Via Francigena – récit d’un parcours de Lausanne à Rome

La Ligne Claire signale à l’attention de ses lecteurs la parution ces jours derniers de ce petit ouvrage de qualité dû à la plume de Dominique de la Barre. Belge de l’étranger, naturalisé suisse, il a parcouru la Via Francigena de Lausanne à Rome en 2013 et 2014. La Via Francigena, la Voie des Francs désigne ce faisceau d’itinéraires par lesquels les Francs étaient descendus en Italie au VIIIe siècle et aujourd’hui élevé au rang d’itinéraire culturel européen par le Conseil de l’Europe.

Connu pour son blog (https://blogs.letemps.ch/dominique-de-la-barre/), l’auteur, qui a grandi à Rome il y a un demi-siècle, livre ici d’une plume élégante le récit de ce pèlerinage, selon ses propres mots, ce qui fait de la marche une démarche. On y croisera tout autant les immigrés italiens en Suisse, Rajiv, le nouvel immigré indien en Italie qu’une princesse issue de la noblesse noire et un prêtre de cour.

La Via Francigena est ce lieu où se rencontrent la géographie et l’histoire, le long duquel les cathédrales gothiques s’égrènent comme les grains d’un chapelet et où des palais baroques resplendissent comme un ostensoir de tous leurs feux. On y ressent, nous dit l’éditeur en quatrième de couverture, toute l’admiration et l’enthousiasme avec lesquels l’auteur nous conte l’histoire riche et tumultueuse de cet itinéraire millénaire. Récit de voyage où se mêlent des souvenirs personnels, les Itinerrances invitent le lecteur à se lever de bonne heure et à emboîter le pas à l’auteur et à découvrir avec enchantement les marques de notre propre culture.

 

Dominique de la Barre, Via Francigena : Itinerrances sur le chemin de Rome, Editions Nevicata, 2021, 164 pages

 

On pourra se procurer Via Francigena : Itinerrances sur le chemin de Rome en librairie, mais aussi chez l’éditeur (https://editionsnevicata.be) ou encore en ligne (www.fnac.com, www.amazon.fr, www.payot.ch) et enfin en format Kindle.

ISBN 978-2-87523-185-7

San Pietro in Vigneto

Via di San Francesco

Il est des chemins de pèlerinage en Europe qui se glissent dans le temps long façonné par l’histoire tout autant que par la géographie, immuable ; les chemins de Compostelle et la Via Francigena sont de ceux-là. D’autres, plus récents, constituent ce que La Ligne Claire appelle des chemins thématiques, souvent articulés autour de la vie d’un saint, saint Martin de Tours ou encore Saint François d’Assise. La Via di San Francesco qui serpente de Florence à Rome en épousant les flancs de l’Apennin relève de cette seconde catégorie ; à vrai dire, saint François n’a que faire avec Florence si bien que le chemin qui lui est voué ne démarre véritablement qu’à La Verna, le lieu de la vision séraphique et du don des stigmates. Gubbio, Cortona, les abords du lac Trasimène et Assise bien sûr constituent autant de lieux qui à huit cents ans de distance demeurent imprégnés du passage du Poverello.

L’élection d’un pape qui pour la première fois a adopté François en qualité de nom de règne est venue redonner vigueur à cette Via di San Francesco. Aux pèlerins habituels venus d’au-delà des Alpes se joignent désormais non seulement les Italiens, mais aussi les pèlerins du bout du monde, d’Argentine et d’Uruguay, qui viennent à la suite du pape mettre leurs pas dans ceux du saint mais aussi, pour beaucoup, retrouver le village d’où leur aïeul avait émigré sur un vapeur il y a quatre générations.

Le pèlerin n’est jamais seul, il n’est jamais premier, bien plus il part toujours dernier là où d’autres ont marché avant lui. Sanglé, il porte le fardeau des ans sur ses épaules, tel Mendoza dans le film Mission ; ce fardeau, c’est l’homme ancien qui doit mourir afin que puisse naître l’homme nouveau, non sans douleurs aux pieds et raideurs aux épaules. L’enfantement est à ce prix.

