L’Ukraine et les Deux-Siciles

On ne compte pas en Italie le nombre de rues qui portent le nom de Via dei Mille et de places qui s’appellent Piazza del Plebiscito.

En 1860, Victor-Emmanuel II, roi de Piémont-Sardaigne, s’était mis en tête d’unifier les peuples frères au motif qu’ils parlaient (plus ou moins) la même langue. Aussi, dépêcha-t-il un bataillon de mercenaires, les Mille, l’équivalent à l’époque du Groupe Wagner, en vue d’envahir la Sicile sans déclaration de guerre. Après avoir défait les armées du bon roi François II, il s’empressa d’annexer son royaume, non sans avoir fait ratifier cette annexion par voie de plébiscite.

Certes La Ligne Claire ne prétend à aucune compétence particulière au sujet de l’actuelle guerre en Ukraine ; elle est néanmoins d’avis que l’objectif de Poutine est de créer une situation de fait, qui confirme l’annexion de la Crimée, empêche à tout jamais l’Ukraine de rejoindre l’OTAN et vise à en faire une sorte de protectorat russe. A la longue, ces situations de fait en viennent à modifier les rapports politiques.

De nos jours, plus aucun État n’entretient de relations avec le Royaume des Deux-Siciles, désormais disparu, pourtant victime d’une agression non provoquée, mais tous dépêchent des ambassadeurs auprès de la République d’Italie, lointain successeur du Royaume de Piémont-Sardaigne. Même le pape, de guerre lasse, a fini par rendre les armes et là où Pie IX avait excommunié Victor-Emmanuel II, Pie XI, son successeur, concluait les Accords du Latran.

De l’avis désabusé de La Ligne Claire, lorsque le temps aura fait son œuvre, il en ira de même avec la Russie et l’Ukraine, aux frais des Ukrainiens comme jadis des Siciliens.

Dominique de la Barre

Dominique de la Barre est un Belge de l'étranger naturalisé suisse, amateur d'histoire et du patrimoine culturel européen, attaché aux questions liées à la transmission.

12 réponses à “L’Ukraine et les Deux-Siciles

  1. Ah, encore une fois cet “anti-americanisme” de la ligne claire n’est jamsis trop loin,. Mais cette fois ci, elle a fait preuve d’un peu de pudeur.

    Autant reprendre la these de Mearsheimer et ne pas parler de la mort des innocents.

    Normaliser la violence, “good try wise line”.

      1. Ah, mais c’est sous jacent et consistent avec la subtile critique des USA qui caractérisent votre blog. Directement critiquer les usa aurait été trop “crassy”.

        Un tout petit mot sur Maryopol et les souffrances que cette annexation forcée a causée.

        Bref,

        Victor

  2. Comme le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, l’a rappelé cette semaine sur CNN, ce n’est pas la Russie qui a rompu les accords de Minsk, mais l’Ukraine. L’invasion du territoire de cette dernière par les tanks russes n’est donc pas un fait du hasard – même s’il s’agit bien d’un acte de guerre condamnable.

    Mais n’est-ce pas d’abord aux Russes à juger Poutine et son régime? Malgré les interdictions de toute critique formulée à leur encontre sur l’opération militaire en cours, malgré la censure et la propagande, l’opposition à la guerre en Russie même n’en sort que renforcée, comme l’a montré ce prêtre orthodoxe du village de la région de Kostroma, à 650 kilomètres au nord-est de Moscou, qui a gagné une célébrité mondiale en rappelant le cinquième commandement, “Tu ne tueras point”, dans son sermon dominical du 6 mars. Dénoncé à la police par un paroissien, interrogé, il a été puni d’une amende de 35 000 roubles (430 francs avant la dévaluation de la monnaie nationale).

    Quelques jours plus tôt, 7’500 membres (corps enseignant, étudiants et personnel administratif confondus) de l’Université d’Etat de Moscou, la prestigieuse Université Lomonossov, plus ancienne institution d’enseignement supérieur de Russie, ont signé une lettre ouverte condamnant la guerre. Une centaine de prêtres les ont précédés dans la même voie, avant d’être rappelés à l’ordre par leurs évêques.

    Après le décret signé cette semaine par Poutine pour punir de quinze ans de prison l’utilisation du mot “guerre” au lieu de celui d'”opération spéciale”, tous ces courageux contestataires seraient sans doute déjà en prison – pour longtemps même.

    Si l’invasion de l’Ukraine a fait remonter à plus de 60% la cote de popularité de Poutine dans l’opinion publique (elle avait chuté à moins de 40% avant le 24 février), si la propagande d’état garde son efficacité par le contrôle quasi complet des médias, la censure, que les Russes connaissent au moins depuis Pierre le Grand, n’a jamais réussi à faire taire l’opposition. Poutine et sa clique d’oligarques parvenus n’y parviendront pas plus que Nicolas 1er, que le chef du Kremlin admire, n’a pu faire taire les Décabristes de 1825 et les membres du cercle de Petrachevski en 1848, dont le moins illustre n’était pas Dostoïevski.

