Il ratto di Europa

A night at the opera: Il ratto di Europa

A night at the opera

 

On New Year’s Eve, La Ligne Claire attended a performance at the opera. Out of consideration for the environment, no librettos were printed. Mercifully, La Ligne Claire, what with its outstanding musical ear and memory, consigned it all to paper for the benefit and enjoyment of its readers.

 

 

 

Il ratto di Europa

Opera buffa in tre atti

Musica di Nonsenzetti

Libretto della Linea Chiara

 

 

 

Plot :

 

The Queen of Anglia tries to flee from the clutches of Emperor. She dispatches her ministers, first Signora Fiordimaggio then Count Boris to stage her escape.

 

Cast:

 

  • Donna Fiordimaggio, chief minister to the Queen of Anglia
  • Count Boris, her successor as chief minister
  • L’imperatore
  • Bercolli, the High Priest
  • The deputies
  • Corbini, a courtesan
  • Farandango, another courtesan
  • Chorus

 

 

 

ACT I

 

Farandango:

Udite, udite.

Coro:

Cos’è?

Farandango:

Quattrini or son.

Chorus:

Quattrini? Quanti?

Farandango:

Il catalogo à questo. Osservate e leggete con me. In Italia, duecento e quaranta, in Allemagna duecento, cento in Francia, a Brussella novantuna, ma, ma, ma in Anglia son già trecento cinquanta.

Chorus:

Trecento cinquanta?

Farandango:

Si, trecento cinquanta scudi alla settimana.

L’imperatore:

Chi è mai quest’ importuno? Lasciamolo passar. Dove son i lieti calici? Il vino prelibato?

Chorus:

Alla settimana?

Farandango:

Trecento cinquanta scudi. Si, alla settimana.

Chorus:

Andiam, andiam, via di quà, via di quà.

L’imperatore:

Aimè, aimè, che furia, un buffono, un mezzo pazzo, che prende l’oro e lascia l’amore.

 

 

ACT II

 

Donna Fiordimaggio:

Venite, venite con me.

The deputies:

Vorrei, ma non vorrei.

Corbini:

Avanti popolo.

The deputies:

Vorrei, ma non vorrei.

The High Priest:

Zitti, zitti, tutti quanti

Ordine, ordine.

Donna Fiordimmagio:

Signori, un momentino, un momentino, ancor un momentino.

The deputies:

Vorrei, ma non vorrei.

Count Boris:

La donna è immobile.

Donna Fiordimaggio:

Aspetate un giorno, un giorno solo, ve lo scongiuro.

Count Boris (to Donna Fiordimaggio):

Via, via, via di qua, non più andrai. Pentiti.

Donna Fiordimaggio:

Pentirmi non posso, son di sasso. Un’altra via non c’è, no, no, no, un’altra via non c’è da trovar.

The deputies:

Addio.

Donna Fiordimaggio (to herself):

Oddio, sto per crepar, sto per crepar.

(She disappears from the stage)

Donna Fiordimaggio (off stage):

Una furtiva lacrima.

 

 

 

 

ACT III

 

 

Count Boris:

Ascoltate tutti, il conte Boris io son, una cosa prometto a voi, dal Impero partir conviene.

The deputies:

E quando?

The High Priest (sotto voce):

Ha bisogno di une barbiere di qualità, di qualità.

Count Boris:

Quest’oggi partiremo.

Corbini:

Avanti popolo.

Count Boris:

Sono il factotum della City, della City, della City.

The deputies:

Bravo, bravo, cosa rara.

Corbini:

Che sciagura. Avanti popolo.

The High Priest:

Uno alla volta per carità, uno alla volta.

Count Boris:

Ecco, leggete. Quest’oggi va firmato il contratto davanti al notaio.

The High Priest:

La maledizzione!

 

Finale

 

Chorus

Brexit, sicut dixit.

L’imperatore:

Eia, ella mi fù rapita.

Farandango:

Va pensiero.

 

 

The curtain falls

 

 

Couronne royale

Familles royales – mode d’emploi

Majesté,

 

Vous aurez appris avec effroi ces jours derniers l’annonce du retrait par le Prince Andrew de ses activités publiques. En vue d’éviter qu’un désastre si funeste n’afflige Votre auguste Maison, La Ligne Claire, consultante spécialisée en la matière, en tire les enseignements suivants, qu’elle soumet humblement à Votre appréciation.

Vox Populi

Quel que soit l’arrangement constitutionnel, la monarchie repose en définitive sur une relation consentie entre le Souverain et le peuple. Dès lors que ce consentement vient à manquer, le peuple l’emporte. Édouard VIII et le Duc d’York aujourd’hui en fournissent l’exemple. C’est sans doute regrettable mais, que voulez Vous, Votre royaume est de ce monde. Toutefois, La Ligne Claire s’engage à recommander au populus de ne faire qu’un usage modéré de la guillotine.

Cette rupture de consentement est illustrée par l’affaire Epstein. En raison d’une grave erreur de jugement, le Prince Andrew s’est vu contraint de présenter sa démission à la Reine, qui l’a acceptée. En d’autres termes, la Reine l’a viré.

Rendez à César

Les membres de Votre famille exercent des fonctions de représentation financées par l’argent public. Aussi ces dotations doivent-elles faire l’objet d’un contrôle public. L’exemple du Prince Laurent de Belgique, dont la dotation a fait l’objet d’une réduction en 2018 en raison de voyages entrepris contre l’avis du Ministre des Affaires Étrangères, résonne encore dans toutes les têtes couronnées.

