La vocation de Saint Matthieur

Où est Matthieu?

Matthieu Cointrel, né en Anjou en 1519, résidait déjà depuis longtemps en Italie quand il s’associa à Catherine de Médicis, reine de France, en vue de reconstruire l’église Saint Louis des Français à Rome et lui conférer la façade que nous lui connaissons aujourd’hui, achevée en 1589. Ce demi-siècle écoulé en Italie avait fait de lui l’homme, bientôt le cardinal Contarelli, dont la postérité retiendrait le nom. Bien avant sa mort survenue en 1585, il avait fait l’acquisition de la chapelle qui porte aujourd’hui son nom et qui est ornée de trois tableaux du Caravage, tous trois consacrés à saint Matthieu l’évangéliste, le saint patron du cardinal bienfaiteur. Réalisés à l’occasion de l’année sainte 1600, le cycle comprend au centre de la chapelle Saint Matthieu et l’Ange flanqué à gauche de la Vocation de Saint Matthieu et à droite du Martyre de Saint Matthieu.

Dans les récits évangéliques, Matthieu nous est présenté comme un publicain, un collecteur d’impôts à la solde des Romains, ce qui lui vaut le mépris, voire l’hostilité de la population juive. Le récit de sa vocation, que nous relayent les synoptiques est succint : Jésus vit un publicain assis à son bureau de douane et lui dit « Viens et suis-moi » ; alors il se leva et le suivit. Matthieu ensuite figurera au nombre des Douze et bien entendu on lui attribuera l’évangile qui porte son nom.

Dans Saint Matthieu et l’Ange, la question de l’identité de Matthieu ne se pose pas, on ne confondra pas l’évangéliste et l’ange qui l’inspire ; pas davantage dans la scène du martyre où on ne saurait prendre le bourreau pour la victime. On notera à ce propos que dans l’un et l’autre cas Matthieu y est représenté sous les traits d’un homme âgé, à la barbe grise et au crâne chauve.

Venons-en maintenant à la Vocation de Saint Matthieu, ce tableau énigmatique dont on ne sait trop s’il représente une scène d’intérieur ou d’extérieur. A droite, le Christ pointe son doigt vers un groupe de personnes attablées, de même que Dieu touche Adam du doigt dans la fresque de la chapelle Sixtine. Traditionnellement, la critique artistique a retenu que le personnage d’âge mûr, lui aussi barbu mais pas encore chauve, qui semble s’auto-désigner du doigt, représentait Matthieu, ayant l’air de dire « Quoi, moi, que me veux-tu ? ».

Lors d’une conférence donnée en 2012 et à nouveau dans un livre publié cette année (*), l’historienne de l’art Sandra Magister a remis en cause cette interprétation.

Examinons à nouveau la scène. Un rai de lumière, comme porté par le doigt du Christ vient éclairer cette table d’auberge. Le propos du Caravage est limpide : Jésus, la lumière des hommes, éclaire le monde et dissipe les ténèbres, comme Dieu créateur dans le livre de la Genèse.

Le deuxième propos du Caravage tient dans l’actualité de l’Evangile. Si l’Evangile est d’actualité, alors un collecteur d’impôts du Ier siècle peut sans autre être figuré par un prêteur à gages ou un usurier de cette fin du XVIe ; qu’importe le temps et le lieu, ce qui compte, c’est que le Christ fasse irruption dans un monde où l’on compte ses sous. Lui, le Christ, ne doit guère en avoir, des sous, puisque lui et son compagnon, un bâton de pèlerin à la main, pénètrent nus pieds dans cette scène habitée de personnages richement vêtus.

Trois d’entre eux esquissent un geste de surprise. Le personnage, ce barbu pas encore chauve, tout à coup ne semble plus se désigner lui-même mais son jeune voisin de droite (à gauche sur le tableau). Ce dernier, assis sur un fauteuil élégant alors que ses compagnons doivent se contenter d’un banc, est affaissé sur la table où, au sens propre, il compte ses sous. Indifférent à la présence du Christ, accaparé par son argent ou au contraire sonné par le geste du Christ, cette main tendue qui perce les ténèbres, voilà selon Sandra Magister le nouveau Matthieu, un homme si radicalement neuf que l’ange de Dieu l’inspirera à rédiger un Evangile pour lequel il acceptera de mourir. Toute la chapelle Contarelli est là en trois tableaux.

