La Liste de Kersten

Avec son film, Steven Spielberg a conféré à Oskar Schindler, jusque-là inconnu du grand public, une renommée mondiale ; en attribuant un titre analogue, La Liste de Kersten à son dernier ouvrage, François Kersaudy entend sans doute accorder un mérite similaire à son personnage, Felix Kersten.

Balte de langue allemande, Kersten naît en 1898 dans ce qui est aujourd’hui l’Estonie. Vers la fin de la Première Guerre Mondiale, il découvre qu’il dispose d’une aptitude particulière pour guérir les douleurs à l’aide de ses mains très sensibles, effectuera des études de massage finlandais à Helsinki, acquerra la nationalité finlandaise et se constituera en qualité de praticien alternatif une clientèle de renom principalement à La Haye et dans le Berlin de l’entre-deux guerres. A sa patientèle composée essentiellement de riches industriels et d’aristocrates viendra un jour s’ajouter celle de Heinrich Himmler, chef de la SS et des services secrets, en proie à des crampes d’estomac très douloureuses.

Ces douleurs sont évidemment de nature nerveuse et trouvent leur origine dans les responsabilités-mêmes de Himmler, si bien que Kersten pourra certes les soulager mais jamais les guérir ; aussi Himmler devient-il un patient dépendant, dont Kersten n’exigera jamais d’honoraires. En effet, à la différence de ses complices dans le haut appareil nazi, Himmler a prononcé une sorte de vœu de pauvreté et vit modestement de sa maigre solde ; par ailleurs entièrement dévoué envers Hitler, il rêve d’entrer dans l’Histoire comme un grand homme.

Or un jour, l’un de ses patients, un grand industriel, demande à Kersten s’il peut intervenir auprès de Himmler en vue de libérer un de ses contremaîtres, incarcéré du seul fait qu’il était social-démocrate. Kersten intervient effectivement et obtient gain de cause : ce sera la première d’une longue suite de libérations, souvent extraordinaires, dues au charme de Kersten, à sa patience, à son pouvoir de persuasion et à la menace toujours voilée d’arrêter de soigner le Reichsführer.

Dans un roman publié chez Gallimard en 1960, Joseph Kessel avait déjà raconté la vie de Kersten, qu’il avait du reste rencontré. Dans les Mains du Miracle, Kessel s’exprime à la place de son personnage et reprend pour argent comptant toutes les affirmations de son héros, dont certaines s’avèreront fantaisistes. A cela s’ajoute une certaine confusion quant aux dates, si bien que le lecteur aura du mal à déterminer où s’arrête Kessel et où commence Kersten.

Professeur aux universités d’Oxford et de Paris I, spécialiste reconnu de la Seconde Guerre Mondiale, François Kersaudy quant à lui s’est appuyé sur les archives disponibles, néerlandaises en particulier, sur les dépositions au Tribunal de Nuremberg, sur les attestations délivrées par le Congrès Juif Mondial, sur des témoignages probants, parmi lesquels figurent ceux de Christian Günther, ministre suédois des Affaires Étrangères et de Walter Schellenberg, chef du renseignement étranger au sein de la SS et enfin sur les mémoires de Kersten. Kersten du reste n’a pas rédigé un seul jeu de mémoires mais quatre mémoires, chacun en une langue différente, qui ne concordent pas toujours entre eux et qui contiennent eux aussi leur part de fiction, que Kersaudy démêle habilement de la réalité.

Kersten soignera Himmler à deux cents reprises mais obtiendra ses résultats les plus spectaculaires au péril de la vie durant les derniers mois de la guerre. En particulier, il parviendra à convaincre Himmler de ne pas donner suite à l’ordre de Hitler de détruire les camps de concentration et leurs occupants, y compris juifs, à la dynamite. Il parviendra à faire libérer vingt mille prisonniers scandinaves et des femmes internées à Ravensbrück, qui seront acheminées en Suède dans le cadre de la fameuse opération des bus blancs, sous l’égide du comte Bernadotte.

A la différence d’Oskar Schindler ou même de Raoul Wallenberg, Kersten n’est pas un homme de terrain ; en revanche, sa proximité avec Himmler lui permet d’opérer à très haut niveau et d’obtenir des résultats à grande échelle. Kersaudy a su rendre hommage à ce personnage méconnu et à son action qui justifie le sous-titre de son ouvrage, Un juste parmi les démons.

 

François Kersaudy, La Liste de Kersten, Fayard 2021, 381 pages.

Civilisation

En 1969, Kenneth Clark [1] présente à la BBC un documentaire en treize épisodes qui retrace l’histoire de l’art en Occident depuis la chute de l’empire romain. Intitulée Civilisation, la série constitue la première présentation télévisée et en couleurs de l’histoire des beaux-arts à destination d’un public généraliste.

