Eulalie de Bourbon, une altesse en route

Fille de la reine d’Espagne Isabelle II, Eulalie de Bourbon naît en 1864, au milieu de ce XIXe siècle espagnol agité par une forte instabilité politique. Aux guerres carlistes succéderont les pronunciamentos de l’armée, les querelles de souverains, l’exil, l’abdication, la perte des colonies d’Amérique, une première puis une deuxième république en enfin le franquisme jusqu’à la conclusion de la guerre civile en 1939, qui mettra un terme à cette agitation. Dès 1868, une révolution renverse sa mère et contraint la famille royale à l’exil à Paris, dont Eulalie ne reviendra qu’en 1876 ; aussi a-t-elle reçu une éducation française.

En 1886, elle épouse par devoir d’État son cousin germain Antoine d’Orléans, homme volage et dépensier petit-fils du roi des Français Louis-Philippe, en vue de sceller un rapprochement entre les Orléans et les Bourbon d’Espagne. Ce mariage qu’on présentait malheureux le sera effectivement et conduira rapidement à une séparation qui permettra à Eulalie de remettre la main sur sa propre fortune.

On reste stupéfait face au nombre de mariages consanguins parmi les familles royales à cette époque. Déjà Isabelle II avait épousé son cousin François d’Assise de Bourbon ; heureusement, si l’on peut dire, François d’Assise était impuissant, si bien que les enfants d’Isabelle II, y compris Eulalie, seront le fruit des amours de la reine et de ses nombreux amants.

Toujours est-il qu’à l’issue de cette séparation, l’Infante prendra son envol et se mettra à parcourir toute l’Europe des têtes couronnées, de Lisbonne à Saint-Pétersbourg, et même les Etats-Unis et Cuba, où l’Infante conduit une mission en 1892 dans le vain espoir de conserver l’île à l’Espagne.

Si elle affiche des opinions avancées par rapport à celles conservatrices de la Cour d’Espagne, elle n’en garde pas moins une haute opinion de son illustre naissance. Dotée de sa propre fortune, elle passera sa vie à voyager d’une Cour à l’autre où elle mènera grand train, surtout avant la Première Guerre Mondiale. C’est la Belle Époque, celle de la tournée des Grands-Ducs où les Altesses et la haute aristocratie rivalisent de faste. Si ce mode de vie ostentatoire peut heurter aujourd’hui, il répond alors à une conception des familles royales qui jugent que leur rôle est justement de paraître et qui au fond n’est pas si différent, mettons, de celui des actrices d’Hollywood qui de nos jours arborent robes de gala et bijoux lors de la cérémonie des Oscars.

Femme aux opinions libérales, femme de lettres aussi, elle publie en 1912 son premier ouvrage, Au Fil de la Vie, sous le pseudonyme de Comtesse d’Avila, où elle s’exprime au sujet des questions politiques et sociales de son temps, y compris la condition de la femme. Le livre est rapidement banni en Espagne et l’Infante condamnée à l’exil.

Publiés en français en 1935, Souvenirs d’Espagne et d’Europe se révèlent des mémoires de lecture agréable et s’achèvent sur la proclamation de la Deuxième République et l’exil d’Alphonse XIII en 1931 tandis que le décès l’année précédente de son mari Antoine d’Orléans ne fait pas même l’objet d’une mention. De l’avis de La Ligne Claire, Ces circonstances familiales et politiques ont fourni à l’Infante un moment opportun, où elle peut s’octroyer le beau rôle sans s’exposer à la contradiction, sans causer de brouille familiale et sans prendre le risque à nouveau de se mettre mal en Cour puisque cette dernière avait disparu ; elle permet aussi de faire valoir ses opinions politiques de façon plus avisée après coup. Cela dit, ce que retiendra le lecteur du XIXe siècle, c’est avant tout le portrait des vestiges d’un monde englouti. Les Souvenirs s’achèvent donc en 1931 mais l’Infante retournera en Espagne où elle mourra à Irun sur la côte basque en 1958.