(*) Sandra Magister, Il Vero Matteo, Campisano Editore, Roma 2018

Pape François

Memo to Pope Francis

Memo to :                   Pope Francis

Cc:                               Urbi et Orbi

From :                          Line, Clare & Co

Date:                            June 20th 2018 AD

Re:                                Audit

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Your Holiness,

Following the resignation last month of the entire board of your Chilean subsidiary, we have carried out an audit of your organisation, summarised hereunder along with our recommendations.

 

Executive summary

While expanding globally, your organisation has consistently been losing market share in your core European market for over half a century. Once renowned for the clarity of its message (“Let your yes mean yes and your no mean no“), your communications strategy is now often perceived to be confused. We recommend that you focus on your core product, Eternal Life, and that you position it as premium product, not to be discounted.

 

Offsite (1962-1965)

Even though a minority of your staff and some customers repudiated the decisions taken at your Offsite, most went along with its core findings. Fifty years on though, you need to challenge the way its decisions were implemented and not just blame loss of market share on external factors, however real.

 

Market share

As a global firm, you need to be present in all markets; Figure 1 below shows how you are positioned in each of them by measuring your market share against its growth rate.

This seemingly well-balanced positioning belies the fact that the current sizes of the European and American markets are much larger than the African one, not to mention the Asian market, still in its infancy.

 

Management

Experience suggests that your top-down approach to management, tested over 2,000 years, has revealed itself to be robust; with the benefit of hindsight, it proved itself surprisingly well suited to the peak of your global expansion from the 16th to the 19th centuries.

 

Communication

Your organisation used to be known for its crystal clear communications, but no longer. Latin, a crisp, synthetic language, offered a unique way of addressing your client’s spiritual needs that no competitor could match; such was its appeal that even the illiterate wanted to buy your product. Nowadays, coupled with the looser management culture that has prevailed since your Offsite, head office spokesmen come across as garbled, confused and even contradictory. Most recently, this confusion has led local managers, most notably in Germany, openly to oppose corporate policy as described in your policies and procedures.

 

Product positioning

We strongly recommend that you position your product as a premium brand, as it used to be. Debasing the currency, as it were, has hardly ever been a winning strategy in the long run. The key here lies in making your product feel timeless– something that never looses value, like a Patek Philippe watch; by contrast, make it too trendy and people will soon loose interest. Always remember Coco Chanel’s dictum: “La mode, c’est ce qui se démode”. There is evidence that the abandonment of this premium positioning has facilitated the emergency of budget competitors, particularly in Latin America, offering ever-expanding varieties of cheap religion.

Research also shows that product quality correlates with high recruitment levels, low staff turnover and corporate loyalty while the opposite holds true once the brand is devalued. There is evidence to suggest that this may have been happening.

 

Marketing

Demand for rituals is part of human nature – just think of those fútbol fans all over the world, who spontaneously develop their own chants. Drawing upon your rich cultural tradition, a selected use of Latin during your weekly Sunday sessions will lend your product a much needed touch of class and allow you to tap the insatiable demand for ritual and majesty, as the recent royal wedding just reminded us.  (*) Your job is then to ensure the consistency between the packaging and the end product as not to disappoint your customer.

(*) your founder was, after all, himself of royal blood

 

Code of ethics

No global entity can do without a Code of Ethics these days. You have one at hand, inherited from your predecessor firm, summarised in Ten bullet points, which you should observe at all times; and when it reads “don’t do it”, well, that is exactly what is meant. For, as Groucho Marx might have observed, “Who wants to be part of a club where no membership rules apply?”

 

Final considerations

There is no doubt that loose marketing and lack of corporate discipline have damaged your brand over the past half-century or so. Though weakened, your market position remains strong, as does untapped demand for your product. As a man close to the people, you will appreciate the common saying that goes, where there is hope, there is (eternal) life.

