Charles III et Saint-Nicolas

Lors de sa visite d’État en Allemagne le mois dernier, le Roi Charles III a déposé une gerbe en présence du président allemand Franz Steinmeier sur le site de l’église Saint-Nicolas à Hambourg, une ruine préservée en commémoration du terrible bombardement de juillet 1943 mené par la RAF.

De tous temps et jusqu’à nos jours les civils font les frais des combats que se livrent les militaires. En novembre 1940 à l’occasion du raid sur la ville de Coventry, la Luftwaffe inaugure les bombardements aériens de masse de sites industriels et civils par une flotte de plus de 500 appareils et qui font appel à des techniques nouvelles qui voient la combinaison de bombes incendiaires et explosives. Quelques 500 civils perdent la vie.

Au chapitre XVIII du livre de la Genèse, il est écrit que Dieu détruisit la ville de Gomorrhe en raison de la mauvaise conduite de ses habitants. Gomorrhe sera donc le nom de code donné au bombardement de Hambourg par Sir Arthur « Bomber » Harris, qui déclenchera une tornade de feu qui coutera cette fois-ci la vie à environ 35 mille habitants. Cette référence biblique marque le pivot d’une guerre menée non plus contre l’Allemagne mais contre les Allemands.

A l’époque en Allemagne on qualifie ces attaques de Terrorangriffe, attaques terroristes, et c’est effectivement comme cela qu’on les voit aujourd’hui en Ukraine. En 1946, lorsque se tient le procès de Nuremberg, les Allemands s’indignent en silence. Génocide et crimes contre l’humanité ne constituaient pas des crimes en 1939 ; comment dès lors peuvent-ils figurer parmi les chefs d’accusation ? Et puis on ne voit pas siéger sur le banc des accusés ni les responsables des Terrorangriffe ni les auteurs du massacre de Katyn par exemple. Justice de vainqueurs, estiment les Allemands. Ces objections ne sont pas sans fondement mais les temps n’étaient pas mûrs. Ils ne l’étaient toujours pas en 1992 lorsque la Reine d’Elizabeth II en visite d’État à Dresde ne dit mot au sujet d’un bombardement plus terrible encore que celui de Hambourg.

L’Écriture nous enjoint à pardonner septante fois sept fois, une mesure du temps long nécessaire à la conversion des cœurs et des esprits. A Hambourg, ni le Roi Charles III ni le Président Steinmeier n’ont eu à prononcer de longs discours car leur geste disait tout. Au fil des ans, la République fédérale a su reconnaître les terribles crimes de l’Allemagne nazie, condition d’une mémoire historique apaisée. Toutes proportions gardées, sans prononcer un mot, le Roi Charles III a fait de même au nom des Britanniques.

Si le geste du Roi s’inscrit dans une cérémonie civile, il se déroule néanmoins face à une église ; en 1962 déjà le Général de Gaulle avait accueilli le chancelier Adenauer à Reims, où ils avaient assisté à la messe. Le religieux emporte les hommes dans des régions que la politique ne peut atteindre.

Un dernier mot encore. La Ligne Claire s’autorise à penser que la cérémonie de Hambourg est le fruit d’une initiative de la Couronne plutôt que du Premier Ministre, dont l’histoire familiale est étrangère à la guerre en Europe. En tous cas, aux yeux des Allemands, le Roi Charles III a gagné ses lettres de noblesse.

 

 

Prince Harry – Spare

Le Suppléant

« Nobody can make you feel inferior without your own consent ». Cette belle phrase, due à Eleanor Roosevelt, exprime de façon admirable l’essence de la dignité humaine qui ne peut être dégradée par le regard des autres que si l’on y accorde son propre consentement. Annoncées il y a trois mois, les mémoires du Prince Harry, rédigées avec la contribution d’un nègre sous un titre provocateur, « Spare », sont publiées aujourd’hui. En anglais, le dicton « the heir and the spare », deux mots qui riment, indiquent que la succession de la monarchie est assurée par la naissance d’un héritier (heir) et d’un suppléant (spare) le cas échéant. La Ligne Claire reconnaît volontiers que la position du spare au sein de l’institution monarchique est délicate et pas toujours facile à endosser. Troisième dans l’ordre de succession au trône au moment de sa naissance, le Prince Harry est aujourd’hui cinquième. Alors que le titre du livre suggère que le prince se morfond de sa position d’éternel second, il est clair désormais que le Prince Harry a peu de chances d’accéder au trône d’Angleterre, pas plus d’ailleurs que La Ligne Claire, à qui cette fonction aurait pourtant parfaitement convenu.