    Reste à voir si l’avenir nous révélera une nouvelle génération de ce qu’Henri Troyat, dans sa magistrale étude du coup d’état manqué des Décabristes, appelait les “Compagnons du Coquelicot” (par allusion au rouge sang de la cocarde tricolore des révolutionnaires français) ou un nouveau Dostoïevski. Pour l’instant, il semble que ce soient les imposteurs, héritiers de la tradition des Boris Godounov et du Grand Inquisiteur des “Frères Karamazov”, plutôt que du prince Muichkine, qui occupent l’avant-scène.

    Mais jusqu’à quand?

    1. la classe moyenne quitte la Russie à milliers, mais je partage votre article. Prodi dans sa manie de passer à l’histoire a annexé l’Europe de l’Est, et nous n’avons pas respecté l’accord de ne pas les accepter dans l’OTAN

  3. Je commence à avoir de la sympathie pour la Russie…

    J’ai le sentiment diffus qu’on m’a menti et que les forces armées ukrainiennes s’apprêtaient bien à exterminer les russophones de l’Est. L’armée ukrainienne était en tout cas prête au combat… Sinon, comment expliquer tous ces morts au sein de l’armée russe ? L’OTAN parle de 40’000 victimes russes (morts, blessés,…) contre 2685 victimes civiles ukrainiennes (1035 morts, 1650 blessés).

    La Covid tuait 400 Ukrainiens par jour.
    La Covid tue donc 3x plus que l’armée russe… dans une guerre présenté comme apocalyptique…

    Qu’est-ce qui se passe en Ukraine ?
    Je ne veux pas être un mouton.

  4. J’ai bien aimé cet article, qui montre que l’auteur est un vrai légitimiste.

    Toutefois, il n’a pas raison sur un point: quand il compare le groupe de mercenaires Wagner avec les Mille de Garibaldi, qui ont agressé le Royaume de Naples. Désolé, mais les Mille n’étaient pas des mercenaires. C’étaient des gens qui croyaient à une cause: le risorgimento, le républicanisme, les idées de 1848. Rien à voir avec les mic mac politico-financiers de Prigogine, ancien cuisinier du Kremlin et exécuteur des basses oeuvres de Poutine.

    Si on veut faire des comparaisons, alors il faudrait comparer les Mille avec les milices nationalistes ukrainiennes comme le bataillon d’Azov, devenu un régiment, et contre lequel l’armée russe se bat.

    En Suisse aussi nous avons connu ça. Personne ne le sait car personne ne connaître notre histoire. Mais entre 1830 et 1847, il y a eu une guerre civile larvée en Suisse entre les radicaux et les conservateurs. Les radicaux étaient des bandes de braillards dont le grand sport était de former des corps-francs, armés, pour aller attaquer Lucerne, dont le gouvernement avait confié les écoles aux Jésuites. C’était exactement comme les Mille, et ils défendaient la même idéologie. Il y a eu plusieurs expéditions de corps-francs contre Lucerne, qui se sont toujours terminées de la même façon. Les braves révolutionnaires repartaient en courant, car ils étaient reçus à coups de canons par l’armée lucernoise, disciplinée et commandée par un ancêtre à moi, qui avait d’ailleurs été général dans l’armée du royaume de Naples.

    Finalement toute cette histoire a donné lieu à la guerre du Sonderbund car les cantons catholiques ont trouvé saumâtre d’être attaqués par des groupes terroristes paramilitaires avec la complicité des gouvernements des cantons libéraux. Pour se défendre, ils ont donc créé une alliance séparée, appelée Schutzbund, puis Sonderbund. La Confédération ne pouvait pas s’y opposer car il n’y avait pas de majorité radicale à la Diète. Cette majorité a fini par être acquise à la suite de deux putschs, tout à fait illégaux et pas du tout démocratiques, à Lausanne et à Genève (disons des mini Maïdan), qui ont mis les radicaux au pouvoir dans ces cantons, puis une fraude électorale à Saint-Gall qui a eu le même effet. C’est ainsi que la Diète a voté la levée de l’armée fédérale pour soummettre les cantons catholiques et chasser les jésuites. L’affaire a fort heureusement été menée rondement par le général Dufour avec un minimum d’effusion de sang, ce qui fait qu’après on a pu se réconcilier, tant bien que mal. Et le résultat a été la fondation de la Suisse moderne avec ses qualités et ses défauts.

    Les Mille étaient une force paramilitaire révolutionnaire et nationaliste, c’est à dire un corps-franc. Le régiment d’Azov s’inscrit dans la même tradition que ces activistes violents qui ont volé le royaume de Naples à ses souverains légitimes, et que les corps-francs radicaux qui voulaient mettre Lucerne à feu et à sang mais heureusement n’y sont pas parvenus.