Focus on your core product, restore and maintain its sacred beauty, keep your eyes on the orbem terrarum at all times and, above all, do not throw the Baby Jesus with the holy water.

Yours faithfully (obviously),

Line, Clare & Co

Management Consultants

Comment peut-on être catholique?

Comment peut-on être catholique?

Cette question rhétorique, clin d’œil aux Lettres Persanes, donne son titre au livre paru il y a six mois sous la plume de Denis Moreau, professeur de philosophie à l’Université de Nantes. Catholique parce que philosophe, Moreau entend fournir en guise de réponse une argumentation raisonnée de la foi catholique et établir qu’elle constitue un choix raisonnable, au sens où il est conforme à la raison. Ce mariage de la foi et de la raison ne date pourtant pas d’hier : les Actes des Apôtres nous livrent le récit de Paul de Tarse s’adressant à l’Aréopage d’Athènes tandis que, face à la première grande crise doctrinale née de la diffusion de l’arianisme, le Concile de Nicée, réuni en 325, fera appel aux concepts empruntés à la philosophie grecque (nature, substance) et les réunira en une profession de foi que les catholiques de nos jours appellent le Credo.

Destiné à un large public, chrétien ou pas, l’ouvrage de Moreau est rédigé dans un langage très accessible, souvent drôle, qui tantôt fait appel aux classiques des lettres françaises, Pascal et Descartes en particulier, et tantôt fourmille des références les plus variées au monde actuel, le festival Hellfest, le philosophe Michel Onfray, ou encore le quotidien Libération, et qui fourniront autant de points de repères facilement identifiables. Car, faut-il le rappeler, le christianisme est la religion de l’incarnation, de la rencontre de Dieu avec l’homme tel qu’il est en réalité.

S’il s’adresse à un vaste public, le livre de Moreau n’en exige pas moins du lecteur un effort intellectuel honnête envers son sujet, celui-ci comme n’importe quel autre. Il invite le lecteur à s’intéresser tout autant à des concepts philosophiques, logos ou ontologie par exemple, à des citations bibliques ou à leurs commentaires par saint Augustin ou saint Thomas d’Aquin.

A l’issue d’un intermède délicieux que La Ligne Claire se gardera bien de dévoiler, dans la seconde partie de son livre, Moreau, qui s’affiche sans fard en catholique de gauche, une espèce désormais menacée en France, Moreau donc enjambe à grands pas  le terrain de la philosophie politique en vue de plaider la cause de la gauche. Selon lui, si elle est aussi malmenée en France comme en Europe, c’est qu’elle s’est dépourvue d’éthique, c’est-à-dire de la faculté de distinguer le bien du mal (1) (« pas de discours moralisateur »). En guise d’ersatz, elle s’est lancée dans une poursuite à outrance du libéralisme des mœurs, tout aussi mortifère que celui du capital, que Moreau dénonce à corps et à cri.

Moreau se défend haut et fort d’être prosélyte, tout simplement parce qu’il sait que ça ne marche pas. Il se propose au contraire, pour reprendre un terme quelque peu désuet, de faire une apologie du christianisme, à savoir une défense, une argumentation qu’il mène avec intelligence, foi et humour ; il  mérite d’être écouté car son sujet le mérite.

 

(1) cf Philippe de Woot: la finalité de l’économie 

Denis Moreau, Comment peut-on être catholique ? Editions du Seuil, 368 pages

Place Saint Pierre

Les caves du Vatican

Avertissement au Lecteur

La Ligne Claire ne dispose pas d’une connaissance de première main des événements dont on va raconter l’histoire mais s’est appuyé sur le blog de Sandro Magister, un vaticaniste de renom et qui le premier les a portés à la connaissance du public, ainsi que sur une correspondance de l’agence Associated Press.

Apparence des Faits

A la veille du cinquième anniversaire de l’élection de Bergoglio au pontificat, Monseigneur Dario Viganò, préfet du Secrétariat pour la Communication, a tenu une conférence de presse le 12 mars dernier au cours de laquelle il a publié un communiqué dans lequel il citait le contenu d’une lettre que lui avait adressée le pape émérite Benoît XVI.

