Elisabeth II. sacre et sacrements

Le sacre du roi ou de la reine (souveraine) d’Angleterre puise ses origines dans la tradition biblique puisqu’on peut lire au chapitre XVI du 1er livre de Samuel que c’est au prophète qu’il revient d’imprimer l’onction au Roi David. Plus tard, Jésus, descendant de David selon la chair (Matthieu, chapitre Ier) sera reconnu de son vivant comme le Messie, un terme hébreu qui signifie l’Oint, Celui qui a reçu l’onction divine, et dont la traduction grecque est Christos. Plus tard encore, les Capétiens feront leur cette cérémonie du sacre qui du reste faisait du roi un diacre, et dont est issue à son tour le sacre des rois d’Angleterre.

Il existe donc un lien intime entre l’onction d’une part et les chrétiens, ceux qui se réclament du Christos. Aussi, si la cérémonie du sacre revêt un caractère exceptionnel, elle partage le rite de l’onction sainte avec quatre autres sacrements, le baptême, la confirmation, le sacrement des malades (autrefois appelé extrême onction) et l’ordination. On voit donc ici la proximité qui existe entre le sacre et les sacrements, en tout premier celui du baptême puisque seul un baptisé, un christos, peut recevoir l’onction royale. Les lecteurs de La Ligne Claire se souviendront du reste que saint Rémi avait d’abord baptisé Clovis avant de le couronner.

Mais, on vient de le voir, il existe aussi un lien entre sacre et ordination. Ce lien nous enseigne en premier lieu que l’onction n’est pas imposée en raison des compétences ou des mérites du candidat mais en raison de sa fidélité à exercer sa vocation, quelle qu’elle soit. Ensuite ni le sacre ni le sacrement de l’ordre ne constituent un cahier des charges, une « job description », moins encore une puissance mondaine mais au contraire l’acceptation d’une dépendance filiale envers Dieu. Nous savons tous qu’Elisabeth II avait été sacrée parce qu’elle était la fille aînée de son père, le roi défunt, et pas pour un autre motif. Il en va de même pour les ministres du sacrement de l’ordre, non qu’ils soient irréprochables ou qu’ils se situent au-delà de toute forme de critique, mais parce qu’ils témoignent d’une réalité spirituelle qui les dépasse et qui n’est pas le fruit de préférences individuelles.

C’est pourquoi l’onction, royale ou pas, est d’abord un don de l’Esprit-Saint, qui assouplit ce qui est raide, qui redresse ce qui est faussé, afin que le bénéficiaire puisse en rendre témoignage. Voilà la manière dont la Reine Elisabeth a conçu sa vocation au sacerdoce royal, pour lequel elle avait été bénie et ointe à la manière du Roi David. On notera au passage qu’en dépit de la similitude avec le sacrement de l’ordre et bien qu’elle ait siégé à la tête de l’Église anglicane, jamais la Reine n’a introduit de confusion entre son propre rôle et celui des ministres ordonnés. Le Chemin Synodal allemand pourrait utilement s’en inspirer.

Enfin, on pourra établir un parallèle avec le pontificat de Jean-Paul II puisque ni la reine ni le pape n’ont abdiqué en raison d’une conception commune de leur ministère, qui rejette ce que le monde juge être le succès, la performance, l’efficacité, en un mot la vanité, mais qu’ils savent l’un et l’autre n’être que de la paille dans le vent aux yeux de Dieu.

Et puis, quand tout est dit, quand le soir tombe, quand l’heure sonne, vient alors l’Esprit-Saint consolateur, en particulier dans le sacrement des malades, lui qui guérit les blessures, même celles du grand âge et confie à ceux qui l’implorent le salut final dans la joie éternelle.

La reine des cryptos

Les lecteurs de La Ligne Claire qui suivent l’actualité financière sauront que la monnaie cryptographique Bitcoin aura perdu plus de 50% de sa valeur au cours du premier semestre 2022. Néanmoins, à environ 20 mille dollars, c’est beaucoup plus que celle de son éphémère rivale OneCoin, qui est cotée à €0.0008313.

Bitcoin, la première et la plus connue des monnaies cryptographiques nait en 2009 dans un milieu libertarien qui veut s’affranchir de la tutelle de l’État sur la monnaie dont il contrôle à la fois le prix (le taux d’intérêt) et le volume (l’assouplissement quantitatif) et qu’il taxe de surcroit.

C’en est trop pour Ruja Ignatova, une bulgare qui a grandi en Allemagne. Brillante, elle accumule les diplômes y compris un doctorat en droit qui lui vaudra d’être connue sous le sobriquet de Dr Ruja. Un recrutement par le cabinet de conseil McKinsey lui vaudra non seulement d’acquérir une expérience professionnelle de premier plan et de nouer un réseau de contacts mais de conférer à son CV la considération qu’elle recherche.

En 2014, elle crée OneCoin, qu’elle présente comme un cryptomonnaie à destination du grand public, qui aura vocation non seulement à détrôner BitCoin mais la monnaie fiduciaire elle-même. A cette création, elle associe d’une part le marketing multi-niveau, ou Multi Level Marketing (MLM), la technique de vente pour vendre la ligne de cosmétique Avon ou les produits de cuisine Tupperware, et d’autre part une pyramide de Ponzi, un montage financier frauduleux. Mais alors que les Tupperware ne prennent pas de valeur, Dr Ruja promet à ses investisseurs la future envolée du prix de OneCoin. Le talent de Dr Ruja, son CV, la combinaison de ces trois facteurs (crypto, MLM, Ponzi) lui permettra de créer une clientèle à l’échelle du monde qui se comptera en milliers puis en centaines de milliers. Mais OneCoin est un produit financier dont la commercialisation est soumise à des règles strictes ; pour les contourner, Dr Ruja vend des manuels de finance, à des prix allant de mille à cent mille euros, assortis de jetons qui permettent d’acheter des OneCoin. Le monde entier en achète, des veuves, des employés municipaux en Angleterre, des fermiers en Ouganda vendent leurs chèvres pour souscrire à OneCoin dans l’espoir que leur vie en sera transformée.

En réalité toutefois, OneCoin n’est en qu’une gigantesque fraude qui a permis à Dr Ruja et à quelques acolytes de s’enrichir rapidement aux dépens du grand public justement. En décembre 2017, Dr Ruja disparaît et demeure toujours en fuite à ce jour tandis que son système s’écroule peu après.

Fruit de la transcription par écrit d’un podcast publié par la BBC en 2019, The Missing Crypto Queen raconte cette histoire extraordinaire sous la plume claire et agréable de Jamie Bartlett. Bartlett fait preuve de talent ; non seulement il permet au grand public, toujours lui, de comprendre une histoire complexe sur le plan technologique, financier et juridique, mais il décortique les ressorts émotionnels de cette affaire. Certes, Dr Ruja est l’auteur d’une fraude jusqu’en sa propre disparition, mais le public crédule se révèle disposé à la croire, à rêver d’un enrichissement instantané et à la suivre comme le joueur de flûte de Hameln.

Et puis, si Dr Ruja a disparu, ce n’est pas en raison de son escroquerie, non, cela ne se peut, nous sommes dans l’ère de la grande occultation et elle reviendra lors de son deuxième avènement pour défaire tous ceux qui l’ont contrainte à se cacher, les banques, le FBI, ceux-là de Bitcoin, et Jamie Bartlett qui nous révèle la vérité.

 

Jamie Bartlett, The Missing Crypto Queen, WH Allen, 2022