Stauffenberg

Stauffenberg

Petite-fille du comte Claus von Stauffenberg, l’auteur de l’attentat contre Hitler du 20 juillet 1944, Sophie Bechtolsheim esquisse un certain nombre de portraits de son grand-père sous plusieurs angles dans un petit livre paru en 2019. Son titre, Mein Vater war kein Attentäter, Mon Père n’était pas l’auteur d’un attentat, interroge puisque le monde entier le connaît justement à ce titre ; ce que Bechtolsheim veut souligner c’est que Stauffenberg et les autres conjurés ne voyaient dans l’attentat que le prélude nécessaire au rétablissement en Allemagne de l’état de droit.

Dans ce livre donc, qui a connu un grand succès, apparaissent de nombreux portraits de Stauffenberg, celui des historiens, celui de la classe politique, celui de la télévision et du cinéma avec le film Walkyrie, et enfin celui de l’homme de famille, fruit des entretiens que l’auteur a menés avec sa grand-mère, décédée en 2006.

Cependant la figure qui domine en Allemagne est celle du héros, dont témoignent les rues, les écoles et les casernes à son nom et les timbres à son effigie. Homme encore jeune en 1944, élégant officier, victime de graves blessures de guerre, Stauffenberg incarne la figure du héros tragique précisément en raison du caractère bâclé de l’attentat et de son exécution sommaire la nuit même. Or cette figure presque mythologique en vient à occulter non seulement les autres facettes de l’homme, mais les autres conjurés et les cinq victimes de l’attentat.

Le succès de ce livre a amené l’auteur à en écrire un deuxième, Stauffenberg, Suites, où elle s’entretient avec douze personnes, douze personnages en quête d’auteur pourrait-on dire, dont l’histoire personnelle est mêlée de près ou de loin à celle du nazisme, voire de l’attentat du 20 juillet.

Parmi les victimes de l’attentat figure Heinrich Berger, le sténographe de Hitler, père en 1944 de trois enfants âgés de 9 à 2 ans, un civil qui jamais n’avait été membre du parti national-socialiste. Aussi, ce deuxième livre s’ouvre-t-il sur un entretien avec Dorothée Johst, la fille de Heinrich Berger, et qui n’était âgée que de deux ans en 1944. Entre ces deux femmes se dresse cette sombre question : le grand-père de l’une est-il l’assassin du père de l’autre ?

Ces douze personnages, dont l’un souhaite demeurer anonyme, témoignent de la catholicité des expériences que les Allemands ont du nazisme : le SS, le soldat, le Hitlerjugend, le prisonnier, le fugitif, la veuve de guerre, le Juif, et celle qui ploie sous le fardeau de l’ignorance totale de l’histoire de sa famille, disparue sans rien lui laisser hormis un gros héritage qui ne tarit pas sa soif. Tous sont mus par Das Streben nach innerlichen Freiheit, l’aspiration à la liberté intérieure, mieux l’effort à consentir en vue de la gagner.

Tout homme porte le poids de sa propre histoire familiale, à telle enseigne que ceux qui en sont privés se mettent en quête de ce fardeau. C’est le sens de ces douze témoignages.

 

 

Sophie von Bechtolsheim, Mein Vater war kein Attentäter, Herder, 2019, 144 pages

Sophie von Bechtolsheim, Stauffenberg, Folgen, Herder, 2021, 224 pages

 

 

Dominique de la Barre

Dominique de la Barre est un Belge de l'étranger naturalisé suisse, amateur d'histoire et du patrimoine culturel européen, attaché aux questions liées à la transmission.

3 réponses à “Stauffenberg

  1. “Tout homme porte le poids de sa propre histoire familiale, à telle enseigne que ceux qui en sont privés se mettent en quête de ce fardeau.”

    C’est blessant de lire cela.
    C’est une phrase centrée sur la noblesse blanche européenne. 99% de la population ne s’y reconnaît pas et en sont exclus.

    1. Je ne partage absolument pas votre point de vue. Tout homme cherche à savoir qui est son père; en ce sens la noblesse ne forme qu’un groupe particulier parmi d’autres. Cette quête se manifeste de façon évidente dans certains patronymes, les noms scandinaves qui finissent en – son comme Johansson ou encore les noms juifs et arabes qui commencent par ben ou bin, et qui signifient “fils de”. De manière plus large, la transmission du nom en ligne masculine dans notre société est l’acte par lequel la mère reconnaît que l’enfant est bien issu de son mari.Je vous renvoie à l’évangile selon saint Matthieu, qui ouvre tout le Nouveau Testament, et qui commence justement par la “généalogie de Jésus-Chris, fils de David”.

      1. Vous avez 100% raison sur ce point anthropologique. Qu’on le veuille ou non, chacun s’inscrit dans une lignée, pas seulement dans la noblesse, et malgré tout dans notre civilisation la lignée du père prime. C’est pourquoi on parle de patronyme et non de matronyme. Seulement vous devrez bien reconnaître aussi que ce fait anthropologique gêne certains pour des raisons idéologiques. C’est pourquoi on tente à tout prix d’effacer cette réalité. Mariage homo, théorie du genre, adoption par des couples du même sexe, parent 1 et parent 2, on veut détruire les fondements anthropologiques sur lesquels repose notre culture. C’est pénible à supporter.

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