Gucci à Hollywood

Tiré d’un livre [1] , The House of Gucci, rédigé en 2001 par la journaliste américaine Sara Gay Forden, le film du même nom dû au réalisateur Ridley Scott affiche une triple ambition, raconter la tragédie d’un meurtre, exposer les rivalités qui traversent la famille Gucci et retracer l’histoire de l’entreprise.

Cependant, puisque le film est joué en anglais, il s’agit en premier lieu d’expliquer au spectateur novice que ces différentes affaires se déroulent en Italie. Tout d’abord les comédiens sont priés de se mettre à l’école de Robert de Niro et de s’exprimer avec un accent new-yorkais, comme celui des gangsters de la mafia au cinéma, et qui tiendra lieu d’accent italien. Ensuite, on ne manquera pas de rappeler que l’Italie est le pays qui héberge des villas en Toscane et le long des rives du lac de Côme, le pays des grands repas pris en famille auxquels on se rend en Vespa ou en Fiat 500 et le pays des belles actrices comme Sofia Loren. Rappelons encore à l’attention des spectateurs que l’Italie est un pays de culture catholique où l’on rencontre aussi bien des religieuses qui portent des habits d’un autre âge qu’un prêtre revêtu de vêtements liturgiques datant d’avant le concile Vatican II, bien que les funérailles qu’il célèbre se déroulent en 1983. Quant à la bande sonore, où on découvre, stupéfaits, que Verdi était lui aussi italien, elle affiche autant de relief qu’une pâte à lasagne et en définitive n’ajoute qu’une couche de plus à cette suite de clichés.

Et puis, en dépit d’un budget de $75m, les producteurs ont omis de se prévaloir des services d’un consultant en matière d’étiquette (La Ligne Claire, par exemple) qui aurait discrètement murmuré à l’oreille de Jeremy Irons, qui interprète le personnage de Rodolfo Gucci, que jamais un monsieur ne baise la main gantée d’une dame.

Cette avalanche de lieux communs au sujet de l’Italie est destinée de servir de cache-sexe à un film en quête d’identité, qui hésite à propos du sujet à traiter. L’histoire de l’entreprise Gucci ? On la laissera aux études de cas des écoles de commerce. Demeurent d’une part les rivalités qui aiguillonnent les cousins Gucci et de l’autre le meurtre prémédité, nourri par la jalousie, l’envie et l’ambition, deux sujets différents, même s’ils se croisent. A ce mélange des thèmes, vient s’ajouter le mélange des styles ; Scott est allé librement se servir dans tous les films célèbres qui touchent à l’Italie : les années insouciantes du Dopoguerra dans Vacances Romaines, la Comédie à l’Italienne, les luttes claniques qui fournissent la trame du Parrain, Fellini avec ses mises en scènes baroques et décadentes.

En dépit d’une interprétation de qualité, il ressort de toute cette pastacciutta un film trop long, sans cesse à la recherche de sa trame et du ton juste et qui en définitive déçoit.

 

[1] The House of Gucci : a sensational story of murder, madness, glamour and greed

L’Epiphanie à l’Elysée

L’autre jour vous avez sans doute tiré les rois à l’occasion de la fête de l’Epiphanie. Quelques jours plus tôt La Ligne Claire apprenait au journal parlé qu’au Palais de l’Elysée aussi on mangeait de la galette mais que, par respect strict de la laïcité, la galette ne contenait pas de fève et donc qu’il n’y a pas en ce palais un gagnant susceptible d’être le roi d’un jour ou même d’une heure car en République il n’y a pas de rois.

Peu importe que cette coutume trouve son origine dans les Saturnales romaines, une fête païenne et non pas chrétienne, où on s’adonnait à l’inversion des rôles, peu importe aussi que l’évangéliste saint Matthieu qui relate l’épisode qui nous est connu comme l’Epiphanie ne précise pas que ses protagonistes, des mages venus d’Orient, soient des rois, la simple perspective d’une couronne en papier doré fait se dresser les plus hautes autorités de l’Etat face à cette menace majeure à l’encontre du respect des institutions.

C’est regrettable car non seulement pourrait-on considérer ces mages venus d’Orient comme des migrants, voire des réfugiés, en tout cas des témoins issus de la diversité, mais surtout La Ligne Claire juge que le Palais de l’Elysée fait preuve d’un manque d’imagination. Car pour répondre à l’intrusion du petit Jésus en porcelaine, on pourrait imaginer, comme du reste cela fut le cas semble-t-il sous la Révolution, qu’un bonnet phrygien tienne lieu de fève ou mieux encore, selon la suggestion de l’ancien Premier Ministre, qu’on la remplace par une Marianne aux sein nus.

