La défaite de Kaboul et la maîtrise des langues étrangères

 

Lors du Congrès de Berlin en 1878, les délégués américains s’étaient vu rappeler à l’ordre pour avoir voulu s’y exprimer en anglais alors que la langue de la diplomatie mondiale était le français, tout autant que le latin était celle de l’Église catholique.

Une génération plus tard et ils remportent une victoire d’étape puisque le Traité de Versailles signé en 1919 est rédigé tant en anglais qu’en français en vue de satisfaire les exigences du Président Wilson, premier président américain à quitter son pays, et qui ne parlait que l’anglais.

Une guerre de plus et une génération encore et en 1945 les États-Unis imposent au monde entier la pax americana et avec elle sa culture aux accents de chewing gum, de Coca-Cola et de rock and roll. Désormais le monde entier est prié d’apprendre l’anglais.

Ce que les Américains considèrent comme un privilège régalien, se révèle en réalité depuis trois quarts de siècles non seulement une faiblesse mais une source de défaites. Car maîtriser une langue étrangère, ce n’est pas simplement s’exprimer dans la langue de son interlocuteur, c’est partager sa culture et sa vision du monde. Ainsi, certes il est correct de traduire bread par pain, mais les deux mots ne recouvrent pas la même réalité. Là où l’Anglais songe à un pain de mie découpé en tranches enveloppé dans un sachet en plastique, le Français rêve d’une baguette qu’il rapporte de la boulangerie voisine. Parler une autre langue, c’est voir le monde d’un autre œil.

De l’avis de La Ligne Claire, cette incapacité des Américains à chausser d’autres lunettes que les leurs est la source de l’hostilité à laquelle les États-Unis sont souvent confrontés en matière de politique étrangère. Car ni les Sud-Américains, toujours contrariés face à l’impérialisme yanqui, ni les Russes, ni les Chinois, ni aujourd’hui les Afghans n’aspirent à devenir des Américains ni même à adopter leurs mœurs politiques.

Avec le retrait de Kaboul, les Américains alignent une nouvelle défaite à la suite de celles déjà essuyées au Vietnam, en Somalie, en Irak, en Libye et en Syrie. Il n’y a guère que l’invasion de la minuscule Grenade en 1983 qui vienne éclairer ce sombre tableau. Il est vrai qu’on y parle l’anglais.

 

 

 

Finance d’impact

Memo à : T&T all

Concerne : Finance d’Impact

 

Ce matin le Comité de Direction a décidé de ma nomination au poste nouvellement créé de Chief Impact Officer, témoin de la volonté de notre Maison, Tradition & Transition, de forger l’avenir comme elle a su le faire depuis deux siècles.

François Pignon, notre collègue depuis trente ans et Chief Investment Officer avec qui je partage les mêmes initiales fonctionnelles (CIO), s’est déclaré disponible pour participer à la sélection des produits financiers destinés à mettre en œuvre notre nouvelle stratégie d’impact. François nous a par ailleurs fait part de son souhait de faire valoir ses droits à la retraite anticipée dans six mois.

Fort de mon expérience passée de distributeur de fonds Madoff, je puis témoigner tant de l’impact indéniable que la finance peut exercer, que de la réussite, en ce qui me concerne, d’une transition professionnelle.

Des voix se sont élevées au sein de T&T pour mettre en question la nomination d’un Européen de 50 ans au Comité de Direction. Ces commentaires sexistes, totalement inacceptables, sont en contraction flagrante avec les valeurs de diversité et d’inclusion qui sont les nôtres et qu’incarnent avec tant de charme mes deux jeunes assistantes, Julie et Émilie.

Nous allons proposer à nos clients un premier investissement dans Don Quixote Wind Farms LLC, mis au point par Jean des Rives, anciennement responsable des crédits structurés chez Lehman Brothers. Une présentation Zoom se déroulera demain à 18h à laquelle votre participation est vivement recommandée en vue d’en maximiser l’impulsion à tout vent.

 

Cordialement

É. Collod, CIO

L’idée impériale

Die Reichsidee

Dans ce livre ambitieux, Visions of Empire, l’auteur, Krishan Kumar, s’attaque à l’examen des idées et des idéologies qui ont présidé à l’établissement et à la gouvernance des différents empires sur lesquels il fonde son étude : les empires romain, ottoman, habsbourgeois, russe, britannique et français.

