Pieta, Notre-Dame de Paris

A nos amis français

Mater Dolorosa

Là où il y a des cathédrales gothiques, là aussi est l’Europe, et c’est pourquoi ce mercredi les cloches des grandes cathédrales européennes et françaises retentiront pendant cinq minutes à l’unisson en communion avec leur sœur de Paris aujourd’hui meurtrie. Notre-Dame est d’abord un lieu de culte, un lieu de la présence, un lieu sacramentel, un lieu où sont célébrés deux mille offices par an, un lieu de prière, l’un de ces lieux où luisent mille cierges, et qui relient la terre au ciel. Mais Notre-Dame, son nom même l’indique, est aussi la Dame de tous ceux qui prononcent son nom, de tous ceux qui lui rendent visite, de tous ceux qui vivent sous son ombre familière, quelle que soit leur sensibilité. Notre-Dame elle, elle a la France entière.

L’histoire de Notre-Dame s’inscrit dans le temps long : son érection débute au XIIe siècle et pour la charpente fera usage de chênes vieux déjà de 400 ans, plantés à l’époque de Charlemagne. Les reliques qu’elle abrite, la tunique de saint Louis, la couronne d’épine, les clous de la Passion, évoquent tout autant l’histoire de France que les souffrances auxquelles Notre-Dame avait été associée de son vivant. Victor Hugo fera d’elle une héroïne, Viollet-le-Duc la sauvera de l’abandon, et, plus près de nous,  Riccardo Cocciante la mettra en scène dans une comédie musicale.

Seules en France, les cathédrales sont à même de réunir ceux qui croient au Ciel et ceux qui n’y croient pas. En 1962 Charles de Gaulle et Konrad Adenauer célébraient la réconciliation de la France et de l’Allemagne, l’Europe de Charlemagne, en la cathédrale de Reims, elle aussi vouée à la Vierge, tandis qu’en 1944, à la libération de Paris, le même Charles de Gaulle participait au Te Deum d’action de grâces à Notre-Dame. « La République est laïque, mais la France est catholique » disait le Général.

Aujourd’hui le temps long de Notre-Dame suspend le temps : les partis ajournent leur campagne européenne et le président ajourne sine die son allocution. Les petits donateurs anonymes, tous les sans-grades de la charité, se joignent aux grands mécènes en vue de rebâtir cette cathédrale des cathédrales, patrimoine commun de l’Eglise, de la France et du monde.

Symbole spirituel bien sûr, mais aussi de l’histoire de France, Notre-Dame incarne un style appelé d’abord français puis gothique, appelé à essaimer de l’Ile de France dans toute l’Europe, de Salisbury à Vienne et de Séville à Gdansk. L’art gothique est la manifestation évidente dans l’architecture d’un espace culturel européen ; que les flammes l’amputent et elle devient plus évidente encore.

En ce lundi des Cendres, la France pleure la perte d’un joyau tandis que coule la Seine et que dans ce ruissellement de larmes auquel se mêlent celles de la Mater Dolorosa, tout un peuple se retrouve.

Pape François

Le Pape, les terroristes et les catholiques

Le 26 juillet dernier le père Jacques Hamel était sauvagement égorgé dans son église à l’issue de la messe qu’il venait de célébrer par deux individus qui se réclament explicitement de l’Etat islamique. Le Pape François s’est exprimé à deux reprises à ce propos, une première fois dans l’avion qui l’emportait aux JMJ à Cracovie, et une seconde fois au retour.

A l’aller le pape a insisté sur la notion de guerre, « une guerre d’intérêts, une guerre pour l’argent, une guerre pour les ressources naturelles, une guerre pour la domination des peuples, …pas une guerre de religions car toutes les religions veulent la paix » qui, selon lui, explique la situation du monde.

Si ces propos ont pu surprendre, ceux prononcés lors du vol du retour ont provoqué un émoi plus considérable encore. « Je ne pense pas qu’il soit juste d’associer islam et violence…tous les jours quand j’ouvre les journaux, je vois des violences en Italie, quelqu’un qui tue sa petite amie, un autre qui tue sa belle-mère, et ce sont des catholiques baptisés ».

Face à la perplexité qu’ont causé ces commentaires, La Ligne Claire souhaite présenter trois hypothèses susceptibles de les déchiffrer.

 

L’accident selon Aristote

La première pourrait s’appeler l’hypothèse de l’accident. Un type tue un autre type, cela arrive tous les jours, et s’il s’avère que l’assassin est un Français de confession musulmane et la victime un autre Français, prêtre catholique, cela relève de l’accident aristotélicien. Dans cette optique, cet incident tragique tient du fait divers et devient donc tout à fait comparable à l’histoire de cet autre type, le baptisé catholique, qui zigouille sa belle-mère. Ce personnage fictif auquel le pape se réfère est celui qui permet de conférer une certaine validité à cette hypothèse.