    Certains seront peut-être choqués que je compare des gentils républicains démocrates humanistes comme les Mille de Garibaldi ou les corps-francs suisses commandés par Ulrich Ochsenbein, futur conseiller fédéral, avec ces brutes épaisses tatouées de svastikas et de soleils noirs nazis, assoiffés de sang et célébrant officiellement les traditions de la division SS Das Reich, dont ils sont les continuateurs directs, avec la bénédiction de la CIA et de l’OTAN. Mais on aurait tort de ne pas voir la filiation. Il serait facile de démontrer historiquement la filiation entre la révolution de 1848, donc les Mille, les corps-francs suisses, et le fascisme italien comme le nazisme. Hitler et Mussolini se sont toujours réclamés. Mais je ne vais pas développer le sujet, ce serait trop long.

    Simplement chère Ligne claire, votre comparaison n’était pas la bonne. Il aurait fallu comparer les Mille avec le bataillon-régiment d’Azov.

  5. Évidemment, l’armée ukrainienne était prête : elle est en guerre depuis 2014 contre les séparatistes du Donbas, soutenus par la Russie (les fameux bonhommes verts). De là à dire qu’ils s’apprêtaient à massacrer les russophones, c’est consternant. Tout l’est de l’Ukraine est russophone, Zelensky y compris. Quant aux nombre de victimes des deux côtés, il n’y a aucune statistique fiable pour le moment. On peut en effet reprocher à l’Ukraine sa part de responsabilité dans la non mise en œuvre des accords de Minsk (qui, il est vrai, ne lui étaient guère favorables). Zelensky a essayé mais il s’est heurté aux nationalistes ukrainiens.
    Enfin, il n’y a jamais eu de promesse de ne pas élargir l’OTAN.

    1. Zelensky est (selon votre définition) un “nationaliste”.
      Il est d’ailleurs une émulation du Tea party américain (même wiki le reconnaît) et son parti est financé par l’oligarque Ihor Kolomoïsky (bien connu à Genève).

      Et quel bataillon Kolomoïsky a financé à l’Est de l’Ukraine ? je vous laisse chercher…

      Vous voulez les images de quand son bataillon a capturé des ukrainiens russophones, puis:

      (afp, 2014)
      “A Odessa, les séparatistes subissent un revers début mai quand une quarantaine d’entre eux sont brûlés vifs dans l’incendie d’un bâtiment, dans des circonstances mal élucidées.”

      Ben voyons, “mal élucidées”…

  6. La gestion des Deux Siciles par le gouvernement italien a sans doute été la même, ni meilleure ni pire que celle par la France, si bien que cette situation a perduré naturellement.

    Par contre le pouvoir russe de Poutine réintroduit la corruption et le pillage des ressources instauré par l’ex Union Soviétique. Il renforce l’inégalité sociale entre une classe corrompue richissime qui exploite le pays et l’appauvrissement général de la classe moyenne et de la population qui veut vivre une vie normale. A terme, la différence de bien-être avec les pays « libres » et ce monde post soviétique devrait devenir insupportable et entraîner l’effondrement de ce dernier.

    La comparaison avec l’empire ottoman me paraît intéressante. Alors qu’il s’est construit par la force, mais en apportant un progrès, en exerçant un « soft power » sur les populations conquises, il s’est effondré quand sa seule raison d’être est devenue la force brutale.

    Cependant je vois avec inquiétude la capacité des nouvelles technologies d’espionner, de terroriser, de diviser toute opposition. Le KGB et son successeur le FSB sont passés maîtres dans ce domaine. Le maintien au pouvoir des amis de Poutine tels que Maduro au Venezuela, de Loukaschenko en Biélorussie, de Kadurov en Tchétchénie en est un exemple.

    Et si par malheur l’Ukraine devait succomber, alors toute l’Europe occidentale risque de suivre.

  7. “..lorsque le temps aura fait son œuvre..” est un autre détour facile , comme “…les circonstances mal élucidées…” pour éviter de décrire la vérité sordide des mentalités hypocrites et des soumissions aux forces des puissants sans scrupules pour contraindre les populations, comme l’eau chaude de la marmite tyrannique finit par ramollir les grenouilles avant de les cuire tout à fait. Sans que les gentils voisins bisounours ne lèvent le petit doigt malgré les appels à l’aide que l’on feint de ne pas engendre de nos confortables salons, hyper isolés de sentiment humain et d’amour chrétien. Il a bon dos le temps qui n’a rien fait et qui ne changera jamais rien à notre histoire, ni pour l’améliorer, ni pour le détruire! Mais il faut toujours accuser quelqu’un sans froisser personne! Y a-t-il encore quelques adultes responsables ici?

    1. Intéressant, mais je n’arrive pas a saisir ce que vous essayez de dire!

      Par contre, le mythe de la grenouille a été “debunked” de puis longtemps (il est faux).

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