Couronne royale

Le couronnement de l’année

Si l’année 2020 aura été une année d’exception pour tous, elle s’est aussi révélée riche en événements pour les familles royales.

Celui qui aura assurément passé la plus mauvaise année est le roi émérite Juan Carlos, contraint à l’exil, réputé volontaire mais en réalité imposé par l’opinion publique en Espagne. La Ligne Claire l’a déjà écrit et le répète à l’envi : quelle que soit sa forme constitutionnelle, l’institution monarchique repose en définitive sur un contrat entre une famille et un peuple ; en cas de rupture, c’est toujours le peuple qui l‘importe, une règle qui ne souffre aucune exception. En l’occurrence, le peuple est prêt à fermer les yeux sur les nombreuses maîtresses du roi, mais pas sur la chasse aux éléphants au Botswana et moins encore sur les pots-de-vin et la fraude fiscale. Que Juan Carlos se soit réfugié aux États Arabes Unis, qui n’ont pas conclu de traité d’extradition avec la Suisse alors que le ministère public à Genève a ouvert une instruction à son encontre, en dit long sur ce que la voix de sa conscience lui reproche.

L’ancien roi d’Espagne est suivi de près par le Prince Andrew, duc d’York, rattrapé par ses mauvaises fréquentations et, dans les faits, contraint à un exil intérieur. A nouveau, le peuple, tel qu’il s’exprime en Grande-Bretagne par la voix de la presse populaire, lui pardonne volontiers ses escapades amoureuses mais pas l’abus de mineures, ni sa proximité avec des proxénètes. La Ligne Claire juge qu’il n’est pas exclu qu’il soit rattrapé par des poursuites judiciaires mais qu’en tout état de cause sa carrière en qualité de membre de la famille royale est désormais révolue. Le Prince Andrew partage avec Juan Carlos non seulement le goût des conquêtes féminines mais le manque de jugement quant à ce que la société tolère ou pas des familles royales.

Quel est le premier mot du Nouveau Testament ? Généalogie, répondait feu l’abbé Charles-Roux. Que Delphine Boël fût la fille naturelle d’Albert II relevait du secret de polichinelle en Belgique. Elle demandait la reconnaissance de ce besoin existentiel ancré au cœur de l’homme qui est le besoin de connaître son père. Au terme d’une procédure judiciaire, Mademoiselle Boël, désormais Delphine de Saxe-Cobourg et Princesse de Belgique témoigne de la longue tradition au sein des familles royales non seulement d’accueillir mais de reconnaître les enfants illégitimes. Descendant pourtant du Vert Galant, Albert II s’est vu contraint par un tribunal de reconnaître ce qu’il aurait pu concéder de son propre chef.

Ailleurs, l’année s’est révélée un mauvais cru pour les cadets des familles royales, en proie désormais au downsizing. En Espagne, elle se réduit désormais au roi, à la reine et à leurs deux filles ; en Angleterre le Prince de Galles ne fait pas mystère de son intention de réduire la voilure de la Firme le moment venu tandis que la Suède et la Belgique ont procédé à la mise en place d’une limitation de la transmission des titres royaux et des prédicats. Si les cadets ne sont pas envoyés au fond de la mine, ils sont priés dorénavant de se débrouiller.

En revanche, Harry et Meghan ont engrangé une bonne année à leur actif. Dans l’ensemble ils ont atteint les objectifs qu’ils s’étaient fixé lors du Megxit, dont le nom même indique clairement qui dans le ménage tient le sceptre. Meghan a exécuté à perfection sa stratégie, selon le jargon des affaires mais qui sonne juste ici : faire main basse sur un prince un peu niais, sacrifier pendant quelques mois aux exigences de la figuration royale et, forte enfin d’un titre de duchesse, couper les amarres et conclure des contrats à hauteur de centaines de millions de dollars avec Netflix et Spotify. Certes il existe un risque que la Reine excédée leur retire le titre de duc et duchesse au motif qu’ils ont vendu la Couronne, mais qu’importe car l’objectif « famous for being famous » est désormais atteint. De sa maison à Hollywood, flanquée de ses gardes du corps, la duchesse, qui ne déplace qu’en SUV en vue de joindre un jet privé, expliquera comment vivre sobrement en vue de sauver la planète à un public qui acceptera de payer pour l’écouter. Décidément, 2020 aura été un très bonne année.

Enfin, la couronne, nous rappelle le dictionnaire, désigne l’autorité royale. Dans sa traduction latine, les lecteurs de La Ligne Claire n’auront aucun mal à identifier le vainqueur de ce palmarès qui aura régné sur tous les esprits en 2020 et dont on attend qu’il soit détrôné en 2021.

 

 

 

The Crown, saison 4

La couronne découverte

En début d’année, à l’occasion de la diffusion de la série 3 de The Crown, La Ligne Claire exprimait sa préoccupation face à la capacité d’une entreprise capitalisée à 144 milliards de dollars à forger l’opinion que le monde entier se fait de la famille royale britannique. En cette fin d’année, La Ligne Claire doit avouer devoir réviser son jugement puisque Netflix est désormais capitalisée à 244 milliards de dollars.

