A Clear Line from the Post

Les films de Steven Spielberg, les lecteurs de La Ligne Claire s’en souviendront, se distinguent par leur désarmante facilité de lecture : les méchants y sont opposés aux bons, qui à la fin l’emportent. Ainsi, il y a trois ans, dans The Bridge of Spies, les Américains tenaient le rôle des bons et les Russes celui des méchants (https://blogs.letemps.ch/dominique-de-la-barre/east-west-black-white-bridge-of-spies/). Dans son dernier film, the Post, les protagonistes de ce combat livré en 1971 sont d’une part le journal The Washington Post, alors un petit journal de province, et d’autre part le gouvernement américain alors présidé par Richard Nixon. L’enjeu est de savoir s’il y a lieu, oui ou non, de publier des documents qui prouvent que les administrations successives savaient que les Etats-Unis ne pourraient gagner la guerre du Vietnam. Les bons remportent la victoire et affirment la liberté de la presse, ce Quart-Etat aux Etats-Unis.

Si Nixon, le président du moment, incarne le méchant, ce sont toutes les administrations successives depuis Truman, soit trois démocrates et deux républicaines, qui sont accusées d’avoir menti au peuple américain au nom duquel elles sont sensées gouverner. Ce sera du reste Nixon qui en 1973 mettra un terme à cette guerre.

Spielberg, again

De même que The Bridge of Spies comprend une séquence où l’avion espion est abattu par les missiles soviétiques, de même The Post s’ouvre sur une scène au Vietnam sur l’inévitable fond sonore des pales d’hélicoptères et de Suzie Q. On retrouvera les ingrédients habituels des films américains, les pneus des taxis jaunes qui crissent, l’audience devant une cour de justice, les violons en bande musicale. Les spectateurs de l’âge de La Ligne Claire retrouveront dans ce film non sans nostalgie des marques de leur jeunesse, les téléphones en bakélite noire, des télex, des disques en vinyle, des cabines téléphoniques à pièces, une société où tout le monde fumait, les imprimantes du Post qui tournent comme les chaudières du Titanic, en un mot le monde d’avant l’avènement de l’électronique.

Meryl Streep et Tom Hanks excellent dans la tenue des rôles principaux, elle dans le rôle de Katharine Graham, la propriétaire du journal et lui dans celui de Ben Bradlee, le rédacteur-en-chef. Avec deux autres membres du Post, ils entreront dans un débat shakespearien par téléphone, To publish or not not to publish ?, de l’avis de La Ligne Claire la meilleure scène de ce film par ailleurs trop lisse.

Et nunc ?

Alors, causa finita ? Pas tout-à-fait. Si l’histoire se déroule il y a quarante-sept ans, tout le monde aura compris qu’elle s’adresse au président actuel qui accuse la presse de publier des fake news tandis que celle-ci lui reproche d’être économe avec la vérité, par exemple au sujet de la possible ingérence russe. Mais alors que depuis l’affaire des Pentagon Papers se sont tenus douze scrutins présidentiels aux Etats-Unis, jamais le Washington Post ou le New York Times n’ont apporté leur soutien à un seul candidat républicain selon la pratique anglo-saxonne de l’endorsement. Cette guerre ouverte que se livrent aujourd’hui un président trublion et une presse ouvertement libérale (au sens américain du terme) qui ne prend plus la peine de distinguer les faits de ses propres opinions, a fait sa première victime, le huitième commandement, véritable sujet du film. L’élection de Donald Trump, c’est aussi la revanche de ces électeurs qui ne voulaient plus de cette forme-là de presse.

Sully

Vous vous souviendrez que le 15 janvier 2009, le capitaine Chesley «  Sully » Sullenberger avait effectué un amerrissage d’urgence sur le fleuve Hudson à New York après que son avion eut été frappé par un vol d’oiseaux et les deux moteurs mis hors d’usage. Les 155 passagers et membres d’équipage eurent la vie sauve et le monde entier salua Sully comme un héros, un héros au sang-froid, courageux et généreux, qui avait su juger correctement qu’il ne pourrait pas se poser à aucun des aéroports à proximité en raison de la perte de puissance et de l’altitude trop faible.

