Eulalie de Bourbon, une altesse en route

Fille de la reine d’Espagne Isabelle II, Eulalie de Bourbon naît en 1864, au milieu de ce XIXe siècle espagnol agité par une forte instabilité politique. Aux guerres carlistes succéderont les pronunciamentos de l’armée, les querelles de souverains, l’exil, l’abdication, la perte des colonies d’Amérique, une première puis une deuxième république en enfin le franquisme jusqu’à la conclusion de la guerre civile en 1939, qui mettra un terme à cette agitation. Dès 1868, une révolution renverse sa mère et contraint la famille royale à l’exil à Paris, dont Eulalie ne reviendra qu’en 1876 ; aussi a-t-elle reçu une éducation française.

En 1886, elle épouse par devoir d’État son cousin germain Antoine d’Orléans, homme volage et dépensier petit-fils du roi des Français Louis-Philippe, en vue de sceller un rapprochement entre les Orléans et les Bourbon d’Espagne. Ce mariage qu’on présentait malheureux le sera effectivement et conduira rapidement à une séparation qui permettra à Eulalie de remettre la main sur sa propre fortune.

On reste stupéfait face au nombre de mariages consanguins parmi les familles royales à cette époque. Déjà Isabelle II avait épousé son cousin François d’Assise de Bourbon ; heureusement, si l’on peut dire, François d’Assise était impuissant, si bien que les enfants d’Isabelle II, y compris Eulalie, seront le fruit des amours de la reine et de ses nombreux amants.

Toujours est-il qu’à l’issue de cette séparation, l’Infante prendra son envol et se mettra à parcourir toute l’Europe des têtes couronnées, de Lisbonne à Saint-Pétersbourg, et même les Etats-Unis et Cuba, où l’Infante conduit une mission en 1892 dans le vain espoir de conserver l’île à l’Espagne.

Si elle affiche des opinions avancées par rapport à celles conservatrices de la Cour d’Espagne, elle n’en garde pas moins une haute opinion de son illustre naissance. Dotée de sa propre fortune, elle passera sa vie à voyager d’une Cour à l’autre où elle mènera grand train, surtout avant la Première Guerre Mondiale. C’est la Belle Époque, celle de la tournée des Grands-Ducs où les Altesses et la haute aristocratie rivalisent de faste. Si ce mode de vie ostentatoire peut heurter aujourd’hui, il répond alors à une conception des familles royales qui jugent que leur rôle est justement de paraître et qui au fond n’est pas si différent, mettons, de celui des actrices d’Hollywood qui de nos jours arborent robes de gala et bijoux lors de la cérémonie des Oscars.

Femme aux opinions libérales, femme de lettres aussi, elle publie en 1912 son premier ouvrage, Au Fil de la Vie, sous le pseudonyme de Comtesse d’Avila, où elle s’exprime au sujet des questions politiques et sociales de son temps, y compris la condition de la femme. Le livre est rapidement banni en Espagne et l’Infante condamnée à l’exil.

Publiés en français en 1935, Souvenirs d’Espagne et d’Europe se révèlent des mémoires de lecture agréable et s’achèvent sur la proclamation de la Deuxième République et l’exil d’Alphonse XIII en 1931 tandis que le décès l’année précédente de son mari Antoine d’Orléans ne fait pas même l’objet d’une mention. De l’avis de La Ligne Claire, Ces circonstances familiales et politiques ont fourni à l’Infante un moment opportun, où elle peut s’octroyer le beau rôle sans s’exposer à la contradiction, sans causer de brouille familiale et sans prendre le risque à nouveau de se mettre mal en Cour puisque cette dernière avait disparu ; elle permet aussi de faire valoir ses opinions politiques de façon plus avisée après coup. Cela dit, ce que retiendra le lecteur du XIXe siècle, c’est avant tout le portrait des vestiges d’un monde englouti. Les Souvenirs s’achèvent donc en 1931 mais l’Infante retournera en Espagne où elle mourra à Irun sur la côte basque en 1958.

Enfin il y a lieu de saluer le remarquable travail fourni par Jacques Brunel, editor au sens anglais du terme, auteur de centaines de notes en pied de page très détaillées, des généalogies des familles Orléans, Bourbon d’Espagne, et en leur sein celles de la succession carliste et de la succession légitimiste, et enfin un index des personnages, autant d’éléments qui permettent au lecteur de s’y retrouver dans le monde complexe des familles régnantes de cette époque.

