SAS Rogue Heroes

Série télévisée parue en 2022, tirée du livre du même nom de Ben MacIntyre, SAS Rogue Heroes retrace de façon chamarrée la création du Special Air Service puis ses coups de mains intrépides menés lors de la Guerre du Désert de 1941 à 1943. Lorsque Tobrouk tombe aux forces de l’Axe en novembre 1941, ces dernières se trouvent à moins de 100km d’Alexandrie ; déjà en mai l’île de Crète avait été perdue ; désormais le canal de Suez, artère vitale pour les armées britanniques, est directement menacé. La création du SAS, une unité qui regroupera les têtes brûlées de l’armée britannique, de l’aristocrate excentrique à l’irlandais bagarreur, vise à apporter une réponse inédite à ce défi. Fraîchement constitué, le SAS mènera avec succès des raids audacieux sur les aérodromes et les points de ravitaillement italiens et allemands.

Écrivain britannique de renom, Ben Macintyre a su se forger au fil des ans une solide réputation en qualité d’auteur spécialiste des récits d’espionnage qui se fondent sur une histoire véritable. Son livre, SAS Rogue Heroes relève de ce genre-là si bien qu’il fera dire à Steven Knight, le réalisateur de la série, que l’histoire qu’il raconte est « presque vraie », selon ce qui figure au générique d’ouverture.

Sur fond de musique rock contemporaine, Knight offre à ses spectateurs des scènes de combats hardis, truffées de jurons, de bagarres, de beuveries et de l’une ou l’autre scène de séduction. Tourné au Maroc, Knight sait à la fois tirer parti des charmes de l’Orient et des paysages enivrants du désert.

On retrouve ici le cinéma anglais dans sa zone de confort, le period drama, où des personnages élégants et romantiques, revêtus de beaux uniformes d’époque s’expriment dans un anglais désormais désuet.

Sans se prendre au sérieux, la série rend hommage à l’insolence et au courage des soldats du SAS mais aussi à la largeur d’esprit du commandement britannique qui a lâché la bride à une bande de corsaires intrépides. Interprétée avec talent par Connor Swindells, Jack O’Connell et Alfie Allen dans le rôle des trois fondateurs du SAS, par Dominic West (qu’on retrouve dans la série 5 de The Crown) dans le rôle de Dudley Clarke, un personnage louche qui tisse sa toile dans les bordels du Caire, et par Sofia Boutella qui campe une séduisante espionne française. SAS Rogue Heroes fournira à un public (sans doute principalement masculin) l’occasion d’un bon moment autour d’un verre de bière ou de whisky, loin des réalités de la guerre que l’Ukraine vient sans cesse rappeler à nos mémoires.

 

 

Eulalie de Bourbon, une altesse en route

Fille de la reine d’Espagne Isabelle II, Eulalie de Bourbon naît en 1864, au milieu de ce XIXe siècle espagnol agité par une forte instabilité politique. Aux guerres carlistes succéderont les pronunciamentos de l’armée, les querelles de souverains, l’exil, l’abdication, la perte des colonies d’Amérique, une première puis une deuxième république en enfin le franquisme jusqu’à la conclusion de la guerre civile en 1939, qui mettra un terme à cette agitation. Dès 1868, une révolution renverse sa mère et contraint la famille royale à l’exil à Paris, dont Eulalie ne reviendra qu’en 1876 ; aussi a-t-elle reçu une éducation française.

En 1886, elle épouse par devoir d’État son cousin germain Antoine d’Orléans, homme volage et dépensier petit-fils du roi des Français Louis-Philippe, en vue de sceller un rapprochement entre les Orléans et les Bourbon d’Espagne. Ce mariage qu’on présentait malheureux le sera effectivement et conduira rapidement à une séparation qui permettra à Eulalie de remettre la main sur sa propre fortune.

On reste stupéfait face au nombre de mariages consanguins parmi les familles royales à cette époque. Déjà Isabelle II avait épousé son cousin François d’Assise de Bourbon ; heureusement, si l’on peut dire, François d’Assise était impuissant, si bien que les enfants d’Isabelle II, y compris Eulalie, seront le fruit des amours de la reine et de ses nombreux amants.

Toujours est-il qu’à l’issue de cette séparation, l’Infante prendra son envol et se mettra à parcourir toute l’Europe des têtes couronnées, de Lisbonne à Saint-Pétersbourg, et même les Etats-Unis et Cuba, où l’Infante conduit une mission en 1892 dans le vain espoir de conserver l’île à l’Espagne.

Si elle affiche des opinions avancées par rapport à celles conservatrices de la Cour d’Espagne, elle n’en garde pas moins une haute opinion de son illustre naissance. Dotée de sa propre fortune, elle passera sa vie à voyager d’une Cour à l’autre où elle mènera grand train, surtout avant la Première Guerre Mondiale. C’est la Belle Époque, celle de la tournée des Grands-Ducs où les Altesses et la haute aristocratie rivalisent de faste. Si ce mode de vie ostentatoire peut heurter aujourd’hui, il répond alors à une conception des familles royales qui jugent que leur rôle est justement de paraître et qui au fond n’est pas si différent, mettons, de celui des actrices d’Hollywood qui de nos jours arborent robes de gala et bijoux lors de la cérémonie des Oscars.

