Pape François

Le Pape en Hongrie

En septembre 2021, le Pape François s’était rendu à Budapest pour quelques heures seulement à l’occasion du Congrès eucharistique, qu’il avait quitté pour poursuivre un voyage de quatre jours dans la Slovaquie voisine ; à l’époque ce très bref séjour avait été interprété comme une rebuffade à l’égard du Premier Ministre Viktor Orbán en raison de divergences de sensibilité supposées.

Or voilà que le Pape François retourne à Budapest du 28 au 30 avril. Dimanche dernier à Rome, à l’occasion de la prière du Regina Caeli, le Pape déclarait qu’il se rendrait prochainement au centre de l’Europe. Aucune musique ne résonne plus douce aux oreilles des Hongrois que celle qui évoque leur place au sein de la Mitteleuropa, tandis que l’Europe de l’Est, elle est reléguée, ma foi, toujours un peu plus à l’Est, comme aurait pu le dire le Professeur Tournesol.

Entre ces deux dates bien sûr est survenue la guerre en Ukraine, un pays avec lequel la Hongrie partage une frontière, que plusieurs millions de réfugiés ont franchi pour trouver accueil en Hongrie même et ailleurs en Europe. Car, de l’avis de La Ligne Claire, Viktor Orbán, le chantre de la démocratie illibérale et Bergoglio, qui gouverne l’Église à la manière d’un caudillo sud-américain, partagent une vue commune quant à la guerre en Ukraine. Très sensibles à la misère qui frappe leurs voisins, la Hongrie petit pays de 10 millions d’habitants, a généreusement ouvert ses portes pour accueillir ces réfugiés, peut-être le thème le plus cher au Pape François. De plus, la Hongrie a su maintenir ses distances à l’égard du reste de l’Union Européenne, qui a emboîté le pas aux Etats-Unis, dont Bergoglio, peu suspect de sympathies envers les gringos, se méfie, en tous cas en matière de politique extérieure. Enfin, si l’un et l’autre considèrent la Russie comme l’agresseur, ils ne réduisent pas les causes de la guerre au seul usage de la force brute. Le Pape a publiquement refusé de dépeindre la guerre en Ukraine comme un conflit entre bons et méchants et évoqué rien moins qu’une troisième guerre mondiale livrée par procuration dans le monde entier. En outre, tant la Hongrie que le Saint-Siège reconnaissent que la Russie a le droit elle aussi à défendre ses intérêts légitimes en matière de sécurité.

Enfin, le Pape François, apôtre du rapprochement avec tous ceux qui d’une manière ou d’une autre sont loin de l’Église, se retrouvera en Hongrie dans un pays certes à majorité catholique, mais confessionnellement très varié, peuplé de catholiques, réformés, luthériens, et grecs catholiques (uniates) et où vit une importante communauté juive ; du reste Viktor Orbán est calviniste alors que Katrin Novák, la présidente de la République de Hongrie, est catholique.

Voilà donc que la guerre en Ukraine a fait de Bergoglio, le jésuite progressiste, et d’Orbán, le protestant conservateur, d’étranges compères qui y trouvent leur intérêt mutuel à se faire la cour pendant trois jours, au fond de la même manière que Ronald Reagan et Jean-Paul II l’avaient fait en leurs jours.

La Sanctification du Monde

Il y a un peu plus de soixante ans, le 11 octobre 1962 s’ouvrait le concile Vatican II qui allait marquer l’Église catholique de manière profonde jusqu’à nos jours. A l’occasion de cet anniversaire, George Weigel, un intellectuel catholique américain de premier plan connu pour sa magistrale biographie de Jean-Paul II, a publié ce petit livre, To Sanctify the World, à destination d’un public généraliste mais averti.

Weigel entend tout d’abord rappeler au lecteur quelle était l’intention de Jean XXIII lors de la convocation du Concile, quels sont les points essentiels à retenir des seize textes publiés et enfin quelle est leur clé de lecture.