 

Infante Eulalie de Bourbon, Souvenirs d’Espagne et d’Europe, édition établie par Jacques Brunel, Éditions Lacurne 2023, 336 pages.

Charles III et Saint-Nicolas

Lors de sa visite d’État en Allemagne le mois dernier, le Roi Charles III a déposé une gerbe en présence du président allemand Franz Steinmeier sur le site de l’église Saint-Nicolas à Hambourg, une ruine préservée en commémoration du terrible bombardement de juillet 1943 mené par la RAF.

De tous temps et jusqu’à nos jours les civils font les frais des combats que se livrent les militaires. En novembre 1940 à l’occasion du raid sur la ville de Coventry, la Luftwaffe inaugure les bombardements aériens de masse de sites industriels et civils par une flotte de plus de 500 appareils et qui font appel à des techniques nouvelles qui voient la combinaison de bombes incendiaires et explosives. Quelques 500 civils perdent la vie.

Au chapitre XVIII du livre de la Genèse, il est écrit que Dieu détruisit la ville de Gomorrhe en raison de la mauvaise conduite de ses habitants. Gomorrhe sera donc le nom de code donné au bombardement de Hambourg par Sir Arthur « Bomber » Harris, qui déclenchera une tornade de feu qui coutera cette fois-ci la vie à environ 35 mille habitants. Cette référence biblique marque le pivot d’une guerre menée non plus contre l’Allemagne mais contre les Allemands.

A l’époque en Allemagne on qualifie ces attaques de Terrorangriffe, attaques terroristes, et c’est effectivement comme cela qu’on les voit aujourd’hui en Ukraine. En 1946, lorsque se tient le procès de Nuremberg, les Allemands s’indignent en silence. Génocide et crimes contre l’humanité ne constituaient pas des crimes en 1939 ; comment dès lors peuvent-ils figurer parmi les chefs d’accusation ? Et puis on ne voit pas siéger sur le banc des accusés ni les responsables des Terrorangriffe ni les auteurs du massacre de Katyn par exemple. Justice de vainqueurs, estiment les Allemands. Ces objections ne sont pas sans fondement mais les temps n’étaient pas mûrs. Ils ne l’étaient toujours pas en 1992 lorsque la Reine d’Elizabeth II en visite d’État à Dresde ne dit mot au sujet d’un bombardement plus terrible encore que celui de Hambourg.

L’Écriture nous enjoint à pardonner septante fois sept fois, une mesure du temps long nécessaire à la conversion des cœurs et des esprits. A Hambourg, ni le Roi Charles III ni le Président Steinmeier n’ont eu à prononcer de longs discours car leur geste disait tout. Au fil des ans, la République fédérale a su reconnaître les terribles crimes de l’Allemagne nazie, condition d’une mémoire historique apaisée. Toutes proportions gardées, sans prononcer un mot, le Roi Charles III a fait de même au nom des Britanniques.

Si le geste du Roi s’inscrit dans une cérémonie civile, il se déroule néanmoins face à une église ; en 1962 déjà le Général de Gaulle avait accueilli le chancelier Adenauer à Reims, où ils avaient assisté à la messe. Le religieux emporte les hommes dans des régions que la politique ne peut atteindre.

Un dernier mot encore. La Ligne Claire s’autorise à penser que la cérémonie de Hambourg est le fruit d’une initiative de la Couronne plutôt que du Premier Ministre, dont l’histoire familiale est étrangère à la guerre en Europe. En tous cas, aux yeux des Allemands, le Roi Charles III a gagné ses lettres de noblesse.