Gestion d’entreprise

Votre cousin m’enseigne que la famille royale d’Angleterre se surnomme elle-même The Firm. En ces temps de lean management, il est judicieux de limiter le nombre de personnes habilitées à représenter la Couronne à pas plus de trois ou quatre personnes adultes et de les tenir responsables de leurs actes ; c’est là le rôle de Votre gouvernement.

Ressources humaines

Comme toute entreprise, Votre Firme sera appelée à gérer ses ressources humaines de façon dynamique. Vos frères cadets auront vocation à y faire carrière une vingtaine d’années jusqu’à ce que Vos enfants atteignent l’âge de la maturité et leur succèdent ; comme ces cadets devront se recaser en dehors de la Firme, il faudra veiller à ce qu’ils soient aptes à entamer une deuxième vie professionnelle le moment venu.

Vos parents plus éloignés ne seront pas en principe appelés à exercer des fonctions au sein de la Firme et devront concourir par eux-mêmes dans la vie, comme tout le monde. Un exemple intéressant est fourni par Votre cousin le Prince S. de L. ; autrefois employé dans le secteur privé, 49e dans l’ordre de succession de la Principauté, il est actuellement ambassadeur de son pays auprès du Saint-Siège, non pas en raison de son rang mais de ses compétences.

Code de déontologie

Si le public accueillera avec bienveillance une personnalité originale – après tout nous vivons à l’heure de la diversité et de l’inclusion – il ne tolérera plus en ces temps d’austérité de subventionner des playboys ou des escapades aux Caraïbes, moins encore des comportements susceptibles d’entraîner des poursuites civiles ou pénales.  De nos jours les réseaux sociaux se chargeront de révéler toute incartade si bien que les temps d’un petit flirt incognito dans une boîte de nuit sont désormais révolus.

Et puis surtout, il s’agit d’adopter au plus vite un code de déontologie qui régisse en particulier les cadeaux reçus ou offerts. Afficher au poignet une montre à cinquante mille euros offerte par un dictateur d’un pays exotique fait non seulement nouveau riche (horresco referens) mais amène légitimement le public par l’entremise de vos amis de la presse people à se demander si cette largesse a été octroyée en échange d’une contrepartie tenue secrète.

La femme de César

Vous vous souviendriez de Pompeia, la femme de Jules César, répudiée par ce dernier au seul motif qu’un soupçon d’infidélité planait sur elle. Peu importe qu’elle soit coupable ou non, la femme de César se doit d’être irréprochable faute de quoi elle sera condamnée à prouver son innocence. Il en va de même pour les membres de Votre Maison. Votre couronne est à ce prix.

 

Fort de son attachement à l’institution monarchique, La Ligne Claire tient ses tarifs à Votre disposition sur demande et demeure de Votre Majesté le dévoué serviteur.

Downton Abbey

Downton Abbey – tout un cinéma

Il va de soi que La Ligne Claire a regardé Downton Abbey, paru au cinéma quatre ans après la fin de la série télévisée qui avait valu cette question rhétorique au Premier Ministre britannique de l’époque, David Cameron : « What shall we do now that Downton Abbey has come to an end ? »

Sans doute cette question n’était-elle pas tombée dans l’oreille d’un sourd puisque Julian Fellowes, le scénariste de la série, s’est décidé à capitaliser sur son succès. Un peu comme dans un album de bande dessinée, on y retrouve les personnages qu’on s’attend à y retrouver.

Le roi et la reine d’Angleterre se rendent en visite à Downton Abbey; voilà toute l’histoire. Selon le modèle adopté pour le feuilleton, elle fournit l’occasion de déployer une série de petites intrigues, ou plutôt de sous-intrigues puisqu’il n’y a pas de véritable intrigue: la comtesse douairière pourra-t-elle s’entendre avec la dame de compagnie de la reine ? Barrow, le valet de pied sera-t-il à la hauteur de son nouveau rôle en qualité de majordome ? Et où sont passées ces pièces d’argenterie qui soudain disparaissent ?

Au tournant du siècle, Fellowes s’était distingué en qualité de scénariste de Gosford Park, réalisé par Robert Altman, un film à énigme à la façon des Agatha Christie et dont le succès devait l’amener à créer la série télévisée. Mais chacune de ces manigances qui émaillent Downton Abbey ne forme guère que le sujet de saynètes dont la somme ne constitue pas la trame d’un film. Les personnages quant à eux sont conçus de manière trop étroite que pour permettre aux acteurs, même de talent comme Maggie Smith et Hugh Bonneville, de s’épanouir pleinement dans leur rôle. En définitive, Downton Abbey au cinéma n’est que Downton Abbey 2 sous un autre format.

Toutefois un film médiocre et même un peu ridicule ne signifie pas un film désagréable. Les accents, les réparties, les contrastes entre Upstairs et Downstairs, les costumes et les décors bien entendu, tout cela confère au film le charme qu’on attend de lui. A la fin de ce feel good film, trois ou quatre couples se nouent tandis que la comtesse douairière tire sa révérence. M. Fellowes serait bien avisé d’en faire de même.

Et puis, de retour chez elle, La Ligne Claire a déniché le Livre d’Or où sont recueillis les signatures des hôtes qui autrefois descendaient à la demeure familiale et où, à deux reprises au fil de ces années-là, on reconnaît l’autographe des membres de la famille royale qui avaient honoré de leur présence le château du comte et de la comtesse, sans que ces derniers n’en fassent tout un cinéma.