Clint Eastwood entreprit de tirer un film de cette noble histoire, sorti en salle vers la fin de l’an dernier. Deux problèmes surgissent d’emblée: tout d’abord, l’incident ne dure quelques minutes, bien moins que le format d’une heure quarante requis par le film et ensuite tout le monde connaît l’issue de l’histoire. Comment faire ? Eastwood fera œuvre de trois techniques. Tout d’abord, il insère des scènes où l’avion se fracasse contre un immeuble, images des cauchemars qu’éprouve Sully et qui sont destinées à rappeler au spectateur que, oui, il s‘agit bien d’un héros et que l’issue favorable n’était pas prédestinée. Ensuite, il fait appel de manière classique aux flashbacks dans le but de nous montrer que, dès son plus jeune âge, Sully était féru d’aviation et que plus tard il s’est révélé un pilote expérimenté dans l’US Air Force. Mais le troisième ressort est la montée en épingle de l’enquête menée par la National Transportation Safety Board. Eastwood s’inscrit ici dans la longue tradition américaine des procès portés à l’écran où la nature contradictoire de la procédure judiciaire est sensée tenir le spectateur en haleine. De l’avis de la Ligne Claire, c’est raté et la transformation des méchants enquêteurs de la NTSB à la solde supposée de compagnie d’assurances rapaces en admirateurs du capitaine, Moïse qui tire équipage et passagers des murs d’eau glacée, n’est pas crédible. Seule scène qui vaille la peine, l’amerrissage puis l’évacuation de l’avion et l’arrivée des bateaux de secours transmettent le caractère dramatique de la situation et durent ce qu’elles ont duré dans la réalité, une petite demi-heure.

Si « Sully » est un film qui se laisse regarder de manière agréable, il ne traite en définitive que d’un fait divers, extraordinaire certes, et du comportement héroïque de Sullenberger. Mais ni l’un ni l’autre ne fournissent ipso facto la matière à un bon film. Face à la difficulté à développer la narration et de donner de l‘épaisseur au caractère de son héros, Eastwood opte pour une caricature du caractère des personnages impliqués dans l’affaire, le capitaine impassible face aux juges iniques. L’exploit de Sully est effectivement cela, un exploit, mais qui reste de l’ordre d’un fait divers qui sort de l’ordinaire.

Bridge of Spies, East, West, black, white,

Spielberg n’a rien à dire mais il le dit très bien. Le film s’ouvre sur une scène originale où l’on voit des hommes en filer un autre qui transporte un chevalet. Un peintre, un criminel, une erreur sur la personne ? Quelques minutes plus tard la FBI fait irruption chez ce personnage, Rudolf Abel, qui s’avère être un espion du KGB. Fin du suspense, désormais le film, Le Pont des Espions, se poursuivra sans nuances, contrairement au vrai monde de l’espionnage.

Le fil relate l’histoire vraie de l’échange en 1962 entre Abel et Gary Powers, le pilote de l’avion espion U2 abattu deux ans plus tôt au dessus de l’Union Soviétique, arrangé par un avocat américain, James Donovan dont le rôle est tenu par Tom Hanks. Donovan y apparaît comme une sorte d’Oskar Schindler en monde mineur, l’apôtre des libertés constitutionnelles chères aux Américains et qui précisément les distinguent des Soviétiques. Car le spectateur ne s’y trompera pas, nous sommes dans le monde de la Guerre Froide, un monde où les méchants sont rangés à gauche et les bons à droite ; pour ceux qui n’auraient pas compris, tandis qu’il neige à Berlin-Est où tout est gris, au même moment, dans la banlieue bourgeoise où habite la famille Donovan, c’est le printemps et les oiseaux gazouillent.

Dans ce film qui se veut dramatique Hanks apparaît comme le comédien comique qu’il est au fond, celui de Terminal plutôt que de Philadelphia. « A bite to eat ? Wo ist Unter den Linden ? ». Face à lui Mark Rylance, un acteur issu du monde du théâtre, incarne Rudolf Abel et l’emporte par la sobriété de son jeu.

Toujours bien filmé, Le Pont des Espions fournira l’occasion de passer une soirée agréable mais demeurera a thriller without the thrill.