Enfin il y a lieu de saluer le remarquable travail fourni par Jacques Brunel, editor au sens anglais du terme, auteur de centaines de notes en pied de page très détaillées, des généalogies des familles Orléans, Bourbon d’Espagne, et en leur sein celles de la succession carliste et de la succession légitimiste, et enfin un index des personnages, autant d’éléments qui permettent au lecteur de s’y retrouver dans le monde complexe des familles régnantes de cette époque.

 

Infante Eulalie de Bourbon, Souvenirs d’Espagne et d’Europe, édition établie par Jacques Brunel, Éditions Lacurne 2023, 336 pages.

Couronne royale

Le couronnement de l’année

Si l’année 2020 aura été une année d’exception pour tous, elle s’est aussi révélée riche en événements pour les familles royales.

Celui qui aura assurément passé la plus mauvaise année est le roi émérite Juan Carlos, contraint à l’exil, réputé volontaire mais en réalité imposé par l’opinion publique en Espagne. La Ligne Claire l’a déjà écrit et le répète à l’envi : quelle que soit sa forme constitutionnelle, l’institution monarchique repose en définitive sur un contrat entre une famille et un peuple ; en cas de rupture, c’est toujours le peuple qui l‘importe, une règle qui ne souffre aucune exception. En l’occurrence, le peuple est prêt à fermer les yeux sur les nombreuses maîtresses du roi, mais pas sur la chasse aux éléphants au Botswana et moins encore sur les pots-de-vin et la fraude fiscale. Que Juan Carlos se soit réfugié aux États Arabes Unis, qui n’ont pas conclu de traité d’extradition avec la Suisse alors que le ministère public à Genève a ouvert une instruction à son encontre, en dit long sur ce que la voix de sa conscience lui reproche.

L’ancien roi d’Espagne est suivi de près par le Prince Andrew, duc d’York, rattrapé par ses mauvaises fréquentations et, dans les faits, contraint à un exil intérieur. A nouveau, le peuple, tel qu’il s’exprime en Grande-Bretagne par la voix de la presse populaire, lui pardonne volontiers ses escapades amoureuses mais pas l’abus de mineures, ni sa proximité avec des proxénètes. La Ligne Claire juge qu’il n’est pas exclu qu’il soit rattrapé par des poursuites judiciaires mais qu’en tout état de cause sa carrière en qualité de membre de la famille royale est désormais révolue. Le Prince Andrew partage avec Juan Carlos non seulement le goût des conquêtes féminines mais le manque de jugement quant à ce que la société tolère ou pas des familles royales.

Quel est le premier mot du Nouveau Testament ? Généalogie, répondait feu l’abbé Charles-Roux. Que Delphine Boël fût la fille naturelle d’Albert II relevait du secret de polichinelle en Belgique. Elle demandait la reconnaissance de ce besoin existentiel ancré au cœur de l’homme qui est le besoin de connaître son père. Au terme d’une procédure judiciaire, Mademoiselle Boël, désormais Delphine de Saxe-Cobourg et Princesse de Belgique témoigne de la longue tradition au sein des familles royales non seulement d’accueillir mais de reconnaître les enfants illégitimes. Descendant pourtant du Vert Galant, Albert II s’est vu contraint par un tribunal de reconnaître ce qu’il aurait pu concéder de son propre chef.

Ailleurs, l’année s’est révélée un mauvais cru pour les cadets des familles royales, en proie désormais au downsizing. En Espagne, elle se réduit désormais au roi, à la reine et à leurs deux filles ; en Angleterre le Prince de Galles ne fait pas mystère de son intention de réduire la voilure de la Firme le moment venu tandis que la Suède et la Belgique ont procédé à la mise en place d’une limitation de la transmission des titres royaux et des prédicats. Si les cadets ne sont pas envoyés au fond de la mine, ils sont priés dorénavant de se débrouiller.