Albert et Elisabeth de Belgique

 

Albert et Elisabeth de Belgique, 1909

 

 

Pape François

De la difficulté d’être un catholique conservateur

Résumé

Depuis l’élection du Pape François, les catholiques conservateurs se trouvent dans une situation délicate. Leur propre conception de l’Eglise exige d’eux une fidélité à un pape dont ils ne partagent pas les orientations.

Une Eglise, plusieurs chapelles

« Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division. Car désormais cinq personnes de la même famille seront divisées : trois contre deux et deux contre trois ; ils se diviseront : le père contre le fils et le fils contre le père, la mère contre la fille et la fille contre la mère, la belle-mère contre la belle-fille et la belle-fille contre la belle-mère. »

Ces versets tirés du chapitre 12 de l’évangile selon saint Luc expriment sans doute assez bien un caractère permanent de l’Eglise catholique. Alors que chez les protestants, chacun est libre, en cas de désaccord avec son voisin, de tirer sa révérence et de s’en aller fonder une nouvelle communauté à sa guise, chez les catholiques on est condamné sinon à s’entendre du moins à cohabiter. Il ne peut y avoir une église catholique bis.

Conclave

Cependant depuis l’élection de Bergoglio au siège de Pierre en 2013, ces divisions ont acquis un nouveau relief. Sans doute les cardinaux électeurs, tous nommés par Jean-Paul II et Benoît XVI, qui en 2013 lui apportent leur suffrage, n’ont-ils pas bien lu la notice marquée sur l’emballage : « Attention, jésuite latino des années septante, à manipuler avec précaution». A l’aune de l’église d’Amérique latine de ces années-là marquée par la théologie de la libération voire l’appui à la lutte armée, la lettre écrite par le supérieur des jésuites argentins à l’occasion de la nomination de Bergoglio à l’épiscopat en 1992 le jugeant inapte à cette fonction, pouvait même passer pour un gage d’orthodoxie. Après tout, cet homme mène une vie austère, on ne lui connaît pas de casseroles, il s’est dressé face à la Présidente Fernandez de Kirchner au sujet du mariage pour tous et enfin, il est le patron d’un gros archidiocèse alors que ni Jean-Paul II, infirme au soir de sa vie, ni Benoît XVI, ce bouquiniste intello, n’ont été à même de mettre au pas la clique qui malmène la Curie. Ecce homo, se disent donc les cardinaux électeurs.

Vatican II

En 1979, lorsque Wojtyla est élu quinze ans après le Concile Vatican II, l’Eglise sort de la décennie la plus troublée de son histoire : les prêtres jettent leur froc aux orties par milliers, les nonnes se dévoilent, les premiers épousent les secondes tandis que d’innombrables expérimentations, souvent indues, voient le jour dans le domaine liturgique. Jean-Paul II et son successeur Benoît XVI s’attachent alors à relire les Actes du Concile à la lumière de la Tradition : puisque l’Eglise est catholique, à savoir universelle dans l’espace et dans le temps, il ne peut y avoir qu’une seule Eglise et il ne peut y être question de fondation ni même de refondation d’une église nouvelle en rupture avec la précédente. De plus, ils ont à cœur de s’en tenir aux documents conciliaires et d’exclure ce qu’un esprit du concile auto-proclamé fait dire au Concile et qu’il n’a pas dit en réalité.  Sur base de cette interprétation officielle du Concile, la cause paraît entendue – Roma locuta – jusqu’à ce qu’elle soit remise en cause par le seul homme à même de le faire, le pape François.

Vatican II revisited

Le mot d’ordre de François est de porter l’Eglise aux périphéries, périphéries du monde certes, mais aussi de la foi et de la morale. Pour traiter de cette dernière question et en particulier de l’accès  (ou non) des divorcés remariés (civilement) à la communion, mais aussi du regard de l’Eglise envers les homosexuels, il convoque dès octobre 2013 un synode des familles au cours duquel vont s’affronter conservateurs et progressistes.[1] Or c’est sur ce point-là que la ligne de front va se fixer. Dans le monde occidental tout le monde sait que depuis cinquante ans dans chaque paroisse il se trouve des divorcés remariés qui s’avancent vers la communion, soit à l’insu du curé soit avec sa bénédiction tacite. Certes, disent les conservateurs mais on ne peut élever une pratique abusive au rang du magistère de l’Eglise : les paroles de Jésus à ce propos sont claires (Matthieu, chapitre XIX). Au pape qui reproche aux conservateurs leur pharisianisme, ces derniers rétorquent que ce sont les Pharisiens qui cherchaient des tours de passe-passe pour s’accommoder de la Loi tandis que Jésus lui en rappelait toute la rigueur. De plus, si Jésus a pardonné à la femme adultère (Jean, chapitre VIII), non seulement il ne l’a pas confortée dans son état mais lui a enjoint de ne plus pécher. Puis, citant saint Paul (1 Co XI, 20-32) ils rappellent que quiconque mangera le pain de manière indigne mangera sa propre condamnation. Or les divorcés remariés vivent une sorte de scandale public.