 

 

Blues de Prusse

Le fantôme de Hitler hante la Maison de Hohenzollern

En 1994, le Bundestag, adoptait une loi dont seule la langue allemande connaît le secret, la Ausgleichsleistungsgesetz (loi de compensation), qui règle les conditions auxquelles les demandeurs peuvent prétendre à des compensations pour les expropriations effectuées par les Alliés à l’issue de la Deuxième Guerre Mondiale. En effet, après la capitulation en 1945, l’Allemagne avait été dépourvue de sa souveraineté qu’exerçaient en son nom les quatre puissances occupantes. Chef de la maison impériale de Hohenzollern descendant à la quatrième génération de l’empereur Guillaume II, le Prince Georg Friedrich de Prusse a alors instruit ses avocats sur base de cette loi de mener des négociations secrètes avec les Länder de Berlin et de Brandebourg en vue d’obtenir la restitution d’une importante collection de biens meubles ainsi que le droit de jouir à perpétuité du Cäcilienhof, le château où s’était tenue la conférence de Potsdam en 1945, au cours de laquelle les Alliés avait justement réglé le sort réservé à l’Allemagne vaincue.

En juillet 2019 le magazine Der Spiegel révèle au grand jour l’existence de ces négociations et déclenche en Allemagne une controverse publique quant à leur bienfondé. Car la Ausgleichsleistungsgesetz interdit la restitution de biens à ceux dont les ancêtres ont apporté une contribution substantielle (le terme juridique en allemand est erheblicher Vorschub) à l’établissement du nazisme. Or dès 1932 le Kronprinz, arrière-grand-père du Prince Georg, appelle à voter pour Hitler tandis qu’il parade en uniforme de la SA, le bras bandé d’un brassard nazi. Tout cela constitue-t-il un erheblicher Vorschub ? Oui, répond Stefan Malinovski, auteur de Nazis and Nobles, non rétorque Christopher Clark, l’auteur des Somnambules, qui tient le Kronprinz pour un personnage insignifiant.

Loin de s’en tenir là, aux demandes de restitution le Prince Georg a empilé des poursuites à l’encontre de journalistes et d’historiens, parmi lesquels Stefan Malinovski, depuis lors abandonnées. Si toutes ces questions ont ressurgi ces jours derniers en Allemagne, c’est parce que le Prince Georg a récemment déclaré renoncer à ses prétentions. La Ligne Claire n’est pas en mesure d’apprécier ce qu’auraient été ses chances au tribunal mais juge que cette décision permet désormais de séparer la critique historique quant à l’appui prodigué à Hitler par les Hohenzollern, des prétentions personnelles de Herr Georg Friedrich Prinz von Preußen, tel qu’il figure à l’état civil en Allemagne.

Lorsque Der Spiegel dévoile cette affaire, elle suscite l’indignation à telle enseigne que le Prince Georg, jusque-là inconnu du public, réussit le triple exploit de se mettre à dos à la fois la classe politique, le monde des médias et les milieux académiques. La Ligne Claire estime qu’il n’y a jamais de solution simple ni parfaitement juste à la question des réparations et des restitutions, qui souvent font suite à des guerres et des changements politiques importants. Précisément pour cette raison l’attitude des personnes concernées devient déterminante. Il était donc effectivement temps de mettre un terme à cette erreur de jugement sur le plan des relations publiques.

 

The Crown season 5

The Crown, saison 5

La revue tous deux ans environ de la série The Crown, dont la cinquième saison est parue en novembre dernier, figure en bonne place parmi les devoirs d’état de La Ligne Claire, auxquels bien entendu elle se plie de bonne grâce.

La saison 5 nous emmène dans les années nonante du siècle dernier, une décennie agitée pour la famille royale britannique marquée notamment par le divorce du Prince et de la Princesse de Galles et la mort tragique de la princesse. Il revient bien entendu de classer The Crown parmi les œuvres de fiction, au sens où la série de plait à imaginer des scènes et des dialogues entre les protagonistes qui ne sont pas connus du public mais qui paraissent plausibles à l’écran. Cependant, la qualité de la réalisation a pu lui conférer dans l’esprit de certains l’aspect d’un documentaire ; aussi, dès le lancement de la série, ont surgi des controverses quant au mélange de la réalité et de la fiction opéré par Netflix, le producteur de la série. Avec la saison 5 qui se rapproche du temps présent, ces controverses ont resurgi de façon plus aigüe à telle enseigne que les anciens premiers ministres John Major et Tony Blair ont jugé nécessaire de publier des démentis au sujet de la manière dont leur personnage est dépeint dans la série. Le lecteur trouvera aisément sur YouTube des émissions lui proposant de démêler le vrai du faux dans The Crown ; certaines de ces fictions artistiques, le complot mené par le Prince de Galles pour amener sa mère à abdiquer par exemple, sont si évidentes et absurdes qu’on ne les méprendra pas pour la réalité ; d’autres comme la mention fictive par la Princesse Diana de son fils le Prince William lors de la fameuse interview accordée à Martin Bashir à la BBC, elle-même obtenue par tromperie, relèvent de la faute de goût.