A mi-chemin entre Gubbio et Assise se dresse dans le paysage sublime des collines de l’Ombrie l’Eremo San Pietro al Vigneto, l’ermitage de saint Pierre au Vignoble ; ancien prieuré bénédictin, il arbore dans la salle qui jadis avait fait office de chapelle de belles fresques du XVe siècle ; au siècle dernier, un prêtre dont une plaque commémore le souvenir, a rendu à ce lieu sa vocation d’accueil des  pèlerins.

 

 

Ce jour-là il revient à Luigi, hospitalier de la Confrérie de Saint-Jacques, d’assurer l’accueil. « Comment t’appelles-tu ? D’où es-tu parti ? Tu veux une tasse de café ? Tiens, voilà le cachet pour ta credenziale ». « Ecoutez-moi bien, ragazzi, à 18h45 nous nous retrouverons pour la cérémonie d’accueil et ensuite nous dînerons ».

A 18h45 on se retrouve dans l’ancienne chapelle sous le regard sévère mais bienveillant des saints peints al fresco et qui n’ont rien perdu de leur fraîcheur. Luigi revêt une mozette frappée de deux coquilles Saint-Jacques, prononce quelques mots de bienvenue, nous invite à le joindre dans la prière du Notre-Père puis nous enjoint de nous déchausser. Il y avait justement douze pèlerins à San Pietro ce soir-là. « Comment t’appelles-tu ? » « Domenico » « Domenico, au nom du Christ et de Saint François, je t’accueille en cet ermitage » dit Luigi avant de verser de l’eau sur le pied et de le baiser. Luigi, cet homme jovial, ancien steward chez Alitalia, effectue un geste tout autant ordinaire qu’extraordinaire dont tous, ceux qui croient au Ciel et ceux qui n’y croient pas, reconnaissent la portée. Il insuffle un sens à tous ceux qui se sont mis en marche et constitue pour un soir une intense communauté fraternelle.

« Et maintenant à table ». Dans la salle qui sert tout à la fois de cuisine et de réfectoire, d’immenses casseroles brûlent sur des becs de gaz. Bientôt, l’antipasto est prêt : du saucisson de Gubbio parfumé aux truffes, de la ricotta, des poivrons, une tourte aux épinards découpés en dés tandis que le vin rouge coule à flots. Aux quelques mots de bienvenue de Luigi répond le benedicite d’un groupe de pèlerins originaires de Brescia, qui reprennent a capella le cantique de Saint François. La pasta, servie dans un immense plat de 50 cm de diamètre, fait office de multiplication des pains en ce sens qu’il y en a pour tous et qu’il en reste encore en surabondance. On est en Italie, où tout est si simple et si savoureux, où le repas du soir réunit douze inconnus et leur hôte, Luigi, qui leur verse de surcroît un vin santo.

Il n’y a pas de pèlerinage sans une certaine forme de dépouillement et seul se dépouillement permet d’accueillir la générosité partagée de Luigi et de tous ceux qui s’associent à ce pèlerinage de près ou de loin, d’une manière ou d’une autre.

Le lendemain, après l’orage de la nuit, tous se mettent en marche de bonne heure en vue de gagner Assise dans l’air clair et vif, où ils rejoignent dans la ville, à la basilique, à la messe, une grande foule inspirée par un homme du XIIIe siècle en raison du témoignage qu’ils nous a laissé.

En quête de pèlerinages

Les Musulmans se rendent à la Mecque, les Hindous à Bénarès, les Chrétiens à Rome, Jérusalem ou Compostelle. Phénomène universel, le pèlerinage est ce qui fait de la marche une démarche. Loin d’être une compétition sportive dont l’enjeu est d’arriver premier, ici au contraire on part dernier, on emboîte le pas à tous ceux qui nous ont emprunté le même chemin avant soi.

L’expérience d’un pèlerinage se distingue d’une simple randonnée dans la mesure où il ne s’agit simplement de se rendre de A à B ; le chemin du pèlerin est orienté et défini par son terme, Compostelle ou la Ville Éternelle, de telle sorte que ce n’est pas la même chose, pas la même démarche plutôt, de marcher de Founex à Rome que de Rome à Founex.