Femme aux opinions libérales, femme de lettres aussi, elle publie en 1912 son premier ouvrage, Au Fil de la Vie, sous le pseudonyme de Comtesse d’Avila, où elle s’exprime au sujet des questions politiques et sociales de son temps, y compris la condition de la femme. Le livre est rapidement banni en Espagne et l’Infante condamnée à l’exil.

Publiés en français en 1935, Souvenirs d’Espagne et d’Europe se révèlent des mémoires de lecture agréable et s’achèvent sur la proclamation de la Deuxième République et l’exil d’Alphonse XIII en 1931 tandis que le décès l’année précédente de son mari Antoine d’Orléans ne fait pas même l’objet d’une mention. De l’avis de La Ligne Claire, Ces circonstances familiales et politiques ont fourni à l’Infante un moment opportun, où elle peut s’octroyer le beau rôle sans s’exposer à la contradiction, sans causer de brouille familiale et sans prendre le risque à nouveau de se mettre mal en Cour puisque cette dernière avait disparu ; elle permet aussi de faire valoir ses opinions politiques de façon plus avisée après coup. Cela dit, ce que retiendra le lecteur du XIXe siècle, c’est avant tout le portrait des vestiges d’un monde englouti. Les Souvenirs s’achèvent donc en 1931 mais l’Infante retournera en Espagne où elle mourra à Irun sur la côte basque en 1958.

Enfin il y a lieu de saluer le remarquable travail fourni par Jacques Brunel, editor au sens anglais du terme, auteur de centaines de notes en pied de page très détaillées, des généalogies des familles Orléans, Bourbon d’Espagne, et en leur sein celles de la succession carliste et de la succession légitimiste, et enfin un index des personnages, autant d’éléments qui permettent au lecteur de s’y retrouver dans le monde complexe des familles régnantes de cette époque.

 

Infante Eulalie de Bourbon, Souvenirs d’Espagne et d’Europe, édition établie par Jacques Brunel, Éditions Lacurne 2023, 336 pages.

Charles III et Saint-Nicolas

Lors de sa visite d’État en Allemagne le mois dernier, le Roi Charles III a déposé une gerbe en présence du président allemand Franz Steinmeier sur le site de l’église Saint-Nicolas à Hambourg, une ruine préservée en commémoration du terrible bombardement de juillet 1943 mené par la RAF.

De tous temps et jusqu’à nos jours les civils font les frais des combats que se livrent les militaires. En novembre 1940 à l’occasion du raid sur la ville de Coventry, la Luftwaffe inaugure les bombardements aériens de masse de sites industriels et civils par une flotte de plus de 500 appareils et qui font appel à des techniques nouvelles qui voient la combinaison de bombes incendiaires et explosives. Quelques 500 civils perdent la vie.

Au chapitre XVIII du livre de la Genèse, il est écrit que Dieu détruisit la ville de Gomorrhe en raison de la mauvaise conduite de ses habitants. Gomorrhe sera donc le nom de code donné au bombardement de Hambourg par Sir Arthur « Bomber » Harris, qui déclenchera une tornade de feu qui coutera cette fois-ci la vie à environ 35 mille habitants. Cette référence biblique marque le pivot d’une guerre menée non plus contre l’Allemagne mais contre les Allemands.

A l’époque en Allemagne on qualifie ces attaques de Terrorangriffe, attaques terroristes, et c’est effectivement comme cela qu’on les voit aujourd’hui en Ukraine. En 1946, lorsque se tient le procès de Nuremberg, les Allemands s’indignent en silence. Génocide et crimes contre l’humanité ne constituaient pas des crimes en 1939 ; comment dès lors peuvent-ils figurer parmi les chefs d’accusation ? Et puis on ne voit pas siéger sur le banc des accusés ni les responsables des Terrorangriffe ni les auteurs du massacre de Katyn par exemple. Justice de vainqueurs, estiment les Allemands. Ces objections ne sont pas sans fondement mais les temps n’étaient pas mûrs. Ils ne l’étaient toujours pas en 1992 lorsque la Reine d’Elizabeth II en visite d’État à Dresde ne dit mot au sujet d’un bombardement plus terrible encore que celui de Hambourg.

L’Écriture nous enjoint à pardonner septante fois sept fois, une mesure du temps long nécessaire à la conversion des cœurs et des esprits. A Hambourg, ni le Roi Charles III ni le Président Steinmeier n’ont eu à prononcer de longs discours car leur geste disait tout. Au fil des ans, la République fédérale a su reconnaître les terribles crimes de l’Allemagne nazie, condition d’une mémoire historique apaisée. Toutes proportions gardées, sans prononcer un mot, le Roi Charles III a fait de même au nom des Britanniques.