Certes les aventures conjugales et extra-conjugales dominent l’activité de la famille royale en ces années-là mais elles semblent insuffisantes pour nourrir le récit tenu par Peter Morgan, le créateur de la série ; aussi fait-il recours à de nombreux flashbacks, Timothy Dalton dans le rôle de Peter Townsend, la flamme de la Princesse Margareth dans ls années 50 et un curieux épisode consacré à l’assassinat de la famille Romanov en 1918, cousins de Georges V alors le roi d’Angleterre, et dont La Ligne Claire estime qu’il est là pour meubler les espaces vides.

Aussi en dépit d’interprétations remarquables par Jonathan Pryce (Prince Philippe), Dominic West (Prince de Galles) et Elizabeth Debicki (Princesse Diana), qui ont su à merveille répliquer les attitudes de leur personnage, on reste sur sa faim. Au fil de ces épisodes somme toute assez décousus, le spectateur assiste à une interprétation de la reine par Imelda Staunton quelque peu en retrait et que viennent alimenter des dialogues souvent médiocres et pas toujours subtils. On se consolera en songeant que le personnage principal, la received pronunciation propre à la famille royale figure toujours en bonne place en dépit de son caractère désormais désuet.

 

Downton Abbey

Downton Abbey : éternel recommencement

Peu liée par les contingences de l’actualité, La Ligne Claire a regardé avec plus de neuf mois de retard Downton Abbey, une nouvelle ère, paru au cinéma vers la fin de 2021. On ne change pas une équipe qui gagne de sorte que le réalisateur conserve non seulement son écurie d’acteurs mais reprend en substance le scénario de son premier film. Là où la famille royale s’était invitée en séjour à Downton Abbey, c’est désormais une équipe de cinéma qui y débarque, clin d’œil à la vraie vie qui voit le film tourné au château de Highclere, propriété du comte de Carnarvon. Mais une nouvelle invention technologique, le cinéma parlant, vient brouiller les cartes et distribuer les rôles de manière astucieuse si bien que chacun des personnages se verra amené à jouer un rôle autre que celui que la série lui assigne traditionnellement de façon quelque peu étriquée. Une intrigue secondaire permet à Lord et Lady Grantham de s’évader vers la Côte d’Azur et au réalisateur de détourner l’attention du spectateur du recyclage d’un scénario existant. Cela dit, le film n’est pas sans charme ni sans humour, y compris là où l’œil malicieux de la comtesse douairière s’éteint et sa langue se tait, non sans avoir remporté une dernière joute verbale.

La Ligne Claire estime que Downton Abbey a depuis longtemps épuisé son sujet et qu’il est temps que son scénariste, Julian Fellowes, déploie ses talents ailleurs. Cependant, Wikipedia nous apprend qu’à la fin de septembre 2020, les recettes du film à l’échelle du monde s’élevaient à plus de 92 millions de dollars, si bien que la perspective que les lecteurs de La Ligne Claire soient affligés d’un nouvel article au sujet de Downton Abbey d’ici deux à trois ans paraît inévitable.

Elisabeth II. sacre et sacrements

Le sacre du roi ou de la reine (souveraine) d’Angleterre puise ses origines dans la tradition biblique puisqu’on peut lire au chapitre XVI du 1er livre de Samuel que c’est au prophète qu’il revient d’imprimer l’onction au Roi David. Plus tard, Jésus, descendant de David selon la chair (Matthieu, chapitre Ier) sera reconnu de son vivant comme le Messie, un terme hébreu qui signifie l’Oint, Celui qui a reçu l’onction divine, et dont la traduction grecque est Christos. Plus tard encore, les Capétiens feront leur cette cérémonie du sacre qui du reste faisait du roi un diacre, et dont est issue à son tour le sacre des rois d’Angleterre.

