La Fin de la Chrétienté

Dans son dernier petit essai, la philosophe décrit la disparition de la chrétienté, c’est-à-dire de cette civilisation européenne issue de la foi chrétienne et qui aura forgé les lois, les mœurs et les arts au long de seize siècles qui courent de la fin du IVe siècle au milieu du siècle dernier.

Elle décrit les effets de ce qu’elle appelle l’inversion normative, c’est-à-dire de ce renversement au titre duquel ce qui était autrefois interdit devient aujourd’hui non seulement autorisé mais promu. Lorsque le christianisme s’impose dans l’Antiquité en déclin, il impose un grand nombre de normes au sujet du divorce, de l’avortement et de l’infanticide, le suicide et l’homosexualité, autant de pratiques largement répandues chez les Grecs et les Romains. Selon Delsol, leur retour depuis la deuxième moitié du XXe siècle ne constitue pas seulement un effondrement de la morale chrétienne mais un retour au paganisme. Cette inversion normative repose à son tour sur une inversion ontologique, c’est-à-dire une inversion du sens premier des choses. Car dès lors que la foi en l’homme créé à l’image de Dieu et donc en sa dignité intrinsèque disparaît, les lois qui s’opposent mettons à l’avortement ou au suicide assisté deviennent une entrave à la liberté individuelle, désormais la mesure de toute chose.

Enfin, Chantal Delsol envisage pour l’avenir, en Europe en tous cas, un christianisme sans chrétienté, où les chrétiens, dans leur composante catholique surtout, après avoir livré toutes les batailles sociétales et les avoir toutes perdues, mèneront la vie des minorités religieuses à l’instar de celles que vivent les Juifs. Sur l’autre rive de l’Océan Atlantique, Rod Dreher avait avancé la même thèse en 2017 avec The Benedict Option, où il appelle les chrétiens à vivre dans des monastères virtuels au sein d’une société athée.

En marge de livre, il apparaît aux yeux de La Ligne Claire que le Pape François est effectivement le premier pape de la post-chrétienté. Peu intéressé par l’héritage culturel européen, il se fait l’apôtre d’un christianisme humanitaire qui résonne avec les valeurs de l’écologie et où on peine à distinguer quelque transcendance. Le temps où le Général de Gaulle pouvait dire « La République est laïque mais la France est catholique » paraît effectivement révolu.

 

Chantal Delsol, La Fin de la Chrétienté, Éditions du Cerf, 2021

 

Dominique de la Barre

Dominique de la Barre est un Belge de l'étranger naturalisé suisse, amateur d'histoire et du patrimoine culturel européen, attaché aux questions liées à la transmission.

8 réponses à “La Fin de la Chrétienté

  1. “Here we go again”, l’Eglise Catholique se doit d’évoluer avec le temps et ne peut rester figée dans le passe (reproche fait a l’Islam actuel).

    Le rôle du Pape n’est pas de préserver “no matter what” l’héritage culturel européen, mais de propager un message d’amour, d’humilité, de compréhension en phase avec l’an du seigneur 2022 (et reconnaître certains excès du passe).

    On n’est pas oblige d’épouser le catholicisme traditionnel (i.e. renier Vatican I et II) pour s’anoblir (surtout si on l’est déjà). Les vrais ont su s’adapter a un monde qui change,

    1. Pour ma part, j’ai lu cela non comme une invocation au retour au catholicisme traditionnel (ce qui serait nier l’évolution constante de la doctrine de l’Eglise) mais plutôt comme le risque d’un renoncement à défendre les valeurs jusqu’ici portées par l’occident imprégné du message chrétien, qui s’articulent autour du thème de l’humanisme lié à Dieu. A l’inverse de l’humanisme athée, qui dissout l’homme et le soumet à l’air du temps.

    2. La Bible est la parole authentique de Dieu le créateur de l’univers, la chrétienté est liée à l’Evangile de la grâce de Dieu, manifestée par la venue sur terre de Jésus Christ, en sa mort sur la croix et en sa résurrection au troisième jour. Avant son ascension, il a recommandé à ses disciples d’attendre l’effusion du Saint Esprit, dix jours après son départ, ce qui fut fait le jour de la Pentecôte, c’est le jour de la naissance de l’Eglise sur terre; un chrétien est avant tout un disciple de Jésus Christ, un disciple est un élève discipline, qui imite le maître. Donc toute organisation quoi qu’elle se nomme, qui n’observe pas les prescriptions du maître n’est pas une église chrétienne, et au regard des pratiques en cours chez les catholiques, je doute vraiment, que cette organisation soit chrétienne. Les chrétiens attendent le retour du Maître, le Seigneur Jésus Christ, qui a promis de revenir les chercher, pour les ramener avec Lui, pour qu’ils aillent habiter auprès de lui; en ce moment, il prépare une demeure à chaque chrétien, donc je ne peux pas comprendre qu’on parle de la fin de la chrétienté, sauf si on attribue à ce mot une autre définition que celle qui le correspond vraiment. Ce n’est pas une question de congrégation religieuse quelconque, qui établirait un ensemble de règles et de rituels, que des partisans devraient observer et pratiquer, même en totale contradiction avec les commandements du Seigneur comme pour se conformer à l’évolution des siècles courants ou à des raisonnements philosophiques, de pensées et sentiments des hommes. La parole de Dieu est éternelle, elle ne change pas avec les temps, elle ne dépend d’aucune pensée, ni philosophie humaines.

