Blake et Mortimer – Huit heures à Berlin

Censée se déroulée en 1963 dans la ville de Berlin, désormais coupée en deux, cette dernière aventure de Blake et Mortimer se situe en gros entre les épisodes du Piège Diabolique et L’Affaire du Collier, tous deux du crayon de Jacobs.

29e album de la série, Huit heures à Berlin est dû à la plume conjointe de José-Louis Bocquet et de Jean-Luc Fromental, qui s’attaquent ici pour la première fois aux deux héros ; Antoine Aubin quant à lui s’était déjà distingué par l’agrément de son dessin et sa fidélité à la ligne claire de Jacobs en qualité d’illustrateur lors de la parution de la Malédiction des Trente Deniers en 2010 et de l’Onde Septimus en 2013.

Les auteurs reprennent et mêlent des thèmes classiques que l’on trouve tant dans l’œuvre de Jacobs que dans les aventures de Tintin, le thème du déguisement, le thème du savant fou et le thème du cobaye que ce savant fou manipule. Olrik par exemple s’était déjà déguisé en Docteur Grossgrabenstein dans Le Mystère de la Grande Pyramide tandis que tout le récit de la Marque Jaune tourne autour de la manipulation d’Olrik par le Docteur Septimus. Les auteurs croisent ces deux thèmes et les développent dans la mesure où le déguisement n’est plus volontaire mais est imposé à son sujet par le savant fou, ici le sinistre Docteur Kranz, par le truchement de manipulations cérébrales.

De l’avis de La Ligne Claire, le scénario mêle avec habilités les brouillards de la guerre froide à la façon de John le Carré, les dérives de la science, et, avec la scène de la voiture qui dérape dans le lac Léman, un clin d’œil évident à l’Affaire Tournesol. Le tout débouche sur un album réussi, à la fois intriguant et fidèle aux canons imposés par le créateur de la série.

 

 

Huit Heures à Berlin, Éditions Blake et Mortimer, 2022

Prince Harry – Spare

Le Suppléant

« Nobody can make you feel inferior without your own consent ». Cette belle phrase, due à Eleanor Roosevelt, exprime de façon admirable l’essence de la dignité humaine qui ne peut être dégradée par le regard des autres que si l’on y accorde son propre consentement. Annoncées il y a trois mois, les mémoires du Prince Harry, rédigées avec la contribution d’un nègre sous un titre provocateur, « Spare », sont publiées aujourd’hui. En anglais, le dicton « the heir and the spare », deux mots qui riment, indiquent que la succession de la monarchie est assurée par la naissance d’un héritier (heir) et d’un suppléant (spare) le cas échéant. La Ligne Claire reconnaît volontiers que la position du spare au sein de l’institution monarchique est délicate et pas toujours facile à endosser. Troisième dans l’ordre de succession au trône au moment de sa naissance, le Prince Harry est aujourd’hui cinquième. Alors que le titre du livre suggère que le prince se morfond de sa position d’éternel second, il est clair désormais que le Prince Harry a peu de chances d’accéder au trône d’Angleterre, pas plus d’ailleurs que La Ligne Claire, à qui cette fonction aurait pourtant parfaitement convenu.

Pourtant c’est précisément là que le duc et la duchesse de Sussex auraient pu trouver leur liberté, au service de la monarchie mais dépourvus de l’ambition d’un jour régner, un peu comme un cardinal trop âgé pour faire partie du collège des électeurs. Bien plus, le Prince Harry trouve au sein de sa propre famille, en la personne de son grand-père le duc d’Édimbourg, l’exemple éloquent d’une personne qui n’entrait pas dans la ligne de succession, qui a su se forger une place bien à lui, cependant tout entière vouée au service de la Couronne.

L’annonce l’an dernier de la signature par le Prince Harry d’un contrat d’édition à hauteur de dizaines millions de livres met un point définitif à la fiction selon laquelle le jeune couple souhaitait préserver sa vie privée. La Ligne Claire, qui s’est déjà exprimé à ce sujet, est de l’avis que le but du Megxit est de gagner beaucoup d’argent, en émulant la stratégie poursuivie par Kim Kardashian, famous for being famous.

Toujours de l’avis de La Ligne Claire, Harry et Meghan, et sans doute surtout Meghan, ont poursuivi cette stratégie avec succès de leur point de vue. Cependant cette stratégie comporte un coût. A la différence de la Reine Élisabeth, qui n’avait pas besoin de promotion tant elle remplissait parfaitement le rôle qui lui était investi, Harry et Meghan sont condamnés à sans cesse alimenter la publicité de leur propre personne. Cette publicité est à son tour nourrie par des consultants en relations publiques, qu’on appelle spin doctors en anglais. Pour cette raison, Harry et Meghan relèvent désormais davantage du monde people plutôt que de celui de la royauté stricto sensu.

Le coût de cette publicité perpétuelle est d’abord financier car une partie de ces millions sert à rémunérer les consultants et le prête-plume qui assiste le prince dans la rédaction de ses mémoires. Mais il est aussi stratégique car il soulève la question de l’image que le couple entend donner de lui-même et de sa propre intégrité. Alors que le couple utilise l’institution de la monarchie comme une caisse de résonance tout en l’attaquant, l’interview accordée à Oprah Winfrey en mars 2021 tout comme le documentaire diffusé sur Netflix l’an dernier avaient révélé un certain nombre d’inexactitudes.

Prisoners of Fame

Cet entretien avait révélé le véritable but du Megxit, non pas de se mettre à l’abri d’une presse trop curieuse, mais au contraire de maîtriser le contrôle de sa propre image. C’est pourquoi Harry et Meghan choisissent avec soin les présentateurs qui les interviewent et les nègres qui rédigent les mémoires d’un homme de 38 sans jamais prendre le risque de s’exposer à un jugement contradictoire. Désormais prisonniers de leur propre popularité, la vie de Harry et Meghan tourne actuellement autour de la recherche de la célébrité pour elle-même. Rentable pour le moment, leur stratégie risque un jour de se heurter d’une part au dégoût face à l’indécence du déballage du prince mais surtout à la distance qui sépare son existence dorée de son statut autoproclamé de victime.