Pape François

Du Vatican à l’Amazonie

Exhortation apostolique Querida Amazonia

La publication il y a deux semaines de Querida Amazonia permet de tirer des enseignements au sujet du pape régnant. En l’espèce, Querida Amazonia est une exhortation apostolique dite post synodale et qui expose les conclusions que tire le Pape François à propos du synode consacré à propos de l’Amazonie et qui s’était tenu à l’automne dernier.

Puisque le synode était consacré à l’Amazonie, et bien ma foi, l’exhortation apostolique l’est aussi, au grand dam de l’aile progressiste (mais qui se nomme elle-même réformiste) de l’Église catholique qui avait espéré que le pape traite de l’ordination d’hommes mariés et même de femmes. Que dit donc le pape et que ne dit-il pas ? Le point de vue de La Ligne Claire.

 

Réforme de l’Eglise

Si l’Ecclesia est semper reformanda, la structure épiscopale de l’Église, elle est irréformable. Lumen Gentium, constitution dogmatique de l’Église, rappelle à tous les croyants, que l’Eglise, puisant ses sources dans l’Ancien Testament,  est fondée par Jésus-Christ, et non pas les hommes, sur la tête de Pierre et des Apôtres, dont le pape et les évêques sont les successeurs. Non décidément, le pape n’apparaît pas convaincu par une conception fonctionnaliste de l’Église, selon laquelle il suffirait de modifier ses structures à la manière d’une entreprise pour qu’elle soit réformée.

 

Refus des manipulations

On l’a vu, sans surprise, Querida Amazonia traite de l’Amazonie. Tous ceux qui avaient souhaité un autre résultat en restent pour leur frais. Mal leur en a pris alors que des avertissements existent. Ainsi, ici en Suisse, en 2017 l’Alliance Es Reicht avait adressé une lettre au pape réclamant la nomination d’un délégué apostolique, plutôt qu’un évêque diocésain, à la tête du diocèse de Coire ; ce pape, qui n’aime pas qu’on tente de l’instrumentaliser, s’est empressé d’ignorer leurs vœux et de reconduire le mandat de Mgr Huonder.

 

Exercice de l’autorité papale

Alors qu’il s’était trouvé une majorité des deux tiers parmi les pères synodaux à voter en faveur de l’ordination de viri probati au sacerdoce, le pape François n’a pas relevé cette suggestion. La possibilité d’ordonner des hommes mariés existe déjà au sein de l’Église catholique y compris dans le rite latin quand bien même à titre exceptionnel. Qu’on conserve les exceptions, que l’on ne fasse pas de l’exception la règle et qu’on évite de faire des prêtres des fonctionnaires du divin, nous dit le pape François. Et le pape de rappeler enfin aux pères synodaux qu’un synode n’est pas un parlement.

 

La puissance de l’argent

Dès le jour de son élection, le pape François n’a pas caché sa méfiance à l’égard des puissances de l’argent, y compris maintenant lorsqu’elles émanent du sein de l’Église et en particulier des trois pays, Allemagne, Autriche et Suisse, qui connaissent le système de l’impôt ecclésiastique, source à la fois de deniers et d’orgueil.

 

Ordination féminine

Si le pape passe ce sujet sous silence, c’est qu’il reconnaît à nouveau que l’Église catholique ne dispose pas du pouvoir d’ordonner des femmes au sacrement de l’ordre et que lui ne peut s’arroger un pouvoir dont il ne dispose pas. Les sacrements sont issus de la grâce du Christ et aucun homme, pas même le pape, ne peut créer, modifier ni abolir un sacrement.

 

Révélation et exhortation apostolique

Le christianisme est une religion révélée à laquelle on adhère par la foi qui certes doit sans cesse faire l’objet d’un approfondissement, mais dont le contenu est quant à lui est intangible car d’origine divine et ne saurait faire l’objet d’un supposé progrès. Le mystère de Dieu demande sans cesse d’être approfondi et non pas expliqué. La réforme dont parle le pape est une réforme du cœur, celle dont parlait déjà le prophète Ézéchiel. C’est aussi la condition nécessaire en vue de la nouvelle évangélisation, en l’occurrence de l’Amazonie, sujet de l’exhortation apostolique

Pour le plaisir et pour le pire

Pour le plaisir et pour le pire

La vie tumultueuse d’Anna Gould et de Boni de Castellane

Quelle était belle la Belle Epoque pour autant que l’on eût un nom, de l’argent, ou les deux en ces temps où l’impôt sur le revenu comme celui sur des successions demeuraient encore occultés dans les brumes de l’avenir. C’est à cette époque-là qu’en 1895 le comte (puis marquis) Boniface (dit Boni) de Castellane épouse Miss Anna Gould, réputée la plus riche héritière des Etats-Unis, fille de Jay Gould, self-made man selon les uns, requin de Wall Street détesté de tous selon les autres.

Laure Hillerin, spécialiste reconnue de la Belle Epoque, acclamée pour sa magnifique biographie de la Comtesse Greffulhe, livre ici le double récit de l’improbable union puis désunion de Boni et d’Anna. On y retrouve tous les éléments qui avaient contribué au succès de l’Ombre des Guermantes : une maîtrise parfait de son sujet qui s’appuie sur une documentation aussi ample que fouillée, alliée à une plume élégante qui sache adapter le langage des arts et du monde dans lequel évoluent les héros.