Si le geste du Roi s’inscrit dans une cérémonie civile, il se déroule néanmoins face à une église ; en 1962 déjà le Général de Gaulle avait accueilli le chancelier Adenauer à Reims, où ils avaient assisté à la messe. Le religieux emporte les hommes dans des régions que la politique ne peut atteindre.

Un dernier mot encore. La Ligne Claire s’autorise à penser que la cérémonie de Hambourg est le fruit d’une initiative de la Couronne plutôt que du Premier Ministre, dont l’histoire familiale est étrangère à la guerre en Europe. En tous cas, aux yeux des Allemands, le Roi Charles III a gagné ses lettres de noblesse.

 

 

Blues de Prusse

Le fantôme de Hitler hante la Maison de Hohenzollern

En 1994, le Bundestag, adoptait une loi dont seule la langue allemande connaît le secret, la Ausgleichsleistungsgesetz (loi de compensation), qui règle les conditions auxquelles les demandeurs peuvent prétendre à des compensations pour les expropriations effectuées par les Alliés à l’issue de la Deuxième Guerre Mondiale. En effet, après la capitulation en 1945, l’Allemagne avait été dépourvue de sa souveraineté qu’exerçaient en son nom les quatre puissances occupantes. Chef de la maison impériale de Hohenzollern descendant à la quatrième génération de l’empereur Guillaume II, le Prince Georg Friedrich de Prusse a alors instruit ses avocats sur base de cette loi de mener des négociations secrètes avec les Länder de Berlin et de Brandebourg en vue d’obtenir la restitution d’une importante collection de biens meubles ainsi que le droit de jouir à perpétuité du Cäcilienhof, le château où s’était tenue la conférence de Potsdam en 1945, au cours de laquelle les Alliés avait justement réglé le sort réservé à l’Allemagne vaincue.

En juillet 2019 le magazine Der Spiegel révèle au grand jour l’existence de ces négociations et déclenche en Allemagne une controverse publique quant à leur bienfondé. Car la Ausgleichsleistungsgesetz interdit la restitution de biens à ceux dont les ancêtres ont apporté une contribution substantielle (le terme juridique en allemand est erheblicher Vorschub) à l’établissement du nazisme. Or dès 1932 le Kronprinz, arrière-grand-père du Prince Georg, appelle à voter pour Hitler tandis qu’il parade en uniforme de la SA, le bras bandé d’un brassard nazi. Tout cela constitue-t-il un erheblicher Vorschub ? Oui, répond Stefan Malinovski, auteur de Nazis and Nobles, non rétorque Christopher Clark, l’auteur des Somnambules, qui tient le Kronprinz pour un personnage insignifiant.

Loin de s’en tenir là, aux demandes de restitution le Prince Georg a empilé des poursuites à l’encontre de journalistes et d’historiens, parmi lesquels Stefan Malinovski, depuis lors abandonnées. Si toutes ces questions ont ressurgi ces jours derniers en Allemagne, c’est parce que le Prince Georg a récemment déclaré renoncer à ses prétentions. La Ligne Claire n’est pas en mesure d’apprécier ce qu’auraient été ses chances au tribunal mais juge que cette décision permet désormais de séparer la critique historique quant à l’appui prodigué à Hitler par les Hohenzollern, des prétentions personnelles de Herr Georg Friedrich Prinz von Preußen, tel qu’il figure à l’état civil en Allemagne.

Lorsque Der Spiegel dévoile cette affaire, elle suscite l’indignation à telle enseigne que le Prince Georg, jusque-là inconnu du public, réussit le triple exploit de se mettre à dos à la fois la classe politique, le monde des médias et les milieux académiques. La Ligne Claire estime qu’il n’y a jamais de solution simple ni parfaitement juste à la question des réparations et des restitutions, qui souvent font suite à des guerres et des changements politiques importants. Précisément pour cette raison l’attitude des personnes concernées devient déterminante. Il était donc effectivement temps de mettre un terme à cette erreur de jugement sur le plan des relations publiques.

 

The Crown season 5

The Crown, saison 5

La revue tous deux ans environ de la série The Crown, dont la cinquième saison est parue en novembre dernier, figure en bonne place parmi les devoirs d’état de La Ligne Claire, auxquels bien entendu elle se plie de bonne grâce.