Benoît XVI y réfute «  le préjugé stupide en vertu duquel le Pape François ne serait qu’un homme pratique dénué de toute formation théologique ou philosophique tandis que je ne serais moi-même qu’un théoricien de la théologie qui n’aurait pas compris grand-chose de la vie concrète d’un chrétien d’aujourd’hui ». Et d’ajouter : « Les petits volumes montrent à raison que le Pape François est un homme d’une profonde formation philosophique ou théologique, et aident donc à voir la continuité intérieure entre les deux pontificats, même avec toutes les différences de style et de tempérament.»

Les lecteurs attentifs auront remarqué que Benoît XVI y salue la continuité de la formation qu’ont reçue les deux papes, qui plus est une continuité intérieure, et non pas celle qui pourrait exister dans leur pensées, écrits ou actions.

Néanmoins, certains ont pu y voir la marque d’un appui apporté par Benoît XVI, éminent théologien, à son successeur ; d’autres encore se sont autorisés à penser qu’en publiant ce communiqué, c’était là que résidait effectivement l’intention de Mgr Viganò.

La Réalité des Faits

Or il va s’avérer que les passages ci-dessus ne forment que deux paragraphes d’une lettre qui en réalité en contient plusieurs. Nous le savons car le Secrétariat pour la Communication a lui-même envoyé à la presse une photo de cette lettre, qui s’étend sur deux pages. Et que voit-on sur la photo ? Que le quatrième paragraphe commence en bas de la page 1 dont les deux dernières lignes sont floutées tandis que le contenu de la seconde page, à l’exception de la signature de Benoît XVI, est tout entier masqué par une pile de petits volumes. Ces derniers sont ceux auxquels se réfère Benoît XVI ; rédigés au sujet du Pape François et non par lui, ils sont l’œuvre de différents auteurs. Soulignons par ailleurs que la lettre de Benoît XVI est datée du 7 février et qu’elle n’a donc pas été rédigée à l’occasion de l’anniversaire du pontificat.

Car en réalité la lettre de Benoît XVI est une réponse à une précédente lettre que Mgr Viganò lui avait adressée le 12 janvier et dont le contenu n’a pas été divulgué. Dans sa réponse Benoît XVI poursuit comme suit  : « Toutefois, je ne suis pas en mesure de rédiger une brève et dense page théologique à leur sujet parce que toute ma vie il a toujours été clair que je n’écrirais et que je ne m’exprimerais jamais que sur les livres que j’aurais vraiment lus. Malheureusement, même si ce n’est que pour des raisons physiques, je ne suis pas en mesure de lire les onze petits volumes dans un proche avenir, d’autant plus que je suis soumis à d’autres obligations que j’ai déjà acceptées. » L’omission de ce dernier paragraphe change fondamentalement le sens de la lettre dont la lecture tronquée induit en erreur. L’Associated Press n’hésite pas à parler de doctored photo ou de photo truquée et de violation des standards en vigueur au sein des agences de presse.

Contrairement à Mgr Viganò qui publie à mauvais escient une lettre marquée personnelle et confidentielle, Benoît XVI a la délicatesse de ne pas en faire autant avec la lettre que Mgr Viganò lui avait lui-même adressée ; on peut cependant déduire de la réponse de Benoît XVI qu’elle était accompagnée de l’envoi des onze fascicules, assortie d’une demande d’approbation ou de commentaire de ces ouvrages, à laquelle Benoît XVI ne donne pas suite. En effet, non seulement Benoît XVI écrit-il qu’il ne lira pas ces ouvrages mais s’étonne de la présence parmi les auteurs de Peter Hünermann, professeur émérite de théologie dogmatique à l’université de Tübingen, qui « durant mon pontificat avait pris la tête d’initiatives anti-papales ».