Il existe donc un lien intime entre l’onction d’une part et les chrétiens, ceux qui se réclament du Christos. Aussi, si la cérémonie du sacre revêt un caractère exceptionnel, elle partage le rite de l’onction sainte avec quatre autres sacrements, le baptême, la confirmation, le sacrement des malades (autrefois appelé extrême onction) et l’ordination. On voit donc ici la proximité qui existe entre le sacre et les sacrements, en tout premier celui du baptême puisque seul un baptisé, un christos, peut recevoir l’onction royale. Les lecteurs de La Ligne Claire se souviendront du reste que saint Rémi avait d’abord baptisé Clovis avant de le couronner.

Mais, on vient de le voir, il existe aussi un lien entre sacre et ordination. Ce lien nous enseigne en premier lieu que l’onction n’est pas imposée en raison des compétences ou des mérites du candidat mais en raison de sa fidélité à exercer sa vocation, quelle qu’elle soit. Ensuite ni le sacre ni le sacrement de l’ordre ne constituent un cahier des charges, une « job description », moins encore une puissance mondaine mais au contraire l’acceptation d’une dépendance filiale envers Dieu. Nous savons tous qu’Elisabeth II avait été sacrée parce qu’elle était la fille aînée de son père, le roi défunt, et pas pour un autre motif. Il en va de même pour les ministres du sacrement de l’ordre, non qu’ils soient irréprochables ou qu’ils se situent au-delà de toute forme de critique, mais parce qu’ils témoignent d’une réalité spirituelle qui les dépasse et qui n’est pas le fruit de préférences individuelles.

C’est pourquoi l’onction, royale ou pas, est d’abord un don de l’Esprit-Saint, qui assouplit ce qui est raide, qui redresse ce qui est faussé, afin que le bénéficiaire puisse en rendre témoignage. Voilà la manière dont la Reine Elisabeth a conçu sa vocation au sacerdoce royal, pour lequel elle avait été bénie et ointe à la manière du Roi David. On notera au passage qu’en dépit de la similitude avec le sacrement de l’ordre et bien qu’elle ait siégé à la tête de l’Église anglicane, jamais la Reine n’a introduit de confusion entre son propre rôle et celui des ministres ordonnés. Le Chemin Synodal allemand pourrait utilement s’en inspirer.

Enfin, on pourra établir un parallèle avec le pontificat de Jean-Paul II puisque ni la reine ni le pape n’ont abdiqué en raison d’une conception commune de leur ministère, qui rejette ce que le monde juge être le succès, la performance, l’efficacité, en un mot la vanité, mais qu’ils savent l’un et l’autre n’être que de la paille dans le vent aux yeux de Dieu.

Et puis, quand tout est dit, quand le soir tombe, quand l’heure sonne, vient alors l’Esprit-Saint consolateur, en particulier dans le sacrement des malades, lui qui guérit les blessures, même celles du grand âge et confie à ceux qui l’implorent le salut final dans la joie éternelle.

Pape François

Coup de théâtre à l’Ordre de Malte

Coup de théâtre à Rome. La semaine dernière, de manière tout à fait inédite le Pape François a résolu de révoquer tous les organes de direction de l’Ordre de Malte y compris la fonction de Grand Chancelier occupée par Albrecht Boeseleger, de nommer un Conseil souverain provisoire, de convoquer un chapitre général extraordinaire pour le 25 janvier 2023 et de promulguer avec effet immédiat une nouvelle Charte.

La crise institutionnelle que connaît l’Ordre remonte au mandat de l’ancien Grand Maître Fra’ Matthew Festing (1949-2021), qui avait licencié Boeselager, à la suite de quoi le Pape François avait contraint le Grand Maître à la démission et rétabli Boeselager dans ses fonctions en 2017. Le successeur de Festing, Giacomo della Torre, était quant à lui décédé en 2020 à l’âge de 75 ans à l’issue d’un court règne. En attendant l’élection d’un nouveau Grand-Maître, ses fonctions étaient assurées par la lieutenance de Fra’ Marco Luzzago, décédé à son tour en juin 2022 et auquel a succédé Fra’ John Dunlap, actuel Lieutenant Grand Maître, nommé d’office par le Pape François en dépit des règles internes à l’Ordre.