Lorsque Jean XXIII en janvier 1959 fait part de façon presque anodine de son intention de convoquer un Concile Œcuménique, l’Église n’est pas confrontée à une situation comparable à l’émergence de la Réforme, qui avait occupé le Concile de Trente au XVIe siècle. Mais le vieux pape a l’intuition d’une part que l’Église tourne confortablement en rond sur elle-même, en particulier en Europe, son cœur historique, et d’autre part qu’il lui fait défaut un langage qui lui permette de s’adresser au monde moderne d’alors. Les intentions du pape apparaissent clairement dans son discours d’ouverture du Concile, connu sous le nom latin de Gaudet Mater Ecclesia ; loin de refonder l’Église ou de la séculariser, il s’agit au contraire de souligner le caractère essentiellement christocentrique du Concile de sorte que l’Église catholique puisse mieux christifier ou convertir le monde.

Weigel suggère donc de lire les documents conciliaires à l’aune de cette intention et dans l’ordre constitutif qui convient ; en premier lieu figure la constitution sur la révélation divine, Dei Verbum, car Dieu parle en premier et révèle à l’homme sa vérité ; ensuite vient Lumen Gentium, la constitution sur l’Église, comprise non plus selon le modèle juridique des néo-scolastiques mais comme le Peuple de Dieu qui se reconnaît à la lumière de la révélation, dont Jésus-Christ est l’achèvement parfait. Les quatorze autres documents s’appuient sur ce double socle.

Lorsque le concile se clôt en 1965, les textes conciliaires sont reçus dans l’ensemble avec enthousiasme malgré le défaut, selon le mot de Weigel, d’une clé de lecture qui fasse autorité. Les pères conciliaires se retrouvent alors dans un monde où souffle un vent nouveau marqué par la décolonisation, une musique nouvelle, un culte de la jeunesse, un changement radical en matière de mœurs et par une contestation générale qu’on appellera par convenance l’esprit de mai 68. Sans tomber dans le faux syllogisme Post Concilium Propter Concilium, c’est bien dans ce monde-là que les décisions du concile trouveront leur application concrète, parfois fantaisiste. L’Église catholique entame alors la décennie la plus turbulente de son histoire moderne, marquée par le retour à l’état laïc de dizaines de milliers de prêtres et de religieuses.

Il reviendra aux pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI (1978-2013), deux participants au concile, d’expliquer, de clarifier et de définir ce que les pères conciliaires avaient voulu pour l’Église, en un mot de fournir la clé de lecture du concile. A ce propos, on peut songer au synode des évêques à l’occasion du vingtième anniversaire de la clôture du concile en 1985, à la promulgation du catéchisme de l’Église catholique publiée en 1992 ou encore à l’instruction sur la liturgie Redemptionis Sacramentum en 2004.

En un mot, le concile avait et a toujours vocation à inviter l’Église à proclamer Jésus-Christ au monde entier, dont il faut bien observer qu’il n’a pas porté un intérêt marqué à sa propre sanctification. Bien plus, en Europe en particulier, on a souvent observé le mouvement opposé où l’Église suit mollement les évolutions et même les exigences d’un monde non pas païen ou athée mais irréligieux. Il est aisé d’observer ce phénomène de nos jours encore, en Europe du Nord notamment, où même certains évêques cautionnent des inventions liturgiques, morales ou dogmatiques, qui se revendiquent d’un esprit du concile non défini, mais qui sont en réalité totalement absentes des textes conciliaires. C’est là aussi que l’Église est saignée à blanc car à quoi bon rejoindre une Église qui ne fait que répéter comme un perroquet ce que le monde lui dit ? Là au contraire où le concile a été reçu et mis en œuvre en vérité, là l’Église est vivante, joyeuse et missionnaire.

 

George Weigel, To Sanctify the World, Basic Books, 368 pages, 2022.

Apologie de la foi catholique

Évêque depuis juin dernier de Winona-Rochester au Minnesota, Robert Barron est connu comme le fondateur de l’institut Word on Fire (https://www.wordonfire.org/), qui promeut l’apostolat en ligne. C’est à son inspiration et impulsion qu’on doit la publication de The New Apologetics, un petit recueil d’une quarantaine d’essais traitant de la théologie et de la philosophie, de la psychologie et de la sociologie, des sciences et des arts. Par apologie il y a lieu d’entendre la défense raisonnée de la foi (ici catholique), à la fois une nécessité et un devoir selon ce qui est écrit au chapitre III, verset 15 de la 1ère épître de Saint Pierre. Son but est d’affirmer la vérité de la Révélation, l’harmonie entre foi et raison et une saine compréhension de la liberté humaine.