Si la dimension spirituelle de ce cheminement n’est pas exclusive, elle demeure néanmoins prépondérante ; elle a pour but le lavement des péchés, l’expiation des fautes, l’accomplissement d’un rite en un lieu où la terre se rapproche du ciel, souvent marqué par la présence de la tombe d’un saint, Jacques ou Pierre. Quel que soit le mobile qui pousse le pèlerin à se mettre en route, il s’imbibera de la géographie des lieux parcourus, de leur histoire, de son patrimoine culturel, en un mot de leur mémoire.

En Europe, deux grandes voies de pèlerinage sillonnent le continent, le faisceau des chemins de Compostelle et, moins connue, la Via Francigena, qui relie Canterbury à Rome. Le Camino et la Via se croisent entre autres à Lausanne, carrefour des nations, qui semble ignorer sa place au centre de l’Europe.

En 1987 le Conseil de l’Europe octroyait aux Chemins de Compostelle l’attribution d’« Itinéraire Culturel Européen » qui, au-delà d’un simple titre, se veut une reconnaissance du Camino, des monuments qui en balisent le parcours, de son histoire millénaire et surtout de sa place au sein du patrimoine européen. On sait le succès que cette reconnaissance a suscité si bien qu’on ne compte plus aujourd’hui les pèlerins qui ont fait Saint Jacques ni les livres ni même les films qui lui ont été consacré. A cette première accolade allaient en succéder vingt-trois autres à ce jour, parmi lesquelles celle attribuée à la Via Francigena.

L’homme parcourt le tracé de la Via Francigena depuis l’époque du néolithique, y compris le franchissement par le Col du Grand Saint Bernard, le Mons Jovis des Anciens. Chemin faisant, les cathédrales gothiques de Cantorbéry, de Laon, de Reims, de Lausanne et de Sienne se dressent en sentinelles d’une époque où l’Europe s’appelait la Chrétienté, voulant par-là désigner justement un espace autant culturel que géographique.

Aujourd’hui, certains pourront estimer que le Camino est quelque peu victime de son propre succès ; phénomène de mode autant que démarche personnelle, les chemins de Compostelle peuvent se révéler encombrés et les auberges bondées. A cet égard la Via Francigena offre à l’abri des grandes foules une combinaison étonnante de paysages tantôt lumineux et tantôt grandioses, parfois déjà connus mais toujours à découvrir, parés de monuments sacrés et profanes, témoins d’une histoire ancienne et riche et dont le mariage avec la géographie fait justement le patrimoine de l’Europe.

 

 

Tombeau de saint Augustin

Seigneur, donne-moi la chasteté

« Seigneur, donne-moi la chasteté, mais pas tout de suite », écrivait Augustin tandis que de ses doigts fins il parcourait la ligne d’un sein ou le galbe d’une hanche. « Amare amabam », j’aimais aimer, dira-t-il plus tard de lui même dans les Confessions, après qu’il eût bu au calice des désirs et des douleurs.

Peu d’hommes auront exercé une influence aussi profonde sur la pensée de ce qui deviendra l’Occident latin : Luther, moine augustinien et Calvin s’en réclament, Hannah Arendt lui consacre une thèse, Bob Dylan l’évoque dans une de ses chansons tandis que dans les Confessions, premier ouvrage de ce genre dans l’histoire de la littérature, Augustin s’y dévoile sans fard et s’adresse directement à Dieu comme à un interlocuteur à qui on peut effectivement s’adresser. Ecriture marquée par le “je”, le genre sera appelé à un avenir heureux marqué notamment par la contribution de Jean-Jacques bien sûr. Chez Augustin, on y décèle à la fois la contrition de l’homme mûr pour la vie agitée menée dans sa jeunesse, non sans une pointe de nostalgie envers le tourment délicieux que procuraient ces amours fânées.