Fondamentalement, la notion d’empire, die Reichsidee, selon le titre d’un ouvrage de l’Archiduc Otto de Habsbourg, se distingue de celle, plus récente, de l’État-nation, dont la France constitue sans doute à la fois le prototype et l’exemple le plus achevé.

Du reste, l’auteur, Krishna Kuman, né en 1942 à Trinidad et Tobago, actuel doyen de la faculté de Sociologie à l’Université de Virginie et citoyen britannique, s’estime lui-même être le fruit de cette notion d’empire, britannique en l’occurrence.

Dans l’histoire du monde, les empires ont précédé de trois millénaires l’émergence de l’État-nation et ont revêtu le formes les plus diverses : empires terrestres ou maritimes, dynastiques ou pas, coloniaux ou pas, plus ou moins liés à l’idée de nation. La notion même d’empire est variable mais on peut néanmoins lui assigner des caractéristiques communes : un vaste territoire composé de peuples divers mais cependant unis au sein de l’idée impériale, un modèle qui souvent dure plusieurs siècles avant parfois de s’effondrer de manière brutale, mais surtout une prétention à l’universalité en vue de mener à bien une mission civilisatrice. La Chine se conçoit comme l’Empire du Milieu tandis que Rome se définit comme la caput mundi.

Kumar examine en détail non pas l’histoire de six empires mais la manière dont ces empires-là en sont venu à concevoir leur existence et leur vocation. Tous, y compris l’empire ottoman selon l’auteur, sont d’origine européenne et trouvent dans l’Empire romain leur archétype. Tous les empires vont cependant « exporter » leurs propres institutions du centre vers la périphérie en vue de constituer une culture commune.

 

Empire et nation

Kumar étudie en premier l’empire romain. Il n’a pas pour objet d’en examiner l’histoire en détail mais d’analyser l’idéologie qui a présidé à son déploiement. Un point crucial est atteint en 212 lorsque l’empereur Caracalla octroie la citoyenneté romaine à tous les hommes libres de l’Empire, quelle que soit leur nation. Plus tard on verra du reste des empereurs d’origine ibérique, dalmate et africaine revêtir la pourpre.

A l’opposé, et en réaction à la constitution de l’Empire napoléonien à travers l’Europe, Gottfried Herder développera au début du XIXe siècle la notion jusque-là inconnue selon laquelle les peuples qui parlent une même langue forment une nation qui doit s’incorporer non plus au sein d’un empire mais d’un État. Cette notion donnera bien entendu naissance plus tard dans le siècle à la constitution de l’Allemagne et de l’Italie modernes puis, après la disparition de l’Empire habsbourgeois en 1918, aux États nationaux d’Europe centrale.

Établir la distinction entre nation et empire n’est jamais aisé ; dans les empires habsbourgeois et ottoman, ni les Allemands ni les Turcs ne représentent une majorité de la population et les uns et les autres ont parfaitement conscience qu’avancer l’idée de nation est incompatible avec celle d’empire à laquelle ils tiennent ; à l’autre extrême, la France de la Troisième République se fixe comme objectif de projeter les valeurs issues de la Révolution française et se donne pour mission de faire des habitants des colonies des citoyens français.

De tous les empires examinés par l’auteur, l’Ottoman est celui qu’il considère comme étant celui le plus conforme à l’idée impériale ; très tolérant de la diversité des peuples, y compris dans leur composante religieuse, il s’attache cependant à forger un sentiment d’appartenance à une civilisation commune. Race, ethnie, nation ne comptaient pas aux yeux des Ottomans (qu’on ne confondra pas avec les Turcs) tandis que si la religion y tient un rôle important (le sultan devient calife à partir de Selim Ier en 1516), elle n’a pas vocation à miner les communautés chrétiennes et juives qui appartiennent tout autant à l’Empire que les musulmanes.

A la différence des Ottomans, les Habsbourg ont lié l’idée impériale à leur propre dynastie, que ce soit au sein du Saint-Empire, de l’empire colonial espagnol en Amérique désormais latine, ou au sein de l’Empire d’Autriche puis de l’Autriche-Hongrie au XIXe siècle. Si les Habsbourg, qui naissent dans ce qui est aujourd’hui le canton suisse d’Argovie, sont indiscutablement une famille allemande, puis espagnole, ils prendront grand soin de ne pas s’identifier à une nation particulière composant leur empire, et en particulier pas aux Allemands qui peuplent les territoires héréditaires d’Autriche ; telle une bonne mère, la dynastie fait montre d’une égale affection envers tous les peuples qui composent l’Empire.