La Nouvelle Apologie s’inscrit résolument dans le contexte de la nouvelle évangélisation proclamée par Jean-Paul II et entend s’adresser au monde actuel postchrétien, parfois anti-chrétien, athée et surtout relativiste. Elle se veut le reflet de l’attention que l’Église catholique accorde aux sciences et affirme résolument la cohabitation en l’homme de la foi et de la raison, deux modes de la connaissance humaine. Puisant à la source d’une longue et solide tradition intellectuelle qui remonte aux Pères de l’Église, elle connaît et reconnaît ses ennemis, Sartre, Nietzsche ou Marx et la société athée qu’ils ont engendrée.

La Nouvelle Apologie fait de la beauté, la splendeur de la vérité selon le titre de l’encyclique de Jean-Paul II, le fer de lance de son approche car seule la beauté, pas toujours présente dans la culture catholique actuelle il est vrai, est à même de désarmer les objections que lui adresse le relativisme contemporain.

The New Apologetics fait référence à des références culturelles, et en particulier littéraires, tirées du monde anglo-saxon qui ne seront pas toutes familières à un lecteur de langue française ; néanmoins, ses enseignements sont applicables à d’autres cultures pour la raison-même que la foi chrétienne s’inscrit dans la réalité très concrète de l’incarnation.

Ce petit livre a vocation à constituer un manifeste de la foi catholique afin d’être tout à tous (1 Cor IX, 22). Plus qu’un manuel d’argumentation, il a vocation à être entendu dans et par le monde d’aujourd’hui, en ligne et hors ligne, par les jeunes en particulier et par tous ceux qui en Occident se sont éloignés de l’Église.

 

 

 

The New Apologetics, Word on Fire, 288 pages, 2022

 

Pape François, le silence du baroque

Tout le monde connaît le style de vie sobre adopté par le Pape François, loin des ors du palais apostolique. En juin 2013, trois mois après son élection, il avait refusé d’assister à un concert de musique classique au motif qu’il n’était pas « un prince de la Renaissance ». On peut trouver sur internet des photos du fauteuil laissé vide à cette occasion.

Mais, vendredi dernier (27 mars) le pape François a fait appel au grandiose registre de la mise en scène baroque pour prononcer sa bénédiction Urbi et Orbi, à la Ville et au Monde, d’ordinaire réservée aux temps de Noël et de Pâques.

Une estrade sur le parvis de Saint Pierre devant la façade de Maderno, la place toute vide enserrée par la colonnade du Bernin, l’homme presque seul, la démarche hésitante et la mine tendue, la pluie battante tandis que le jour cède le pas à l’obscurité, tout cela confère à l’intervention du pape une intensité dramatique rarement égalée et qui demeurera sans doute comme une des images les plus prégnantes des heures que nous vivons.

Si le pape François a su faire un usage inédit du décor qu’il avait à disposition, c’est à lui que revient le contenu, le déroulement et la cadence de cette cérémonie. François a choisi d’abord la lecture de l’évangile de la tempête apaisée, qui fournira le sujet de son homélie ; enfin le long temps d’adoration du Saint Sacrement, silencieux et grave, sorte d’adagio de cette liturgie, se clôt avec la bénédiction proprement dite. L’icône de la Madone Salus Populis Romani et le crucifix de San Marcello nous renvoient à la Ville tandis que la colonnade embrasse la place vide comme l’Église universelle le Monde.

Le pape François s’est attaché à dresser un parallèle entre le récit évangélique dans lequel Jésus invite les disciples à passer sur l’autre rive, et notre situation actuelle. Comme les disciples de l’Évangile, souligne le Pape François, nous avons été pris au dépourvu par une tempête inattendue et furieuse qui suscite en nous la peur, la peur de la mort, la peur de perdre son emploi, la peur face à un avenir qu’on pensait pouvoir maîtriser. N’ayez pas peur, dit le pape, reprenant à son compte le mot d’ordre de Jean-Paul II, n’ayez pas peur du passage sur l’autre rive. Sans fard, il précise que c’est la croix, instrument d’un supplice infâme chez les Romains, qui constitue l’ancre et le gouvernail qui permettent ce passage.

