Comtesse Greffulhe

La Comtesse Greffulhe, reine de la République

A l’occasion de l’exposition que le Palais Galliera consacre aux robes somptueuses de la Comtesse Greffulhe, au sujet de laquelle les lecteurs  du Media Suisse de Référence auront pu lire un article ces jours derniers, il paraît opportun de rappeler l’excellente biographie consacrée à la comtesse, parue en 2014, que nous devons à la plume de Laure Hillerin et dont La Ligne Claire offre une recension.

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La Comtesse Greffulhe, la femme la plus en vue de la haute société parisienne à la Belle Epoque, offrit à la Nation ce que la jeune République n’était pas en mesure de lui donner, une reine. Fille du prince Joseph de Caraman-Chimay, gouverneur de la province de Hainaut puis ministre des affaires étrangères du roi des Belges Léopold II, elle passe son enfance, partagée entre la triste maison de Mons, chef-lieu de la province, et un vieil hôtel quai Malaquais à Paris, au sein d’une grande fratrie où l’éducation musicale prodiguée par la princesse, née Marie de Montesquiou, tenait une place essentielle. En 1878, âgée de 18 ans à peine, elle épousa le richissime comte Henry Greffulhe, porteur d’un de ces titres sans particule dont le XIXe siècle français avait le secret.

Réputée la plus belle femme de son temps, elle joua un rôle de premier plan dans la promotion des arts et de la musique : pour employer un mot moderne, elle sponsorise Gabriel Fauré tandis qu’elle introduit Richard Wagner au public français, soutient les audacieux Ballets Russes de Diaghilev non sans remettre Rameau au goût du jour. Dans le domaine des sciences, elle déploie ses talents de networking, pour employer un autre mot à la mode d’aujourd’hui, pour permettre à Marie Curie de trouver le financement pour l’Institut du Radium et à Edouard Branly de mener à bien ses recherches dans le domaine de la télémécanique. Souveraine incontestée de la vie mondaine parisienne, elle reçoit artistes et têtes couronnées au rang desquels figurent le tsar Nicolas II et la reine Elisabeth de Belgique, tout en affichant par ailleurs des opinions hardies, dreyfusarde alors que son milieu social non seulement ne l’est pas mais est volontiers antisémite. Où donc s’arrête la liste de ses connaissances ? : Richard Strauss, Auguste Rodin, Marie Curie, Clémenceau, le grand-duc Wladimir, elle ne s’arrête pas justement. C’est dans ce milieu bouillonant que, par l’entremise de son oncle, le dandy Robert de Montesquiou, elle fait la connaissance de Marcel Proust, avec qui elle correspondra jusqu’en 1920.

L’ouvrage de Laure Hillerin fait suite à une première biographie remontant à 1991 due à la plume d’Anne de Cossé-Brissac, descendante d’Elisabeth Greffulhe, et qu’elle vient appuyer à bien des égards. En tout premier lieu il convient de souligner la densité et l’abondance de la documentation sur laquelle s’est appuyée Laure Hillerin et qui confèrent à son livre un sérieux incontesté.

Vient ensuite une structure originale où, à la suite d’une première partie chronologique, se succèdent quatre sections aprofondissant des aspects particuliers, le mécénat du monde musical et scientifique, son rôle dans la vie mondaine de Paris, ses amours impossibles face à un mari infidèle et la mise en scène de sa propre vie. On y découvre des facettes tout-à-fait étonnantes de la comtesse, une spiritualité hardie, un engagement en faveur des droits des femmes, une femme d’idées qui déploie ses efforts « en vue de faire naître des circonstances ».

La dernière partie du livre enfin est tout entière consacrée à Marcel Proust et à ses rapports avec la comtesse. Plus qu’un modèle d’un personnage de la Recherche du Temps Perdu, Elisabeth Greffulhe et le monde qu’elle crée autour d’elle fournissent l’inspiration même qui conduira Proust, fasciné par son sujet, à rédiger son chef d’œuvre. Certes on retrouvera en partie Elisabeth derrière le personnage de la duchesse de Guermantes et plus encore Henry Greffulhe derrière celui du duc mais c’est surtout le monde de la comtesse qui sera dépeint dans la Recherche et qui assurera aux Guermantes une renommée éternelle tandis que le souvenir de la comtesse Greffulhe s’étiolerait. Pour cette raison, le lecteur qui n’entretient que peu d’affinités avec l’œuvre de Proust est susceptible d’éprouver quelque lassitude face à la lecture de cette partie du récit qui compte pour un cinquième du livre. Il n’empêche, l’Ombre des Guermantes se distingue par sa structure claire: sources, notes, index, tableau thématique des personnages, annexes tout y est pour allier la rigueur de son investigation à l’élégance de sa plume, que vient rehausser le portrait en couverture de la comtesse par Philip de Laszlo, peintre d’un monde qui s’en irait mourir avec la comtesse Greffulhe.

Laure Hillerin, La Comtesse Greffulhe, l’Ombre des Guermantes, Flammarion, 571 p.

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