La Reine Elisabeth II

Elizabeth II, à nouveau

Anniversaire

Il y a six mois, la reine Elisabeth était devenue le monarque dont le règne en Angleterre aura été le plus long, un événement que le monde entier avait alors salué. Aujourd’hui, la voilà qui fête son nonantième anniversaire, un âge jamais atteint par aucun de ses prédécesseurs en l’espace de près de mille ans. Comment en est-on arrivé là, serait-on tenté de demander? Que la reine atteigne ce grand âge ne tient pas à elle bien sûr ; en revanche qu’elle règne toujours tient à la conception que la reine Elisabeth a de sa propre fonction.

Aux Pays-Bas, trois souveraines de suite, Wilhelmine, Juliana et Béatrice ont achevé leur règne par une abdication, qui s’inscrit désormais dans la tradition de l’institution monarchique dans ce pays. Plus récemment le roi des Belges Albert II et le roi d’Espagne Juan-Carlos ont eux aussi abdiqué. Du reste, lors de l’allocution prononcée à la télévision au cours de laquelle il annonçait sa décision d’abdiquer, Albert II citait précisément le fait qu’il avait atteint un âge, quatre-vingts ans, qu’aucun roi des Belges n’avait atteint avant lui. Tous ces souverains ont en commun d’être des souverains constitutionnels dont les pouvoirs sont donc ceux que prévoit la Constitution de leur pays respectif. Le premier roi des Belges, Léopold Ier, ne manquait pas du reste de se plaindre en privé d’être à la tête d’une république couronnée.

Une monarchie sacrée

Avec la reine d’Angleterre, il en va autrement. Elisabeth n’a pas prêté serment sur une constitution, elle a été couronnée et sacrée par l’archevêque de Cantorbéry au cours d’une cérémonie qui tire ses origines du sacre des rois de France. Celui-ci à son tour trouvait son inspiration dans la Bible et notamment dans le passage du Premier Livre de Samuel où le prophète consacre David roi par l’onction de l’huile, un rite repris lors des sacres de Reims. C’est donc en vertu de cette onction qu’Elisabeth est reine, ainsi qu’il est frappé sur les pièces émises par la Monnaie royale, E II DG REG FD, Elisabeth II Dei Gratia Regina Fidei Defensor, reine par la grâce de Dieu, Défenseur de la Foi.

Sous l’Ancien Régime en France, on disait que la couronne est indisponible, un principe selon lequel le souverain ne pouvait ni renoncer à la couronne, ni abdiquer, ni désigner son successeur, ni modifier l’ordre de succession. C’est pourquoi La Ligne Claire est prêt à prendre le pari que la conception sacrée qu’Elisabeth a de sa charge lui interdit d’abdiquer et que le jour où ses forces lui viendront à manquer, elle nommera son fils Charles Régent, jusqu’au jour où Dieu lui fera la grâce de la rappeler à lui.

Defensor Fidei

Et puis, Défenseur de la Foi, qu’est-ce que cela veut dire? Il faut remonter à Henri VIII Tudor, celui-là avec les six femmes; homme très cultivé, prince de la Renaissance, il souffrait néanmoins de ce qu’on pourrait appeler un complexe de parvenu car il n’était jamais que le deuxième roi issu de la Maison des Tudors, ayant succédé à son père Henri VII. Or en ces temps-là le roi de France était qualifié de roi très-chrétien, celui d’Espagne de roi catholique et même le lointain roi de Hongrie de roi apostolique. Une qualification de ce type ne ferait pas de tort pour rehausser le prestige de sa dynastie, un peu trop jeune pour être tout-à-fait solide. Or c’est le pape qui octroie ces accolades, comment faire? Justement en 1517, Luther avait proclamé les thèses qui, au terme d’un délai de quatre ans témoin de la mansuétude pontificale, avaient conduit à son excommunication par le pape Léon X en 1521. Aussitôt Henri prend la plume et rédige un pamphlet où il dénonce avec vigueur l’hérésie luthérienne naissante. Reconnaissant, le pape lui accorde le titre de Défenseur de la Foi qu’Henri et ses successeurs, jusqu’à Elisabeth II de nos jours, portent depuis lors en qualité de Gouverneur Suprême de l’Eglise d’Angleterre.