  2. Monsieur de la Barre,
    Quel plaisir de lire votre analyse du livre de Mme Chantal Delsol. Notre civilisation occidentale en effet se meure avec la mort du christianisme. René Guénon l’avait constaté déjà au début du siècle passé et Vatican II l’a matérialisé dans les faits en 1965. Pour ceux qui renient Vatican II mais refusent l’intégrisme de Mgr Lefèbvre, il ne reste en effet que la retraite monacale, réelle ou virtuelle, les valeurs de la doctrine s’étant cachées mais demeurant toujours vivantes, prêtes à renaître avec l’avènement du monde nouveau comme l’enseigne le symbole de l’Arche de Noé !

  3. Merci M. de la Barre de votre analyse du livre « La fin de la Chrétienté » de Mme Del Sol.
    A mon avis l’autrice se trompe, car la Chrétienté n’en déplaise à certain est en train de reprendre de la vigueur en retournant à sa source : le message évangélique.
    En réalité ce qui est en train de mourir, et c’est une bonne chose, c’est le Césaro-papisme, qui a fait beaucoup de tort aux chrétiens avec une Eglise dérivant dans les délices du pouvoir temporel.
    En fait, de quoi parle-t ’on : qu’est le Christianisme ? C’est suivre la voie de Jésus le Christ, car il est le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers Dieu le Père sans passer par Lui. Il nous a laissé un unique Commandement, qui prône l’amour de Dieu et du prochain. Par ce Commandement le Christ vulgarise la compréhension de la Loi de Dieu (les Dix Commandements). En effet, ces « dix paroles » ne sont pas des normes et des contraintes, car elles permettent aux humains de construire une vie libérée de l’esclavage du Mal, selon le précepte fondamental de l’amour de Dieu et du prochain.
    Cette vision originelle du Christianisme montre que dès l’établissement de l’Alliance entre Dieu et les humains son esprit n’était pas contraignant et son caractère était déjà « universel » et non réellement limité à un peuple élu (les Hébreux), ni à une partie des habitants de notre planète (les Occidentaux).
    Effectivement, les « dix paroles » ont été transmises à Moïse, un Hébreux devenu Prince égyptien. Il fut marié à Sephora l’éthiopienne, une des filles du grand-prêtre madianite Jethro, qui officiait avec lui sous le Mont Sinaï, en territoire asiatique.

    Aujourd’hui, la réforme « révolutionnaire » de la Curie, que vient d’effectuer le Pape François, et qui entrera en application le 5 juin prochain, augure d’une Renaissance de la Chrétienté. Assurément, mettre dorénavant comme Ministère (Dicastère) prioritaire celui de « l’Evangélisation » et permettre que dorénavant des laïcs (hommes et femmes) prendront la tête des dicastères jusqu’ici réservés aux cardinaux, c’est une révolution copernicienne.

    Nous sommes vraiment à l’aube d’un retour vers une Chrétienté « universelle », comme le souhaitait Jésus le Christ quand il institua son Eglise sur les épaules de l’apôtre Pierre !

  4. Je ne vois vraiment pas en quoi François abandonne la transcendance. Bien au contraire, il ravive le commandement d’amour décrit dans les Evangiles et la sotériologie qui l’accompagne, qui ne peut exister sans rapport à la transcendance.

  5. La question extraordinaire que sous entend la disparition de la chrétienté est: se peut-il que le vide ainsi laissé ne soit pas rempli ? Car il se s’agirait pas d’une transition mais d’une disparition. La chose est-elle seulement possible? Je ne connais pas d’exemple. Se peut-il que le merveilleux disparaisse de notre civilisation? Se peut-il qu’une naissance ne soit plus qu’un événement médical et que Noël perde son sens pour n’être qu’une litanie de galères? Le monde athée débouche sur l’absurde et le nihilisme: les hommes meurent et vivent malheureux.
    Pour être libre, nous avons besoin de bonheur, nous avons besoin des passions qui font de nous des être sociaux et du sens du merveilleux qui nous éclaire et nous équilibre.

    1. Les civilisations égypienne, grècque et romaine, pour ne citer que les plus récentes, ont bel et bien disparu, leur monde a disparu mais le Monde est toujours là !

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