Elle n’est pourtant partagée par personne d’autre. Selon la sœur Hélène Decaux, témoin du meurtre, les assassins se réclament à la fois de la guerre en Syrie, menée selon eux par les Chrétiens et qu’ils invoquent comme justification de leur geste, et de motifs religieux car « Jésus ne peut pas être à la fois homme et Dieu ». Pour sa part le Président François Hollande, qui se professe athée, déclarait que « tuer un prêtre, c’est profaner la République » ; il s’est ensuite rendu, accompagne du Premier Ministre Manuel Valls à la cérémonie d’hommage célébrée par le cardinal Vingt-Troix à Notre-Dame de Paris, tandis que Bernard Cazeneuve assistait à la messe de funérailles prononcée par Mgr Dominique Lebrun, archevêque de Rouen. En d’autres termes, les plus hautes autorités de l’Etat ont rendu hommage à Jacques Hamel parce qu’il a été égorgé à dessein en tant que prêtre catholique et pas comme victime d’une affaire qui aurait mal tournée. Enfin, la Nation tout entière s’est associée à cet hommage, y compris les représentants des communautés musulmanes.

 

La sociologie

La deuxième hypothèse est celle qu’à la suite d’Aldo Maria Valli, vaticaniste de renom a la RAI, la télévision italienne, on peut appeler l’hypothèse sociologique.

Le pape a souvent évoque cette guerre menée au nom de l’argent. Elle plongerait ses racines lointaines dans l’expansion de l’Occident au XVIe siècle puis dans sa domination économique du monde et, dans le cas du Proche-Orient, dans le démantèlement de l’empire ottoman, les accords Sykes-Picot, les luttes pour le contrôle des ressources pétrolières et bien entendu les deux guerres d’Irak. Cet impérialisme de l’Occident produit encore aujourd’hui ses effets : lutte pour le pétrole, guerre, flux migratoires, terrorisme. En somme le pape propose une théorie explicative du terrorisme dont la religion est absente et qui justifie ses propos selon lesquels toutes les religions veulent la paix. Les assassins du Père Hamel ont eux aussi invoqué la guerre au rang de leurs motifs et voient leur geste comme une rétribution de l’intervention française en Syrie ; dans cette optique qu’ils partagent avec le pape, le terrorisme n’est qu’un retour de bâton mérité par l’Occident en raison de son exploitation économique du monde arabe. Cependant là où l’Etat islamique comme les assassins se démarquent du point de vue du pape, c’est qu’ils proclament le terrorisme comme une guerre sainte à mener contre les « Croisés » dont le pape est du reste perçu comme le chef. Peu importe que par ailleurs la France soit une république laïque, qui compte en son sein cinq a six millions de musulmans, ce qui compte à leurs yeux c’est en définitive son histoire, qui fait d’elle une puissance chrétienne à combattre.

 

L’histoire

Le 3 décembre 2014, La Ligne Claire avait eu l’occasion de publier un article dans les colonnes du journal Le Temps (http://www.letemps.ch/opinions/2014/12/03/pie-xii-francois-impossibilite-chronique-designer-assassins) qui établissait un parallèle entre le pape François et Pie XII, deux hommes à la personnalité très différente ; l’article avançait l’hypothèse que l’un et l’autre avaient en quelque sorte succombé au terrorisme dans la mesure où la terreur, alors nazie et aujourd’hui d’inspiration islamique, les avait privés de leur pleine liberté d’expression en public. Aujourd‘hui La Ligne Claire reprend volontiers cette hypothèse pour expliquer les dernières paroles du pape, tout en soulignant une différence importante avec son prédécesseur. On a suffisamment reproche à Pie XII ses silences au sujet de la Shoah et de même le pape François, lorsqu’il plaide la cause des migrants, un sujet qui lui tient pourtant à cœur, omet soigneusement de mentionner l’islam et même le terrorisme d’inspiration islamique. On a depuis lors précisé que le pape, qui s’était exprimé en italien dans l’avion, lorsqu’il disait « violenza islamica », renvoyait à une violence musulmane et non pas islamique, qui permettrait donc une comparaison avec une violence catholique. Il n’en reste pas moins que, craignant d’enflammer le mal qu’il souhaiterait condamner, là ou Pie XII s’était muré dans le silence face aux crimes nazis, le pape François s’est senti obligé d’établir un parallèle entre le terrorisme d’inspiration islamique bien réel et un supposé terrorisme catholique, qui lui ne renvoie a aucune réalité.

Enfin, si les déclarations du pape François prennent place parmi les contingences du moment, elles sont aussi le reflet de sa personnalité et de son style d’expression. Adepte d’un style familier et des déclarations a brûle-pourpoint, le pape, dont il dit de lui-même qu’il est un peu fourbe, se plait à cultiver une ambiguïté calculée, disant ceci aux uns et cela aux autres, et à agir volontiers de façon impétueuse, solitaire sinon autoritaire.

On attribue au roi Salomon à la sagesse légendaire le proverbe qui recommande de « tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler », marque d’une sagesse, désormais à élever en réponse à la terreur dont fut martyr le Père Jacques Hamel.