Benoît XVI

Le décès ce matin du pape émérite Benoît XVI confère, de l’avis de La Ligne Claire, au pape François un espace de liberté que sans doute il attendait.

Réputé le plus grand théologien de son temps, Joseph Ratzinger avait succédé au pape philosophe, Jean-Paul II ; à deux ils s’étaient fixés pour mission de clarifier de manière définitive et officielle la manière dont il convient de lire les textes promulgués par le Concile Vatican II. Favori lors du conclave de 2005, Ratzinger devenu Benoît XVI, crée la surprise en abdiquant en 2013, une première en plus de 700 ans mais aussi sans doute un précédent appelé à se renouveler au vu de l’espérance de vie actuelle. Il est curieux de signaler que Ratzinger aura été plus longtemps pape émérite que pape régnant et que son geste aura permis l’arrivée d’un style nouveau de papauté incarné par Bergoglio, qui estime que ses deux prédécesseurs ont accompli la mission qui leur revenait afin que lui puisse mener à bien la sienne.

Le premier effet du décès de Benoît XVI est de faire taire la minorité de fidèles que le tenaient pour le pape légitime (ce qui ne signifie pas qu’ils accorderont ipso facto cette légitimité à Bergoglio).

Le deuxième effet est de permettre au pape François de lui-même démissionner s’il le jugeait nécessaire, une décision difficile à prendre du vivant de Ratzinger car elle aurait conduit à une situation avec un pape régnant et deux papes à la retraite, sans doute trop confuse et porteuse de divisions au sein de l’Église.

Le troisième effet est de fournir au pape François l’occasion de rédiger les règles qui s’appliqueraient à un pape démissionnaire, y compris à lui-même. En effet, non seulement le geste de Benoît XVI était-il spectaculaire mais il a créé une situation de fait qui a pu porter préjudice à l’unité de l’Église. De l’avis de La Ligne Claire ces règles devraient couvrir les éléments suivants : le titre porté par le pape démissionnaire, le port de la soutane (blanche ou pas), le lieu de sa retraite et enfin et surtout la mesure dans laquelle il peut s’exprimer en public. La Ligne Claire juge souhaitable que le pape démissionnaire reprenne son nom à l’état civil, Cardinal XY, qu’il ne porte pas la soutane blanche et, s’il est âgé de moins de 80 ans, qu’il soit privé de ses droits électoraux au sein du Sacré Collège. Le choix du lieu de retraite est sans doute plus délicat car peu de papes ont vocation à suivre une vie quasi monacale à l’instar de Ratzinger. De plus, la retraite de Ratzinger au sein même de l’enceinte du Vatican, située à un jet de pierre du lieu effectif de l’exercice de la papauté, si elle lui a conféré une certaine discrétion, elle a aussi pu constituer si pas un contre-pouvoir, du moins un refuge pour tous ceux qui se sont sentis blessés par Bergoglio ; un autre choix aurait sans doute été envisageable, mettons, une retraite dans un monastère en Bavière mais nul ne sait comment cette situation hypothétique aurait été perçue.

Il est difficile d’éviter l’impression que la démission d’un pape ouvre la porte à davantage de complications que son décès, dont la résolution en définitive ne tient que dans la loyauté du pape démissionnaire envers son successeur.

Philippe Pozzo di Borgo: le Promeneur immobile

Il est le tétraplégique le plus illustre au monde, rendu célèbre par le film Les Intouchables (2011) et avant cela par son livre Le Second Souffle (2001) rédigé huit ans après l’accident de parapente qui allait le rendre totalement paralysé pour la vie. Puisqu’il ne peut plus désormais se déplacer, Philippe Pozzo di Borgo se promène dans sa chambre, dans sa tête, parmi ses amis. Ces promenades sont l’objet de ce petit livre, où l’auteur rend compte des deux vies qu’il a menées, l’une bruyante et agitée, l’autre insensible, inerte et souffrante.

Car la souffrance, qui cause des escarres par exemple, est depuis près de trente ans la compagne de tous les instants de Pozzo di Borgo, qui lui rappelle sans cesse qui il est. Jamais avare, à la souffrance de la paralysie s’ajoute celle du deuil de Béatrice, sa première femme, trois ans après son accident ; aussi c’est elle, la souffrance, qui invite l’auteur à vivre dans la vérité, qui accepte.

