Spencer

Le film Spencer retrace ce que La Ligne Claire décrit comme trois jours de cauchemar vécus par la Princesse Diana à l’occasion des fêtes de Noël qui réunissent la famille royale d’Angleterre à Sandringham en 1991. Le spectateur sait que le couple princier divorcerait l’an d’après mais le personnage de Diana, interprété de manière remarquable par Kristen Stewart, n’a encore qu’une intuition floue de ce que sera sa vie future.

En 2017, le réalisateur, Pablo Larraín, s’était distingué déjà avec Jackie, où, plutôt que de raconter la vie de la veuve du président Kennedy, il raconte la manière dont elle met en scène les funérailles de son mari. De même, avec Spencer, Larraín évite la banalité d’un biopic et s’éloigne franchement de la série The Crown qui vise à prodiguer aux spectateurs l’illusion de la réalité. Ici on baigne dans une atmosphère onirique, nourrie par une musique angoissante, où la frontière entre le réel et l’imaginaire demeure floue et que seul le fantôme d’Anne Boleyn, dont Diana craint de partager le sort, peut franchir.

Fidèle aux canons de la tragédie classique, Larraín s’en tient aux unités de temps et de lieu. L’arrivée à Sandringham s’ouvre sur la cérémonie de la balance qui devra se répéter au départ de chaque invité, censée mesurer si les convives ont bien mangé et donc ont goûté chacun des repas, mais qui ici vaut métaphore du jugement porté par la famille royale envers la princesse. Car en réalité ce film ne comporte qu’un seul personnage entouré de figurants, à l’exception des deux jeunes princes William et Harry, consolation de leur mère ; le personnage de la Reine par exemple ne prononce pas un seul mot du tout le film.

Si Larraín s’affranchit des codes du biopic, il n’en livre pas moins une réalisation très soignée tournée dans les décors grandioses et baroques du château de Nordkirchen, qui fut un temps aux d’Arenberg et aux Esterházy, et que viennent rehausser les costumes magnifiques que revêt la belle princesse.

A cette succession de repas, qui se déroule selon un rythme liturgique, il n’est qu’une issue possible, la fuite accompagnée de de ses deux garçons. Arrivée au drive-in du MacDo, elle décline son nom alors qu’elle passe commande : « Spencer », la révélation de son émancipation prochaine.

Jackie: la mise en scène de l’histoire

La critique salue ces jours-ci la sortie en salle de Jackie, le biopic consacré à Jackie Kennedy dont le rôle est tenu à l’écran par Nathalie Portman. La nature même du genre, celui du biopic, fait en sorte que tout le monde connaît l’histoire, que ce soit celle de Jack Kennedy ou celle de la Princesse Diana, on sait comment elle finit et c’est la raison pour laquelle il ne s’agit pas de la raconter,

Car il s’agit plutôt de savoir comment elle sera retenue et c’est à cette tâche que va s’attaquer Jackie. Jackie Bouvier Kennedy est non seulement une jeune femme riche et élégante, elle parle plusieurs langues, a étudié la littérature et dispose de connaissances approfondies en histoire. Au cours du bref mandat de son mari, elle s’attachera a transformer la Maison Blanche, demeure bourgeoise que lui avait laissée le ménage Eisenhower, en un lieu du souvenir qui incarne l’histoire américaine dans laquelle elle entend bien que son mari s’inscrive. Si ces travaux de décoration ne sont pas à l’abri des critiques tant la dépense est grande, ils rencontrent néanmoins un grand succès auprès du public américain à l’occasion d’une émission télévisée, qui sera suivi par 80 millions de téléspectateurs, un chiffre énorme pour l’époque. Avec une grâce royale, Jackie Kennedy montre aux Américains une Maison Blanche érigée en une Maison du Peuple, élégante et noble, lieu de l’incarnation de leur histoire.

L’assassinat du président viendra couper court à ces projets mais pas à aux intentions de Jackie. Puisque les portes de la Maison Blanche bientôt se fermeront, il s’agit de sortir dans la rue. Avant Kennedy, trois présidents avaient déjà été assassinés, Lincoln, Garfield et Mc Kinley – Jackie connaît leurs noms -mais l’histoire n’a retenu que celui de Lincoln. On reproduira donc le cortège funéraire de Lincoln : une grandiose procession à pied, vêtements de deuil, formations militaires, présence de dignitaires religieux et civils en provenance du monde entier. Enfin, trouvaille de génie, elle exige que le président soit inhumé non pas dans le caveau familial mais au cimetière national d’Arlington, entouré de 290 000 soldats américains où effectivement cinquante plus tard les touristes affluent toujours pour se recueillir devant sa tombe. Seul le décès d’un pape fait de nos jours l’objet d’une telle mise en scène. On peut revoir ces scènes et écouter les commentaires qui évoquent le décès de « our chosen leader », personnage élu par le peuple certes mais aussi référence claire à une figure messianique, le président élu de Dieu.

Une semaine à peine après l’assassinat, Jackie Kennedy accordait une interview au magazine Life au cours de laquelle elle associe les années passées à la Maison Blanche à Camelot, siège de la cour du roi Arthur. La légende avait rejoint l’histoire.