 

Downton Abbey

Downton Abbey – The end

« What shall we do now that Downton Abbey has come to an end ? » s’interrogeait à la Chambre des Communes David Cameron, nouvellement nommé, à l’issue de la clôture de la première saison de Downton Abbey. C’était en 2010 et depuis lors cinq autres saisons sont venues différer sinon apaiser les angoisses du Premier Ministre. On a du mal à imaginer qu’un dirigeant autre que le Premier Ministre britannique puisse s’exprimer au sein d’une enceinte parlementaire au sujet d’un feuilleton de télévision mettant en scène la vie d’une famille aristocratique au siècle dernier. A la vérité, il n’y en a pas.

We are all middle class now

En 1997, John Prescott, alors député travailliste pouvait déclarer: « we are all middle class now », au sens où cette catégorie sociale regroupe tous ceux qui gagent leur vie, à l’exclusion d’une part de ceux comme la famille de Lord Grantham qui vivent de leurs rentes et de l’autre des exclus de la société. A l’époque où se déroule Downton Abbey, cette société middle class est encore en gestation, elle ne conquerra le monde et le pouvoir politique qu’avec les Trente Glorieuses. Et pourtant c’est bien la société middle class actuelle qui s’est passionnée pour les multiples petites intrigues qui peuplent les épisodes de Downton Abbey, un monde où chacun a sa place et est supposé s’y tenir ; du reste de la même manière que les titres de noblesse étaient transmis de manière héréditaire, les offices de domestique passaient eux aussi souvent de père en fils.

Cependant le monde en apparence immuable dépeint dans Downton Abbey était en réalité déjà en proie à de profondes convulsions. Le comte n’avait-il pas dû se résoudre à épouser une héritière américaine nouveau-riche pour maintenir le train de sa maison ? Les meilleures familles n’étaient pas à l’abri de ce genre d’arrangement.

Ailleurs on n’en avait cure. Avant guerre, chez les grands-parents hongrois de La Ligne Claire, officiait non pas une cuisinière mais plusieurs, dont la Mehlspeisköchin, une Souabe de Transylvanie, chargée exclusivement des desserts, des beignets à la crème flambés au Schnapps. « Excellence », disait-elle, s’adressant à la maîtresse des lieux, « quels sont vos ordres au sujet du menu de demain ? »

Changements de gré ou de force

C’était un monde où ce que nous appellerions aujourd’hui l’innovation technologique était considérée avec suspicion et même avec mépris, en tous cas avec le sentiment que toutes ces nouveautés, la radio, l’électricité, le téléphone, étaient superflues, voire nuisibles. Dans la famille de la Ligne Claire, on s’éclairait au pétrole en Belgique comme en Hongrie, où un domestique avait pour seule fonction de tous les jours nettoyer, remplir et allumer les lampes à pétrole. Selon le mot de la comtesse douairière, l’éclairage électrique donnait l’impression fâcheuse qu’on se produisait sur scène comme une danseuse au Théâtre de la Gaité. Si à Downton Abbey, on installe le téléphone nolens volens, l’arrière grand-père de la Ligne Claire, le marquis P., en son château des Flandres s’y refuse. En 1940 la Wehrmacht lui forcera la main mais dans un geste de résistance posthume, le marquis, né en 1854 et décédé en 1952, mourra sans jamais de sa vie avoir utilisé cet appareil, marque d’infamie infligée par l’occupant.