La France, qui avait perdu au profit des Britanniques l’essentiel de son premier empire d’outremer au Traité de Paris de 1763, établira en Europe sous Napoléon Ier un empire continental de courte durée mais aux effets durables, et surtout sous la IIIe République un empire colonial en Afrique et en Indochine. Dans les deux cas, ces entreprises se revendiquent de la Révolution qui fonde la nation française au sens moderne et se donnent pour mission de diffuser la république dans sa conception laïque. Aussi, l’empire français est-il celui qui se rapproche le plus de la conception nationale qui vise à faire des peuples colonisés des citoyens français.

 

Survivances de l’idée impériale

Avec la disparition des empires européens, tant continentaux que coloniaux, l’auteur s’interroge sur la pertinence de ce modèle d’organisation politique à l’heure où l’ONU compte près de 200 États parmi ses membres. Sans les étudier en détail, Kuman nomme deux institutions qui ont fait leur l’idée impériale, l’Église catholique et l’Union Européenne.

Il est évident que l’Église catholique a repris à l’Empire romain de très nombreux éléments qui contribuent à la définir. Son siège est à Rome, le pape reprend le titre de pontifex maximus hérité de la religion romaine et bien entendu l’Église se nomme elle-même Église catholique romaine. L’administration forme la curie, autrefois le siège du sénat, tandis que les cardinaux revêtent la pourpre, emblème justement des sénateurs romains. Mais surtout, l’Église reprend à son compte la prétention universelle de l’empire et c’est pourquoi le pape s’adresse urbi et orbi, à la ville et au monde. Catholique signifie universel en grec, on ne saurait être plus clair.

L’Union Européenne (née CEE) quant à elle voit le jour en 1957 à Rome et pas ailleurs. Les six pays qui la composent alors recouvrent un territoire qui correspond peu ou prou à celui de l’empire carolingien ; la Commission Européenne occupe du reste à Bruxelles un ensemble de bâtiments dont l’un porte justement le nom de Charlemagne. Mais surtout, le projet européen, à l’instar des empires d’antan et à la différence des projets nationaux « annexionnistes » (l’Italie par exemple) vise à établir une structure supra nationale qui permette néanmoins aux États qui la composent de préserver leur propre identité et de poursuivre leur existence.

De plus, douze ans à peine après la fin de la guerre, l’Europe a conscience de ce qu’elle vient d’échapper à une tentative du projet impérial nazi fondé dans la violence sur la supériorité d’une race sur d’autres. En se réclamant explicitement de l’idée impériale, la CEE signale que toutes les nations, grandes et petites, y ont leur place et y jouissent d’une égale dignité.

De l’avis de La Ligne Claire, ce « récit national » supranational s’est avéré essentiel non seulement à la réconciliation avec l’Allemagne mais à l’émergence de la conscience de l’appartenance à une culture européenne commune, dont le christianisme est l’un des fondements. Le Traité de Rome fut d’ailleurs signé le jour de la fête chrétienne de l’Annonciation.

 

Quo vadis ?

Avec l’élargissement de l’Union à presque tout le continent, avec l’émergence d’une dominante économique (le marché unique, le traité de Maastricht, l’euro), avec aussi le rejet explicite de la référence aux racines chrétiennes de l’Europe dans la constitution européenne, ce récit supranational n’a plus trouvé de résonnance faute même d’avoir été énoncé. Pourtant, tous les pays qui composent aujourd’hui l’Union ont fait partie en tout ou en partie d’un ensemble impérial plus vaste à un moment de leur histoire. Aucun empire ne les a tous comptés en son sein mais l’Empire romain est celui qui en a compté le plus (17 sur 27 selon les calculs de La Ligne Claire), qui demeure dès lors la référence ultime du modèle impérial en Europe.

Il est malaisé de nos jours d’esquisser un récit supranational qui résonne à la fois aux oreilles des Portugais, des Estoniens et des Bulgares ; pourtant, il paraît essentiel au devenir et peut-être même à l’existence de l’Union Européenne, incarnation moderne de l’idée impériale. La Ligne Claire n’en voit qu’un seul, le christianisme (qu’on distinguera de l’adhésion à la foi chrétienne), matrice d’une culture commune.

Visions of Empire se révèle un livre fascinant ; ouvrage académique, il exigera du lecteur un certain effort de lecture pour renouer une familiarité avec une forme d’organisation politique qu’on retrouve en tous temps et sous tous les cieux.