Pourtant c’est précisément là que le duc et la duchesse de Sussex auraient pu trouver leur liberté, au service de la monarchie mais dépourvus de l’ambition d’un jour régner, un peu comme un cardinal trop âgé pour faire partie du collège des électeurs. Bien plus, le Prince Harry trouve au sein de sa propre famille, en la personne de son grand-père le duc d’Édimbourg, l’exemple éloquent d’une personne qui n’entrait pas dans la ligne de succession, qui a su se forger une place bien à lui, cependant tout entière vouée au service de la Couronne.

L’annonce l’an dernier de la signature par le Prince Harry d’un contrat d’édition à hauteur de dizaines millions de livres met un point définitif à la fiction selon laquelle le jeune couple souhaitait préserver sa vie privée. La Ligne Claire, qui s’est déjà exprimé à ce sujet, est de l’avis que le but du Megxit est de gagner beaucoup d’argent, en émulant la stratégie poursuivie par Kim Kardashian, famous for being famous.

Toujours de l’avis de La Ligne Claire, Harry et Meghan, et sans doute surtout Meghan, ont poursuivi cette stratégie avec succès de leur point de vue. Cependant cette stratégie comporte un coût. A la différence de la Reine Élisabeth, qui n’avait pas besoin de promotion tant elle remplissait parfaitement le rôle qui lui était investi, Harry et Meghan sont condamnés à sans cesse alimenter la publicité de leur propre personne. Cette publicité est à son tour nourrie par des consultants en relations publiques, qu’on appelle spin doctors en anglais. Pour cette raison, Harry et Meghan relèvent désormais davantage du monde people plutôt que de celui de la royauté stricto sensu.

Le coût de cette publicité perpétuelle est d’abord financier car une partie de ces millions sert à rémunérer les consultants et le prête-plume qui assiste le prince dans la rédaction de ses mémoires. Mais il est aussi stratégique car il soulève la question de l’image que le couple entend donner de lui-même et de sa propre intégrité. Alors que le couple utilise l’institution de la monarchie comme une caisse de résonance tout en l’attaquant, l’interview accordée à Oprah Winfrey en mars 2021 tout comme le documentaire diffusé sur Netflix l’an dernier avaient révélé un certain nombre d’inexactitudes.

Prisoners of Fame

Cet entretien avait révélé le véritable but du Megxit, non pas de se mettre à l’abri d’une presse trop curieuse, mais au contraire de maîtriser le contrôle de sa propre image. C’est pourquoi Harry et Meghan choisissent avec soin les présentateurs qui les interviewent et les nègres qui rédigent les mémoires d’un homme de 38 sans jamais prendre le risque de s’exposer à un jugement contradictoire. Désormais prisonniers de leur propre popularité, la vie de Harry et Meghan tourne actuellement autour de la recherche de la célébrité pour elle-même. Rentable pour le moment, leur stratégie risque un jour de se heurter d’une part au dégoût face à l’indécence du déballage du prince mais surtout à la distance qui sépare son existence dorée de son statut autoproclamé de victime.

The Crown season 5

The Crown, saison 5

La revue tous deux ans environ de la série The Crown, dont la cinquième saison est parue en novembre dernier, figure en bonne place parmi les devoirs d’état de La Ligne Claire, auxquels bien entendu elle se plie de bonne grâce.

