini
  • Je dirais même plus, il faut pouvoir soutenir ce qu’on avance
  • C’est mon avis que je partage avec le Conseil d’Etat.

 

 

Pape François

Le Pape, les terroristes et les catholiques

Le 26 juillet dernier le père Jacques Hamel était sauvagement égorgé dans son église à l’issue de la messe qu’il venait de célébrer par deux individus qui se réclament explicitement de l’Etat islamique. Le Pape François s’est exprimé à deux reprises à ce propos, une première fois dans l’avion qui l’emportait aux JMJ à Cracovie, et une seconde fois au retour.

A l’aller le pape a insisté sur la notion de guerre, « une guerre d’intérêts, une guerre pour l’argent, une guerre pour les ressources naturelles, une guerre pour la domination des peuples, …pas une guerre de religions car toutes les religions veulent la paix » qui, selon lui, explique la situation du monde.

Si ces propos ont pu surprendre, ceux prononcés lors du vol du retour ont provoqué un émoi plus considérable encore. « Je ne pense pas qu’il soit juste d’associer islam et violence…tous les jours quand j’ouvre les journaux, je vois des violences en Italie, quelqu’un qui tue sa petite amie, un autre qui tue sa belle-mère, et ce sont des catholiques baptisés ».

Face à la perplexité qu’ont causé ces commentaires, La Ligne Claire souhaite présenter trois hypothèses susceptibles de les déchiffrer.

 

L’accident selon Aristote

La première pourrait s’appeler l’hypothèse de l’accident. Un type tue un autre type, cela arrive tous les jours, et s’il s’avère que l’assassin est un Français de confession musulmane et la victime un autre Français, prêtre catholique, cela relève de l’accident aristotélicien. Dans cette optique, cet incident tragique tient du fait divers et devient donc tout à fait comparable à l’histoire de cet autre type, le baptisé catholique, qui zigouille sa belle-mère. Ce personnage fictif auquel le pape se réfère est celui qui permet de conférer une certaine validité à cette hypothèse.

Elle n’est pourtant partagée par personne d’autre. Selon la sœur Hélène Decaux, témoin du meurtre, les assassins se réclament à la fois de la guerre en Syrie, menée selon eux par les Chrétiens et qu’ils invoquent comme justification de leur geste, et de motifs religieux car « Jésus ne peut pas être à la fois homme et Dieu ». Pour sa part le Président François Hollande, qui se professe athée, déclarait que « tuer un prêtre, c’est profaner la République » ; il s’est ensuite rendu, accompagne du Premier Ministre Manuel Valls à la cérémonie d’hommage célébrée par le cardinal Vingt-Troix à Notre-Dame de Paris, tandis que Bernard Cazeneuve assistait à la messe de funérailles prononcée par Mgr Dominique Lebrun, archevêque de Rouen. En d’autres termes, les plus hautes autorités de l’Etat ont rendu hommage à Jacques Hamel parce qu’il a été égorgé à dessein en tant que prêtre catholique et pas comme victime d’une affaire qui aurait mal tournée. Enfin, la Nation tout entière s’est associée à cet hommage, y compris les représentants des communautés musulmanes.

 

La sociologie

La deuxième hypothèse est celle qu’à la suite d’Aldo Maria Valli, vaticaniste de renom a la RAI, la télévision italienne, on peut appeler l’hypothèse sociologique.

Le pape a souvent évoque cette guerre menée au nom de l’argent. Elle plongerait ses racines lointaines dans l’expansion de l’Occident au XVIe siècle puis dans sa domination économique du monde et, dans le cas du Proche-Orient, dans le démantèlement de l’empire ottoman, les accords Sykes-Picot, les luttes pour le contrôle des ressources pétrolières et bien entendu les deux guerres d’Irak. Cet impérialisme de l’Occident produit encore aujourd’hui ses effets : lutte pour le pétrole, guerre, flux migratoires, terrorisme. En somme le pape propose une théorie explicative du terrorisme dont la religion est absente et qui justifie ses propos selon lesquels toutes les religions veulent la paix. Les assassins du Père Hamel ont eux aussi invoqué la guerre au rang de leurs motifs et voient leur geste comme une rétribution de l’intervention française en Syrie ; dans cette optique qu’ils partagent avec le pape, le terrorisme n’est qu’un retour de bâton mérité par l’Occident en raison de son exploitation économique du monde arabe. Cependant là où l’Etat islamique comme les assassins se démarquent du point de vue du pape, c’est qu’ils proclament le terrorisme comme une guerre sainte à mener contre les « Croisés » dont le pape est du reste perçu comme le chef. Peu importe que par ailleurs la France soit une république laïque, qui compte en son sein cinq a six millions de musulmans, ce qui compte à leurs yeux c’est en définitive son histoire, qui fait d’elle une puissance chrétienne à combattre.

 

L’histoire

Le 3 décembre 2014, La Ligne Claire avait eu l’occasion de publier un article dans les colonnes du journal Le Temps (http://www.letemps.ch/opinions/2014/12/03/pie-xii-francois-impossibilite-chronique-designer-assassins) qui établissait un parallèle entre le pape François et Pie XII, deux hommes à la personnalité très différente ; l’article avançait l’hypothèse que l’un et l’autre avaient en quelque sorte succombé au terrorisme dans la mesure où la terreur, alors nazie et aujourd’hui d’inspiration islamique, les avait privés de leur pleine liberté d’expression en public. Aujourd‘hui La Ligne Claire reprend volontiers cette hypothèse pour expliquer les dernières paroles du pape, tout en soulignant une différence importante avec son prédécesseur. On a suffisamment reproche à Pie XII ses silences au sujet de la Shoah et de même le pape François, lorsqu’il plaide la cause des migrants, un sujet qui lui tient pourtant à cœur, omet soigneusement de mentionner l’islam et même le terrorisme d’inspiration islamique. On a depuis lors précisé que le pape, qui s’était exprimé en italien dans l’avion, lorsqu’il disait « violenza islamica », renvoyait à une violence musulmane et non pas islamique, qui permettrait donc une comparaison avec une violence catholique. Il n’en reste pas moins que, craignant d’enflammer le mal qu’il souhaiterait condamner, là ou Pie XII s’était muré dans le silence face aux crimes nazis, le pape François s’est senti obligé d’établir un parallèle entre le terrorisme d’inspiration islamique bien réel et un supposé terrorisme catholique, qui lui ne renvoie a aucune réalité.

Enfin, si les déclarations du pape François prennent place parmi les contingences du moment, elles sont aussi le reflet de sa personnalité et de son style d’expression. Adepte d’un style familier et des déclarations a brûle-pourpoint, le pape, dont il dit de lui-même qu’il est un peu fourbe, se plait à cultiver une ambiguïté calculée, disant ceci aux uns et cela aux autres, et à agir volontiers de façon impétueuse, solitaire sinon autoritaire.

On attribue au roi Salomon à la sagesse légendaire le proverbe qui recommande de « tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler », marque d’une sagesse, désormais à élever en réponse à la terreur dont fut martyr le Père Jacques Hamel.