 

Krishan Kumar, Visions of Empire, How Five Imperial Regimes shaped the World, Princeton University Press, 2017, 576 pages

Philip d'Edimbourg

Prince Philip, duc d’Edimbourg

C’était un homme élégant, distingué, assez grand, plus grand encore lorsqu’il portait son bonnet à poil de colonel des Guards. Philippe d’Édimbourg avait quitté la Grèce à l’âge de deux ans hissé à bord d‘un bâtiment de guerre dans un cageot à oranges, alors que ses parents fuyaient la révolution dans ce pays-là. Jeune homme sans fortune, peu ou prou abandonné par ses parents, il avait mené une vie itinérante jusqu’à ce qu’un juif allemand, chassé par Hitler, fît de lui un Anglais. En ces temps-là qu’on n’appelait pas encore l’entre-deux-guerres, le Royaume-Uni demeurait la première puissance navale, c’est elle qui assurait la pax britannica et puis cela permettait de courir les mers et de voir le monde. Il s’engagea donc dans la Royal Navy.

En 1947, il était devenu le lieutenant Philip Mountbatten, du nom de la forme anglicisée du nom de famille de sa mère, Battenberg. Toute sa vie il éprouvera du regret à ne pouvoir ni porter ni transmettre son nom patronymique en ligne paternelle mais Schleswig-Holstein-Sonderburg-Glücksburg, c’était trop long et, murmurait-on sotto voce, trop allemand, même si sa famille était en réalité danoise. En novembre de la même année il épousa la Princesse Elizabeth, princesse héritière du Royaume-Uni qui deviendrait reine en 1952. Ce mariage allait durer 73 ans, toute une vie. La reine appelait Philip « mon roc » tandis que lui avait fait vœu de ne jamais, au grand jamais, laisser tomber la reine. Un exemple admirable de vie conjugale, royale ou pas.

Ces jours derniers, il peinait sous le poids des ans à se hisser de son fauteuil pour prendre le soleil de printemps sur la terrasse du château de Windsor, d’où la vue s’étendait en direction de la Long Walk et au-delà de Smiths Lawn, là où il avait joué au polo du temps de sa vigueur. A près de cent ans, les quelques pas du salon à la terrasse paraissaient ardus et il avait dû se résoudre à se munir d’une canne. Mais c’est lui qui portait la canne.

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La disparition du duc d’Édimbourg, sans être une surprise au regard de son âge, marque sans doute un tournant dans l’histoire de la famille royale : il était là depuis toujours et voilà qu’il n’est plus là. Ces derniers temps, le Prince Charles n’a pas caché son intention le moment venu de réduire la famille royale à un noyau plus restreint mais voilà qu’avec la défection de Meghan et Harry, il va manquer de bras.

Aussi La Ligne Claire se hasarde-t-elle à formuler deux pronostics. Le premier, c’est que le titre de duc d’Édimbourg reviendra au Prince Edward, aujourd’hui âgé de 57 ans et qui sera dès lors appelé à appuyer son frère aîné pendant une vingtaine d’années jusqu’à ce que les enfants du Prince William aient atteint l’âge adulte. Le deuxième, plus téméraire, est que la reine, âgée de 95 ans, établira une régence en droit ou de fait en faveur du Prince Charles. La reine est une souveraine consacrée, elle a reçu l’onction sainte, celle-là même que le roi David avait reçue du prophète Samuel. A la différence de son oncle Edward VIII qui certes avait régné quelque mois mais n’avait jamais été couronné, La Ligne Claire juge que non seulement il n’entre pas dans l’intention de la reine d’abdiquer mais qu’elle l’estime impossible : la royauté lui a conféré un sacerdoce indélébile dont elle est la dépositaire mais pas la propriétaire. Quant à la régence, elle bénéficie au contraire d’un heureux précédent en la personne du futur Georges IV. Une nouvelle régence permettrait non seulement à la reine de se retirer en douceur car il y aura bien un moment où ses forces viendront lui faire défaut mais au Prince Charles d’assumer les fonctions royale et à sa seconde épouse, Camilla, de tenter de faire une entrée aussi en douceur que le retrait supposé de la reine.

La Mort: Méditation pour un Chemin de Vie

Voilà un an que la pandémie s’est répandue sur la face de la terre et que notre société débat de couvre-feux, de confinements et de dépistage et maintenant de vaccination. Le grand absent de ces débats, y compris, dans l’ensemble, parmi les ecclésiastiques, est la mort, une réalité à laquelle notre société n’est plus capable de faire face.