La saison 5 nous emmène dans les années nonante du siècle dernier, une décennie agitée pour la famille royale britannique marquée notamment par le divorce du Prince et de la Princesse de Galles et la mort tragique de la princesse. Il revient bien entendu de classer The Crown parmi les œuvres de fiction, au sens où la série de plait à imaginer des scènes et des dialogues entre les protagonistes qui ne sont pas connus du public mais qui paraissent plausibles à l’écran. Cependant, la qualité de la réalisation a pu lui conférer dans l’esprit de certains l’aspect d’un documentaire ; aussi, dès le lancement de la série, ont surgi des controverses quant au mélange de la réalité et de la fiction opéré par Netflix, le producteur de la série. Avec la saison 5 qui se rapproche du temps présent, ces controverses ont resurgi de façon plus aigüe à telle enseigne que les anciens premiers ministres John Major et Tony Blair ont jugé nécessaire de publier des démentis au sujet de la manière dont leur personnage est dépeint dans la série. Le lecteur trouvera aisément sur YouTube des émissions lui proposant de démêler le vrai du faux dans The Crown ; certaines de ces fictions artistiques, le complot mené par le Prince de Galles pour amener sa mère à abdiquer par exemple, sont si évidentes et absurdes qu’on ne les méprendra pas pour la réalité ; d’autres comme la mention fictive par la Princesse Diana de son fils le Prince William lors de la fameuse interview accordée à Martin Bashir à la BBC, elle-même obtenue par tromperie, relèvent de la faute de goût.

Certes les aventures conjugales et extra-conjugales dominent l’activité de la famille royale en ces années-là mais elles semblent insuffisantes pour nourrir le récit tenu par Peter Morgan, le créateur de la série ; aussi fait-il recours à de nombreux flashbacks, Timothy Dalton dans le rôle de Peter Townsend, la flamme de la Princesse Margareth dans ls années 50 et un curieux épisode consacré à l’assassinat de la famille Romanov en 1918, cousins de Georges V alors le roi d’Angleterre, et dont La Ligne Claire estime qu’il est là pour meubler les espaces vides.

Aussi en dépit d’interprétations remarquables par Jonathan Pryce (Prince Philippe), Dominic West (Prince de Galles) et Elizabeth Debicki (Princesse Diana), qui ont su à merveille répliquer les attitudes de leur personnage, on reste sur sa faim. Au fil de ces épisodes somme toute assez décousus, le spectateur assiste à une interprétation de la reine par Imelda Staunton quelque peu en retrait et que viennent alimenter des dialogues souvent médiocres et pas toujours subtils. On se consolera en songeant que le personnage principal, la received pronunciation propre à la famille royale figure toujours en bonne place en dépit de son caractère désormais désuet.

 

Elisabeth II. sacre et sacrements

Le sacre du roi ou de la reine (souveraine) d’Angleterre puise ses origines dans la tradition biblique puisqu’on peut lire au chapitre XVI du 1er livre de Samuel que c’est au prophète qu’il revient d’imprimer l’onction au Roi David. Plus tard, Jésus, descendant de David selon la chair (Matthieu, chapitre Ier) sera reconnu de son vivant comme le Messie, un terme hébreu qui signifie l’Oint, Celui qui a reçu l’onction divine, et dont la traduction grecque est Christos. Plus tard encore, les Capétiens feront leur cette cérémonie du sacre qui du reste faisait du roi un diacre, et dont est issue à son tour le sacre des rois d’Angleterre.

Il existe donc un lien intime entre l’onction d’une part et les chrétiens, ceux qui se réclament du Christos. Aussi, si la cérémonie du sacre revêt un caractère exceptionnel, elle partage le rite de l’onction sainte avec quatre autres sacrements, le baptême, la confirmation, le sacrement des malades (autrefois appelé extrême onction) et l’ordination. On voit donc ici la proximité qui existe entre le sacre et les sacrements, en tout premier celui du baptême puisque seul un baptisé, un christos, peut recevoir l’onction royale. Les lecteurs de La Ligne Claire se souviendront du reste que saint Rémi avait d’abord baptisé Clovis avant de le couronner.