La saison 5 nous emmène dans les années nonante du siècle dernier, une décennie agitée pour la famille royale britannique marquée notamment par le divorce du Prince et de la Princesse de Galles et la mort tragique de la princesse. Il revient bien entendu de classer The Crown parmi les œuvres de fiction, au sens où la série de plait à imaginer des scènes et des dialogues entre les protagonistes qui ne sont pas connus du public mais qui paraissent plausibles à l’écran. Cependant, la qualité de la réalisation a pu lui conférer dans l’esprit de certains l’aspect d’un documentaire ; aussi, dès le lancement de la série, ont surgi des controverses quant au mélange de la réalité et de la fiction opéré par Netflix, le producteur de la série. Avec la saison 5 qui se rapproche du temps présent, ces controverses ont resurgi de façon plus aigüe à telle enseigne que les anciens premiers ministres John Major et Tony Blair ont jugé nécessaire de publier des démentis au sujet de la manière dont leur personnage est dépeint dans la série. Le lecteur trouvera aisément sur YouTube des émissions lui proposant de démêler le vrai du faux dans The Crown ; certaines de ces fictions artistiques, le complot mené par le Prince de Galles pour amener sa mère à abdiquer par exemple, sont si évidentes et absurdes qu’on ne les méprendra pas pour la réalité ; d’autres comme la mention fictive par la Princesse Diana de son fils le Prince William lors de la fameuse interview accordée à Martin Bashir à la BBC, elle-même obtenue par tromperie, relèvent de la faute de goût.

Certes les aventures conjugales et extra-conjugales dominent l’activité de la famille royale en ces années-là mais elles semblent insuffisantes pour nourrir le récit tenu par Peter Morgan, le créateur de la série ; aussi fait-il recours à de nombreux flashbacks, Timothy Dalton dans le rôle de Peter Townsend, la flamme de la Princesse Margareth dans ls années 50 et un curieux épisode consacré à l’assassinat de la famille Romanov en 1918, cousins de Georges V alors le roi d’Angleterre, et dont La Ligne Claire estime qu’il est là pour meubler les espaces vides.

Aussi en dépit d’interprétations remarquables par Jonathan Pryce (Prince Philippe), Dominic West (Prince de Galles) et Elizabeth Debicki (Princesse Diana), qui ont su à merveille répliquer les attitudes de leur personnage, on reste sur sa faim. Au fil de ces épisodes somme toute assez décousus, le spectateur assiste à une interprétation de la reine par Imelda Staunton quelque peu en retrait et que viennent alimenter des dialogues souvent médiocres et pas toujours subtils. On se consolera en songeant que le personnage principal, la received pronunciation propre à la famille royale figure toujours en bonne place en dépit de son caractère désormais désuet.

 

Gucci à Hollywood

Tiré d’un livre [1] , The House of Gucci, rédigé en 2001 par la journaliste américaine Sara Gay Forden, le film du même nom dû au réalisateur Ridley Scott affiche une triple ambition, raconter la tragédie d’un meurtre, exposer les rivalités qui traversent la famille Gucci et retracer l’histoire de l’entreprise.

Cependant, puisque le film est joué en anglais, il s’agit en premier lieu d’expliquer au spectateur novice que ces différentes affaires se déroulent en Italie. Tout d’abord les comédiens sont priés de se mettre à l’école de Robert de Niro et de s’exprimer avec un accent new-yorkais, comme celui des gangsters de la mafia au cinéma, et qui tiendra lieu d’accent italien. Ensuite, on ne manquera pas de rappeler que l’Italie est le pays qui héberge des villas en Toscane et le long des rives du lac de Côme, le pays des grands repas pris en famille auxquels on se rend en Vespa ou en Fiat 500 et le pays des belles actrices comme Sofia Loren. Rappelons encore à l’attention des spectateurs que l’Italie est un pays de culture catholique où l’on rencontre aussi bien des religieuses qui portent des habits d’un autre âge qu’un prêtre revêtu de vêtements liturgiques datant d’avant le concile Vatican II, bien que les funérailles qu’il célèbre se déroulent en 1983. Quant à la bande sonore, où on découvre, stupéfaits, que Verdi était lui aussi italien, elle affiche autant de relief qu’une pâte à lasagne et en définitive n’ajoute qu’une couche de plus à cette suite de clichés.

Et puis, en dépit d’un budget de $75m, les producteurs ont omis de se prévaloir des services d’un consultant en matière d’étiquette (La Ligne Claire, par exemple) qui aurait discrètement murmuré à l’oreille de Jeremy Irons, qui interprète le personnage de Rodolfo Gucci, que jamais un monsieur ne baise la main gantée d’une dame.

Cette avalanche de lieux communs au sujet de l’Italie est destinée de servir de cache-sexe à un film en quête d’identité, qui hésite à propos du sujet à traiter. L’histoire de l’entreprise Gucci ? On la laissera aux études de cas des écoles de commerce. Demeurent d’une part les rivalités qui aiguillonnent les cousins Gucci et de l’autre le meurtre prémédité, nourri par la jalousie, l’envie et l’ambition, deux sujets différents, même s’ils se croisent. A ce mélange des thèmes, vient s’ajouter le mélange des styles ; Scott est allé librement se servir dans tous les films célèbres qui touchent à l’Italie : les années insouciantes du Dopoguerra dans Vacances Romaines, la Comédie à l’Italienne, les luttes claniques qui fournissent la trame du Parrain, Fellini avec ses mises en scènes baroques et décadentes.

En dépit d’une interprétation de qualité, il ressort de toute cette pastacciutta un film trop long, sans cesse à la recherche de sa trame et du ton juste et qui en définitive déçoit.