A cet égard Monseigneur Michel Aupetit fait figure d’exception et vient apporter un double regard sur notre société covidienne, celui du médecin généraliste qu’il a été pendant onze ans et celui du prêtre, l’actuel archevêque de Paris.

Mgr Aupetit ne critique pas les mesures sanitaires en tant que telles mais met en garde contre leur essentielle insuffisance et le risque de laisser toute notre vie régie par des mesures hygiénistes techniques qui détruisent notre humanité, en particulier en limitant les rapports sociaux. A titre d’exemple, les visites dans les maisons de repos sont à la fois très réduites et étroitement surveillées de peur qu’on ne contamine ces patients âgés, sauf quand ils se retrouvent à l’article de la mort.

La question centrale posée par Mgr Aupetit est celle de l’évacuation de la mort par notre société et sa relégation dans des maisons de retraites et, de plus en plus, chez Exit, faute de place d’un accueil dans la vie de tous les jours. A refuser de mourir à tout prix, l’homme s’est privé d’une vie pleine, une vie où l’on peut s’embrasser, tenir un malade par la main, accompagner un mourant. « Refuser de vivre vraiment », voilà les mots sur lesquels s’ouvre l’ouvrage de Mgr Aupetit, des mots qui soulignent la conviction profonde de l’auteur, qu’accepter la mort, sans obsession ni tabou, est la « condition essentielle de la présence à sa propre vie ». Cette conviction justifie le sous-titre de l’ouvrage, « Méditation pour un chemin de vie » qui vise à rendre à la mort sa place au sein de la vie de l’homme.

Le Docteur Aupetit connaît la réalité clinique de la mortalité de l’homme ; Mgr Aupetit, évêque catholique, lui est témoin de la foi en la mort et résurrection de Jésus-Christ. Il y deux générations maintenant, notre société a abandonné la foi chrétienne qui non seulement avait fondé sa culture mais qui repose en l’espérance de la vie éternelle. La déchristianisation prive notre société non seulement de la perspective de la vie éternelle mais de la vie tout court. Vivre, c’est apprendre à mourir, nous rappelle Mgr Aupetit. A défaut, effectivement, seul demeure Exit.

Mgr Michel Aupetit : La mort, méditation pour un chemin de vie, Éditions Artège, 2020.

Couronne royale

Harry et Meghan: Histoires de famille

Si la diffusion de l’interview de Harry et Meghan par Oprah Winfrey constitue le dernier épisode retentissant de ce feuilleton, l’avant dernier remonte au 19 février à peine, le jour où la Reine a dépouillé le jeune couple de leurs titres honorifiques. Le lendemain, loin des plateaux de télévision, le Pape François approuvait un décret qui reconnaît les vertus héroïques de George Spencer, en religion Frère Ignace de Saint Paul, à qui le Pape a désormais conféré le titre de Vénérable.

Fils cadet du 2e Comte Spencer, George Spencer (1799-1864) fut d’abord ordonné prêtre au sein de l’Eglise anglicane avant de se convertir à la foi catholique en 1830 et d’être ordonné à nouveau prêtre catholique cette fois deux ans plus tard. On imagine mal le scandale et l’opprobre que cette conversion pouvait susciter à l’époque, en particulier au sein d’une famille de la haute aristocratie anglaise, pour qui, selon les mots de Lord Grantham dans Downton Abbey, l’Eglise catholique représentait quelque chose «d’étranger ».

George (Ignace) Spencer était l’oncle de Harry à la sixième génération, comme lui un fils cadet qui n’avait guère de perspectives d’hériter du titre familial. Troisième dans l’ordre de succession de leur titre respectif à leur naissance, ils n’ont, comme la plupart des cadets, d’autre expectative que de voir ce rang reculer plus loin encore. Tant le Prince Harry que Father Spencer ont, d’une certaine manière, résolu d’échapper au sort qui les a vu naître au sein de la famille royale pour l’un, d’une famille de l’aristocratie pour l’autre.