Mais, on vient de le voir, il existe aussi un lien entre sacre et ordination. Ce lien nous enseigne en premier lieu que l’onction n’est pas imposée en raison des compétences ou des mérites du candidat mais en raison de sa fidélité à exercer sa vocation, quelle qu’elle soit. Ensuite ni le sacre ni le sacrement de l’ordre ne constituent un cahier des charges, une « job description », moins encore une puissance mondaine mais au contraire l’acceptation d’une dépendance filiale envers Dieu. Nous savons tous qu’Elisabeth II avait été sacrée parce qu’elle était la fille aînée de son père, le roi défunt, et pas pour un autre motif. Il en va de même pour les ministres du sacrement de l’ordre, non qu’ils soient irréprochables ou qu’ils se situent au-delà de toute forme de critique, mais parce qu’ils témoignent d’une réalité spirituelle qui les dépasse et qui n’est pas le fruit de préférences individuelles.

C’est pourquoi l’onction, royale ou pas, est d’abord un don de l’Esprit-Saint, qui assouplit ce qui est raide, qui redresse ce qui est faussé, afin que le bénéficiaire puisse en rendre témoignage. Voilà la manière dont la Reine Elisabeth a conçu sa vocation au sacerdoce royal, pour lequel elle avait été bénie et ointe à la manière du Roi David. On notera au passage qu’en dépit de la similitude avec le sacrement de l’ordre et bien qu’elle ait siégé à la tête de l’Église anglicane, jamais la Reine n’a introduit de confusion entre son propre rôle et celui des ministres ordonnés. Le Chemin Synodal allemand pourrait utilement s’en inspirer.

Enfin, on pourra établir un parallèle avec le pontificat de Jean-Paul II puisque ni la reine ni le pape n’ont abdiqué en raison d’une conception commune de leur ministère, qui rejette ce que le monde juge être le succès, la performance, l’efficacité, en un mot la vanité, mais qu’ils savent l’un et l’autre n’être que de la paille dans le vent aux yeux de Dieu.

Et puis, quand tout est dit, quand le soir tombe, quand l’heure sonne, vient alors l’Esprit-Saint consolateur, en particulier dans le sacrement des malades, lui qui guérit les blessures, même celles du grand âge et confie à ceux qui l’implorent le salut final dans la joie éternelle.

Les Services secrets et Sa Majesté

Au chapitre XIII du livre des nombres, il est écrit que Moïse envoie douze espions explorer le pays de Canaan et faire rapport de ce qu’ils y trouvent, ce qui amène La Ligne Claire à classer l’espionnage au rang de deuxième plus vieux métier du monde.

Richard Aldrich et Rory Cormac, deux professeurs aux universités de Warwick et de Nottingham, se sont attachés à décrire dans ce gros livre les liens complexes qui unissent la famille royale d’Angleterre au monde de l’espionnage au fil des siècles. Tantôt acteurs, tantôt objet et même victimes d’entreprises d’espionnages, les souverains britanniques et leur famille se situent au centre d’un réseau dont les mailles sont formées par MI5 et MI6, des diplomates et des policiers, des services secrets étrangers parfois amis et parfois pas, auxquels s’ajoute une longue liste de personnages louches.

Les deux auteurs font démarrer leur histoire avec le règne d’Élisabeth Ière. Confrontée à la menace existentielle que constitue l’Espagne catholique, la souveraine est amenée à développer un arsenal de mesures qui ont toujours cours de nos jours. Ses diplomates sont désormais chargés d’espionner pour le compte de la Couronne, à qui ils envoient des rapports codés, non sans avoir noué des appuis secrets avec des puissance étrangères, le Prince d’Orange par exemple. Là où le recours officiel à la force n’est pas possible, elle emploie des pirates (Sir Francis Drake) de la même façon que la Russie a recours aux mercenaires Wagner de nos jours. Si la menace se fait trop aigüe, elle imagine de toutes pièces des « complots papistes », les fake news d’alors, qu’elle dénonce dans des pamphlets pour se débarrasser de ses ennemis qu’elle fera torturer à la Tour de Londres, empoisonner, assassiner ou exécuter (Marie Stuart). Les Américains avec Guantanamo et leurs attaques par drone et les Russes avec le Novitchok à leur façon déploient les mêmes stratégies.