En revanche, Harry et Meghan ont engrangé une bonne année à leur actif. Dans l’ensemble ils ont atteint les objectifs qu’ils s’étaient fixé lors du Megxit, dont le nom même indique clairement qui dans le ménage tient le sceptre. Meghan a exécuté à perfection sa stratégie, selon le jargon des affaires mais qui sonne juste ici : faire main basse sur un prince un peu niais, sacrifier pendant quelques mois aux exigences de la figuration royale et, forte enfin d’un titre de duchesse, couper les amarres et conclure des contrats à hauteur de centaines de millions de dollars avec Netflix et Spotify. Certes il existe un risque que la Reine excédée leur retire le titre de duc et duchesse au motif qu’ils ont vendu la Couronne, mais qu’importe car l’objectif « famous for being famous » est désormais atteint. De sa maison à Hollywood, flanquée de ses gardes du corps, la duchesse, qui ne déplace qu’en SUV en vue de joindre un jet privé, expliquera comment vivre sobrement en vue de sauver la planète à un public qui acceptera de payer pour l’écouter. Décidément, 2020 aura été un très bonne année.

Enfin, la couronne, nous rappelle le dictionnaire, désigne l’autorité royale. Dans sa traduction latine, les lecteurs de La Ligne Claire n’auront aucun mal à identifier le vainqueur de ce palmarès qui aura régné sur tous les esprits en 2020 et dont on attend qu’il soit détrôné en 2021.

 

 

 

The Crown, saison 4

The Crown, saison 3

Quoiqu’avec un peu de retard, il va de soi que La Ligne Claire a regardé The Crown. Plus encore que lors des deux saisons précédentes, elle a été éblouie par la qualité du tournage, la véracité que confèrent des décors somptueux, les réparties des dialogues et enfin le jeu des acteurs qui excellent, en particulier Tobias Menzies et Charles Dance dans les rôles respectifs du Duc d’Edimbourg et de Lord Mountbatten.

Cette nouvelle saison 3 adopte un ton plus intime que les précédentes ; l’accueil de la Princesse Alice, mère du Duc d’Edimbourg, contrainte de fuir les colonels en Grèce et de se réfugier au Palais de Buckingham, ou encore les évocations des premières amours des jeunes Prince Charles et Princesse Anne relèvent en définitive de la sphère familiale. On est loin des questions d’Etat, la succession à la couronne, le ministère de Winston Churchill ou la crise de Suez par exemple, objet d’un précédent épisode, et qui marque le déclin du Royaume-Uni par-delà les mers.

Œuvre de fiction basée sur des faits et des personnages réels, The Crown aborde ici des événements qui relèvent de la vie privée des protagonistes et demeurent inconnus tant du public que des réalisateurs. La qualité de la production, à laquelle se mêlent ici et là des extraits des actualités de l’époque, contribue à donner au spectateur l’impression que ce que montre The Crown s’est véritablement déroulé. Or il n’en est rien ; par exemple, la reine n’a pas rendu visite à Winston Churchill sur son lit de mort et la Princesse Margaret, sœur de la reine, n’a joué aucun rôle dans l’octroi d’un crédit de la part des Etats-Unis en faveur du Royaume-Uni.

Wikipedia définit les fake news comme des informations fallacieuses fausses, incomplètes, déformées ou mensongères qui visent à manipuler ou tromper un auditoire. Bien entendu The Crown ne prétend pas livrer de l’information et il n’est donc pas question de news ici. Néanmoins, le soin accordé à la production de la série est tel qu’il lui confère un caractère de vraisemblance qui n’est pas toujours avéré et dans lequel se glisse un fake artistique. Un avertissement, du style « fiction inspirée par des faits réels » aurait été le bienvenu si bien qu’à défaut il revient au spectateur de rechercher lui-même les informations sur internet qui permettent de distinguer les événements réels de la licence artistique. Confrontée à ce mélange des genres, La Ligne Claire doit avouer éprouver un sentiment de malaise dès lors qu’une entreprise américaine capitalisée à 144 milliards de dollars réussit à forger la perception que le monde entier se fait de la famille royale d’Angleterre.