Face à cette impasse et fidèle à sa propre exhortation de « flanquer la pagaille », François rédigera l’exhortation apostolique Amoris Laetitia où la question, loin d’être tranchée, est renvoyée en une note en bas de page. Cela vaudra aux détracteurs du pape non seulement de lui reprocher de s’exprimer de manière ambiguë mais de le faire de manière délibérée. Ce qui semble clair, c’est que François pense que la seule manière de régler ce débat c’est de rebattre les cartes d’où puisse émerger une nouvelle donne autour de laquelle puisse se forger un consensus qui fait défaut actuellement. Et effectivement, c’est ce qui se produit. Par exemple, l’Eglise allemande, riche et libérale, s’engage en faveur de l’accès à la communion des divorcés-remariés mais aussi du conjoint protestant dans un couple mixte sur le plan confessionnel tandis que l’Eglise polonaise, conservatrice, s’en tient à la position traditionnelle de l’Eglise telle que rappelée par le Magistère. Vérité en deçà de l’Oder, erreur au-delà.

Face à cette situation de fait, le parti conservateur s’alarme et rappelle que la Vérité ne peut se contredire et donc qu’elle ne peut être partagée. Ils désignent volontiers la Communion Anglicane, où le mot Communion ne sert plus désormais que de cache-sexe destiné à masquer la profonde désunion qui prévaut en son sein en matière de mœurs et d’ordination féminine. Ils craignent aussi que cette sorte de mise en mouvement lancée par le pape ne connaisse pas de limite propre ; à cet égard les conservateurs pointent volontiers du doigt les évolutions observées dans la société civile, de la dépénalisation de l’avortement à sa revendication comme un droit, de la pilule à la PMA ou encore du PACS au mariage pour tous. Ils ajoutent enfin que les églises protestantes qui ne font qu’emboîter le pas de façon servile à la société civile finissent par n’avoir plus rien à dire et à faire fuir leurs membres vers les églises évangéliques, très strictes sur les questions de moeurs.

Mais surtout ils estiment qu’il revient au pape de s’exprimer clairement en matière de doctrine et de mœurs et que ce pape-ci en quelque sorte sous-traite ces jugements à ses fidèles. On assiste alors tant à l’émergence d’une sorte de morale de situation (Certes monsieur Dumont a-t-il tué sa femme mais cette dernière était une mégère acariâtre) qu’à une confusion en matière doctrinale (« le pape m’a dit que l’enfer n’existe pas », écrit Eugenio Scalfari de la Repubblica, sans que le Saint-Siège n’apporte de démenti).

Que faire?

Les catholiques conservateurs se retrouvent désormais dans une position à la fois inédite et délicate dans la mesure où elle implique une critique du pape François et de l’exercice de son ministère. Car l’Eglise catholique repose sur la notion que le pape est le custode de la foi et de la doctrine plutôt que celui qui les remet (apparemment) en cause. Quelles sont alors leurs options ?

L’option nucléaire consiste à ne plus reconnaître l’autorité du pape et du concile Vatican II ; c’est le choix effectué par Monseigneur Lefebvre (bien qu’il s’en défende). Ceci dit, depuis l’élection de Bergoglio, on n’a pas assisté à un schisme formel.

La deuxième possibilité est de demander au pape de bien vouloir préciser ses propos et ses écrits. C’est le choix effectué par quatre cardinaux qui en 2016 demandent des clarifications (appelées Dubia) au pape au sujet d’Amoris Laetitia. Sans doute François a-t-il fait sienne la maxime du Cardinal de Retz selon laquelle on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses propres dépens, car les Dubia sont restées sans réponse à ce jour.

La troisième option consiste à faire trébucher le pape sur une affaire ou une autre, par exemple l’affaire McCarrick, du nom de ce cardinal américain déchu pour faits de pédophilie. Le pape était-il aux courants de ces faits sordides et, si oui, les a-t-il tus ? Oui, écrit Monseigneur Carlo Maria Viganò, ancien nonce à Washington, non sans appeler François à la démission.

Enfin, il y a tous ceux qui se retirent dans un exil intérieur, se taisent et refusent de prendre part à ce débat. C’est dans ce camp qu’on retrouvera la grande majorité des évêques à l’exception de l’une ou l’autre personnalité comme Monseigneur Athanasius Schneider, évêque auxiliaire d’Astana au Kazakhstan, une de ces périphéries si chères au Pape François.

Quo Vadis ?

Pour l’instant, alors que le Pape François nomme des cardinaux qui partagent sa sensibilité, les catholiques conservateurs sont coincés car, répétons-le, il n’existe pas d’Eglise-bis où ils puissent trouver refuge.

Pourtant, La Ligne Claire estime qu’il existe une contradiction au cœur de la voie progressiste empruntée par le Pape François et plus encore par ses partisans. D’une part ils avancent que le pape ne fait qu’apporter des accommodements d’ordre pastoral mais d’autre part ils répètent à l’envi que Bergoglio est un pape révolutionnaire. Le pape lui-même semble parfois perdre la main sur cette Eglise qu’il veut en perpétuel mouvement. Tout récemment, il s’est vu contraint d’adresser une mise en garde à l’Eglise allemande, tentée par une voie synodale, un Sonderweg, qu’il a lui-même encouragée de ses vœux.

Les conservateurs, qu’on retrouve au sein de nombreux courants, ne sont ni des nostalgiques ni des opposants de principe à des réformes dans l’Eglise. Tous croient cependant que le christianisme est une religion révélée à laquelle on adhère par la foi ; certes cette révélation doit sans cesse faire l’objet d’un approfondissement, mais son contenu quant à lui est intangible car d’origine divine et ne saurait faire l’objet d’un supposé progrès.