Cependant le gros de l’ouvrage est consacré à la période qui s’étend de la reine Victoria à Élisabeth II. Reine constitutionnelle, Victoria accède au trône en 1837 alors qu’elle n’a que dix-huit ans, et, sans expérience, se trouve démunie face à ses ministres. Plus tard, mariée à Albert de Saxe-Cobourg, devenue la grand-mère des souverains de toute l’Europe, elle compensera son relatif manque de pouvoir formel par l’exploitation assidue de son vaste réseau familial, qui lui remonte sans cesse des informations, parfois même avant que son gouvernement n’en dispose.

Les auteurs connaissent bien leur affaire et passent ces deux siècles en revue en grand détail, parfois trop puisque le lecteur se voit condamné à relire des épisodes déjà bien connus, l’assassinat de Raspoutine, l’abdication d’Édouard VIII et, plus près de nous, le décès accidentel et tragique de la Princesse de Galles. On s’égare parfois au milieu de ces anecdotes qui ne paraissent pas toutes essentielles à l’argumentation.

Soigneusement documenté, de lecture agréable, de l’avis de La Ligne Claire, ce gros livre aurait gagné à être plus court et à aborder une approche plus thématique plutôt que de reposer sur la simple succession des souverains. Cela dit, les passionnés de la Couronne britannique y trouveront leur compte et, pour le règne d’Élisabeth II, feront sans peine le lien avec la série The Crown.

 

Richard Aldrich and Rory Cormac: The Secret Royals: Spying and the Crown, from Victoria to Diana, 736 pages, Atlantic Books 2021.

Couronne royale

Harry et Meghan: Histoires de famille

Si la diffusion de l’interview de Harry et Meghan par Oprah Winfrey constitue le dernier épisode retentissant de ce feuilleton, l’avant dernier remonte au 19 février à peine, le jour où la Reine a dépouillé le jeune couple de leurs titres honorifiques. Le lendemain, loin des plateaux de télévision, le Pape François approuvait un décret qui reconnaît les vertus héroïques de George Spencer, en religion Frère Ignace de Saint Paul, à qui le Pape a désormais conféré le titre de Vénérable.

Fils cadet du 2e Comte Spencer, George Spencer (1799-1864) fut d’abord ordonné prêtre au sein de l’Eglise anglicane avant de se convertir à la foi catholique en 1830 et d’être ordonné à nouveau prêtre catholique cette fois deux ans plus tard. On imagine mal le scandale et l’opprobre que cette conversion pouvait susciter à l’époque, en particulier au sein d’une famille de la haute aristocratie anglaise, pour qui, selon les mots de Lord Grantham dans Downton Abbey, l’Eglise catholique représentait quelque chose «d’étranger ».

George (Ignace) Spencer était l’oncle de Harry à la sixième génération, comme lui un fils cadet qui n’avait guère de perspectives d’hériter du titre familial. Troisième dans l’ordre de succession de leur titre respectif à leur naissance, ils n’ont, comme la plupart des cadets, d’autre expectative que de voir ce rang reculer plus loin encore. Tant le Prince Harry que Father Spencer ont, d’une certaine manière, résolu d’échapper au sort qui les a vu naître au sein de la famille royale pour l’un, d’une famille de l’aristocratie pour l’autre.

Pourtant, s’ils ont chacun à leur manière rompu avec leur famille, à deux siècles de distance, ils ont effectué des choix de vie radicalement différents : Harry a conclu des contrats à hauteur de centaines de millions et s’est installé à Hollywood, tandis qu’Ignace s’est dépouillé de tout pour se consacrer aux habitants des taudis de Birmingham, alors le moteur de la révolution industrielle en Angleterre. Là où Harry et Meghan se drapent des vertus de la compassion, une feuille de vigne réputée philanthropique qui cache mal leur désir de s’enrichir, Father Spencer se sent l’obligé de la condition sociale privilégiée dans laquelle il a été élevé. L’un est en quête de vérité, les autres font appel aux agences de relations publiques de Hollywood. Là où les uns se donnent en spectacle, l’autre mène une vie humble et fait de sa haute naissance un service qui le conduit au seuil de la sainteté.

 

La Ligne Claire a puisé son inspiration dans l’article publié récemment par Father Raymond de Souza sur le site First Things (https://www.firstthings.com/web-exclusives/2021/03/aristocratic-freedom-and-duty).