Il est un chemin, une route, un voie qui se déroule de Canterbury à Rome, la Via Francigena, que le Conseil de l’Europe a érigée au rang d’itinéraire culturel, et le long de laquelle on y fait la rencontre d’Augustin : à Saint-Maurice en Valais où les chanoines vivent depuis 1500 ans selon la règle qu’il a rédigée, à Pavie où s’élève son tombeau magnifique célébré par Dante, à Rome enfin en l’Eglise San Agostino in Campo Marzio où repose sa mère, Monique.

Fig. 1: tombeau de saint Augustin en l’église san Pietro in Ciel d’Oro, Pavie

Mère pieuse, patiente, aimante, elle versa toutes les larmes de son corps, comme la femme de l’Evangile versa du parfum sur les pieds de Jésus, face à la vie sentimentale agitée menée par son fils en vue de sa conversion ; puis, sa mission achevée, elle décéda à Ostie, où elle devait s’embarquer pour son Afrique natale, ses prières exaucées. Mille ans plus tard, en 1430, on procéda à la translation de ses reliques en la Basilique Saint Augustin, rare exemple d’architecture Renaissance à Rome, où elles s’y trouvent depuis.

On peut y admirer une splendide œuvre du Caravage intitulée La Madone des Pèlerins, pour laquelle l’artiste avait pris comme modèle sa propre maîtresse en vue de représenter la Vierge Marie. Il y a quelques années, La Ligne Claire, parvenue au terme de son propre pèlerinage tout au long de la Via Francigena, s’était rendue en cette église admirer ce tableau envers lequel mille kilomètres à pied lui faisaient éprouver une certaine proximité. Il y avait ce jour-là un religieux augustin qui décrivait le tableau à deux dames accompagnées de leurs enfants, les clair-obscurs propres au Caravage, la composition en diagonale, la figure de la Vierge Marie, assez sexy il faut bien l’avouer ; puis se lachant, il dit : « Guardate, è piu donna che Madona ».

 

 

Fig. 2: Madona dei Pellegrini (détail), san Agostino in Campo Marzio, Rome

 

En ces jours, le 27 et le 28 août, l’Eglise fait mémoire de la mère d’abord, du fils ensuite, témoins lumineux en leur frêle humanité.

 

Fioretti II

Ivrée, au débouché du Val d’Aoste, là où les montagnes le cèdent aux collines et la pierre à la brique, compte au rang de ces villes auxquelles on jette un coup d’oeil distrait d’une aire d’autoroute sans que jamais on ne s’y arrête. Le château et le campanile qui dessinent leur silhouette dans le ciel témoigner de la haute antiquité de la ville, dont la fondation remonte à deux millénaires et demi. La cathédrale, autrefois de style roman, aujourd’hui masqué par un porche néo-classique, abrite les restes mortels de l’évêque irlandais Thaddée McCarthy, sans nul doute appelé Taddy par ses copains et dont La Ligne Claire vous livre le récit.

On ne connaît que peu de choses des premières années de la vie de Taddy, sinon qu’il était d’extraction noble et qu’il menait une vie pieuse, ce qui le mena à effectuer le pèlerinage de Rome au départ de l’Irlande, à travers l’Angleterre où, au départ de Canterbury, il emprunta la Via Francigena. Parvenu à destination, a l’âge de 27 ans à peine – nous sommes en 1482, le pape Sixte IV le nomme évêque de Ross et lui conféra l’ordination épiscopale. Il entreprit alors de remonter la Via Francigena pour prendre possession de son siège épiscopal mais arrivé sur place quelle ne fut pas sa surprise de voir que Hugh O’Driscoll y avait déjà posé sa crosse et sa mitre au motif qu’il prétendait avoir été nommé au même siège par le même Sixte IV mais en 1473 plutôt qu’en 1482. Fort de ces neuf ans d’avance O’Discoll déclara McCarthy un imposteur et fit part de ses remontrances à Rome, ce qui valut à McCarthy d’être excommunié toujours par Sixte IV, dont on peut dire, avec le recul des siècles, que sa politique en matière de nominations épiscopales manquait parfois de cohérence. Refusant de s’avouer vaincu, McCarthy reprit sa mitre et son chapeau et pour la troisième fois, simple pèlerin, emprunta la Via Francigena jusqu’à Rome pour y plaider sa cause. Entretemps, le pape Sixte, l’esprit troublé par la confusion que ces questions avaient provoquée, avait rendu son âme à Dieu si bien que ce fut son successeur, Innocent VIII, qui reçut Taddy et même l’écouta. Innocent, inspiré par la sagesse du roi Salomon, choisit de couper la poire en deux (à la différence du nourrisson dans le livre des Rois), confirma O’Discoll au siège de Ross, leva l’excommunication qui pesait sur McCarthy et en 1490, en guise de prix de consolation, le nomma au siège épiscopal de Cork et Clone. Fort de cette nomination, la fleur aux dents, Taddy s’empressa de remonter la Francigena, un chemin qu’il avait entretemps appris à bien connaître, pour prendre possession de son nouveau siège. Quelle ne fut pas sa stupeur de constater sur place que Gerald FitzGerald, neuvième comte de Kildare, occupait confortablement le siège que le pape venait de lui octroyer et n’entendait pas que l’on en délogeât, nomination papale ou pas. Car, le lecteur l’aura désormais compris, en Irlande il est plus important d’appartenir au clan des O’Discoll ou à celui des FitzGerald que de frapper de façon impromptue à la porte d’une cathédrale, même muni d’un ordre de mission émanant du pape.