Ils observent tant le monde protestant que l’aile progressiste catholique et en tirent la conclusion que le soi-disant progrès proposé ne consiste pas à aller de A à B mais qu’il est présenté comme inéluctable, irréversible, et une fin en soi, maintenant et toujours. Oui, mais alors, l’Eternel, le Dieu d’Abraham d’Isaac et de Jacob, ce Dieu qui était avant toute chose, ce Dieu-là à qui désormais on ordonne de changer tout le temps, est-il encore Dieu ? Non, disent les conservateurs, le progressisme comme fin en soi est en fin de compte une idolâtrie. Dans un bel exemple de reductio ad absurdum, on trouvait il y a quelques années un pasteur de l’église luthérienne au Danemark qui déclarait ne plus croire en Dieu mais qui n’y voyait pas malice et entendait poursuivre son ministère tout comme avant, mais sans Dieu.

Toujours est-il que pour le quart d’heure, les conservateurs sont condamnés à porter leur croix et à affirmer leur fidélité à un pape qui se définit lui-même comme un pò furbo, qui ne les aime guère et dont ils ne partagent pas la sensibilité et dont ils reprouvent les orientations. Quia extra Ecclesiam nulla salus.[2]

 

 

[1] En Amérique on qualifiera plutôt les progressistes de liberals tandis qu’en Europe ils se nomment eux-mêmes réformistes ; néanmoins La Ligne Claire retiendra l’appelation progressistes. Quant aux conservateurs, il y a lieu de les distinguer des traditionalistes, attachés à la messe en latin, et qu’on retrouvera aussi bien au sein de l’Eglise qu’en dehors (lefèbvristes).

[2] La Ligne Claire invite ses lecteurs intéressés par cette analyse du pontificat actuel de consulter les publications de Ross Douhat, journaliste au New York Times.

 

Couronne royale

Familles royales – éternels seconds

Le décès de Jeffrey Epstein ces jours derniers a fait resurgir les liens qu’il entretenait avec le prince Andrew, deuxième fils de la reine d’Angleterre, et, plus largement du rôle qu’il lui est dévolu.

A sa naissance, et tout au long de sa jeunesse, le prince était second dans l’ordre de succession au trône, juste derrière son frère aîné Charles. Mais la naissance du prince William en 1982, un an après le mariage du Prince Charles et de Diana Spencer, le fait reculer d’un cran ; aujourd’hui le prince Andrew se retrouve à la huitième place.

Si la logique du système monarchique justifie l’existence de plusieurs enfants royaux, the heir and the spare selon le dicton anglais, elle pose aussi la question de l’affectation des membres de la famille royale qui voient leur rang reculer. Andrew n’a après tout que vingt-deux à la naissance de William alors que ses perspectives de régner un jour deviennent bien minces. Il continuera à exercer des fonctions au sein de la famille royale mais il semble à La Ligne Claire qu’il a été discrètement placé à l’arrière-plan dès lors que les princes William et Henry étaient devenus adultes.

C’est ingrat. Toute sa vie on lui demande de monter la garde comme Giovanni Drogo dans le Désert des Tartares puis, puisque ni le prince Charles ni sa descendance ne sont décédés, de se retirer sans faire de bruit. La Ligne Claire ne sait pas si le prince Andrew aurait souhaité faire autre chose dans la vie mais ce qui est clair, c’est qu’il n’en a pas eu l’occasion et qu’il n’y a pas été préparé. Pour les familles régnantes, se pose ainsi la gestion de ce qu’on pourrait appeler la transition professionnelle de ses membres qui naissent en ordre utile mais qui le perdent au fil des ans. Ainsi en Belgique, les enfants de la princesse Astrid (elle-même cinquième dans l’ordre de succession au trône) ne seront pas appelés à jouer un rôle public et travaillent ou travailleront dans la société civile.

Demeurent alors les cas un peu tristes des cadets, le prince Andrew, le prince Laurent de Belgique ou encore le prince Jean de Luxembourg, qui ne sont utiles que jusqu’à leur date limite de vente. Certains s’en contentent, d’autres endossent le rôle du bouffon à la cour, d’autres encore entretiennent des relations peu judicieuses.

To a hippy unknown

It was fifty years ago today

The Woodstock generation

While La Ligne Claire, then a cub scout, vividly recalls watching the moon landing live on a huge, grainy, black and white television set, if true be told, it has no recollection whatsoever of the Woodstock festival and probably was not even aware of it taking place at the time.

The Woodstock Music and Art Fair, to give it its official name as it appeared on the poster, did not even take place in Woodstock at all but in Bethel, NY, some ninety miles away. Nor was it the first large rock festival, that award goes to the Monterey Pop Festival, credited with opening the 1967 Summer of Love. Nevertheless, Woodstock would come to define a generation named after it, that of counter-culture, civil rights and opposition to the Vietnam war. As the saying goes, “Even if you were not at Woodstock, you still remember it”.

1969 was an age of plenty, in America at least, if not in Vietnam; it was also an age of innocence for perhaps some 500 thousand middle class, mostly white, young people in blue jeans and sandals, who three days long communed in this hippy version of America’s manifest destiny. « You must be in heaven, man », bellowed the stage announcer at one point.

This being America, the festival was originally planned as a business venture by its sponsors, who were expecting some fifty thousand spectators while some 500 thousand turned up over the course of three days, forcing them to declare the event a free concert. At that point they were out of pocket and would have remained so forever were it not for the film and triple album, that hugely contributed to laying the foundations of the Woodstock myth.