Epilogue

Il est loin désormais le temps où une photo constituait un élément de preuve ; Stalin est passé par là et maintenant le Vatican, qui le 17 mars dernier s’est résolu à publier la lettre de Benoît XVI dans son ensemble. Saluons la rigueur professionnelle et la droiture morale de Sandro Magister et de Nicole Winfield, tous deux journalistes, face à ces manœuvres déplacées de la part du Secrétariat pour la Communication. Bienheureux les cœurs purs car ils verront Dieu. Quant à Mgr Viganò, à l’occasion de sa prochaine messe, il pourra méditer les paroles du Confiteor où les fidèles s’accusent entre autres du péché par omission.

Le 21 mars on apprenait que le pape avait accepté la démission de Mgr Viganò.

 

 

Pape François

Le pape à la rencontre des Coptes

Le pape François entame aujourd’hui un voyage difficile en Egypte où il manifestera son soutien aux Eglises chrétiennes qui y vivent des moments douloureux et où il rencontrera aussi les hautes instances du clergé sunnite en vue de poursuivre et de promouvoir malgré tout le dialogue avec les musulmans. Fait remarquable, il est accompagné dans sa démarche par le patriarche oecuménique Bartholomée Ier, signe manifeste de la volonté du pape de renforcer non seulement le dialogue mais aussi l’agir oecuménique au sein des différentes églises chrétiennes. Cette démarche conjointe mérite d’être d’autant plus soulignée que la plupart des chrétiens d’Egypte se réclament de l’Eglise copte, qui n’est ni catholique ni orthodoxe au sens où nous comprenons ces mots de nos jours.

Fondation

Selon la Tradition, l’Eglise en Egypte trace sa fondation à l’évangéliste saint Marc, identifié au personnage de Jean-Marc qui apparaît dans les Actes des Apôtres. Vers le milieu du Ier siècle, soit à peine une douzaine d’années après la mort de Jésus, saint Marc aurait fondé l’Eglise d’Alexandrie, une ville qui comptait alors une importante population de Juifs hellénisés (parmi lesquels on compte Théophile à qui saint Luc adresse son évangile). De nos jours encore, le pope de l’Eglise copte porte le titre de patriarche d’Alexandrie et patriarche de la prédication de saint Marc.

Dès le IIIe siècle se développe en Egypte un courant jusqu’alors inédit du christianisme, le monastisme, qui voit des hommes se retirer dans une vie de solitude au désert. C’est l’époque de saint Antoine le Grand, célèbre pour avoir affronté les tentations du démon, une scène reproduite maintes fois dans l’histoire de la peinture, de Jérôme Bosch à Salvador Dali.

Le concile de Chalcédoine en 451

Dès les premiers siècles du christianisme apparaîtront des disputes théologiques, ces fameuses querelles byzantines, que des conciles seront appelés à trancher. Au Ve siècle de notre ère le monde antique est agité par les débats au sujet de la nature du Christ: a-t-il une seule nature ou une double nature, humaine et divine?

Le concile de Chalcédoine en 451 marquera un tournant fondamental dans l’émergence de l’Eglise copte. Le concile définit de manière claire que le Christ possède deux natures, humaine et divine, réunies en une seule personne ; cette définition dogmatique conduira à un schisme majeur dans le chef de l’Eglise d’Egypte, alors province byzantine et, dans une moindre mesure, dans le chef de l’Eglise de Syrie. A Chalcédoine l’opposition aux positions défendues par le concile était menée par Dioscure, patriarche d’Alexandrie et qui fut déposé pour cette raison. Mais l’Eglise d’Egypte ne l’entendait pas de cette oreille et nomma à sa place son propre patriarche, Timothée (Tawadros), ce qui l’amena à rompre la communion avec l’Eglise impériale. En guise de réplique, l’empereur à Constantinople nomma son propre candidat au patriarcat d’Alexandrie à la tête d’une Eglise qualifiée depuis lors de melkite (un mot d’origine syriaque signifiant royal ou impérial), séparée de l’Eglise qu’on peut désormais appeler copte, mais qui demeurera toujours minoritaire au sein du christianisme égyptien. Notons  que le mot copte même est dérivé du nom grec pour Egyptien « Egyptos »).