Pourtant, s’ils ont chacun à leur manière rompu avec leur famille, à deux siècles de distance, ils ont effectué des choix de vie radicalement différents : Harry a conclu des contrats à hauteur de centaines de millions et s’est installé à Hollywood, tandis qu’Ignace s’est dépouillé de tout pour se consacrer aux habitants des taudis de Birmingham, alors le moteur de la révolution industrielle en Angleterre. Là où Harry et Meghan se drapent des vertus de la compassion, une feuille de vigne réputée philanthropique qui cache mal leur désir de s’enrichir, Father Spencer se sent l’obligé de la condition sociale privilégiée dans laquelle il a été élevé. L’un est en quête de vérité, les autres font appel aux agences de relations publiques de Hollywood. Là où les uns se donnent en spectacle, l’autre mène une vie humble et fait de sa haute naissance un service qui le conduit au seuil de la sainteté.

 

La Ligne Claire a puisé son inspiration dans l’article publié récemment par Father Raymond de Souza sur le site First Things (https://www.firstthings.com/web-exclusives/2021/03/aristocratic-freedom-and-duty).

Couronne royale

Redux (de Sussex)

La Ligne Claire tient à exprimer sa reconnaissance envers le Duc et la Duchesse de Sussex, inépuisable source d’inspiration pour son blog. Deux nouvelles sont venues alimenter la chronique ducale ces jours derniers. Tout d’abord, la Reine a retiré au jeune couple les derniers patronages dont ils étaient titulaires, capitaine général des Marines, patronage du National Theater ; désormais le duc et la duchesse ont brûlé leurs derniers vaisseaux et ils ne font plus désormais partie de la famille royale. Avec le bénéfice du recul, on comprend maintenant que la période d’essai de douze mois avait pour but de fournir au jeune couple le temps d’asseoir leur indépendance financière ; les contrats conclus avec Netflix et Spotify à hauteur de plusieurs centaines de millions en apportent la preuve éclatante.

La deuxième nouvelle tient au procès remporté par Meghan envers The Mail on Sunday pour atteinte à la vie privée, alors que le journal avait publié une lettre que la Duchesse avait écrite à son père. Or, on se souviendra que le motif invoqué pour le « Megxit » était justement l’intrusion supposée des médias britanniques dans leur vie. Avec ce procès, Meghan reprend la main. Loin de vouloir mener une vie discrète, Meghan souhaite contrôler et surtout mettre en scène sa propre vie selon ses propres termes. La Ligne Claire l’a déjà dit, son business model s’inspire de celui de Kim Kardashian, « famous for being famous ».

Parmi les invités à leur mariage en 2018, on pouvait discerner Oprah Winfrey, alors qu’il ne semble pas qu’ils se connaissaient alors. Mais chacune flaire l’affaire. L’interview qui sera diffusée début mars leur convient à toutes les deux et fournit la tribune à la Duchesse pour faire son début dans le monde de l’indépendance. Le business est maintenant sur les rails.

Garde à vous

Les chefs de la familiarité qui, depuis de nombreuses années, sont à la tête d’une culture réputée populaire, ont formé une alliance. Cette alliance, alléguant la défaite de la courtoisie, s’est mise en rapport avec les forces de la médiocrité pour cesser le combat en vue d’une langue civilisée.

Certes, nous avons été, nous sommes submergés par la force du tutoiement déployée par l’ennemi, la vulgarité. Infiniment plus que le nombre, ce sont les ondes et l’internet qui nous ont fait reculer. Le tutoiement, désormais rendu obligatoire par certains, est le fait des régimes totalitaires.

Mais le dernier mot est-il dit ?

Non. car la langue française n’est pas seule. Nos alliés anglais ont consacré l’usage universel du vouvoiement (you), ne réservant le tutoiement (thou) plus familier que lorsqu’ils s’adressent à Dieu dans leurs prières. Et déjà en 1795, à la suite de l’annexion de leur pays, les Belges vigilants, les Belges valeureux, les Belges victorieux avaient formulé cet admirable dicton face au tutoiement imposé par l’envahisseur : « Ici, Monsieur, on n’est pas en république ».

Cette guerre de civilisation est une guerre mondiale. Moi, Général de l’Air QUELINNES, je m’adresse aux locuteurs de langue française en France, Belgique et Suisse et, par de là les mers, au Canada et en Afrique, en particulier au Congo, jadis belge, premier pays de langue française par le nombre d’habitants.

J’appelle tous ceux qui ont à cœur l’élégance de notre langue à raviver la flamme de la résistance à la familiarité en souvenir des temps, pas si lointains, où un gentilhomme ne tutoyait que ses camarades de régiment, sa maîtresse et son chien de chasse.

Alors le français outragé, le français brisé, le français martyrisé sera le français libéré.

 

Vive le vouvoiement, vive la langue française.