Le licenciement de Boeselager avait causé un grand émoi si bien que certains chevaliers de l’Ordre s’étaient alors adressés au Pape François qui avait nommé alors un délégué pontifical en la personne du Cardinal Silvano Maria Tomasi afin de procéder à une vaste réforme constitutionnelle de l’Ordre. Or la réforme de Tomasi prévoit que l’Ordre soit un sujet du Saint-Siège, une affirmation dont certains craignent qu’elle ne mette en cause la souveraineté de l’Ordre qui, en qualité de sujet de droit public international, entretient des relations diplomatiques avec plus de cent pays dans le monde. Toutefois le Pape a estimé, se fondant sur une décision de la Cour des Cardinaux en 1953, que cette souveraineté se limitait aux affaires temporelles et que son caractère d’ordre religieux en faisait bien un sujet du Saint-Siège au même titre que les autres ordres religieux.

Si le Pape salue l’activité de l’Ordre dans le domaine humanitaire, il a pour intention de lui conférer à nouveau un caractère proprement religieux, loin des mondanités qui parfois l’animent. Aussi souhaite-t-il renforcer le rôle des chevaliers profès qui prononcent des vœux à l’instar des religieux, de les inviter à vivre au sein de prieurés et enfin de doter l’Ordre d’une gouvernance plus moderne notamment dans le domaine des finances et de la conformité.

Or, ces jours derniers de vives tensions auraient vu le jour entre le délégué du Pape et une partie de la direction de l’Ordre au sujet pas seulement de la souveraineté et des statuts, mais aussi de son indépendance financière à l’égard du Saint-Siège. Le 12 août dernier, treize présidents d’associations nationales, dont celle d’Allemagne, la plus riche et la plus ancienne, avaient écrit au Pape en lui demandant de revoir ses projets de réforme et, notamment, l’accroissement des responsabilités des frères profès à qui, selon les présidents, fait défaut l’expérience voulue. La question de la souveraineté de l’Ordre est particulièrement délicate car dès lors que sa constitution peut être modifiée par un autre chef d’État, en l’occurrence le pape, l’Ordre de Malte demeure-t-il véritablement souverain ?

Mal leur en a pris. De l’avis de La Ligne Claire, Bergoglio ne souffre guère la contradiction si bien que la lettre des présidents a produit l’effet inverse de celui qu’ils escomptaient.

Entretemps le Pape a tranché et la nouvelle Charte constitutionnelle est entrée en vigueur. Désormais le Grand Maître ne sera plus élu à ma vie mais, à l’instar des autres ordres religieux, pour dix ans renouvelables une fois ; de plus, il devra se soumettre à une limite d’âge de 85 ans. Et surtout la fonction sera d’une part désormais accessible aux dames et ne sera plus restreinte aux chevaliers ou dames d’honneur et dévotion, ce qui en français signifie que le Grand Maître pourra ne pas être noble. Il n’est sans doute pas anodin dans ce contexte que Dunlap soit un Canadien, éloigné de la noblesse européenne.

En définitive, le Pape aura imposé sa propre vision à l’Ordre de Malte, celle d’un ordre religieux invité à redécouvrir sa vocation hospitalière d’origine et qui soit animé par des frères profès plutôt que des laïcs. Quant à Boeselager, celui-là même que le Pape avait réhabilité et qui a voué sa vie à l’Ordre, il a sans doute fait les frais de la fronde avortée des présidents des associations nationales. Plus généralement les 13 mille laïcs, membres des associations nationales ou des services hospitaliers, désormais gouvernés par une poignée de frères profès, resteront sur leur faim. Le 25 janvier prochain s’ouvrira un tout nouveau chapitre dans l’histoire millénaire de l’Ordre.

La Reine Elisabeth II

Le jubilé de platine d’Elisabeth II

Célébré le mois dernier, la Ligne Claire juge que ce Jubilé représente un grand succès pas seulement pour la souveraine mais pour l’institution monarchique elle-même.

Ces quatre jours de célébration ont en effet fourni l’occasion de mettre scène la majesté propre à l’institution, le décorum qui l’entoure mais surtout la famille royale elle-même qui l’incarne, une famille à la fois sui generis et semblable aux autres en définitive, avec ses joies et ses peines, les naissances, divorces et les deuils et son lot de querelles.