– Gerry que fais-tu là ?

– Un whiskey ? Kildare, spécial reserve ?

– Bouge ton siège de mon siège.

– Kill Dare if you dare, telle est ma devise.

Faute de pouvoir faire valoir ses droits, le temps de changer de chaussures et voilà Taddy, qui décidément ne se décourageait pas aisément, reprendre la route de Rome, vous l’aurez deviné, en empruntant la Francigena une fois encore. Cette fois-ci c’était la bonne. Innocent l’écouta d’une oreille paternelle, le conforta dans ses droits, le confirma dans sa nomination et, sage précaution en ces temps-là, lui confia une lettre dans laquelle il menaçait d’excommunier Gerald FitzGerald, comte de Kildare ou pas, de vider les lieux et fissa fissa s’il vous plaît, sous peine d’excommunication, la seule menace prise au sérieux par les clans irlandais.

– Merci Sainteté, je repars aussitôt.

– Restez encore un peu monseigneur, je vous ferai accompagner.

– Ne vous donnez pas cette peine Saint-Père, je connais le chemin.

Taddy donc repris la route et parvint à Ivrée gravement malade ; accueilli à l’Hospice du Vigintuno, en qualité de simple pèlerin, il y mourut le 24 octobre 1492. Ce n’est qu’après sa mort qu’on découvrit dans ses bagages l’anneau épiscopal de cet évêque toujours en marche, toujours victime des usurpateurs, de cet homme qui aura parcouru cinq fois et demi la Via Francigena. La mort de cet homme qui avait tant marché pour faire valoir ses droits, tant marché face à l’adversité et la cupidité des puissants, tant désiré de servir en qualité d’évêque émut les gens du lieu qui, forts du sensum fidei, bientôt lui vouèrent un culte. Déclaré bienheureux par Léon XIII en 1896, ses ossements reposent sous un autel dans la chapelle saint Sébastien de la cathédrale d’Ivrée, et qui porte la mention Sepulcrum beati Thaddaei episcopi Hiberniae tandis que l’anneau épiscopal que le pauvre Taddy portait humblement dans ses bagages orne de nos jours encore le doigt de l’évêque d’Ivrée, son successeur en quelque sorte dans ce pèlerinage terrestre.

 

Cathédrale de Lausanne

Pape et empereur à Lausanne

Le Moyen Âge dit central se plaisait dans la construction de cathédrales, dont celle de Lausanne constitue assurément le plus bel édifice de style gothique en Suisse.