Les trois Rois

Vers l’an 80 de notre ère, un demi-siècle après la mort de Jésus-Christ, un auteur que la tradition a retenu sous le nom de saint Mathieu entreprit de rédiger un évangile à destination des premiers chrétiens d’origine juive. Pour cette raison, au chapitre premier, son évangile s’ouvre sur la généalogie de Jésus qui vise à montrer à ses lecteurs qu’il naît dans la descendance de David, une condition essentielle pour qu’il soit le vrai messie.

Au chapitre second, Mathieu élargit sensiblement son propos puisqu’il relate l’histoire de ces Mages qui se déplacent de l’Orient vers le lieu où ils ont appris que le roi des Juifs était né. Au fil des siècles, la tradition populaire, inspirée des évangiles apocryphes, fera de ces Mages des rois, fixera leur nombre à trois, leur donnera un nom et leur attribuera une couleur de peau, qui représente les trois continents alors connus, l’Europe, l’Asie et l’Afrique.

Mathieu s’attache à fournir un contexte précis à cet épisode, en Judée sous le règne d’Hérode le Grand, un roi client des Romains, qui n’était pas juif mais iduméen et qui pour cette raison demeurait sans cesse sur le qui-vive face à d’éventuels prétendants.

Sous la plume de Mathieu, les Mages désignent sans doute des membres de la caste sacerdotale perse ou, plus généralement des personnages savants par ailleurs influencés par la philosophie grecque.

Les Mages observent dans le ciel une conjonction entre les planètes Saturne et Jupiter survenue en l’an 7 avant notre ère, semblable à celle que nous avons connue le 21 décembre dernier. Ils ne sont sans doute pas les seuls à pouvoir calculer le cours des planètes si bien qu’il y a lieu de se poser la question, pourquoi les Mages se mettent-ils en route non seulement vers la Judée mais précisément pour y rencontrer le roi des Juifs ? Les Mages sont donc des hommes qui savent déterminer ce qui est exact, ici la conjonction des planètes, mais qui sont à la recherche de ce qui est vrai : de quoi cette étoile est-elle la signification ? Dans le monde païen antique circule alors l’idée que de Juda doit naître le dominateur du monde et c’est d’ailleurs ce qui inquiètera Hérode une fois que les Mages seront parvenus jusqu’à lui. Du reste, l’expression-même « roi des Juifs » est une expression païenne qu’on ne retrouve que dans la bouche des Mages et dans celle de Pilate lors du procès de Jésus, alors que les Juifs eux attendent le messie d’Israël.

Les Mages se mettent donc en route vers la Judée et c’est tout naturellement qu’ils se rendent en premier lieu chez Hérode ; puisque celui qui doit naître est le roi des Juifs, ils s’attendent à le trouver au palais royal de Jérusalem. Hérode troublé convoque alors ses conseillers qui lui répondent que non, selon le prophète Michée, le lieu de naissance n’est pas Jérusalem mais Bethléem. Seuls Hérode et les Mages tirent conséquence de cette information qui s’avère correcte : les Mages poursuivent leur route jusqu’à Bethléem tandis qu’Hérode s’empresse d’éliminer tous ceux qu’il juge être un prétendant concurrent ; quant aux docteurs de la loi, qui ont fourni la « bonne » réponse, ils referment leur parchemin ; à la différence des Mages, il leur manque la philo qui les pousse à se mettre en chemin.

Dans ce récit, Mathieu opère deux mouvements d’ouverture de grande envergure. Alors, on ne saurait trop le répéter, qu’il s’adresse à des chrétiens issus du judaïsme, il étend la signification du salut opéré par le Christ au monde entier, dont les Mages sont les premiers témoins. En second lieu, il expose très clairement que non seulement la connaissance scientifique et philosophique ne s’oppose pas à la foi mais qu’elle peut y mener. C’est même ce qui fait défaut aux docteurs de la loi.

Arrivés à Bethléem, les Mages se prosternent devant l’enfant et sa mère. Puis, nous dit Matthieu, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin. C’est la définition même de la conversion.

 

La Ligne Claire renvoie ses lecteurs qui souhaitent explorer davantage ce récit biblique au livre L’Enfance de Jésus de Joseph Ratzinger paru chez Flammarion en 2012.

 

Couronne royale

Le couronnement de l’année

Si l’année 2020 aura été une année d’exception pour tous, elle s’est aussi révélée riche en événements pour les familles royales.