Couronne royale

Redux (de Sussex)

La Ligne Claire tient à exprimer sa reconnaissance envers le Duc et la Duchesse de Sussex, inépuisable source d’inspiration pour son blog. Deux nouvelles sont venues alimenter la chronique ducale ces jours derniers. Tout d’abord, la Reine a retiré au jeune couple les derniers patronages dont ils étaient titulaires, capitaine général des Marines, patronage du National Theater ; désormais le duc et la duchesse ont brûlé leurs derniers vaisseaux et ils ne font plus désormais partie de la famille royale. Avec le bénéfice du recul, on comprend maintenant que la période d’essai de douze mois avait pour but de fournir au jeune couple le temps d’asseoir leur indépendance financière ; les contrats conclus avec Netflix et Spotify à hauteur de plusieurs centaines de millions en apportent la preuve éclatante.

La deuxième nouvelle tient au procès remporté par Meghan envers The Mail on Sunday pour atteinte à la vie privée, alors que le journal avait publié une lettre que la Duchesse avait écrite à son père. Or, on se souviendra que le motif invoqué pour le « Megxit » était justement l’intrusion supposée des médias britanniques dans leur vie. Avec ce procès, Meghan reprend la main. Loin de vouloir mener une vie discrète, Meghan souhaite contrôler et surtout mettre en scène sa propre vie selon ses propres termes. La Ligne Claire l’a déjà dit, son business model s’inspire de celui de Kim Kardashian, « famous for being famous ».

Parmi les invités à leur mariage en 2018, on pouvait discerner Oprah Winfrey, alors qu’il ne semble pas qu’ils se connaissaient alors. Mais chacune flaire l’affaire. L’interview qui sera diffusée début mars leur convient à toutes les deux et fournit la tribune à la Duchesse pour faire son début dans le monde de l’indépendance. Le business est maintenant sur les rails.

The Crown, saison 4

La couronne découverte

En début d’année, à l’occasion de la diffusion de la série 3 de The Crown, La Ligne Claire exprimait sa préoccupation face à la capacité d’une entreprise capitalisée à 144 milliards de dollars à forger l’opinion que le monde entier se fait de la famille royale britannique. En cette fin d’année, La Ligne Claire doit avouer devoir réviser son jugement puisque Netflix est désormais capitalisée à 244 milliards de dollars.

Entretemps, les abonnés de Netflix qui auront regardé The Two Popes se seront familiarisés avec les mécanismes que déploie la chaine en ligne : une histoire inspirée par des événements réels où se mêlent faits avérés et scènes de fiction, que l’insertion d’actualités d’époque vient brouiller davantage encore, sans que le spectateur ne sache s’il a affaire ou non à un documentaire.

La saison 4, qui se déroule dans les années 80 du siècle dernier, introduit deux personnages qui exerceront une influence profonde sur le Royaume-Uni : Margaret Thatcher, qui réformera le pays de fond en comble, et Lady Di, bientôt Princesse Diana, qui conquerra si bien le cœur de la nation que cette conquête fera d’elle une icône planétaire. Pour souligner encore ce mélange des genres, la série campe les personnages en une caricature de la réalité : Madame Thatcher est aussi coincée qu’intransigeante, les Royals un groupe d’incultes qui enfilent des gins and tonics tandis que la pauvre Diana est une fleur bleue victime des machinations de la Firme; pour couronner le tout et s’assurer que le spectateur ne confonde pas les bons et les méchants, le prince Andrew, âgé de 22 ans à l’occasion de la guerre des Malouines, est dépeint sous le jour qu’on lui connaît aujourd’hui, 40 ans plus tard.

Cela dit, avec la saison 4, Peter Morgan signe une réalisation de qualité, relevée par des décors somptueux, la beauté du tournage mais avant tout porté par l’interprétation des personnages féminins : Olivia Colman dans le rôle de la reine, Gillian Anderson dans celui de Margaret Thatcher, Emma Corrin en qualité de la Princesse Diana sans oublier Erin Doherty qui interprète de manière décidée le personnage de la Princesse Anne. En outre Morgan aborde des thèmes nouveaux, les préoccupations de la Reine et de Margaret Thatcher pour leurs enfants respectifs, les personnes qui souffrent d’un handicap mental et la détresse sociale que provoque la révolution thatchérienne, et que révèle Michael Fagan, l’intrus qui s’introduit dans la chambre de la Reine.