 

Who’s who

To this day the musicians line up remains impressive (1) and would have been even more so but for those, Bob Dylan, The Byrds, Led Zeppelin, among them, who turned down the invitation (not everyone was a hippy) and those, such as Joni Mitchell, who later admitted to having failed to appreciate the scope and significance of the event.

Rock music is a young man’s game, sometimes a young woman’s as well. Many musicians were aged around 25 with the youngest of all, Michael Shrieve, Santana’s drummer, aged only twenty. Carlos Santana himself was only 22 and was appearing on stage for the first time while Crosby, Stills, Nash and Young were only playing on stage together for the second time.

Many performances turned out to be outstanding despite the poor sound quality. Santana’s performance of Soul Sacrifice, an instrumental piece, for instance, where the guitar holds the role of the lead singer and enters into a succession of expressive duos first with the organ, then with the percussive section, draws upon the structure of a classical concerto, where the pianist engages with the orchestra. As for Alvin Lee of Ten Years After, this Paganini-like figure of the electric guitar, he is remembered for his performance of I’m Going Home, a classic blues set up between voice and guitar, in which he manages to capture the crowd’s attention by bringing the tempo up, then down, then up again. The Beatles and Bob Dylan, arguably the most prominent pop artists at the time were both absent but were covered on many occasions, the Beatles most notably by Joe Cocker (With a little Help from my Friends) and Crosby, Stills and Nash (Blackbird), and Bob Dylan by Melanie (Mr Tambourine Man), Joan Baez (I shall be released), Joe Cocker again (Just like a Woman) and The Band (I shall be released).

Credence Clearwater Revival did play at Woodstock; in fact they were the anchor band that first signed a contract and allowed the promoters to convince other artists to join in. Still, John Fogerty, ever the demanding musician, refused to appear on the record precisely because he judged the sound of his band’s performance to be too poor.

At eighteen thousand dollars, Jimi Hendrix was the highest billed artist and the advertised star of the festival. The rain had delayed his performance so he had to make do with playing to a much reduced audience on Monday morning. His closing performance of The Star Spangled Banner drew many critics but was his way of expressing what it was to be an American.

 

My generation

When all is said and done, Woodstock remains in a class of its own, not even the Isle of Wight festival the following year would retain the public’s imagination over half a century. Performers were clearly aware of the exceptional character of the show in which they were taking part: « It’s amazing, man, the biggest thing you ever saw ».

Yesterday’s hippies are gone, few people after all would consider spending their whole life under a tent without any running water. Woodstock’s young spectators returned home, hotly contested the freshly elected Nixon, settled down and, after a suitably decent interval, went into business on Wall Street and elsewhere. Fifty years on, they have fathered a new generation, as The Who would have it, today’s bobos. In that sense, Woodstock is still with us.

(1)https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_performances_and_events_at_Woodstock_Festival

Château de Chambord

Châteaux et gilets jaunes

De la plaine fumante qui tremble sous juillet émerge l’immense château de Chambord pensé tout-à-la fois par François Ier, prince philosophe, architecte, mécène et constructeur, comme la Jérusalem céleste descendue du Ciel en cette terre de Sologne et une œuvre qui permettrait aux hommes de cette Renaissance nouvelle de s’élever jusqu’à elle. Le célèbre escalier à double hélice, nouvelle échelle de Jacob, en est à la fois le symbole est le moyen.

Monument emblématique de la Renaissance française, célèbre pour ses toitures, racheté par l’Etat à la famille des Bourbon-Parme dans l’entre-deux-guerres, le domaine de Chambord a su se positionner avec bonheur dans le circuit du tourisme mondialisé. Avec plus d’un million de visiteurs par an, à quinze euros pièce, Chambord compte parmi les châteaux de France qui connaissent la plus grande affluence, aux côtés de Versailles et de Chenonceau, non loin. Géré comme une entreprise, tout y est orienté envers le touriste global : l’audio-guide disponible en une demi-douzaine de langues, les visites guidées en d’autres langues encore et la boutique que bien entendu on appelle shop. On ne négligera pas non plus les recettes émanant d’activités accessoires, la location de canots et de bicyclettes, les billets de concerts de musique classique et, pour les 1%, les droits d’atterrissage en hélicoptère. En somme Chambord appartient à cette catégorie de monuments qui, en raison de leur valeur artistique et de leur renommée, captent le gros des flux et des recettes touristiques et raflent la mise.

Non loin de là on peut apercevoir dans la forêt la ravissante gentilhommière de Savigny (nom d’emprunt), érigée elle aussi sous François Ier. Dans la famille du comte de *** depuis deux siècles, qui l’avait rachetée après que la Révolution lui eut infligé ses outrages, elle attire bon an mal an vingt mille visiteurs qui paieront de bonne grâce sept euros de droit d’entrée. Cent quarante mille euros de recette annuelle contre quinze millions et plus à Chambord, c’est peu, trop peu. Aussi le visiteur aperçoit-il le comte, gilet jaune de la noblesse, qui débroussaille les chemins du parc sur son tracteur tandis que la comtesse court de la guérite où elle accueille les visiteurs au verger, qui fournira une confiture faite maison, Les Confitures de la Comtesse justement. Pas d’audio-guide en anglais ici mais les enfants de la maison qui vous font faire le tour du propriétaire tandis que La Ligne Claire fournit quelques menus services de traduction à un ménage de visiteurs polonais qui peinent à s’y retrouver dans la succession des rois de France. Quelques lieues à peine séparent Chambord de Savigny entre lesquels s’est ouvert un gouffre qui démarque les gagnants du tourisme mondialisé de ceux qui peinent à nouer les deux ailes de leur château.