Le troisième temps de cette liturgie, la longue adoration eucharistique, constitue pour ainsi dire la reconnaissance dans l’espérance et la foi de l’arrivée à bon port. Nous les hommes, nous ne pouvons pas vraiment parler de la mort : soit il s’agit de celle des autres et elle ne nous concerne pas intimement, soit il s’agit de la nôtre et nous ne pouvons plus en parler. Seul le Christ peut en parler car il n’est pas simplement sorti du confinement mais est ressuscité des morts.

Loin paraît le temps où le Pape François appelait les fidèles à semer la pagaille. Aujourd’hui, la nature s’est chargée de reprendre cette injonction à son compte. Au lieu de cela, au temps de la tempête succède celui du calme et du silence, un vieil homme fait face seul à l’ostensoir rayonnant d’une rive à l’autre. Le monde retiendra que ce pape-ci, dans un mélange de faste baroque et de dépouillement cistercien, a su trouver le ton juste où aux accents dramatiques se mêlent des notes d’espérance.

Pape François

Du Vatican à l’Amazonie

Exhortation apostolique Querida Amazonia

La publication il y a deux semaines de Querida Amazonia permet de tirer des enseignements au sujet du pape régnant. En l’espèce, Querida Amazonia est une exhortation apostolique dite post synodale et qui expose les conclusions que tire le Pape François à propos du synode consacré à propos de l’Amazonie et qui s’était tenu à l’automne dernier.

Puisque le synode était consacré à l’Amazonie, et bien ma foi, l’exhortation apostolique l’est aussi, au grand dam de l’aile progressiste (mais qui se nomme elle-même réformiste) de l’Église catholique qui avait espéré que le pape traite de l’ordination d’hommes mariés et même de femmes. Que dit donc le pape et que ne dit-il pas ? Le point de vue de La Ligne Claire.

 

Réforme de l’Eglise

Si l’Ecclesia est semper reformanda, la structure épiscopale de l’Église, elle est irréformable. Lumen Gentium, constitution dogmatique de l’Église, rappelle à tous les croyants, que l’Eglise, puisant ses sources dans l’Ancien Testament,  est fondée par Jésus-Christ, et non pas les hommes, sur la tête de Pierre et des Apôtres, dont le pape et les évêques sont les successeurs. Non décidément, le pape n’apparaît pas convaincu par une conception fonctionnaliste de l’Église, selon laquelle il suffirait de modifier ses structures à la manière d’une entreprise pour qu’elle soit réformée.

 

Refus des manipulations

On l’a vu, sans surprise, Querida Amazonia traite de l’Amazonie. Tous ceux qui avaient souhaité un autre résultat en restent pour leur frais. Mal leur en a pris alors que des avertissements existent. Ainsi, ici en Suisse, en 2017 l’Alliance Es Reicht avait adressé une lettre au pape réclamant la nomination d’un délégué apostolique, plutôt qu’un évêque diocésain, à la tête du diocèse de Coire ; ce pape, qui n’aime pas qu’on tente de l’instrumentaliser, s’est empressé d’ignorer leurs vœux et de reconduire le mandat de Mgr Huonder.

 

Exercice de l’autorité papale

Alors qu’il s’était trouvé une majorité des deux tiers parmi les pères synodaux à voter en faveur de l’ordination de viri probati au sacerdoce, le pape François n’a pas relevé cette suggestion. La possibilité d’ordonner des hommes mariés existe déjà au sein de l’Église catholique y compris dans le rite latin quand bien même à titre exceptionnel. Qu’on conserve les exceptions, que l’on ne fasse pas de l’exception la règle et qu’on évite de faire des prêtres des fonctionnaires du divin, nous dit le pape François. Et le pape de rappeler enfin aux pères synodaux qu’un synode n’est pas un parlement.

 

La puissance de l’argent

Dès le jour de son élection, le pape François n’a pas caché sa méfiance à l’égard des puissances de l’argent, y compris maintenant lorsqu’elles émanent du sein de l’Église et en particulier des trois pays, Allemagne, Autriche et Suisse, qui connaissent le système de l’impôt ecclésiastique, source à la fois de deniers et d’orgueil.