Diffusée dans un monde sécularisé, la série télévisée n’accorde que peu de place à la vie religieuse, pourtant très présente dans ce milieu de ce temps-là. Après tout Lord Grantham incarne l’establishment tandis que l’Eglise d’Angleterre est justement the established church. Vers la même époque, la marquise P. accueillait de manière permanente en son château un ecclésiastique qui avait, du fait de son état, préséance sur tous les hôtes, ducs, princes ou comtes et qui, pour cette raison était toujours assis à droite de la marquise. Le marquis de son côté finançait les études des garçons méritants du village si bien que lorsque le fils du majordome manifesta des dispositions pour les études, il partit au séminaire ; et lorsqu’il revint, une fois ordonné prêtre, il prit naturellement sa place à la droite de la marquise, servi par son propre père qui lui se retirait au sous-sol pour souper avec la domesticité. Comme dans Downton Abbey, chacun était à sa place.

Julian Fellowes, le réalisateur de la série, a eu le bon goût de sortir par le haut avant non seulement que le public ne se lasse de la série mais qu’elle aussi soit rattrapée par l’histoire qui avec les bouleversements induits par la Deuxième Guerre mettra un terme à cette vie. Dans Harmonia Caelistis, l’écrivain hongrois Peter Esterházy, évoquant l’histoire de sa propre famille, imagine cette scène, où cette vie touche à sa fin:

– Madame la Comtesse

–  Oui, Szabó, on a sonné?

– Les communistes sont arrivés.

Rideau.

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La Reine Elisabeth II

Elisabeth II, long may she reign

Aujourd’hui la reine Elisabeth est devenue le monarque dont le règne en Angleterre aura été le plus long, un événement que le monde entier salue. Comment en est-on arrivé là, serait-on tenté de demander? Evidemment, il s’agit d’abord de vivre jusqu’à un âge avancé mais il y a aussi la conception que la reine Elisabeth a de sa propre fonction.

Aux Pays-Bas, trois souveraines de suite, Wilhelmine, Juliana et Béatrice ont achevé leur règne par une abdication, qui s’inscrit désormais dans la tradition de l’institution monarchique dans ce pays. Plus récemment le roi des Belges Albert II et le roi d’Espagne Juan-Carlos ont eux aussi abdiqué. Du reste, lors de l’allocution prononcée à la télévision au cours de laquelle il annonçait sa décision d’abdiquer, Albert II citait le fait qu’il avait atteint un âge, quatre-vingts ans, qu’aucun roi des Belges n’avait atteint avant lui. Tous ces souverains ont en commun d’être des souverains constitutionnels dont les pouvoirs sont donc ceux que prévoit la Constitution de leur pays respectif. Le premier roi des Belges, Léopold Ier, ne manquait pas du reste de se plaindre en privé d’être à la tête d’une république couronnée.

Une monarchie sacrée

Avec la reine d’Angleterre, il en va autrement. Elisabeth n’a pas prêté serment sur une constitution, elle a été couronnée et sacrée par l’archevêque de Cantorbéry au cours d’une cérémonie qui tire ses origines du sacre des rois de France. Celui-ci à son tour trouvait son inspiration dans la Bible et notamment dans le passage du Premier Livre de Samuel où le prophète consacre David roi par l’onction de l’huile, un rite repris lors des sacres de Reims et dont on trouve encore des échos au sein de l’Eglise catholique. C’est donc en vertu de cette onction qu’Elisabeth est reine, ainsi qu’il est frappé sur les pièces émises par la Monnaie royale, E II DG REG FD, Elisabeth II Dei Gratia Regina Fidei Defensor, reine par la grâce de Dieu, Défenseur de la Foi.

C’est pourquoi La Ligne Claire est prête à prendre le pari que la conception sacrée qu’Elisabeth a de sa charge lui interdit d’abdiquer et que le jour où ses forces lui viendront à manquer, elle nommera son fils Charles Régent, jusqu’au jour où Dieu lui fera la grâce de la rappeler à lui.

On en profitera pour rappeler qu’Elisabeth porte le titre de Défenseur de la Foi en qualité de Gouverneur Suprême de l’Eglise d’Angleterre mais aussi que ce titre avait été accordé par le pape Léon X au roi Henri VIII en récompense de la rédaction par le roi d’un pamphlet où il dénonçait avec vigueur l’hérésie luthérienne alors naissante.