Claus von Bülow

Elémentaire particule

Sans doute, le décès de Claus Bosberg n’aurait-il pas retenu l’attention de la presse du monde entier ; mais la mère de Claus était née Bülow, une famille issue de la noblesse danoise et allemande, et qui au XIXe a fourni à l’Allemagne son contingent de généraux et puis Hans, le compositeur, gendre de Liszt, témoins les uns et les autres des bons et des mauvais génies qui agitaient l’Allemagne en ces temps-là.

Il devait avoir vingt ou vingt-cinq ans quand Claus jugea qu’il serait à son avantage d’utiliser désormais le patronyme de sa mère, auquel il prit la liberté d’ajouter la particule von. Ses études de droit achevées à Oxford, le destin l’avait conduit en Amérique, où ma foi il y avait beaucoup plus de gens très riches que dans l’Angleterre exsangue d’avoir gagné la guerre. Peu importe que la particule von ne soit pas en soi l’indicateur de l’appartenance à la noblesse, les Américains n’en auraient cure ou, mieux encore, se satisferaient de leur ignorance. Ces aristocrates européens d’après guerre, vrais ou faux, avec ou sans argent mais le plus souvent sans, n’ont ils pas ce je ne sais quoi qui permette au roi du chewing gum de se considérer un gentleman en leur compagnie ?

En Amérique, Claus se mit au service de John Paul Getty. La demande pour le pétrole croissait d’année en année et rien ne semblait l’arrêter ; l’analyse de la situation politique au Moyen-Orient déjà troublée par la création de l’Etat d’Israël requérait les compétences d’un homme du monde ; on pouvait gagner de l’argent sans trop se salir les mains même si déjà l’industrie salissait la planète.

Le salariat chez Getty nourrit sans doute son homme mais reste une servitude ; Claus n’était en somme qu’un prolétaire de haut rang alors que les vrais gentilshommes ne vivent de rien, c’est-à-dire de leurs rentes. Le temps était venu de corriger cette injustice du sort. Sunny Crawford, l’unique héritière de la Columbia Gas and Electric Company, venait de divorcer à propos d’Alfred Auersperg, un prince autrichien ; en 1966, alors qu’il a quarante ans, Claus l’épouse et avec elle, sa fortune. Claus quitte Getty et devient un mondain, dont la vie se partage entre la 5Avenue et le palais de la famille Crawford à Newport, dans l’Etat du Rhode Island. On lui prête une liaison avec la belle Alexandra Isles, née Moltke, une comtesse danoise car jamais le fruit ne tombe loin de l’arbre; Sunny ferme les yeux pourvu que les convenances soit respectées. On pouvait respecter les convenances, telles qu’on les entend en Amérique en ces années-là, en divorçant mais ce n’est pas une issue que Claus est prêt à envisager car elle le priverait de la rente que lui accorde sa femme.

A la fin des années septante, ce ménage à trois pèse néanmoins sur Sunny : elle se nourrit mal, boit à l’envie, consomme des médicaments à l’excès et puis quoi d’autre encore ? A deux reprises, en 1979 puis en 1980, elle sombre dans le coma. Les médecins diagnostiquent un niveau élevé d’hypoglycémie ; elle ne se réveillera plus jamais de ce second comma et décèdera en 2008. En 1982, Claus sera arrêté, inculpé pour double tentative de meurtre à l’encontre de son épouse, jugé coupable et condamné à trente ans de prison. Il se pourvoit en appel et fait appel aux services d’Alan Dershovitz, professeur de droit à l’Université de Harvard, qui mettra à mal les éléments matériels ayant servi à sa condamnation en première instance et obtiendra l’acquittement de son client en 1985.

L’histoire aurait pu s’arrêter là, après tout elle disposait de tous le ingrédients requis : l’argent, la passion amoureuse, l’ambition, la vie mondaine, une possible tentative de meurtre, une condamnation suivie d’un acquittement. Mais non, en 1990, cinq ans à peine après le jugement en appel, et alors que tous les protagonistes, y compris Sunny dans le coma, sont en vie, Barbet Schroeder en tire un film, Reversal of Fortune, où Jeremy Irons et Glenn Close tiennent les rôles de Claus et Sunny.

Le temps passa sur les mémoires, on oublia l’événement, Sunny décéda dans son sommeil en 2008 tandis que Claus se retirait à Londres y poursuivre ses mondanités, l’objet de sa vie.

Il y est mort le 25 mai dernier. A-t-il tenté de tuer Sunny ? Si oui, a-t-il éprouvé du remords ou bien s’est-il dit « Bien joué » ? Nul ne le sait désormais mais Claus von Bülow, né Bosberg, a eu droit à une chronique nécrologique dans le New York Times, The Economist, The Guardian, Paris Match et La Ligne Claire. Quoi de mieux dans la vie que de mourir célèbre ?

Faites l’expérience

Dans sa jeunesse, le mot expérience évoquait pour La Ligne Claire en tout premier lieu Jimi Hendrix, suivi du cours de chimie lorsqu’on versait de l’acide chlorhydrique sur un bâton de craie ; loin derrière venait la vague notion qu’avec l’âge l’homme était capable d’apprendre, de mûrir ses jugements, d’acquérir de la sagesse, en un mot d’avoir de l’expérience.