Certes, les Royals demeurent des personnalités publiques, et à ce titre un sujet qu’il est légitime d’aborder dans le cadre d’une œuvre artistique. Il demeure néanmoins regrettable qu’il faille faire appel à des experts de la famille royale, Hugo Vickers par exemple, pour discerner le vrai du faux dans cette affaire, d’autant qu’il s’agit d’histoire récente et que la plupart des protagonistes sont toujours en vie. Tous ceux qui ne se donneront pas cette peine demeureront convaincus que les visiteurs à Balmoral, résidence écossaise de la Reine, sont soumis à une test, auquel Margaret Thatcher a échoué mais que Lady Di a réussi avec distinction. C’est plus que regrettable, c’est dangereux.

Couronne royale

Familles royales – mode d’emploi, épisode 3: Harry et Meghan

La publication ces jours-ci de Finding Freedom, une biographie consacrée à Harry et Meghan a tiré La Ligne Claire de son confinement estival et l’a amenée à examiner la stratégie du jeune couple qui s’inspire, à son avis, de celle développée avec succès par David et Victoria Beckam.

Mais auparavant un peu d’histoire économique s’impose. Qui se souvient encore des Spice Girls, un groupe pop de cinq filles, préfabriqué comme un produit de consommation, destiné à occuper le segment de marché des adolescentes ? Alimenté par un marketing sans précédent (jeux, verres, vidéos etc à l’effigie des chanteuses), il connaîtra dans les années nonante du siècle dernier une réussite commerciale éclatante mais éphémère, sauf pour l’une des cinq filles, Victoria Adams qui en 1999 épousera David Beckham, un footballeur de talent. Victoria Beckam, surnommée Posh [1] du temps des Spice Girls, développera avec succès une approche alors inédite des affaires, que la presse anglaise décrira comme « famous for being famous », sans que la question d’un véritable talent ne soit jamais véritablement abordée.

C’est, de l’avis de La Ligne Claire, la stratégie qu’entendaient poursuivre Harry et Meghan. Difficile à mettre en œuvre en raison d’une exigence de rapidité, il s’agit d’atteindre un point (appelé point d’inflexion par les économistes), au-delà duquel la notoriété s’auto-alimente : puisque vous êtes célèbre, tout le monde parle de vous, ce qui vous rend plus célèbre encore. En cas d’échec, la rude sanction de l’anonymat s’abat comme la lame de la guillotine.

Deux éléments sont venus perturber la mise en œuvre (ou l’exécution, pour ceux qui sont friands du jargon des affaires) de la stratégie élaborée par les Sussex. Tout d’abord Harry et Meghan ont mal jugé de la fermeté de la Reine, qui d’un coup de sceptre a réduit à rien le branding Royal Sussex qu’il s’étaient attribué. Ensuite le confinement a, ma foi, confiné tout le monde, y compris les journalistes qui écrivent au sujet des Beckam et des Sussex.

Que faire, alors pour se faire voir ? Pourquoi pas un livre ? Certes un livre, mais Finding Freedom est tout autant un règlement de comptes qu’un outil marketing de repositionnement. C’est pourquoi le jeune couple a pris soin d’en confier la rédaction à deux journalistes et de faire semblant de n’y être pour rien alors que les auteurs avouent par écrit s’être entretenus avec leurs sujets. Dès lors que les piques envers la famille royale se font trop vives, Harry et Meghan font mine de se retrancher derrière le point de vue des auteurs. Personne n’est dupe car en réalité on a affaire à ce que les Anglais appellent une « authorised biography », dont le but ici est de paraître à nouveau.

Le titre Finding Freedom fait référence à l’ambition du duc et de la duchesse non seulement de couper les ponts avec la famille royale mais de s’assurer une indépendance financière. On n’en est pas encore là puisqu’ils n’ont pu procéder à l’achat d’une villa de luxe à Los Angeles pour 11 millions de £ qu’avec le généreux concours du Prince de Galles. Quant à leur vie privée et celle du bébé Archie, dont Meghan dit faire grand cas, elle s’est empressée de la déballer au grand jour avec les caisses de son récent déménagement à l’occasion d’une interview en ligne.