Rédigé d’une plume libre, le Promeneur Immobile se lit comme l’éloge de la fragilité, du dénuement même, du silence et de la solitude et témoigne de la certitude désormais acquise par l’auteur de ne devoir son salut qu’à ses semblables, tous handicapés à un degré ou un autre.

Comme l’animal, l’homme éprouve la douleur mais seul l’homme connait la souffrance et est en mesure de découvrir que de son sein, consubstantiel de la vie selon le mot d’Etty Hillesum, l’amour tapi en surgit.

On se souviendra que 5% des recettes du film Les Intouchables sont versés à l’Association Simon de Cyrène, du nom de ce type qui est réquisitionné pour porter la croix de Jésus, et qui n’avait rien demandé. Si l’auteur se décrit volontiers comme mécréant et même païen, son langage ne diffère guère de celui du Pape François, mettons dans l’encyclique Fratelli Tutti, pour cette raison que l’un et l’autre ont fait l’expérience de la fraternité vécue.

Car Pozzo di Borgo s’y connaît, lui qui rejoint le Pape dans son appel contre l’euthanasie, qui, à l’abolition de la peine de mort, prétend faire succéder l’abolition de la peine de vie, cette vie qu’on mène à pied, à cheval ou en chaise roulante. L’euthanasie écrit Pozzo di Borgo, c’est dépouiller l’homme de sa dignité. On ne touche pas aux intouchables.

 

Philippe Pozzo di Borgo, Le Promeneur Immobile, Albin Michel, 2022

 

The Crown season 5

The Crown, saison 5

La revue tous deux ans environ de la série The Crown, dont la cinquième saison est parue en novembre dernier, figure en bonne place parmi les devoirs d’état de La Ligne Claire, auxquels bien entendu elle se plie de bonne grâce.

La saison 5 nous emmène dans les années nonante du siècle dernier, une décennie agitée pour la famille royale britannique marquée notamment par le divorce du Prince et de la Princesse de Galles et la mort tragique de la princesse. Il revient bien entendu de classer The Crown parmi les œuvres de fiction, au sens où la série de plait à imaginer des scènes et des dialogues entre les protagonistes qui ne sont pas connus du public mais qui paraissent plausibles à l’écran. Cependant, la qualité de la réalisation a pu lui conférer dans l’esprit de certains l’aspect d’un documentaire ; aussi, dès le lancement de la série, ont surgi des controverses quant au mélange de la réalité et de la fiction opéré par Netflix, le producteur de la série. Avec la saison 5 qui se rapproche du temps présent, ces controverses ont resurgi de façon plus aigüe à telle enseigne que les anciens premiers ministres John Major et Tony Blair ont jugé nécessaire de publier des démentis au sujet de la manière dont leur personnage est dépeint dans la série. Le lecteur trouvera aisément sur YouTube des émissions lui proposant de démêler le vrai du faux dans The Crown ; certaines de ces fictions artistiques, le complot mené par le Prince de Galles pour amener sa mère à abdiquer par exemple, sont si évidentes et absurdes qu’on ne les méprendra pas pour la réalité ; d’autres comme la mention fictive par la Princesse Diana de son fils le Prince William lors de la fameuse interview accordée à Martin Bashir à la BBC, elle-même obtenue par tromperie, relèvent de la faute de goût.

Certes les aventures conjugales et extra-conjugales dominent l’activité de la famille royale en ces années-là mais elles semblent insuffisantes pour nourrir le récit tenu par Peter Morgan, le créateur de la série ; aussi fait-il recours à de nombreux flashbacks, Timothy Dalton dans le rôle de Peter Townsend, la flamme de la Princesse Margareth dans ls années 50 et un curieux épisode consacré à l’assassinat de la famille Romanov en 1918, cousins de Georges V alors le roi d’Angleterre, et dont La Ligne Claire estime qu’il est là pour meubler les espaces vides.

Aussi en dépit d’interprétations remarquables par Jonathan Pryce (Prince Philippe), Dominic West (Prince de Galles) et Elizabeth Debicki (Princesse Diana), qui ont su à merveille répliquer les attitudes de leur personnage, on reste sur sa faim. Au fil de ces épisodes somme toute assez décousus, le spectateur assiste à une interprétation de la reine par Imelda Staunton quelque peu en retrait et que viennent alimenter des dialogues souvent médiocres et pas toujours subtils. On se consolera en songeant que le personnage principal, la received pronunciation propre à la famille royale figure toujours en bonne place en dépit de son caractère désormais désuet.