Cataluña, pour qui sonne le glas

Toute sa vie La Ligne Claire a choyé le souvenir des chaudes journées de son enfance sur les rives du Rio de la Plata, où des jeunes filles espagnoles, Herminia, Irene et Maruja le menaient à la plage, accompagné de ses frères et sœurs. Ces filles pauvres avaient quitté la Galice de leur propre enfance et s’étaient embarquées à destination des Amériques en 3e classe sur un cargo mixte, sans éducation, sans le sou et sans bagage, animées par l’espoir qu’au-delà des étoiles qui se miraient dans l’océan, une vie meilleure les attendait. C’est à elles que La Ligne Claire et sa fratrie doivent l’apprentissage de la langue espagnole et plus encore l’affection envers le monde hispanique qu’ils éprouvent depuis un demi-siècle.

Le temps passa mais pas cette affinité à la fois culturelle et sentimentale. Devenu adulte et de retour en Europe, les circonstances, tantôt privées et tantôt professionnelles, ont souvent conduit La Ligne Claire en Espagne, du Détroit de Gibraltar à la Mer Cantabrique et de Madrid à Barcelone. Puis un jour, il y a sans doute une vingtaine d’années, La Ligne Claire s’étonna que, dans les cafés et les magasins de Barcelone, on lui répondît ni en espagnol, ni même en catalan, mais en anglais.

La langue espagnole, un pont

Tout au long de son enfance, La Ligne Claire attendait chaque mois avec impatience l’arrivée du Lo Sé Todo, une encyclopédie destinée à la jeunesse, qui lui avait inculqué tout à la fois, le goût de la lecture, la découverte des arts et des sciences, et la pratique de la langue espagnole, dont il s’imaginerait plus tard qu’elle constituait un pont entre l’Ancien et le Nouveau Monde, au même titre que l’anglais. Et voilà qu’à Barcelone ce pont s’était effondré. Et voilà que quelques uns, puis d’autres, puis beaucoup, s’acharnaient à construire des murailles avec les décombres du pont écroulé, à dresser les hommes les uns contre les autres, les maris contre leur femme et les enfants contre leurs parents.

Le Lo Sé Todo avait aussi nourri en La Ligne Claire le goût de l’histoire ; aussi, était-elle en mesure de reconnaître l’érection d’un régime totalitaire qui ne disait pas son nom, à l’instar des démocraties populaires du siècle dernier qui n’avaient rien de démocratique. La Ligne Claire fut prise de désarroi dans ce monde nouveau où une langue nouvelle retournait le sens même des choses. Il en émergeait tous les ingrédients propres aux fascismes : le contrôle de l’enseignement public par le Ministère de la Vérité, la mainmise sur les médias, la réécriture de l’histoire, la subversion du droit, puis la désignation d’un bouc émissaire, là les Juifs, ici les Castillans, et enfin le saut dans le vide. « Wollt ihr den totalen Krieg ? Voulez-vous la guerre totale ? » demandait Goebbels au lendemain de la défaite de Stalingrad. Et le peuple de répondre oui et de sombrer dans l’abîme.

L’Europe, notre maison commune

Toi Espagne et toi aussi Catalogne, tu étais pauvre et nous t’avons accueilli dans l’Union Européenne, tu avais faim et soif de développement et nous avons financé tes autoroutes et ton infrastructure, tu étais exilée, réfugiée et émigrée et nous t’avons accueillie et accordé l’asile. Tu étais sans toit et en 1986, fille prodigue, nous t’avons ouvert les portes de notre maison commune, l’Europe; ses salons sont ornés de toiles du Siècle d’Or, et tous y sont bienvenus, à l’exception des loups, les gris comme les roux, qui quelque temps plus tôt, avaient ravagé notre jardin.

Alors on entendit une voix dans les cafés et les magasins de Barcelone qui demandait : « Quand donc nous avez-vous accueillis et quand donc nous avez-vous donné à manger tandis que nous avions faim et froid ». Alors encore on entendit s’élever la voix de Maruja, la fille illettrée aux pied nus, dont La Ligne Claire enfant établissait les comptes de cuisine : « Chaque fois que vous avez accueilli un de ces petits émigrants et l’un de ces réfugiés de la Guerre Civile, de l’Océan aux Baléares, de la Sierre Nevada aux Pyrénées, c’est toute l’Espagne que vous accueilliez et à qui vous rendiez hommage ».

Dominique de la Barre

Dominique de la Barre est un Belge de l'étranger naturalisé suisse, amateur d'histoire et du patrimoine culturel européen, attaché aux questions liées à la transmission.

18 réponses à “Cataluña, pour qui sonne le glas

      1. Beau texte cher Dominique, clair comme la ligne qui l’inspire…. surtout en le comparant à certaines réponses bien touffues.
        Marc

  1. En Suisse aussi, surtout dans le canton de Vaud, on a reçu nos rouges espagnols fuyant Franco, et parfois simplement cherchant du boulot. Ils sont venus avec leurs valises en carton. Aujourd’hui ils nous gouvernent. Le plus souvent ils sont socialistes comme la sémillante Nuria Gorite, une des moins pires de la bande. C’est une socialiste de droite en ménage avec un libéral bon teint défenseur des propriétaires d’immeubles. D’autres sont devenus des grands patrons comme monsieur Rodriguez de Festina-Candino.