Les Sussex ont choisi de s’établir dans une banlieue branchée de Los Angeles plutôt que, mettons, à Marcinelle, où leur tranquillité – La Ligne Claire en est convaincue – aurait pourtant été à coup sûr assurée. Il n’est pas impossible que Meghan, qui, à une carrière réussie d’actrice a conjugué l’exploit de devenir duchesse, décroche un contrat de plusieurs millions voire plusieurs dizaines de millions de $ à Hollywood, qui viendrait rétablir leur stratégie sur la ligne que le duc et la duchesse s’étaient fixés il y a six mois. D’ici là, il ne reste guère d’autre issue que de faire de la figuration en espérant qu’un producteur les remarque ou que La Ligne Claire vienne à leur rescousse.

 

 

[1] Expression anglaise qui signifie à peu près BCBG en français. Abréviation dit-on de “Port over, starboard home”, qui indiquait le côté du bateau où il convenait de réserver sa cabine lors du voyage des Indes : bâbord (port) à l’aller, tribord (starboard) au retour en vue de profiter au mieux de la vue des côtes. Il va de soi que la Ligne Claire ne considère pas du tout que Posh soit posh.

Juan Carlos: la chute et l’exil

Les lecteurs de La Ligne Claire auront pu lire dans la presse les déboires liés au don de 100 millions de dollars qu’aurait reçu le roi émérite de la part du roi d’Arabie et qui auraient été crédités sur un compte ouvert au nom d’une fondation panaméenne auprès d’un établissement bancaire de renom à Genève. Des enquêtes pénales sont en cours en Suisse et en Espagne.

Ce qui semble particulier à La Ligne Claire c’est que cette affaire ne concerne pas seulement le citoyen Juan Carlos de Borbón y Borbón mais l’institution monarchique elle-même. Que pendant le même temps en France, l’ancien président Nicolas Sarkozy soit mis en examen, ne jette pas le discrédit sur l’institution de la présidence de la République en tant que telle et n’amène personne à réclamer la restauration de la royauté.

En Espagne, il en va autrement. D’une part, et en dépit des mérites du même Juan Carlos, en particulier lors de la tentative avortée de coup d’état de la part du colonel Tejero en 1981, la monarchie espagnole repose sur des bases toujours fragiles. Exemple unique de restauration monarchique à l’époque contemporaine, elle succède aussi à deux proclamations de la république en 1873 et en 1931.

Mais il va aussi et sans doute surtout de la nature même de l’institution qui fait du monarque le fils ou la fille de son prédécesseur. Alors que son beau-frère gît en prison, le roi Philippe VI, à la nouvelle qu’il était un bénéficiaire à son insu de cette fondation, a renoncé par avance à son héritage et a coupé la liste civile du roi émérite, 194 mille euros par an. Jusqu’à hier, il était possible qu’il dût achever de tuer symboliquement le père à qui seul il doit sa fonction et l’expulser du palais de la Zarzuela. Face au risque de ce meurtre rituel, le roi Juan Carlos a choisi de prendre les devants en annonçant lundi 3 août qu’il quitterait l’Espagne

Certes, tant qu’il était roi jusqu’en 2014 Juan Carlos était couvert par l’immunité de sa fonction ; de plus, il est possible que certains des faits incriminés se révèlent prescrits. Mais l’immunité a vocation à protéger la fonction royale, pas à lui octroyer une impunité à commettre des délits. Juan Carlos était né en exil à Rome ; il emprunte aujourd’hui le même chemin que son père et son grand-père, le prix à payer pour sauver l’institution monarchique qu’il a incarnée.

Quel que soit l’arrangement constitutionnel, l’institution monarchique naît d’un contrat entre une famille et le peuple. Sire, Madame, sachez-le car cette règle ne souffre aucune exception, en cas de conflit c’est toujours le peuple qui gagne. L’exercice de la fonction royale exige désormais l’exemplarité avant, pendant et, depuis que les rois abdiquent, après la prise de cette fonction.