Le clou cependant réside dans l’apparition au balcon du palais de Buckingham de la reine et de ses trois successeurs, quatre générations qui sont appelées selon leur âge à grandir, se marier, vieillir et mourir, illustrations de la monarchie, à la fois immuable et changeante. C’est la raison pour laquelle, de l’avis de La Ligne Claire, l’institution monarchique constitue la forme idéale de représentation de la nation, qui elle aussi change sans cesse tout en restant elle-même.

Le contraste avec Elisabeth Ière est saisissant, alors qu’elle ne s’est jamais mariée de sorte qu’il n’y a pas à son époque un héritier unique dont la légitimité est incontestée. La scène du balcon il y a quelques semaines avait donc pour objectif de montrer au public que la reine et ses descendants ont rempli leur rôle premier qui est celui d’engendrer non pas un héritier, mais trois. Plus qu’un succès, c’est un triomphe.

Les Services secrets et Sa Majesté

Au chapitre XIII du livre des nombres, il est écrit que Moïse envoie douze espions explorer le pays de Canaan et faire rapport de ce qu’ils y trouvent, ce qui amène La Ligne Claire à classer l’espionnage au rang de deuxième plus vieux métier du monde.

Richard Aldrich et Rory Cormac, deux professeurs aux universités de Warwick et de Nottingham, se sont attachés à décrire dans ce gros livre les liens complexes qui unissent la famille royale d’Angleterre au monde de l’espionnage au fil des siècles. Tantôt acteurs, tantôt objet et même victimes d’entreprises d’espionnages, les souverains britanniques et leur famille se situent au centre d’un réseau dont les mailles sont formées par MI5 et MI6, des diplomates et des policiers, des services secrets étrangers parfois amis et parfois pas, auxquels s’ajoute une longue liste de personnages louches.

Les deux auteurs font démarrer leur histoire avec le règne d’Élisabeth Ière. Confrontée à la menace existentielle que constitue l’Espagne catholique, la souveraine est amenée à développer un arsenal de mesures qui ont toujours cours de nos jours. Ses diplomates sont désormais chargés d’espionner pour le compte de la Couronne, à qui ils envoient des rapports codés, non sans avoir noué des appuis secrets avec des puissance étrangères, le Prince d’Orange par exemple. Là où le recours officiel à la force n’est pas possible, elle emploie des pirates (Sir Francis Drake) de la même façon que la Russie a recours aux mercenaires Wagner de nos jours. Si la menace se fait trop aigüe, elle imagine de toutes pièces des « complots papistes », les fake news d’alors, qu’elle dénonce dans des pamphlets pour se débarrasser de ses ennemis qu’elle fera torturer à la Tour de Londres, empoisonner, assassiner ou exécuter (Marie Stuart). Les Américains avec Guantanamo et leurs attaques par drone et les Russes avec le Novitchok à leur façon déploient les mêmes stratégies.

Cependant le gros de l’ouvrage est consacré à la période qui s’étend de la reine Victoria à Élisabeth II. Reine constitutionnelle, Victoria accède au trône en 1837 alors qu’elle n’a que dix-huit ans, et, sans expérience, se trouve démunie face à ses ministres. Plus tard, mariée à Albert de Saxe-Cobourg, devenue la grand-mère des souverains de toute l’Europe, elle compensera son relatif manque de pouvoir formel par l’exploitation assidue de son vaste réseau familial, qui lui remonte sans cesse des informations, parfois même avant que son gouvernement n’en dispose.

Les auteurs connaissent bien leur affaire et passent ces deux siècles en revue en grand détail, parfois trop puisque le lecteur se voit condamné à relire des épisodes déjà bien connus, l’assassinat de Raspoutine, l’abdication d’Édouard VIII et, plus près de nous, le décès accidentel et tragique de la Princesse de Galles. On s’égare parfois au milieu de ces anecdotes qui ne paraissent pas toutes essentielles à l’argumentation.

Soigneusement documenté, de lecture agréable, de l’avis de La Ligne Claire, ce gros livre aurait gagné à être plus court et à aborder une approche plus thématique plutôt que de reposer sur la simple succession des souverains. Cela dit, les passionnés de la Couronne britannique y trouveront leur compte et, pour le règne d’Élisabeth II, feront sans peine le lien avec la série The Crown.