    Ainsi va le monde. Il y a gens de toutes sortes. Vous les Belges vous avez bien eu Léon Degrelle, qui avait les traits de Tintin, et même qui était Tintin tout simplement. Il s’était réfugié en Espagne. On ne l’a jamais laissé revenir dans son pays par peur qu’il raconte ce qu’il savait sur les gens bien qui tenaient le haut du pavé après la guerre. Dans la famille de la Ligne Claire personne n’a été rexiste? Allons, allons… Notez, il n’y aurait pas de honte à ça. C’était un mouvement d’action catholique très bien porté dans les bonnes familles. En Suisse aussi, l’Espagne avait son rayonnement. Le grand homme de droite des années 70, James Schwarzenbach, issu d’une famille d’industriels zurichois, dont certains historiens pensent qu’il est historiquement l’inventeur de ce qu’on appelle aujourd’hui le “populisme de droite”, était chevalier de l’ordre … d’Isabelle la catholique. Qui diable avait bien pu lui décerner cette distinction? Pas des démocrates en tous cas. Toujours est-il qu’il semble en avoir été assez fier puisqu’il l’a même mentionnée sur l’épitaphe de sa tombe. La roue tourne. L’Espagne est un grand pays. Déjà sous l’ancien régime certaines grandes familles suisses avaient des régiments au service de l’Espagne.

    Vous vous inquiétez maintenant de la dérive totalitaire de la Catalogne et vous la comparez hâtivement à celle des Allemands acculés au désespoir qui avaient acclamé la guerre totale et Goebbels, au Palais des Sports de Berlin. La vous exagérez. Ca n’a rien à voir. Quand on est en guerre et qu’on n’ a aucune échappatoire parce que l’ennemi vous écrase sous un tapis de bombes et exige votre unconditional surrender, on n’a pas d’autre choix que d’accepter la guerre totale. En Catalogne ce n’est pas ça. Les séparatistes tentent de créer une fièvre obsidionale et y réussissent en partie, mais c’est un simple problème d’irrédentisme, comme en Corse, encouragé par certains milieux dirigeants du protectorat américain de Bruxelles, qui veulent détruire les nations pour avoir une Europe émiettée en mini états non souverains, tous clients de l’Amérique. Il y a aussi le jeu trouble de la politique méditerranéenne d’Israël.

    On verra bien ce que ça va donner. Mais même si le royaume d’Espagne perdait son plus riche territoire, après tout ce serait une punition méritée pour une royauté qui a accepté le mariage gay, et tout le reste. Le général Franco et José Antonio Primo de Rivera doivent se retourner dans leurs tombes. Tout ça pour ça! Ca valait bien la peine de faire une insurrection nationaliste contre le Komintern, pour qu’un roi d’Espagne fasse encore pire que la République.

  2. Cher Monsieur, si vous publiez mon post, qui n’est pas très politically correct, j’en conviens, merci de publier la 2ème version, améliorée et dans laquelle j’ai enlevé quelques coquilles. Merci. P. Martin

  3. ton texte, cher Dominique, raisonne et résonne de justesse, merci.
    C’est un plaisir de te lire
    Martine

  4. La Catalogne aujourd’hui nous renvoie à la peur de l’autre , peur par méconnaissance .
    Si la langue catalane a le droit d’exister , nombre de jeunes catalans ne comprennent plus ou mal le castillan , formés dans des écoles catalanes militantes .

    Une langue , ce ne sont uniquement des mots mais une manière de penser . Le fossé entre catalan et castillan n’a cessé de se creuser depuis 20/30 ans sur base de ces incompréhensions . Je parlais , il y a quelques mois , avec des catalans , cadres supérieurs dans une entreprise internationale . Dès qu’ils parlent de la Catalogne et des rapports “avec Madrid” , l’émotion prend le pas sur la raison . J’ai cru un moment me trouver dans un pays occupé , voire colonisé par un envahisseur étranger .

    On ne peut résumer le problème entre la Catalogne et le reste de l’Espagne à un problème gauche/droite même si c’est une partie , mais très limitée , du problème . On trouve beaucoup de partisans de l’indépendance parmi la bourgeoisie qui ne vote pas nécessairement à gauche .

    Le problème linguistique en moins , on retrouve en Italie du Nord ce même rejet de Rome , du Sud “bref de tous les fainéants qui vivent aux crochets des travailleurs du Nord” . En privé , le discours catalan est très proche . On a déjà entendu cela en Belgique . Sauf erreur , cela s’appelle du populisme .

    Si le populisme faisait progresser le monde , cela se saurait .

    Restons optimistes et espérons que le bon sens prendra le dessus .

    Pierre

  5. Merci pour ce point de vue intéressant. Il y a eu beaucoup de reportage des aspects les plus sensationnels de la tentative de sécession, mais relativement peu d’analyse sur le fond, et le bien-fondé.

  6. Ingrate Catalogne qui, a travers l’Espagne, a pu intégrer (et non pas réintégrer) l’Europe, voila qu’a présent elle a honte de ses attaches ibériques.

Les commentaires sont clos.