La Mort: Méditation pour un Chemin de Vie

Voilà un an que la pandémie s’est répandue sur la face de la terre et que notre société débat de couvre-feux, de confinements et de dépistage et maintenant de vaccination. Le grand absent de ces débats, y compris, dans l’ensemble, parmi les ecclésiastiques, est la mort, une réalité à laquelle notre société n’est plus capable de faire face.

A cet égard Monseigneur Michel Aupetit fait figure d’exception et vient apporter un double regard sur notre société covidienne, celui du médecin généraliste qu’il a été pendant onze ans et celui du prêtre, l’actuel archevêque de Paris.

Mgr Aupetit ne critique pas les mesures sanitaires en tant que telles mais met en garde contre leur essentielle insuffisance et le risque de laisser toute notre vie régie par des mesures hygiénistes techniques qui détruisent notre humanité, en particulier en limitant les rapports sociaux. A titre d’exemple, les visites dans les maisons de repos sont à la fois très réduites et étroitement surveillées de peur qu’on ne contamine ces patients âgés, sauf quand ils se retrouvent à l’article de la mort.

La question centrale posée par Mgr Aupetit est celle de l’évacuation de la mort par notre société et sa relégation dans des maisons de retraites et, de plus en plus, chez Exit, faute de place d’un accueil dans la vie de tous les jours. A refuser de mourir à tout prix, l’homme s’est privé d’une vie pleine, une vie où l’on peut s’embrasser, tenir un malade par la main, accompagner un mourant. « Refuser de vivre vraiment », voilà les mots sur lesquels s’ouvre l’ouvrage de Mgr Aupetit, des mots qui soulignent la conviction profonde de l’auteur, qu’accepter la mort, sans obsession ni tabou, est la « condition essentielle de la présence à sa propre vie ». Cette conviction justifie le sous-titre de l’ouvrage, « Méditation pour un chemin de vie » qui vise à rendre à la mort sa place au sein de la vie de l’homme.

Le Docteur Aupetit connaît la réalité clinique de la mortalité de l’homme ; Mgr Aupetit, évêque catholique, lui est témoin de la foi en la mort et résurrection de Jésus-Christ. Il y deux générations maintenant, notre société a abandonné la foi chrétienne qui non seulement avait fondé sa culture mais qui repose en l’espérance de la vie éternelle. La déchristianisation prive notre société non seulement de la perspective de la vie éternelle mais de la vie tout court. Vivre, c’est apprendre à mourir, nous rappelle Mgr Aupetit. A défaut, effectivement, seul demeure Exit.

Mgr Michel Aupetit : La mort, méditation pour un chemin de vie, Éditions Artège, 2020.

Morituri

La Ligne Claire est au regret d’informer ses lecteurs que tandis qu’ils sont désormais susceptibles de mourir du fait de la pandémie, ils ne pourront plus se suicider. En Suisse tout au moins, l’association Exit d’aide au suicide assisté s’est vu contrainte d’informer ses membres de la suspension de ces activités. Revenez mourir plus tard si vous êtes toujours en vie.

La Ligne Claire évoquait il y a quelques jours quelques grands textes de la littérature qui traitent du thème de l’épidémie et observait qu’en définitive ils nous renvoyaient tous à notre mortalité. Car le mythe de l’homme moderne, que des associations comme Exit entretiennent, est de vouloir mourir en bonne santé. L’arrivée du virus vient nous rappeler brutalement que ce mythe n’est que cela, un mythe, alors que le risque d’un décès subit et subi vient mettre à mal la vaine tentative de conjurer la mort en offrant un sacrifice propitiatoire au dieu Baal, qui jamais ne se repaît de son dû.

Pendant ce temps-là, les autorités civiles mettent en place des mesures qui visent à ralentir la diffusion du virus et à confiner des populations entières. Certes, c’est là leur rôle mais ces mesures ne visent en aucun cas à préparer la population à affronter la mort qui bientôt viendra frapper à la porte, la sienne ou celle d’un proche.

Jusqu’il y a peu, mettons jusqu’à la Deuxième Guerre Mondiale, mourir d’une belle mort signifiait qu’on s’y était préparé tout au long de sa vie, qu’on avait pardonné à ses ennemis, qu’on s’était repenti du mal causé, qu’on avait reçu les sacrements d’un cœur contrit. Maladies, guerres, épidémies, catastrophes naturelles faisaient jusqu’alors partie de la vie, pour ainsi dire. Et puis, depuis deux générations, le progrès technique a fait de ces réalités des réalités extérieures à l’homme, des réalités dont Exit entend préserver l’homme moderne. De nos jours, mourir d’une belle mort signifie mourir de façon indolore mais vide de sens. Et puis, il y a des victimes collatérales, l’honneur, l’héroïsme, le sacrifice, toutes égorgées sur l’autel du bien-être.

Covid-19 vient nous rappeler à l’ordre, à la réalité, à notre humanité, à notre conscience, pas dans le sens d’un blanc-seing qu’on s’accorde soi-même, mais dans le sens d’un juste discernement du bien et du mal. Quelles sont mes dernières volontés ? Quelles sont tes dernières volontés ? Que puis-je faire pour toi ? A qui dois-je encore pardonner ? Ai-je un poids sur le cœur dont je voudrais me libérer ?

Dans un remarquable petit ouvrage publié à titre posthume, que Philippe de Woot, rédige au soir de sa vie comme Mozart compose son requiem, il nous rappelle la citation d’Homère : « La supériorité des hommes sur les dieux est de se savoir mortels ». Amis lecteurs, Covid-19 est là pour nous réapprendre à vivre. Vivre, c’est apprendre à mourir.