L’émission connaîtra un succès considérable, jamais démenti jusqu’à ce jour, tant auprès des critiques que du grand public. De son émission, Clark tirera un livre qui sera traduit en français en 1974 et dont Guillaume Villeneuve propose aujourd’hui une nouvelle traduction aux Éditions Nevicata. Clark, disparu en 1983, s’était montré critique envers cette première traduction, en particulier envers sa couverture, qu’il jugeait criarde. A près d’un demi-siècle de distance, il fournit à Villeneuve non seulement le prétexte d’une traduction fraîche, élégamment illustrée de clichés en couleur cette fois-ci, mais l’occasion de repenser l’ouvrage.

Dès 1969, le titre tant de la série télévisée que du livre de Clark, Civilisation, fait l’objet de débats. A cette date, Clark a derrière lui une riche carrière académique et muséale qui lui ont valu une grande renommée en Angleterre. Il a certes conscience de l’existence d’autres civilisations, en Orient en particulier, mais choisit de présenter non pas l’histoire de l’art en Occident mais le récit de la civilisation occidentale illustrée par les beaux-arts, principalement la peinture et la sculpture. Au long des quinze siècles dont il retrace le cours, Clark n’aura de cesse de souligner le rôle éminent tenu par l’Église, catholique s’entend, non seulement comme vecteur technique, si l’on peut dire, de la transmission du savoir, mais comme matrice du monde dont nous sommes les héritiers. Clark, pour qui une civilisation ne peut se concevoir que comme une théologie politique, y voit le doigt de Dieu et se convertira du reste au catholicisme au soir de sa vie.

Clark est le fruit d’une éducation classique et élitiste, à Winchester d’abord et à Oxford ensuite. Il en retiendra la conscience de la dette que la civilisation occidentale doit à l’Italie, où naît l’empire romain, où siège la papauté, et d’où se répandront la Renaissance puis les arts baroques. Dans l’esprit de Clark, que la cathédrale Saint-Paul à Londres soit couronnée de la célèbre triple coupole de Christopher Wren, témoigne de cette filiation.

En 1968, Daniel Cohn-Bendit avait tué le père et avec lui tout ce que le père avait pour mission de transmettre. Peut-être Clark en a-t-il déjà l’intuition et a-t-il ressenti la vocation de remplir la fonction de moine copiste à l’âge des mass media, comme on disait alors. Clark sait que toute civilisation est fragile, qu’elle peut être menacée même par la culture ambiante, Coca Cola, Top of the Pops, la Bible en Readers Digest, et qu’en définitive elle repose sur la foi. C’est pourquoi la déchristianisation que nous connaissons en Europe de nos jours est aussi une dé-civilisation, en d’autres termes un barbarisme.

On en revient à la question : pourquoi une nouvelle traduction ? Guillaume Villeneuve, qui partage avec Clark une éducation classique, fait métier de traducteur depuis plus de trente ans. Pourtant, il ne s’agit pas ici d’une traduction ordinaire mais d’une profession de foi en son texte et ce qu’il signifie. Aussi, amis lecteurs, rendez hommage à ce moine copiste et faites une place à Civilisation dans votre bibliothèque, afin précisément d’en assurer la transmission.

 

[1] Lord Kenneth McKenzie Clark (1903-1983), historien de l’art, auteur britannique, directeur de musée et producteur de télévision.

 

Kenneth Clark, Civilisation, traduit de l’anglais par Guillaume Villeneuve, Éditions Nevicata 2021, 286 pages.

Finance d’impact

Memo à : T&T all

Concerne : Finance d’Impact

 

Ce matin le Comité de Direction a décidé de ma nomination au poste nouvellement créé de Chief Impact Officer, témoin de la volonté de notre Maison, Tradition & Transition, de forger l’avenir comme elle a su le faire depuis deux siècles.

François Pignon, notre collègue depuis trente ans et Chief Investment Officer avec qui je partage les mêmes initiales fonctionnelles (CIO), s’est déclaré disponible pour participer à la sélection des produits financiers destinés à mettre en œuvre notre nouvelle stratégie d’impact. François nous a par ailleurs fait part de son souhait de faire valoir ses droits à la retraite anticipée dans six mois.

Fort de mon expérience passée de distributeur de fonds Madoff, je puis témoigner tant de l’impact indéniable que la finance peut exercer, que de la réussite, en ce qui me concerne, d’une transition professionnelle.

Des voix se sont élevées au sein de T&T pour mettre en question la nomination d’un Européen de 50 ans au Comité de Direction. Ces commentaires sexistes, totalement inacceptables, sont en contraction flagrante avec les valeurs de diversité et d’inclusion qui sont les nôtres et qu’incarnent avec tant de charme mes deux jeunes assistantes, Julie et Émilie.

Nous allons proposer à nos clients un premier investissement dans Don Quixote Wind Farms LLC, mis au point par Jean des Rives, anciennement responsable des crédits structurés chez Lehman Brothers. Une présentation Zoom se déroulera demain à 18h à laquelle votre participation est vivement recommandée en vue d’en maximiser l’impulsion à tout vent.

 

Cordialement

É. Collod, CIO