Le siège épiscopal de Lausanne remonte aux temps reculés du Royaume de Bourgogne mais l’édifice que nous avons aujourd’hui sous les yeux date lui du XIIIe siècle. Les hommes de cette époque-là ne savaient pas qu’ils vivaient au Moyen Âge ni non plus que, mille ans plus tard, leurs descendants se sentiraient un peu gênés de cette période de leur histoire que les Anglais n’hésitent pas à appeler The Dark Ages. Non, les hommes du XIIIe siècle eux vivaient dans un espace géographique, religieux et culturel qui s’appelait la chrétienté et dont ces cathédrales formaient le témoignage visible. Car ces cathédrales, c’était toute une affaire et c’est pourquoi, à l’occasion de la consécration solennelle de la cathédrale, et le pape, Grégoire X et l’empereur, Rodolphe de Habsbourg, firent le déplacement.

Tebaldo Visconti, archidiacre du puissant évêché de Liège, était réputé pour sa vie austère. Elu pape pour cette raison-là, il prit le nom de Grégoire X et s’empressa de convoquer un concile à Lyon, dans le but notamment d’assurer la réunion des Eglises grecque et latine. C’est de là, qu’en remontant le cours du Rhône, il joignit Lausanne.

Rodolphe, lui, c’était presque un gars du pays. Petit prince possessionné en Argovie, élu précisément pour cette raison-là en qualité de candidat de compromis pour mettre un terme à vingt-trois ans d’interrègne, il allait assurer à sa Maison la destinée que l’on sait.

On imagine la rencontre. « Hi, Greg », « Salü Rudi » non, sans doute pas, plutôt « Sainteté », « Majesté » car au XIIIe siècle, le pape et l’empereur, ce sont les deux faces d’une même médaille ; au premier revient la charge pastorale de l’unique peuple de Dieu, dont le second assure le gouvernement dans le siècle. C’est pourquoi ils président conjointement à la consécration d’une cathédrale. C’était à Lausanne en 1275, là où les observateurs attentifs reconnaissent ce X de la croisée du Camino et de la Via Francigena.

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Cathédrale de Lausanne

Lausanne, carrefour des nations

Sur le parvis de la cathédrale de Lausanne est dessiné un X imaginaire, comme celui qui figure sur les parchemins qui désignent l’emplacement du trésor dans les films de pirates, un X secret à découvrir, un X sur la carte de l’Europe, à l’endroit précis où se croisent le chemin de Compostelle et la Via Francigena, un X à creuser au couteau suisse pour découvrir ce que Montaigne appelait « Plus est en toi ». Le premier de ces chemins prend sa source aux marches du Saint-Empire tandis que la Via Francigena relie d’un trait Canterbury à Rome. Tant le Camino que la Via ont reçu du Conseil de l’Europe l’accolade d’Itinéraire culturel européen.

Lausanne, carrefour des pèlerins, qui l’eût dit? Là sur le parvis on est confronté au choix, pourvu que l’on en soit informé, de se rendre au chevet de saint Jacques ou à celui de saint Pierre. Dans les faits seul un coquillage indique la direction à suivre, le long des rives du Léman vers Genève et par-delà vers Compostelle. Dans l’autre sens, pas de clés de saint Pierre qui pointent vers Rome, pas de panneau portant la mention VF, pas de petit moine avec capuche et bourdon car en Suisse la Francigena demeure peu connue et pour cette raison pas signalée en tant que telle si bien qu’elle ne forme qu’un tronçon du chemin de grande randonnée numéro 5.

Voie des Francs qui se rendaient en Italie, la Via traverse le territoire actuel de Suisse de Vallorbe au col du Grand Saint Bernard, mais il n’y a guère qu’à l’abbaye de Saint Maurice en Valais qu’on prend conscience de parcourir un itinéraire de première importance au Haut Moyen Age ; là, juste devant l’église abbatiale, une grande carte de la Via dessinée sur le mur du petit bâtiment qui sert de billetterie, rappelle que l’abbaye s’insère au sein de l’univers culturel que parcourt la Via, un univers où la cathédrale gothique de Lausanne se glisse comme un grain sur un chapelet entre celles de Canterbury, de Laon, de Reims et de Sienne, sentinelles d’une époque où l’Europe s’appelait la Chrétienté, voulant par là désigner justement un espace autant culturel que géographique.

(A suivre)

http://www.viefrancigene.org/fr/

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