De nos jours, et en particulier en anglais, le mot expérience est servi à toutes les sauces, pour désigner quelque chose qu’on goûte, qu’on savoure, qu’on apprécie dans le sens de « taste ou enjoy the experience ». En réalité bien sûr, il s’agit d’un leurre. Ici ou là en se baladant sur internet, une fenêtre s’ouvre aux yeux de La Ligne Claire qui l’avertit que tel ou tel site utilise des cookies pour améliorer son expérience alors qu’en fait, comme un journal belge a l’honnêteté de le reconnaître, les cookies sont destinés à collecter des données qui sont de plus susceptibles d’être partagées avec des tiers.

Ailleurs, il y a quelques semaines le site de réservation en ligne Expedia envoyait à la Ligne Claire un email dont voici l’intitulé : « Faites-nous part de votre expérience de voyage avec Expedia ». A vrai dire, La Ligne Claire n’avait pas voyagé avec Expedia mais avec Easyjet et si elle devait s’exprimer envers Expedia, elle dirait tout d’abord qu’elle est irritée par les offres de location de voiture ou réservation d’hôtel dont elle n’a pas besoin, et qui lui sont proposées par défaut et ensuite qu’elle est doublement irritée d’avoir eu à payer un prix final pour son billet d’avion légèrement supérieur à celui annoncé, sans que la raison de cette différence ne soit éclaircie. Voilà pour l’expérience.

Ne nous arrêtons pas pour autant en si bon chemin. Voici un site, www.nexthink.com, qui, déjà blasé de faire l’expérience de ceci ou de cela, nous suggère de participer à la Gestion de l’Expérience, au même titre que celle des finances ou des ressources humaines. Bien plus, Nexthink vous propose de vous libérer des contingences du temps et de vous projeter dans le futur en cliquant sur l’onglet « Preview the Experience » et hop, vous voilà le voyeur d’une expérience, jadis le fruit de la connaissance des choses acquises au fil des ans, que vous n’avez même pas encore acquise.

Tout ceci ne sert qu’à marquer le fait que le mot expérience est devenu le cache-sexe de l’utilisation, un mot à la connotation trop utilitaire justement, qui révèle de façon transparente qu’un tiers profite de cette utilisation et de son « amélioration » à son profit. Bien entendu, La Ligne Claire ne mange pas de ce pain-là, elle qui se contente de proposer à ses lecteurs une expérience à la fois unique et immersive qu’elle vous invite à partager.

Noms de nom

Si les prénoms qui deviennent des noms sont légion en français, songeons à Claude François ou à Charles Michel, il y ait aussi des noms qui deviennent des prénoms. Dans la langue française, il semble à La Ligne Claire que ce soit une tradition catholique qui veut que le nom de famille d’un saint de l’Eglise devienne un prénom. Xavier, Gonzague et Chantal se rangent dans cette catégorie auxquels vous ajouterez, si vous habitez Versailles, Eudes et Vianney.

Cette marque de la communion des saints n’est pas propre au français puisqu’on retrouve Asis et Borja au rang des prénoms de langue espagnole ainsi que Javier bien entendu ; car chez les Borgia, il n’y a pas qu’Alexandre, Lucrèce et César mais aussi Francisco, arrière-petit-fils d’Alexandre VI, et troisième supérieur de la Compagnie de Jésus, canonisé en 1671. Quant à Asis, la sainteté du Poverello semblait une telle évidence à ses contemporains, que d’autres ont voulu en adopter le nom.

Dans un ordre d’idées un peu différent et toujours en espagnol, notons les nombreux attributs de la Vierge Marie qui, chez les filles, font office de prénom : Dolores, Pilar, Consuelo ou encore Mar ou Nieves et bien entendu Carmen, la Carmen de Don José, époux de Maria.

Hors de l’Eglise catholique, il semble que les protestants y aient trouvé leur salut en faisant leur cette pratique, peut-être davantage en Amérique qu’ailleurs. L’usage du middle name permet de faire appel entre autres au nom de famille de la mère, qui parfois tiendra lieu de prénom usuel. Cela dit, ce sont sans doute les Réformateurs qui tiennent la corde. Chez Martin Luther King, on ne sait trop où finit le prénom et où commence le nom tandis que le réformateur genevois serait étonné d’apprendre qu’il a conféré son nom non seulement au 30e président des Etats-Unis, John Calvin Coolidge, mais à un styliste renommé pour sa ligne minimaliste de sous-vêtements, Calvin Klein, preuve irréfutable qu’il n’y a pas d’espace dans la nature humaine que la sola gratia ne saurait atteindre. .

Portant plus loin son regard, La Ligne Claire observe cette pratique, devenue plus rare de nos jours, d’associer nom et prénom à une lignée familiale, Aldobrando Aldobrandi ou encore Baldo degli Ubaldi, un juriste médiéval. Quant aux Vénitiens aux temps de la Sérénissime, les familles patriciennes avait adopté l’usage de donner aux filles un prénom dérivé du nom de jeune fille de leur mère ; ainsi naquit Loredana, issue par sa mère de la famille Loredan, qui donna trois doges à la République.

Nomen est omen disaient les Romains ; en définitive, ces coutumes, comme tant d’autres, visent à inscrire l’enfant qui nait au sein d’une culture, une histoire ou une lignée familiale, non sans invoquer à juste titre la protection des saints.