 

Richard Aldrich and Rory Cormac: The Secret Royals: Spying and the Crown, from Victoria to Diana, 736 pages, Atlantic Books 2021.

Philip d'Edimbourg

Prince Philip, duc d’Edimbourg

C’était un homme élégant, distingué, assez grand, plus grand encore lorsqu’il portait son bonnet à poil de colonel des Guards. Philippe d’Édimbourg avait quitté la Grèce à l’âge de deux ans hissé à bord d‘un bâtiment de guerre dans un cageot à oranges, alors que ses parents fuyaient la révolution dans ce pays-là. Jeune homme sans fortune, peu ou prou abandonné par ses parents, il avait mené une vie itinérante jusqu’à ce qu’un juif allemand, chassé par Hitler, fît de lui un Anglais. En ces temps-là qu’on n’appelait pas encore l’entre-deux-guerres, le Royaume-Uni demeurait la première puissance navale, c’est elle qui assurait la pax britannica et puis cela permettait de courir les mers et de voir le monde. Il s’engagea donc dans la Royal Navy.

En 1947, il était devenu le lieutenant Philip Mountbatten, du nom de la forme anglicisée du nom de famille de sa mère, Battenberg. Toute sa vie il éprouvera du regret à ne pouvoir ni porter ni transmettre son nom patronymique en ligne paternelle mais Schleswig-Holstein-Sonderburg-Glücksburg, c’était trop long et, murmurait-on sotto voce, trop allemand, même si sa famille était en réalité danoise. En novembre de la même année il épousa la Princesse Elizabeth, princesse héritière du Royaume-Uni qui deviendrait reine en 1952. Ce mariage allait durer 73 ans, toute une vie. La reine appelait Philip « mon roc » tandis que lui avait fait vœu de ne jamais, au grand jamais, laisser tomber la reine. Un exemple admirable de vie conjugale, royale ou pas.

Ces jours derniers, il peinait sous le poids des ans à se hisser de son fauteuil pour prendre le soleil de printemps sur la terrasse du château de Windsor, d’où la vue s’étendait en direction de la Long Walk et au-delà de Smiths Lawn, là où il avait joué au polo du temps de sa vigueur. A près de cent ans, les quelques pas du salon à la terrasse paraissaient ardus et il avait dû se résoudre à se munir d’une canne. Mais c’est lui qui portait la canne.

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La disparition du duc d’Édimbourg, sans être une surprise au regard de son âge, marque sans doute un tournant dans l’histoire de la famille royale : il était là depuis toujours et voilà qu’il n’est plus là. Ces derniers temps, le Prince Charles n’a pas caché son intention le moment venu de réduire la famille royale à un noyau plus restreint mais voilà qu’avec la défection de Meghan et Harry, il va manquer de bras.

Aussi La Ligne Claire se hasarde-t-elle à formuler deux pronostics. Le premier, c’est que le titre de duc d’Édimbourg reviendra au Prince Edward, aujourd’hui âgé de 57 ans et qui sera dès lors appelé à appuyer son frère aîné pendant une vingtaine d’années jusqu’à ce que les enfants du Prince William aient atteint l’âge adulte. Le deuxième, plus téméraire, est que la reine, âgée de 95 ans, établira une régence en droit ou de fait en faveur du Prince Charles. La reine est une souveraine consacrée, elle a reçu l’onction sainte, celle-là même que le roi David avait reçue du prophète Samuel. A la différence de son oncle Edward VIII qui certes avait régné quelque mois mais n’avait jamais été couronné, La Ligne Claire juge que non seulement il n’entre pas dans l’intention de la reine d’abdiquer mais qu’elle l’estime impossible : la royauté lui a conféré un sacerdoce indélébile dont elle est la dépositaire mais pas la propriétaire. Quant à la régence, elle bénéficie au contraire d’un heureux précédent en la personne du futur Georges IV. Une nouvelle régence permettrait non seulement à la reine de se retirer en douceur car il y aura bien un moment où ses forces viendront lui faire défaut mais au Prince Charles d’assumer les fonctions royale et à sa seconde épouse, Camilla, de tenter de faire une entrée aussi en douceur que le retrait supposé de la reine.