La conquête arabe

En 639 les Arabes conquièrent l’Egypte sur les Byzantins. Si les califes omeyyades pratiquent une politique de tolérance religieuse, ils réclament de la population chrétienne des taux d’imposition supérieurs à ceux dus par les musulmans si bien que dès la fin du XIIe siècle une majorité de la population égyptienne est de confession musulmane.

Il faudra attendre le XIXe siècle pour que l’Eglise copte puisse sortir de l’ombre. C’est l’époque où les premières écoles chrétiennes sont fondées et où l’Ecole théologique d’Alexandrie, la toute première de ce type, fondée en 180, rouvre ses portes au terme d’un hiatus de quatorze siècles.

Situation actuelle

De nos jours l’Eglise copte constitue la plus importante des Eglises d’Orient avec dix à quatorze millions d’adeptes en Egypte même, soit 12 à 15% de la population, et environ cinq autres millions à l’étranger. Depuis 2012 elle est dirigée par le Pope Tawadros II, 118e patriarche d’Alexandrie. On assiste depuis plusieurs années à un rapprochement entre les Eglises copte et orthodoxe sur des sujets comme le mariage et à des efforts en vue d’aplanir les divisions nées des divergences d’interprétation doctrinales des canons du concile de Chalcédoine. Si la langue liturgique traditionnelle est le copte, une langue dérivée de l’égyptien ancien, de nos jours les services religieux se déroulent également en arabe.

En 1988 les Eglises catholique et copte se sont accordé sur une définition commune au sujet de la nature de Jésus-Christ dans le but de mettre fin aux querelles, il est vrai obscures, nées du Concile du Chalcédoine. Cette déclaration réaffirmait une foi commune et reconnaissait que les mésententes et les schismes passés devaient être attribués à des différences culturelles et de divergence dans la formulation, qui ne portaient pas atteinte à la substance de la foi.

Parmi les personnalités égyptiennes contemporaines de confession copte, on peut citer Boutros Boutros-Ghali, ancien secrétaire général des Nations Unies et Suzanne Moubarak, l’épouse de l’ancien président.

Annonciation

Annonciation

Dring.

« de Nazareth, Marie, c’est ici ? »

« Euh oui »

« Voilà vous allez enfanter un fils, il s’appellera Jésus, et il siégera sur le trône de David son aïeul ».

« Ah bon ?»

« Oui, signez là, là et là. Salutations à Beppe ».

Cette scène qui est reportée au chapitre Ier de l’Evangile selon saint Luc est connue sous le nom de l’Annonciation. Elle relate le moment où le divin fait irruption dans la vie ordinaire d’une jeune fille qui vaque à ses occupations tandis que son mari poursuit sa besogne à l’atelier. En ce 25 mars, les pendulaires suisses vaquent aussi à leurs occupations sans songer que neuf mois après cette conception virginale ce sera Noël, à savoir la naissance annoncée du gamin, Jésus.

Pourtant cette scène a inspiré d’innombrables peintres, au rang desquels figurent Fra Angelico, Botticelli, Léonard de Vinci et le Caravage, ce voyou génial. Alors que les CFF annoncent un dérangement, l’Annonciation, elle s’est annoncée de manière définitive dans l’art européen, avec des codes très clairs auxquels se tiennent tous ces grands artistes : l’archange Gabriel figure le plus souvent à gauche de la scène tandis que Marie, toujours vêtue d’une robe rouge, qui évoque la passion du Christ, et d’une cape bleue, figure maternelle de l’Eglise, est placée à droite ; un lys symbolise sa virginité, tandis qu’une colombe figure le Saint-Esprit. A leur arrivée à Cornavin, les pendulaires pourront en voir un exemplaire sous la forme d’un vitrail de la Basilique Notre-Dame.

Pape François

Le pape François à l’affiche

Le pape François a récemment fait l’objet de deux marques inhabituelles d’attention, d’une part une affiche rédigée en dialecte romain où il se voyait reproché un défaut de miséricorde envers l’Ordre de Malte et les Franciscains de l’Immaculée et d’autre part une fausse édition de l’Osservatore Romano qui abondait dans le même sens.