Fraîchement marié, doté d’un goût aussi sûr qu’exquis, Boni se servira de l’immense fortune de sa femme pour se livrer à des dépenses inouïes en vue d’acquérir les objets d’art les plus rares, aménager le château du Marais aujourd’hui situé dans le département de l’Essonne et surtout pour mener à bien la construction du Palais Rose avenue du Bois (aujourd’hui avenue Foch) et malheureusement détruit depuis. Alors qu’il passera à la postérité comme le prototype du dandy menant une vie mondaine vaine, Boni, héritier d’un des plus anciens noms de France, estime en réalité qu’être noble c’est vivre quelque chose qui le dépasse. Metteur en scène de sa propre existence, exilé non pas de son pays mais de son temps, il matérialise avec le Palais Rose le rêve de la France du Grand Siècle. C’est le sens du reste que lui donne à la même époque Marcel Proust ; la Recherche n’est pas tant le portrait d’une classe sociale que le snobisme de l’auteur fascine, qu’une tentative de saisir l’âme française au travers des seules familles qui l’ont incarnée au fil des siècles. Boni est de ceux-là.

Pour le plaisir et pour le pire se veut la double biographie de Boni et d’Anna. Pourtant, et c’est heureux, c’est le personnage de Boni qui en émerge tandis que celui d’Anna n’apparaîtra que comme une sorte d’annexe, pauvre de ses millions, à son premier comme à son second époux, le Duc de Talleyrand. Laure Hillerin a bien saisi son personnage au-delà de la figure du dandy et a su le rendre attachant à ses lecteurs. Loin des vanités, Boni sera par exemple un député très actif du département des Basses-Alpes, où il militera avec ardeur et clairvoyance mais sans succès pour le maintien de l’existence de l’Autriche-Hongrie faute de laisser le champ libre au Reich en Europe centrale. C’est lui aussi qui en 1923 fonde les Demeures Historiques aux côtés de Joachim Carvallo en vue de venir en aide à tous ceux qui possèdent une partie de l’héritage culturel de la France. Enfin c’est l’homme qui, privé de sa fortune et miné par la maladie, mais animé d’une foi ferme, a su faire montre d’une élégance et d’une dignité face à la mort. Tout cela est étranger à Anna qui ne saura jamais rien faire d’autre que de dépenser de l’argent et parfois d’en distribuer ; aussi, mourra-t-elle malheureuse.

Pour le plaisir et pour le pire se lit pour le plaisir justement. Il n’y a pas de pire dans le livre de Laure Hillerin, qui s’adresse à tous les amateurs d’une époque révolue qui, à l’image de Boni, ne s’ennuieront jamais.

 

 

Laure Hillerin, Pour le plaisir et pour le pire, La vie tumultueuse d’Anna Gould et Boni de Castellane, Flammarion, 569 pages.

The Two Popes

Intox chez Netflix

The Two Popes, un film réalisé par Fernando Mereilles et qui fait actuellement l’objet d’une diffusion sur Netflix. porte à l’écran une pièce de Anthony McCarten qui imagine une rencontre entre Benoît XVI et le cardinal Bergoglio, interprétés respectivement avec grand talent par Anthony Hopkins et Jonathan Pryce. Alors que Bergoglio avait sollicité une audience en vue de présenter sa démission au pape en qualité de cardinal-archevêque de Buenos Aires, le voilà convoqué à Rome par Benoît XVI qui lui confie son intention de démissionner prochainement. Face à cette intrigue improbable, la qualité des décors somptueux, la beauté de la photographie et la finesse des dialogues et le jeu des acteurs ont achevé de séduire La Ligne Claire.

Il y a quelque temps La Ligne Claire appelait de ses vœux au sujet de la série The Crown la présence d’un avertissement ; à première vue elle a vu ses vœux exaucés puisqu’ici on avertit le spectateur que le film est « inspiré par des faits réels ». Mais voilà, le cœur du film est constitué de cette rencontre fictive, déclenchée par une tentative de démission, fictive elle aussi. La Ligne Claire estime que cet avertissement, loin d’éclairer le spectateur, l’induit en erreur. Comme dans la série The Crown, la qualité de la production qui mêle des actualités de l’époque auxquelles s’ajoutent ici des flashbacks en noir et blanc décrivant la vie du jeune Bergoglio brouillent totalement les frontières entre fiction et réalité.

En dépit des épisodes qui prétendent retracer les actions de Bergoglio sous la dictature argentine, le film ne cache pas sa sympathie en sa faveur. Les deux interprètes qui opposent le pape intello et conservateur, détaché du peuple au jésuite, homme de terrain progressiste, réduisent leurs personnages à des caricatures des vrais Ratzinger (surtout) et Bergoglio (dans une moindre mesure). A cela s’ajoutent les nombreuses erreurs de fait : ainsi, lors du conclave de 2005 qui devait conduire à l’élection de Benoît XVI, le cardinal Martini, jésuite réputé progressiste, avait demandé que les voix dont il avait bénéficié lors des premiers scrutins se reportent vers Ratzinger, alors que le film montre le contraire.

Il ressort de ce film l’image trompeuse d’un Benoît XVI raide, gardien du dogme, incapable de s’attaquer à la pédophilie des clercs comme aux scandales financiers qui secouent le Vatican, alors qu’en réalité il est le premier à avoir pris ces deux graves questions à bras le corps.

Dans les années soixante du siècle passé s’était donnée une pièce à Berlin, Le Vicaire de Hochhuth et qui jusqu’à nos jours a contribué à nourrir la légende de Pie XII, le pape noir ami d’Hitler. La Ligne Claire regrette de penser que The Two Popes s’inscrit dans la même ligne que cette pièce de sinistre mémoire, et craint qu’elle ne produise des dégâts analogues.