 

[1] The House of Gucci : a sensational story of murder, madness, glamour and greed

Via Francigena – récit d’un parcours de Lausanne à Rome

La Ligne Claire signale à l’attention de ses lecteurs la parution ces jours derniers de ce petit ouvrage de qualité dû à la plume de Dominique de la Barre. Belge de l’étranger, naturalisé suisse, il a parcouru la Via Francigena de Lausanne à Rome en 2013 et 2014. La Via Francigena, la Voie des Francs désigne ce faisceau d’itinéraires par lesquels les Francs étaient descendus en Italie au VIIIe siècle et aujourd’hui élevé au rang d’itinéraire culturel européen par le Conseil de l’Europe.

Connu pour son blog (https://blogs.letemps.ch/dominique-de-la-barre/), l’auteur, qui a grandi à Rome il y a un demi-siècle, livre ici d’une plume élégante le récit de ce pèlerinage, selon ses propres mots, ce qui fait de la marche une démarche. On y croisera tout autant les immigrés italiens en Suisse, Rajiv, le nouvel immigré indien en Italie qu’une princesse issue de la noblesse noire et un prêtre de cour.

La Via Francigena est ce lieu où se rencontrent la géographie et l’histoire, le long duquel les cathédrales gothiques s’égrènent comme les grains d’un chapelet et où des palais baroques resplendissent comme un ostensoir de tous leurs feux. On y ressent, nous dit l’éditeur en quatrième de couverture, toute l’admiration et l’enthousiasme avec lesquels l’auteur nous conte l’histoire riche et tumultueuse de cet itinéraire millénaire. Récit de voyage où se mêlent des souvenirs personnels, les Itinerrances invitent le lecteur à se lever de bonne heure et à emboîter le pas à l’auteur et à découvrir avec enchantement les marques de notre propre culture.

 

Dominique de la Barre, Via Francigena : Itinerrances sur le chemin de Rome, Editions Nevicata, 2021, 164 pages

 

On pourra se procurer Via Francigena : Itinerrances sur le chemin de Rome en librairie, mais aussi chez l’éditeur (https://editionsnevicata.be) ou encore en ligne (www.fnac.com, www.amazon.fr, www.payot.ch) et enfin en format Kindle.

ISBN 978-2-87523-185-7

Stauffenberg

Stauffenberg

Petite-fille du comte Claus von Stauffenberg, l’auteur de l’attentat contre Hitler du 20 juillet 1944, Sophie Bechtolsheim esquisse un certain nombre de portraits de son grand-père sous plusieurs angles dans un petit livre paru en 2019. Son titre, Mein Vater war kein Attentäter, Mon Père n’était pas l’auteur d’un attentat, interroge puisque le monde entier le connaît justement à ce titre ; ce que Bechtolsheim veut souligner c’est que Stauffenberg et les autres conjurés ne voyaient dans l’attentat que le prélude nécessaire au rétablissement en Allemagne de l’état de droit.

Dans ce livre donc, qui a connu un grand succès, apparaissent de nombreux portraits de Stauffenberg, celui des historiens, celui de la classe politique, celui de la télévision et du cinéma avec le film Walkyrie, et enfin celui de l’homme de famille, fruit des entretiens que l’auteur a menés avec sa grand-mère, décédée en 2006.

Cependant la figure qui domine en Allemagne est celle du héros, dont témoignent les rues, les écoles et les casernes à son nom et les timbres à son effigie. Homme encore jeune en 1944, élégant officier, victime de graves blessures de guerre, Stauffenberg incarne la figure du héros tragique précisément en raison du caractère bâclé de l’attentat et de son exécution sommaire la nuit même. Or cette figure presque mythologique en vient à occulter non seulement les autres facettes de l’homme, mais les autres conjurés et les cinq victimes de l’attentat.

Le succès de ce livre a amené l’auteur à en écrire un deuxième, Stauffenberg, Suites, où elle s’entretient avec douze personnes, douze personnages en quête d’auteur pourrait-on dire, dont l’histoire personnelle est mêlée de près ou de loin à celle du nazisme, voire de l’attentat du 20 juillet.

Parmi les victimes de l’attentat figure Heinrich Berger, le sténographe de Hitler, père en 1944 de trois enfants âgés de 9 à 2 ans, un civil qui jamais n’avait été membre du parti national-socialiste. Aussi, ce deuxième livre s’ouvre-t-il sur un entretien avec Dorothée Johst, la fille de Heinrich Berger, et qui n’était âgée que de deux ans en 1944. Entre ces deux femmes se dresse cette sombre question : le grand-père de l’une est-il l’assassin du père de l’autre ?

Ces douze personnages, dont l’un souhaite demeurer anonyme, témoignent de la catholicité des expériences que les Allemands ont du nazisme : le SS, le soldat, le Hitlerjugend, le prisonnier, le fugitif, la veuve de guerre, le Juif, et celle qui ploie sous le fardeau de l’ignorance totale de l’histoire de sa famille, disparue sans rien lui laisser hormis un gros héritage qui ne tarit pas sa soif. Tous sont mus par Das Streben nach innerlichen Freiheit, l’aspiration à la liberté intérieure, mieux l’effort à consentir en vue de la gagner.