Celui qui aura assurément passé la plus mauvaise année est le roi émérite Juan Carlos, contraint à l’exil, réputé volontaire mais en réalité imposé par l’opinion publique en Espagne. La Ligne Claire l’a déjà écrit et le répète à l’envi : quelle que soit sa forme constitutionnelle, l’institution monarchique repose en définitive sur un contrat entre une famille et un peuple ; en cas de rupture, c’est toujours le peuple qui l‘importe, une règle qui ne souffre aucune exception. En l’occurrence, le peuple est prêt à fermer les yeux sur les nombreuses maîtresses du roi, mais pas sur la chasse aux éléphants au Botswana et moins encore sur les pots-de-vin et la fraude fiscale. Que Juan Carlos se soit réfugié aux États Arabes Unis, qui n’ont pas conclu de traité d’extradition avec la Suisse alors que le ministère public à Genève a ouvert une instruction à son encontre, en dit long sur ce que la voix de sa conscience lui reproche.

L’ancien roi d’Espagne est suivi de près par le Prince Andrew, duc d’York, rattrapé par ses mauvaises fréquentations et, dans les faits, contraint à un exil intérieur. A nouveau, le peuple, tel qu’il s’exprime en Grande-Bretagne par la voix de la presse populaire, lui pardonne volontiers ses escapades amoureuses mais pas l’abus de mineures, ni sa proximité avec des proxénètes. La Ligne Claire juge qu’il n’est pas exclu qu’il soit rattrapé par des poursuites judiciaires mais qu’en tout état de cause sa carrière en qualité de membre de la famille royale est désormais révolue. Le Prince Andrew partage avec Juan Carlos non seulement le goût des conquêtes féminines mais le manque de jugement quant à ce que la société tolère ou pas des familles royales.

Quel est le premier mot du Nouveau Testament ? Généalogie, répondait feu l’abbé Charles-Roux. Que Delphine Boël fût la fille naturelle d’Albert II relevait du secret de polichinelle en Belgique. Elle demandait la reconnaissance de ce besoin existentiel ancré au cœur de l’homme qui est le besoin de connaître son père. Au terme d’une procédure judiciaire, Mademoiselle Boël, désormais Delphine de Saxe-Cobourg et Princesse de Belgique témoigne de la longue tradition au sein des familles royales non seulement d’accueillir mais de reconnaître les enfants illégitimes. Descendant pourtant du Vert Galant, Albert II s’est vu contraint par un tribunal de reconnaître ce qu’il aurait pu concéder de son propre chef.

Ailleurs, l’année s’est révélée un mauvais cru pour les cadets des familles royales, en proie désormais au downsizing. En Espagne, elle se réduit désormais au roi, à la reine et à leurs deux filles ; en Angleterre le Prince de Galles ne fait pas mystère de son intention de réduire la voilure de la Firme le moment venu tandis que la Suède et la Belgique ont procédé à la mise en place d’une limitation de la transmission des titres royaux et des prédicats. Si les cadets ne sont pas envoyés au fond de la mine, ils sont priés dorénavant de se débrouiller.

En revanche, Harry et Meghan ont engrangé une bonne année à leur actif. Dans l’ensemble ils ont atteint les objectifs qu’ils s’étaient fixé lors du Megxit, dont le nom même indique clairement qui dans le ménage tient le sceptre. Meghan a exécuté à perfection sa stratégie, selon le jargon des affaires mais qui sonne juste ici : faire main basse sur un prince un peu niais, sacrifier pendant quelques mois aux exigences de la figuration royale et, forte enfin d’un titre de duchesse, couper les amarres et conclure des contrats à hauteur de centaines de millions de dollars avec Netflix et Spotify. Certes il existe un risque que la Reine excédée leur retire le titre de duc et duchesse au motif qu’ils ont vendu la Couronne, mais qu’importe car l’objectif « famous for being famous » est désormais atteint. De sa maison à Hollywood, flanquée de ses gardes du corps, la duchesse, qui ne déplace qu’en SUV en vue de joindre un jet privé, expliquera comment vivre sobrement en vue de sauver la planète à un public qui acceptera de payer pour l’écouter. Décidément, 2020 aura été un très bonne année.

Enfin, la couronne, nous rappelle le dictionnaire, désigne l’autorité royale. Dans sa traduction latine, les lecteurs de La Ligne Claire n’auront aucun mal à identifier le vainqueur de ce palmarès qui aura régné sur tous les esprits en 2020 et dont on attend qu’il soit détrôné en 2021.