Si les attaques contre le pape ne sont pas chose nouvelle – qu’on songe à Luther ou aux pamphlets dénonçant la prostituée de Babylone aux XVIe et XVIIe siècles – celles-ci surprennent en raison du caractère anonyme de leurs auteurs et dans le cas du faux Osservatore par le recours aux nouvelles technologies de l’information.

L’Eglise catholique se veut universelle et, pour cette raison, héberge depuis toujours en son sein de nombreux courants, certains bien en cour auprès de la papauté et d’autres pas. Qu’on songe par exemple à la théologie de la libération, un courant de pensée auquel Jean-Paul II s’était opposé avec vigueur et qu’il avait réduit à l’impuissance. A l’époque, ceux qu’on appellera par convenance la frange conservatrice de l’Eglise non seulement s’en étaient réjoui mais justifiaient l’action du pape au nom de sa juridiction universelle.

Ces mêmes personnes, qu’on soupçonne d’être derrière les affiches et le faux Osservatore, se trouvent aujourd’hui bien empruntées car elles ne peuvent à la fois ouvertement critiquer le pape et se réclamer de son autorité. Aussi les voilà contraintes à avancer à visage masqué et de tacher de distinguer leur conception du ministère papal de la manière dont François l’exerce et qui leur déplait. Cette contradiction fait le lit de la déloyauté.

Pape François

Le Pape, les terroristes et les catholiques

Le 26 juillet dernier le père Jacques Hamel était sauvagement égorgé dans son église à l’issue de la messe qu’il venait de célébrer par deux individus qui se réclament explicitement de l’Etat islamique. Le Pape François s’est exprimé à deux reprises à ce propos, une première fois dans l’avion qui l’emportait aux JMJ à Cracovie, et une seconde fois au retour.

A l’aller le pape a insisté sur la notion de guerre, « une guerre d’intérêts, une guerre pour l’argent, une guerre pour les ressources naturelles, une guerre pour la domination des peuples, …pas une guerre de religions car toutes les religions veulent la paix » qui, selon lui, explique la situation du monde.

Si ces propos ont pu surprendre, ceux prononcés lors du vol du retour ont provoqué un émoi plus considérable encore. « Je ne pense pas qu’il soit juste d’associer islam et violence…tous les jours quand j’ouvre les journaux, je vois des violences en Italie, quelqu’un qui tue sa petite amie, un autre qui tue sa belle-mère, et ce sont des catholiques baptisés ».

Face à la perplexité qu’ont causé ces commentaires, La Ligne Claire souhaite présenter trois hypothèses susceptibles de les déchiffrer.

 

L’accident selon Aristote

La première pourrait s’appeler l’hypothèse de l’accident. Un type tue un autre type, cela arrive tous les jours, et s’il s’avère que l’assassin est un Français de confession musulmane et la victime un autre Français, prêtre catholique, cela relève de l’accident aristotélicien. Dans cette optique, cet incident tragique tient du fait divers et devient donc tout à fait comparable à l’histoire de cet autre type, le baptisé catholique, qui zigouille sa belle-mère. Ce personnage fictif auquel le pape se réfère est celui qui permet de conférer une certaine validité à cette hypothèse.

Elle n’est pourtant partagée par personne d’autre. Selon la sœur Hélène Decaux, témoin du meurtre, les assassins se réclament à la fois de la guerre en Syrie, menée selon eux par les Chrétiens et qu’ils invoquent comme justification de leur geste, et de motifs religieux car « Jésus ne peut pas être à la fois homme et Dieu ». Pour sa part le Président François Hollande, qui se professe athée, déclarait que « tuer un prêtre, c’est profaner la République » ; il s’est ensuite rendu, accompagne du Premier Ministre Manuel Valls à la cérémonie d’hommage célébrée par le cardinal Vingt-Troix à Notre-Dame de Paris, tandis que Bernard Cazeneuve assistait à la messe de funérailles prononcée par Mgr Dominique Lebrun, archevêque de Rouen. En d’autres termes, les plus hautes autorités de l’Etat ont rendu hommage à Jacques Hamel parce qu’il a été égorgé à dessein en tant que prêtre catholique et pas comme victime d’une affaire qui aurait mal tournée. Enfin, la Nation tout entière s’est associée à cet hommage, y compris les représentants des communautés musulmanes.