 

Ordination féminine

Si le pape passe ce sujet sous silence, c’est qu’il reconnaît à nouveau que l’Église catholique ne dispose pas du pouvoir d’ordonner des femmes au sacrement de l’ordre et que lui ne peut s’arroger un pouvoir dont il ne dispose pas. Les sacrements sont issus de la grâce du Christ et aucun homme, pas même le pape, ne peut créer, modifier ni abolir un sacrement.

 

Révélation et exhortation apostolique

Le christianisme est une religion révélée à laquelle on adhère par la foi qui certes doit sans cesse faire l’objet d’un approfondissement, mais dont le contenu est quant à lui est intangible car d’origine divine et ne saurait faire l’objet d’un supposé progrès. Le mystère de Dieu demande sans cesse d’être approfondi et non pas expliqué. La réforme dont parle le pape est une réforme du cœur, celle dont parlait déjà le prophète Ézéchiel. C’est aussi la condition nécessaire en vue de la nouvelle évangélisation, en l’occurrence de l’Amazonie, sujet de l’exhortation apostolique

Nul n'est prophète en son pays

Nul n’est prophète en son pays

En ces temps-là, La Ligne Claire assistait à une conférence consacrée à la créativité quand une oratrice, se lamentant du départ des créateurs vers d’autres cieux, évoquait le proverbe« Nul n’est prophète en son pays ». Cet épisode témoignage tout à la fois de la permanence des Evangiles dans la langue française, que de son ignorance, puisqu’il s’agit ici non pas au départ d’un proverbe mais d’un verset tiré du chapitre IV de l’évangile selon saint Luc.

Dans ce petit ouvrage très didactique, Denis Moreau, professeur de philosophie à l’université de Nantes, sélectionne une cinquantaine de citations tirées des évangiles et s’attache à en montrer la présence dans la langue française. Chacun de ces cinquante petits chapitres est structuré de la même manière : le texte évangélique d’où est tiré la citation, suivi d’un commentaire de ce texte et d’exemples où cette citation apparaît dans la littérature française. Destiné à un large public, pas toujours familier des Evangiles, et de lecture aussi agréable qu’accessible, Nul n’est prophète en son pays se veut une tentative d’évangélisation du grand public par amour de la langue française, très imprégnée de culture chrétienne.

Amis lecteurs, un mois à peine nous séparent de la fête de Noël. Au lieu de recourir une fois de plus aux expédients de la savonnette parfumée et de la cravate en soie, offrez plutôt le bouquin de Moreau à votre conjoint.

  • Chéri c’est servi, la dinde est prête.
  • A la bonne heure car l’homme ne vit pas que de pain. Du reste, j’ai sorti une bonne bouteille car à vin nouveau, outres neuves.
  • Papa, tu a gardé le meilleur vin pour la fin.
  • Et maintenant les enfants, débarrassez la table.
  • Ah non Maman, à chaque jour suffit sa peine.
  • Je m’en lave les mains, faites ce que je vous dis.

Et puis, lorsqu’on aura allumé les bougies sur le sapin de Noël, car on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, ce livre se prêtera admirablement à des jeux de société en famille. Qui était le bon larron ?: a) un compagnon de supplice de J-C Notre Seigneur, b) Marlon Brando dans le Parrain ou c) J.C., ministre du budget de 2012 à 2013 ?

 

Denis Moreau, Nul n’est Prophète en son Pays, Editions du Seuil

Voir aussi Denis Moreau: Comment peut-on être catholique?

 

 

Pape François

De la difficulté d’être un catholique conservateur

Résumé

Depuis l’élection du Pape François, les catholiques conservateurs se trouvent dans une situation délicate. Leur propre conception de l’Eglise exige d’eux une fidélité à un pape dont ils ne partagent pas les orientations.