Tout homme porte le poids de sa propre histoire familiale, à telle enseigne que ceux qui en sont privés se mettent en quête de ce fardeau. C’est le sens de ces douze témoignages.

 

 

Sophie von Bechtolsheim, Mein Vater war kein Attentäter, Herder, 2019, 144 pages

Sophie von Bechtolsheim, Stauffenberg, Folgen, Herder, 2021, 224 pages

 

 

Nazisme et noblesse – histoire d’une mésalliance

La clé de lecture de ce livre réside sans doute dans le sous-titre, Histoire d’une Mésalliance. Au départ, tout oppose les national-socialistes, non seulement vulgaires et violents mais qui se réclament justement d’une forme de socialisme, à la noblesse conservatrice qui se conçoit elle-même comme une élite investie d’une mission. Pourtant ces deux groupes finiront par opérer un rapprochement, que l’auteur, Stefan Malinowski, qualifie de mésalliance. Qu’est-ce donc une mésalliance ? Une union qui brise les règles qui gouvernent leurs groupes respectifs, en l’occurrence un accord passé entre le peuple et la noblesse, mû par un mélange de passion et d’intérêts économiques et où les deux parties trouvent leur compte. Ici cette conjonction d’intérêt prend plusieurs formes : détestation du communisme et même de la démocratie, hostilité envers le capitalisme incarné par une bourgeoisie cosmopolite, etc.

 

La noblesse allemande en 1918

En 1918, la noblesse allemande compte quatre-vingt mille personnes sur une population de soixante-cinq millions environ, soit un taux de 0,12% [1]. Elle exerce son activité dans trois domaines principaux : l’armée, la fonction publique et l’exploitation agricole et forestière. Prise dans son ensemble, elle possède 13% du foncier dans le Reich. La guerre qui vient de s’achever lui a porté de rudes coups. Tout d’abord, elle a perdu plus de 4,500 de ses membres au combat. Ensuite l’établissement de la République de Weimar et donc la disparition des principautés constitutives de l’empire bismarckien conduit à la suppression des nombreux emplois dans les cours princières, dont la tenue était traditionnellement assurée par la noblesse. Enfin, le Traité de Versailles limitera la Reichswehr, l’armée allemande, à cent mille hommes, pour lesquels neuf cents officiers à peine suffiront, privant de ce fait les cadets de familles nobles d’un débouché qui était le leur depuis des siècles. Dans l’ensemble, ce premier après-guerre constitue une catastrophe économique et sociale pour la noblesse, et plus particulièrement pour la petite noblesse terrienne protestante, qui possède des exploitations agricoles situées à l’est de l’Elbe.

Au sein de la noblesse allemande, l’auteur distingue trois groupes : la haute noblesse, la moyenne et petite noblesse et enfin ce qu’il appelle le nouveau prolétariat nobiliaire, qui regroupe les veuves de guerre, les anciens officiers et anciens fonctionnaires des cours princières défuntes, les uns et les autres désormais privés d’emploi. Des familles entières basculent dans la précarité.

En dépit de ces différences très sensibles, des points communs se dégagent au sein de ce groupe : la noblesse se nourrit tout d’abord de ses réseaux, les associations de famille, le cousinage ; elle professe ensuite un profond attachement à la terre dont témoigne une vie à la campagne car, contrairement à l’aristocratie française ou italienne mettons, la noblesse allemande ne possède ni hôtel particulier ni palais en ville : la noblesse vit dans un château établi au centre d’un domaine agricole ou forestier ; enfin elle se méfie de l’intellectualisme et mène un style de vie frugal animé par le sens du service (dienen) qu’elle oppose à celui du gain (verdienen).

 

Un vide politique et symbolique

Le 9 novembre 1918, le Kaiser Guillaume II quitte son état-major de Spa et se réfugie aux Pays-Bas où il mourra en 1942. Ce que certains perçoivent comme un exil, les Allemands le voient comme une fuite et même une désertion. Peu avant son départ en Hollande, alors que la cause des armes est désormais perdue, des officiers allemands étaient venus trouver l’empereur pour lui faire comprendre qu’il fallait qu’il trouve la mort au combat aux côtés de ses soldats ou, qu’à défaut, il se suicide [2]. Toujours est-il que le départ de l’empereur, exil ou fuite, crée d’une part un vide symbolique et d’autre part une rupture d’allégeance et de légitimité.

L’auteur saura nuancer ce jugement à propos de la noblesse bavaroise qui possède des terres importantes qui la préservent de la ruine, se sont méfies des Prussiens de tous temps et conservent une allégeance alternative envers le pape et la dynastie des Wittelsbach. [3]

Ce vide symbolique en Allemagne aura vocation à être comblé par un Führer, qui réunira autour de lui une élite appelée à établir et diriger un Troisième Reich, qui doit durer mille ans, selon ce qui est écrit dans le livre de l’Apocalypse de Saint Jean. Führer et Troisième Reich sont au départ des expressions aux connotations messianiques et apocalyptiques qui précèdent l’avènement du nazisme et non pas avec lui un lien ontologique [4].