Entretemps, les abonnés de Netflix qui auront regardé The Two Popes se seront familiarisés avec les mécanismes que déploie la chaine en ligne : une histoire inspirée par des événements réels où se mêlent faits avérés et scènes de fiction, que l’insertion d’actualités d’époque vient brouiller davantage encore, sans que le spectateur ne sache s’il a affaire ou non à un documentaire.

La saison 4, qui se déroule dans les années 80 du siècle dernier, introduit deux personnages qui exerceront une influence profonde sur le Royaume-Uni : Margaret Thatcher, qui réformera le pays de fond en comble, et Lady Di, bientôt Princesse Diana, qui conquerra si bien le cœur de la nation que cette conquête fera d’elle une icône planétaire. Pour souligner encore ce mélange des genres, la série campe les personnages en une caricature de la réalité : Madame Thatcher est aussi coincée qu’intransigeante, les Royals un groupe d’incultes qui enfilent des gins and tonics tandis que la pauvre Diana est une fleur bleue victime des machinations de la Firme; pour couronner le tout et s’assurer que le spectateur ne confonde pas les bons et les méchants, le prince Andrew, âgé de 22 ans à l’occasion de la guerre des Malouines, est dépeint sous le jour qu’on lui connaît aujourd’hui, 40 ans plus tard.

Cela dit, avec la saison 4, Peter Morgan signe une réalisation de qualité, relevée par des décors somptueux, la beauté du tournage mais avant tout porté par l’interprétation des personnages féminins : Olivia Colman dans le rôle de la reine, Gillian Anderson dans celui de Margaret Thatcher, Emma Corrin en qualité de la Princesse Diana sans oublier Erin Doherty qui interprète de manière décidée le personnage de la Princesse Anne. En outre Morgan aborde des thèmes nouveaux, les préoccupations de la Reine et de Margaret Thatcher pour leurs enfants respectifs, les personnes qui souffrent d’un handicap mental et la détresse sociale que provoque la révolution thatchérienne, et que révèle Michael Fagan, l’intrus qui s’introduit dans la chambre de la Reine.

Certes, les Royals demeurent des personnalités publiques, et à ce titre un sujet qu’il est légitime d’aborder dans le cadre d’une œuvre artistique. Il demeure néanmoins regrettable qu’il faille faire appel à des experts de la famille royale, Hugo Vickers par exemple, pour discerner le vrai du faux dans cette affaire, d’autant qu’il s’agit d’histoire récente et que la plupart des protagonistes sont toujours en vie. Tous ceux qui ne se donneront pas cette peine demeureront convaincus que les visiteurs à Balmoral, résidence écossaise de la Reine, sont soumis à une test, auquel Margaret Thatcher a échoué mais que Lady Di a réussi avec distinction. C’est plus que regrettable, c’est dangereux.

Agent Sonya

Agent Sonya

Ecrivain britannique de renom, Ben Macintyre a su se forger au fil des ans une solide réputation en qualité d’auteur spécialiste des récits d’espionnage qui se fondent sur une histoire vraie, et dans lesquels il reprend le style, le ton et la cadence propres à un roman policier. Il rencontrera un succès littéraire mérité avec Agent Zigzag et plus encore avec Operation Mincemeat, le récit d’une tromperie étonnante élaborée par les Anglais aux dépens des Allemands pendant la Deuxième Guerre Mondiale, et qui effectivement tient le lecteur en haleine à la manière d’un polar.

Dès lors que Macintyre n’est pas un auteur de fiction, il se confronte à la difficulté existentielle du genre qu’il s’est choisi, à savoir l’identification d’une véritable histoire d’espionnage suffisamment documentée et surtout suffisamment romanesque. Car la vie de la plupart des espions se déroule derrière un bureau et ne fournissent pas la matière à un livre.

Avec Agent Sonya, Macintyre livre l’histoire insolite d’Ursula Kuczinski qui naît en 1907 au sein d’une famille aisée de la bourgeoisie juive de Berlin. Tous ses proches sont des intellectuels de gauche si bien que dès l’âge adulte et plus encore avec l’arrivée du nazisme, Kuczinki s’engagera en faveur de la cause communiste, d’abord au sein du KPD puis en qualité d’espionne au profit de l’Union Soviétique. Cet engagement la conduira vers une carrière mouvementée en Europe Centrale, en Extrême-Orient et enfin en Angleterre pendant la guerre, où elle contribuera de manière significative à la transmission à l’URSS des secrets liés aux programmes de recherches atomiques britanniques et américains. Le sous-titre du livre dans sa version originale en anglais « lover, mother, soldier, spy » suggère déjà la vie aventureuse que mènera Ursula Kuczinski pendant trente ans jusqu’à ce qu’elle fuie l’Angleterre en 1950 pour Berlin Est, où elle mourra en 2000.

Cependant, là où Operation Mincemeat marche, Agent Sonya échoue ; jamais le lecteur ne se ronge les ongles pour savoir si oui ou non Ursula sera capturée. Kuczinski est sans aucun doute une femme de talent, une femme de cœur et une femme de tête, qui sait à la fois faire preuve de sang-froid et d’une grande habilité, et qui achèvera sa carrière avec le grade de colonel du KGB. Mais, de l’avis de La Ligne Claire, Macintyre s’est heurté à l’écueil qui menace sa niche littéraire et a signé la biographie d’une espionne plutôt qu’un récit d’espionnage.

 

 

 

Ben Macintyre, Agent Sonya, Editions de Fallois, 440 pages.