Pape François

Le Pape, les terroristes et les catholiques

Le 26 juillet dernier le père Jacques Hamel était sauvagement égorgé dans son église à l’issue de la messe qu’il venait de célébrer par deux individus qui se réclament explicitement de l’Etat islamique. Le Pape François s’est exprimé à deux reprises à ce propos, une première fois dans l’avion qui l’emportait aux JMJ à Cracovie, et une seconde fois au retour.

A l’aller le pape a insisté sur la notion de guerre, « une guerre d’intérêts, une guerre pour l’argent, une guerre pour les ressources naturelles, une guerre pour la domination des peuples, …pas une guerre de religions car toutes les religions veulent la paix » qui, selon lui, explique la situation du monde.

Si ces propos ont pu surprendre, ceux prononcés lors du vol du retour ont provoqué un émoi plus considérable encore. « Je ne pense pas qu’il soit juste d’associer islam et violence…tous les jours quand j’ouvre les journaux, je vois des violences en Italie, quelqu’un qui tue sa petite amie, un autre qui tue sa belle-mère, et ce sont des catholiques baptisés ».

Face à la perplexité qu’ont causé ces commentaires, La Ligne Claire souhaite présenter trois hypothèses susceptibles de les déchiffrer.

 

L’accident selon Aristote

La première pourrait s’appeler l’hypothèse de l’accident. Un type tue un autre type, cela arrive tous les jours, et s’il s’avère que l’assassin est un Français de confession musulmane et la victime un autre Français, prêtre catholique, cela relève de l’accident aristotélicien. Dans cette optique, cet incident tragique tient du fait divers et devient donc tout à fait comparable à l’histoire de cet autre type, le baptisé catholique, qui zigouille sa belle-mère. Ce personnage fictif auquel le pape se réfère est celui qui permet de conférer une certaine validité à cette hypothèse.

Elle n’est pourtant partagée par personne d’autre. Selon la sœur Hélène Decaux, témoin du meurtre, les assassins se réclament à la fois de la guerre en Syrie, menée selon eux par les Chrétiens et qu’ils invoquent comme justification de leur geste, et de motifs religieux car « Jésus ne peut pas être à la fois homme et Dieu ». Pour sa part le Président François Hollande, qui se professe athée, déclarait que « tuer un prêtre, c’est profaner la République » ; il s’est ensuite rendu, accompagne du Premier Ministre Manuel Valls à la cérémonie d’hommage célébrée par le cardinal Vingt-Troix à Notre-Dame de Paris, tandis que Bernard Cazeneuve assistait à la messe de funérailles prononcée par Mgr Dominique Lebrun, archevêque de Rouen. En d’autres termes, les plus hautes autorités de l’Etat ont rendu hommage à Jacques Hamel parce qu’il a été égorgé à dessein en tant que prêtre catholique et pas comme victime d’une affaire qui aurait mal tournée. Enfin, la Nation tout entière s’est associée à cet hommage, y compris les représentants des communautés musulmanes.

 

La sociologie

La deuxième hypothèse est celle qu’à la suite d’Aldo Maria Valli, vaticaniste de renom a la RAI, la télévision italienne, on peut appeler l’hypothèse sociologique.

Le pape a souvent évoque cette guerre menée au nom de l’argent. Elle plongerait ses racines lointaines dans l’expansion de l’Occident au XVIe siècle puis dans sa domination économique du monde et, dans le cas du Proche-Orient, dans le démantèlement de l’empire ottoman, les accords Sykes-Picot, les luttes pour le contrôle des ressources pétrolières et bien entendu les deux guerres d’Irak. Cet impérialisme de l’Occident produit encore aujourd’hui ses effets : lutte pour le pétrole, guerre, flux migratoires, terrorisme. En somme le pape propose une théorie explicative du terrorisme dont la religion est absente et qui justifie ses propos selon lesquels toutes les religions veulent la paix. Les assassins du Père Hamel ont eux aussi invoqué la guerre au rang de leurs motifs et voient leur geste comme une rétribution de l’intervention française en Syrie ; dans cette optique qu’ils partagent avec le pape, le terrorisme n’est qu’un retour de bâton mérité par l’Occident en raison de son exploitation économique du monde arabe. Cependant là où l’Etat islamique comme les assassins se démarquent du point de vue du pape, c’est qu’ils proclament le terrorisme comme une guerre sainte à mener contre les « Croisés » dont le pape est du reste perçu comme le chef. Peu importe que par ailleurs la France soit une république laïque, qui compte en son sein cinq a six millions de musulmans, ce qui compte à leurs yeux c’est en définitive son histoire, qui fait d’elle une puissance chrétienne à combattre.