 

Une nouvelle élite

C’est dans ce contexte que naissent d’intenses discussions quant à l’identité que doit revêtir cette nouvelle élite. S’agit-il de la noblesse, appelée à recouvrer ses fonctions d’avant-guerre ou bien d’un nouveau groupe issu de la communauté nationale (Volksgenossenschaft) ou encore d’un mélange des deux, une combinaison tenue jusque-là pour incompatible ? Ce qui est certain, c’est qu’elle exclut les Juifs, qui incarnent tant le bolchévisme désormais établi en Union Soviétique que le capitalisme international. Aussi, dès 1920, la Deutsche Adelsgesellschaft (DAG), l’association faîtière des associations nobiliaires, introduit dans ses statuts une clause d’aryanisme, qui sera cependant rejetée par les associations catholiques. Il s’agit là d’une innovation radicale qui, en introduisant une notion de race jusqu’alors inexistante, conduit à une redéfinition fondamentale de la qualité nobiliaire. Dix-huit ans avant les lois raciales de Nuremberg, la DAG anticipe les vœux des nazis et établit un nouveau registre de la noblesse réputée au sang pur, appelé EDDA, et qui conduira à l’exclusion de certains membres, y compris d’anciens combattants, qui ne satisfont pas à ces nouvelles exigences.

A côté de la DAG, le Deutscher Herrenklub (DHK) réunit des membres de la haute aristocratie et de la bourgeoisie. Il maintient une distance prudente envers les nazis et œuvre envers un gouvernement élitiste, incarnation du concept du Führertum et dont l’illustration est l’éphémère gouvernement de Franz von Papen, un noble catholique conservateur, en 1932, à la tête du cabinet dit des barons. Avec sa chute en novembre 1932 s’écroule aussi l’illusion de pouvoir contenir les nazis.

Cette combinaison, qu’on pourrait appeler de la capitulation de la DAG et de l’échec du DHK rompt les digues et amène des membres de la haute noblesse à adhérer au parti nazi, parfois au sein des SA et des SS. L’auteur en établit le compte et accorde la palme à la famille des comtes von Wedel, dont septante-huit membres adhéreront au parti, dont trente-cinq avant 1933, rejoints par d’autres noms illustres, les Schulenburg (41/17), les Bismarck (34/4), les Bülow (40/13), les Dohna (23/7) et bien d’autres encore.

 

Résistance

L’auteur ne saurait passer sous silence l’attentat du 20 juillet 1944. S’il ne s’agit pas d’un complot fomenté par la noblesse en tant que telle, un grand nombre des conjurés, dont Malinowski souligne le caractère héroïque, en sont issus. S’ils sont bien entendus animés par des considérations morales, sept semaines après le débarquement de Normandie, le froid réalisme prévaut tout autant car ils savent la guerre désormais perdue. Ce ne sont pas non plus des convertis de la première heure à la cause de la résistance : Stauffenberg est colonel dans la Wehrmacht, Schulenberg et von Hassel sont des diplomates, respectivement membres du parti nazi depuis 1931 et 1933. Tous ont en vue l’établissement d’un gouvernement national-conservateur dirigé par des élites dans une Allemagne future où les distinctions sociales sont ouvertement revendiquées. Malinowski se montre extrêmement critique envers ce qu’il estime être la capacité inégalée de la noblesse à ériger sa propre histoire sous forme de mythologie aristocratique, dont l’attentat du 20 Juillet ne constitue selon lui que le dernier épisode.

 

Conclusion

En 2003, Stephan Malinowski, professeur d’histoire moderne à l’université d’Édimbourg, publiait « Vom König zum Führer », une étude de la noblesse allemande de l’empire bismarckien au Troisième Reich. Ce livre- ci, Nazis and Nobles, en est à la fois une traduction en langue anglaise et une mise à jour qui met l’accent plus précisément sur la contribution de la noblesse à la montée du nazisme. Pour être au départ un ouvrage académique, il est néanmoins d’une lecture certes exigeante mais agréable et qui se veut à la portée d’un public généraliste.

En définitive, Malinowski porte un regard sévère sur son sujet et conclut que la noblesse allemande, comme d’autres groupes sociaux, a contribué à la montée du nazisme, bercé par l’illusion de pouvoir le contenir et lui conférer un cachet de respectabilité. Il identifie la force principale qui préside à ce rapprochement, le brutal déclassement social de la petite noblesse protestante après 1918.

Cela n’a pas l’heur de plaire à tout le monde tant et si bien que le prince Georges-Frédéric de Prusse, chef de Maison depuis 2015 et descendant du Kaiser à la quatrième génération, a intenté un procès à l’auteur.

