Noms de nom

Si les prénoms qui deviennent des noms sont légion en français, songeons à Claude François ou à Charles Michel, il y ait aussi des noms qui deviennent des prénoms. Dans la langue française, il semble à La Ligne Claire que ce soit une tradition catholique qui veut que le nom de famille d’un saint de l’Eglise devienne un prénom. Xavier, Gonzague et Chantal se rangent dans cette catégorie auxquels vous ajouterez, si vous habitez Versailles, Eudes et Vianney.

Cette marque de la communion des saints n’est pas propre au français puisqu’on retrouve Asis et Borja au rang des prénoms de langue espagnole ainsi que Javier bien entendu ; car chez les Borgia, il n’y a pas qu’Alexandre, Lucrèce et César mais aussi Francisco, arrière-petit-fils d’Alexandre VI, et troisième supérieur de la Compagnie de Jésus, canonisé en 1671. Quant à Asis, la sainteté du Poverello semblait une telle évidence à ses contemporains, que d’autres ont voulu en adopter le nom.

Dans un ordre d’idées un peu différent et toujours en espagnol, notons les nombreux attributs de la Vierge Marie qui, chez les filles, font office de prénom : Dolores, Pilar, Consuelo ou encore Mar ou Nieves et bien entendu Carmen, la Carmen de Don José, époux de Maria.

Hors de l’Eglise catholique, il semble que les protestants y aient trouvé leur salut en faisant leur cette pratique, peut-être davantage en Amérique qu’ailleurs. L’usage du middle name permet de faire appel entre autres au nom de famille de la mère, qui parfois tiendra lieu de prénom usuel. Cela dit, ce sont sans doute les Réformateurs qui tiennent la corde. Chez Martin Luther King, on ne sait trop où finit le prénom et où commence le nom tandis que le réformateur genevois serait étonné d’apprendre qu’il a conféré son nom non seulement au 30e président des Etats-Unis, John Calvin Coolidge, mais à un styliste renommé pour sa ligne minimaliste de sous-vêtements, Calvin Klein, preuve irréfutable qu’il n’y a pas d’espace dans la nature humaine que la sola gratia ne saurait atteindre. .

Portant plus loin son regard, La Ligne Claire observe cette pratique, devenue plus rare de nos jours, d’associer nom et prénom à une lignée familiale, Aldobrando Aldobrandi ou encore Baldo degli Ubaldi, un juriste médiéval. Quant aux Vénitiens aux temps de la Sérénissime, les familles patriciennes avait adopté l’usage de donner aux filles un prénom dérivé du nom de jeune fille de leur mère ; ainsi naquit Loredana, issue par sa mère de la famille Loredan, qui donna trois doges à la République.

Nomen est omen disaient les Romains ; en définitive, ces coutumes, comme tant d’autres, visent à inscrire l’enfant qui nait au sein d’une culture, une histoire ou une lignée familiale, non sans invoquer à juste titre la protection des saints.

Niklas Natt och Dag: 1793

Niklas Natt och Tag : 1793

« On sait bien à quelles actions mène la chair : inconduite, impureté, débauche, idolâtrie, sorcellerie, haines, rivalité, jalousie, emportements, intrigues, divisions, sectarisme, envie, beuveries, orgies et autres choses du même genre. » (Ga, V, 19-21). A ces versets tirés de l’épître de saint Paul aux Galates, pour tous ceux qui trouveraient ces vices un peu fades, Niklas Natt och Tag, auteur de 1793, ajoute les sévices, la cupidité, le viol, le meurtre, le mensonge et la trahison.

Le livre s’ouvre sur le récit d’un cadavre mutilé retiré d’un étang vaseux où se déversent tous les excréments de Stockholm au XVIIIe siècle ; au fond le lecteur ne quittera jamais cet endroit immonde.

Déjà deux cent mille exemplaires vendus en Suède, proclame le revers de la quatrième de couverture de ce livre qui se situe aux confins du roman historique et du polar. De l’avis de La Ligne Claire, le roman historique est un succès quant à la précision de la narration et, pour sa version française, quant à la qualité de la traduction. Le polar en revanche laisse La Ligne Claire sur sa faim ; les fils que tisse l’auteur et qu’il tache de nouer dans les derniers chapitres se révèlent trop tenus pour constituer une trame solide ; aussi Natt och Tag n’a-t-il d’autre recours que d’avouer au lecteur le ressort de son livre, faute d’avoir pu l’y mener.

Pourtant, dans ce premier roman surgissent trois thèmes prometteurs dont on souhaite qu’ils soient abordés à l’avenir par l’auteur.

Tout d’abord apparaît le mythe du monstre, qui renvoie à Barbe-Bleue et à Frankenstein. Ici, le monstre est sensé être nourri par la Révolution française, tant par ses idéaux que par la Terreur, d’où le titre du livre, 1793, l’année où sont exécutés Louis XVI et Marie-Antoinette. En réalité le déclic n’opère pas et 1793 fait long feu à telle enseigne que la traduction anglaise du titre s’en dispense et s’intitule « The Wolf and the Watchman » qui annonce de manière figurative le caractère des acteurs de cette enquête.

Sous couvert d’un polar, le deuxième thème est celui de la vérité. La vérité matérielle d’abord, celle que les héros enquêteurs sont chargés de dévoiler dans leur recherche de l’auteur d’un meurtre, mais aussi, chemin faisant, une vérité plus grave qui révèle au lecteur que chacun des personnages est une autre personne que celle qu’il croyait être.

Le dernier thème enfin est celui de la transmission, cher à La Ligne Claire ; Kristofer Blix, personnage secondaire, épouse une femme enceinte avant de mourir afin de racheter son propre crime et de transmettre un nom légitime à l’enfant à naître, que le lecteur ne connaîtra pas mais qui aura vocation à être le Messie qui délivrera tous les personnages de leurs démons ; Blix est à cette femme ce que Joseph est à Marie. Par ailleurs, dans ce roman, une chevalière joue un rôle clé qui permet aux enquêteurs de résoudre l’énigme. Si en français ce mot a une consonance purement héraldique, en suédois, sigillring, évoque le sceau au sens des sept sceaux de l’Apocalypse qui sont la marque d’une révélation, la traduction du mot grec apocalypse. La chevalière, souvent transmise de père en fils, fournit également le biais par lequel l’auteur, issu d’une des plus anciennes lignées de la noblesse suédoise, s’inscrit à sa façon en son sein.

Ouvrage captivant par moments, mais dont la lecture peut s’avérer éprouvante, l’auteur vous plonge dans un monde glauque où pas même les pasteurs de l’église luthérienne suédoise ne témoignent du salut de Dieu.

Niklas Natt och Tag, 1793, traduction de Rémi Cassaigne, éditions Sonatine, 442 pages.