Une Eglise, plusieurs chapelles

« Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division. Car désormais cinq personnes de la même famille seront divisées : trois contre deux et deux contre trois ; ils se diviseront : le père contre le fils et le fils contre le père, la mère contre la fille et la fille contre la mère, la belle-mère contre la belle-fille et la belle-fille contre la belle-mère. »

Ces versets tirés du chapitre 12 de l’évangile selon saint Luc expriment sans doute assez bien un caractère permanent de l’Eglise catholique. Alors que chez les protestants, chacun est libre, en cas de désaccord avec son voisin, de tirer sa révérence et de s’en aller fonder une nouvelle communauté à sa guise, chez les catholiques on est condamné sinon à s’entendre du moins à cohabiter. Il ne peut y avoir une église catholique bis.

Conclave

Cependant depuis l’élection de Bergoglio au siège de Pierre en 2013, ces divisions ont acquis un nouveau relief. Sans doute les cardinaux électeurs, tous nommés par Jean-Paul II et Benoît XVI, qui en 2013 lui apportent leur suffrage, n’ont-ils pas bien lu la notice marquée sur l’emballage : « Attention, jésuite latino des années septante, à manipuler avec précaution». A l’aune de l’église d’Amérique latine de ces années-là marquée par la théologie de la libération voire l’appui à la lutte armée, la lettre écrite par le supérieur des jésuites argentins à l’occasion de la nomination de Bergoglio à l’épiscopat en 1992 le jugeant inapte à cette fonction, pouvait même passer pour un gage d’orthodoxie. Après tout, cet homme mène une vie austère, on ne lui connaît pas de casseroles, il s’est dressé face à la Présidente Fernandez de Kirchner au sujet du mariage pour tous et enfin, il est le patron d’un gros archidiocèse alors que ni Jean-Paul II, infirme au soir de sa vie, ni Benoît XVI, ce bouquiniste intello, n’ont été à même de mettre au pas la clique qui malmène la Curie. Ecce homo, se disent donc les cardinaux électeurs.

Vatican II

En 1979, lorsque Wojtyla est élu quinze ans après le Concile Vatican II, l’Eglise sort de la décennie la plus troublée de son histoire : les prêtres jettent leur froc aux orties par milliers, les nonnes se dévoilent, les premiers épousent les secondes tandis que d’innombrables expérimentations, souvent indues, voient le jour dans le domaine liturgique. Jean-Paul II et son successeur Benoît XVI s’attachent alors à relire les Actes du Concile à la lumière de la Tradition : puisque l’Eglise est catholique, à savoir universelle dans l’espace et dans le temps, il ne peut y avoir qu’une seule Eglise et il ne peut y être question de fondation ni même de refondation d’une église nouvelle en rupture avec la précédente. De plus, ils ont à cœur de s’en tenir aux documents conciliaires et d’exclure ce qu’un esprit du concile auto-proclamé fait dire au Concile et qu’il n’a pas dit en réalité.  Sur base de cette interprétation officielle du Concile, la cause paraît entendue – Roma locuta – jusqu’à ce qu’elle soit remise en cause par le seul homme à même de le faire, le pape François.

Vatican II revisited

Le mot d’ordre de François est de porter l’Eglise aux périphéries, périphéries du monde certes, mais aussi de la foi et de la morale. Pour traiter de cette dernière question et en particulier de l’accès  (ou non) des divorcés remariés (civilement) à la communion, mais aussi du regard de l’Eglise envers les homosexuels, il convoque dès octobre 2013 un synode des familles au cours duquel vont s’affronter conservateurs et progressistes.[1] Or c’est sur ce point-là que la ligne de front va se fixer. Dans le monde occidental tout le monde sait que depuis cinquante ans dans chaque paroisse il se trouve des divorcés remariés qui s’avancent vers la communion, soit à l’insu du curé soit avec sa bénédiction tacite. Certes, disent les conservateurs mais on ne peut élever une pratique abusive au rang du magistère de l’Eglise : les paroles de Jésus à ce propos sont claires (Matthieu, chapitre XIX). Au pape qui reproche aux conservateurs leur pharisianisme, ces derniers rétorquent que ce sont les Pharisiens qui cherchaient des tours de passe-passe pour s’accommoder de la Loi tandis que Jésus lui en rappelait toute la rigueur. De plus, si Jésus a pardonné à la femme adultère (Jean, chapitre VIII), non seulement il ne l’a pas confortée dans son état mais lui a enjoint de ne plus pécher. Puis, citant saint Paul (1 Co XI, 20-32) ils rappellent que quiconque mangera le pain de manière indigne mangera sa propre condamnation. Or les divorcés remariés vivent une sorte de scandale public.