 

La sociologie

La deuxième hypothèse est celle qu’à la suite d’Aldo Maria Valli, vaticaniste de renom a la RAI, la télévision italienne, on peut appeler l’hypothèse sociologique.

Le pape a souvent évoque cette guerre menée au nom de l’argent. Elle plongerait ses racines lointaines dans l’expansion de l’Occident au XVIe siècle puis dans sa domination économique du monde et, dans le cas du Proche-Orient, dans le démantèlement de l’empire ottoman, les accords Sykes-Picot, les luttes pour le contrôle des ressources pétrolières et bien entendu les deux guerres d’Irak. Cet impérialisme de l’Occident produit encore aujourd’hui ses effets : lutte pour le pétrole, guerre, flux migratoires, terrorisme. En somme le pape propose une théorie explicative du terrorisme dont la religion est absente et qui justifie ses propos selon lesquels toutes les religions veulent la paix. Les assassins du Père Hamel ont eux aussi invoqué la guerre au rang de leurs motifs et voient leur geste comme une rétribution de l’intervention française en Syrie ; dans cette optique qu’ils partagent avec le pape, le terrorisme n’est qu’un retour de bâton mérité par l’Occident en raison de son exploitation économique du monde arabe. Cependant là où l’Etat islamique comme les assassins se démarquent du point de vue du pape, c’est qu’ils proclament le terrorisme comme une guerre sainte à mener contre les « Croisés » dont le pape est du reste perçu comme le chef. Peu importe que par ailleurs la France soit une république laïque, qui compte en son sein cinq a six millions de musulmans, ce qui compte à leurs yeux c’est en définitive son histoire, qui fait d’elle une puissance chrétienne à combattre.

 

L’histoire

Le 3 décembre 2014, La Ligne Claire avait eu l’occasion de publier un article dans les colonnes du journal Le Temps (http://www.letemps.ch/opinions/2014/12/03/pie-xii-francois-impossibilite-chronique-designer-assassins) qui établissait un parallèle entre le pape François et Pie XII, deux hommes à la personnalité très différente ; l’article avançait l’hypothèse que l’un et l’autre avaient en quelque sorte succombé au terrorisme dans la mesure où la terreur, alors nazie et aujourd’hui d’inspiration islamique, les avait privés de leur pleine liberté d’expression en public. Aujourd‘hui La Ligne Claire reprend volontiers cette hypothèse pour expliquer les dernières paroles du pape, tout en soulignant une différence importante avec son prédécesseur. On a suffisamment reproche à Pie XII ses silences au sujet de la Shoah et de même le pape François, lorsqu’il plaide la cause des migrants, un sujet qui lui tient pourtant à cœur, omet soigneusement de mentionner l’islam et même le terrorisme d’inspiration islamique. On a depuis lors précisé que le pape, qui s’était exprimé en italien dans l’avion, lorsqu’il disait « violenza islamica », renvoyait à une violence musulmane et non pas islamique, qui permettrait donc une comparaison avec une violence catholique. Il n’en reste pas moins que, craignant d’enflammer le mal qu’il souhaiterait condamner, là ou Pie XII s’était muré dans le silence face aux crimes nazis, le pape François s’est senti obligé d’établir un parallèle entre le terrorisme d’inspiration islamique bien réel et un supposé terrorisme catholique, qui lui ne renvoie a aucune réalité.

Enfin, si les déclarations du pape François prennent place parmi les contingences du moment, elles sont aussi le reflet de sa personnalité et de son style d’expression. Adepte d’un style familier et des déclarations a brûle-pourpoint, le pape, dont il dit de lui-même qu’il est un peu fourbe, se plait à cultiver une ambiguïté calculée, disant ceci aux uns et cela aux autres, et à agir volontiers de façon impétueuse, solitaire sinon autoritaire.

On attribue au roi Salomon à la sagesse légendaire le proverbe qui recommande de « tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler », marque d’une sagesse, désormais à élever en réponse à la terreur dont fut martyr le Père Jacques Hamel.