 

L’histoire

Le 3 décembre 2014, La Ligne Claire avait eu l’occasion de publier un article dans les colonnes du journal Le Temps (http://www.letemps.ch/opinions/2014/12/03/pie-xii-francois-impossibilite-chronique-designer-assassins) qui établissait un parallèle entre le pape François et Pie XII, deux hommes à la personnalité très différente ; l’article avançait l’hypothèse que l’un et l’autre avaient en quelque sorte succombé au terrorisme dans la mesure où la terreur, alors nazie et aujourd’hui d’inspiration islamique, les avait privés de leur pleine liberté d’expression en public. Aujourd‘hui La Ligne Claire reprend volontiers cette hypothèse pour expliquer les dernières paroles du pape, tout en soulignant une différence importante avec son prédécesseur. On a suffisamment reproche à Pie XII ses silences au sujet de la Shoah et de même le pape François, lorsqu’il plaide la cause des migrants, un sujet qui lui tient pourtant à cœur, omet soigneusement de mentionner l’islam et même le terrorisme d’inspiration islamique. On a depuis lors précisé que le pape, qui s’était exprimé en italien dans l’avion, lorsqu’il disait « violenza islamica », renvoyait à une violence musulmane et non pas islamique, qui permettrait donc une comparaison avec une violence catholique. Il n’en reste pas moins que, craignant d’enflammer le mal qu’il souhaiterait condamner, là ou Pie XII s’était muré dans le silence face aux crimes nazis, le pape François s’est senti obligé d’établir un parallèle entre le terrorisme d’inspiration islamique bien réel et un supposé terrorisme catholique, qui lui ne renvoie a aucune réalité.

Enfin, si les déclarations du pape François prennent place parmi les contingences du moment, elles sont aussi le reflet de sa personnalité et de son style d’expression. Adepte d’un style familier et des déclarations a brûle-pourpoint, le pape, dont il dit de lui-même qu’il est un peu fourbe, se plait à cultiver une ambiguïté calculée, disant ceci aux uns et cela aux autres, et à agir volontiers de façon impétueuse, solitaire sinon autoritaire.

On attribue au roi Salomon à la sagesse légendaire le proverbe qui recommande de « tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler », marque d’une sagesse, désormais à élever en réponse à la terreur dont fut martyr le Père Jacques Hamel.

In vino veritas

En définitive, il n’est jamais venu. En raison des attentats de Paris le 13 novembre dernier le président iranien Hassan Rohani a annulé sa visite en Italie, au Vatican et en France, où il avait été prévu qu’il s’entretienne avec le président François Hollande.

Entretemps une mini polémique avait vu le jour car le président Rohani avait refusé de prendre part à un repas au cours duquel du vin aurait été servi. Si l’attitude de Rohani peut irriter, car il lui aurait suffit de demander un demi de Contrex’, la réplique de l’Elysée, à savoir l’élévation du vin à table au rang des « traditions républicaines » est risible. Ce sont les Romains qui ont introduit la vigne en Gaule au 1er siècle avant Jésus-Christ et l’usage qui consiste à boire du vin à table fait tout simplement partie des coutumes du pays et n’est pas le fait d’un régime politique particulier, républicain ou autre.

Mais personne n’est dupe car derrière cette attitude de l’Elysée se cache le refus de donner l’impression de se plier à un rite religieux, l’interdiction faite par l’islam de consommer de l’alcool.

La Ligne Claire a grandi dans une famille de diplomates où de temps à autre surgissaient de délicates questions de protocole. Une princesse romaine de noblesse pontificale a-t-elle préséance sur la femme de l’ambassadeur de Syldavie ? Le plus souvent, le simple bon sens permettait d’y répondre : on ne sert pas du rôti de porc à l’ambassadeur du Maroc pas plus qu’à l’ambassadeur d’Israël.

Fort de l’expérience de ses parents, la Ligne Claire suggère pour la prochaine fois au service du protocole de la présidence d’offrir du vin mais de recommander à l’hôte de l’Elysée de s’abstenir d’en boire par égard envers son invité. Cela s’appelle la courtoisie, une tradition bien française, avec ou sans république.