 

Nazis and Nobles – History of a Misalliance, Stefan Malinowski, Oxford University Press 2020, 471 pages.

 

[1] Un pourcentage comparable à celui qui prévaut actuellement en Belgique.

[2] Hitler s’en souviendra en 1945.

[3] En Bavière, le roi Louis III abdique en 1918 et meurt en Hongrie en 1921 ; la légitimité de son fils, le Prince héritier Rupprecht, qui lui succèdera à la tête de la Maison de Bavière, ne sera jamais mise en cause.

[4] Arthur Moeller van den Bruck popularisera cette expression dans un ouvrage paru en 1923.

 

Remarque: une version précédente de cet article, publiée le 30 octobre 2021, mentionnait incorrectement que 78 membres de la famille Alvensleben (dont tous les membres ne portent pas le titre de comte), avaient fait partie de la NSDAP, alors que le chiffre correct est 34. La Ligne Claire s’excuse auprès de la famille Alvensleben pour cette méprise.

Aux origines de James Bond

«Mourir peut attendre», le nouveau James Bond n’aura pas fait démentir le succès de cette série où les spectateurs paient leur billet de cinéma pour se voir raconter la même histoire pour la vingt-cinquième fois, sans cesse mise à jour au fil des inventions techniques qui font succéder une Aston Martin à une autre.

Pendant la guerre, Ian Fleming, le créateur du personnage de Bond, avait été officier au sein de la Royal Navy. Affecté au Service des Renseignements, il prit part à l’une des plus étonnantes entreprises de désinformation jamais effectuées, Operation Mincemeat, d’où il irait quelques années plus tard puiser l’inspiration pour ses premiers romans figurant James Bond. Le but de cette opération, menée en 1943, consistait à faire croire aux Allemands que le débarquement que les Alliés projetaient en Sicile se déroulerait soit en Crète soit en Sardaigne.

Un faux noyé

Aussi le 30 avril 1943 un sous-marin anglais lâcha-t-il par-dessus bord au large de Huelva en Andalousie le corps d’un officier mort, censé avoir été abattu en vol vers l’Égypte, auquel était attaché par une chaînette une mallette contenant des documents. Le faux noyé devait accréditer l’idée qu’il était un émissaire d’importance transportant des documents secrets à destination du commandant des forces anglaises en Afrique du Nord alors qu’en réalité le personnage avait été imaginé par les Services de Renseignement de l’Amirauté et que les documents étaient faux. Avec ce faux noyé on voit apparaître les premiers éléments qui plus tard donneront naissance aux gadgets de James Bond : une fausse carte d’identité, des clés, un médaillon de saint Christophe et une montre réglementaire, un objet promis à un bel avenir dans les films.

Le but de l’opération est donc de faire en sorte que les Espagnols recouvrent le corps et transmettent les précieuses (fausses) informations aux Allemands. Comment faire?

Le premier écueil à éviter est que les autorités espagnoles soit ne prennent jamais connaissance du noyé, soit qu’en en ayant pris connaissance, ils l’enterrent sans autre forme de procès avec sa chaînette et sa mallette. La légation britannique à Madrid feint donc une grande agitation, nourrie par de nombreux télégrammes, dont ils savent qu’ils seront interceptés par les Espagnols et qui sont destinés à les informer à leur insu de la supposée importance des documents. Effectivement, les Espagnols attrapent la puce à l’oreille et récupèrent les documents sur le corps du noyé.

La neutralité feinte

Le deuxième obstacle réside en la neutralité affichée de l’Espagne car il ne faut surtout pas, qu’ayant récupéré les documents, ils les rendent directement aux Anglais. Cependant, si l’Espagne était en principe une puissance neutre, en réalité les sympathies du jeune gouvernement franquiste se tournaient envers les puissances de l’Axe qui lui avaient prodigué hommes et matériel au cours de la guerre civile. Les Anglais feindront donc de tenir les Espagnols pour strictement neutres tout en souhaitant qu’ils ne le soient pas tandis que les Espagnols travailleront en sous-main avec l’Abwehr, les services secrets allemands, tout en affichant une neutralité de façade.

Véritables destinataires du message, les Allemands feront mine ne pas apparaître alors qu’ils s’efforcent de se procurer les documents avant de les rendre aux Espagnols, qui voudront assurer aux Anglais que leur intégrité n’a jamais été compromise. Une fois rendus par les Espagnols, une astuce, digne du futur James Bond, permettra aux Anglais de vérifier que les documents avaient bien été lus. Les Anglais remercieront vivement les Espagnols pour leur assistance et leur strict respect de la neutralité, dans un jeu où chacun feindra de tenir un rôle qu’il n’a pas tenu.

En 2010, l’auteur et historien anglais Ben Macintyre a tiré de cette histoire un livre captivant où prend corps la genèse de Bond.

 

Operation Mincemeat: The True Spy Story that Changed the Course of World War II. London: Bloomsbury Publishing, ISBN 978-0-7475-9868-8.