Face à cette impasse et fidèle à sa propre exhortation de « flanquer la pagaille », François rédigera l’exhortation apostolique Amoris Laetitia où la question, loin d’être tranchée, est renvoyée en une note en bas de page. Cela vaudra aux détracteurs du pape non seulement de lui reprocher de s’exprimer de manière ambiguë mais de le faire de manière délibérée. Ce qui semble clair, c’est que François pense que la seule manière de régler ce débat c’est de rebattre les cartes d’où puisse émerger une nouvelle donne autour de laquelle puisse se forger un consensus qui fait défaut actuellement. Et effectivement, c’est ce qui se produit. Par exemple, l’Eglise allemande, riche et libérale, s’engage en faveur de l’accès à la communion des divorcés-remariés mais aussi du conjoint protestant dans un couple mixte sur le plan confessionnel tandis que l’Eglise polonaise, conservatrice, s’en tient à la position traditionnelle de l’Eglise telle que rappelée par le Magistère. Vérité en deçà de l’Oder, erreur au-delà.

Face à cette situation de fait, le parti conservateur s’alarme et rappelle que la Vérité ne peut se contredire et donc qu’elle ne peut être partagée. Ils désignent volontiers la Communion Anglicane, où le mot Communion ne sert plus désormais que de cache-sexe destiné à masquer la profonde désunion qui prévaut en son sein en matière de mœurs et d’ordination féminine. Ils craignent aussi que cette sorte de mise en mouvement lancée par le pape ne connaisse pas de limite propre ; à cet égard les conservateurs pointent volontiers du doigt les évolutions observées dans la société civile, de la dépénalisation de l’avortement à sa revendication comme un droit, de la pilule à la PMA ou encore du PACS au mariage pour tous. Ils ajoutent enfin que les églises protestantes qui ne font qu’emboîter le pas de façon servile à la société civile finissent par n’avoir plus rien à dire et à faire fuir leurs membres vers les églises évangéliques, très strictes sur les questions de moeurs.

Mais surtout ils estiment qu’il revient au pape de s’exprimer clairement en matière de doctrine et de mœurs et que ce pape-ci en quelque sorte sous-traite ces jugements à ses fidèles. On assiste alors tant à l’émergence d’une sorte de morale de situation (Certes monsieur Dumont a-t-il tué sa femme mais cette dernière était une mégère acariâtre) qu’à une confusion en matière doctrinale (« le pape m’a dit que l’enfer n’existe pas », écrit Eugenio Scalfari de la Repubblica, sans que le Saint-Siège n’apporte de démenti).

Que faire?

Les catholiques conservateurs se retrouvent désormais dans une position à la fois inédite et délicate dans la mesure où elle implique une critique du pape François et de l’exercice de son ministère. Car l’Eglise catholique repose sur la notion que le pape est le custode de la foi et de la doctrine plutôt que celui qui les remet (apparemment) en cause. Quelles sont alors leurs options ?

L’option nucléaire consiste à ne plus reconnaître l’autorité du pape et du concile Vatican II ; c’est le choix effectué par Monseigneur Lefebvre (bien qu’il s’en défende). Ceci dit, depuis l’élection de Bergoglio, on n’a pas assisté à un schisme formel.

La deuxième possibilité est de demander au pape de bien vouloir préciser ses propos et ses écrits. C’est le choix effectué par quatre cardinaux qui en 2016 demandent des clarifications (appelées Dubia) au pape au sujet d’Amoris Laetitia. Sans doute François a-t-il fait sienne la maxime du Cardinal de Retz selon laquelle on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses propres dépens, car les Dubia sont restées sans réponse à ce jour.

La troisième option consiste à faire trébucher le pape sur une affaire ou une autre, par exemple l’affaire McCarrick, du nom de ce cardinal américain déchu pour faits de pédophilie. Le pape était-il aux courants de ces faits sordides et, si oui, les a-t-il tus ? Oui, écrit Monseigneur Carlo Maria Viganò, ancien nonce à Washington, non sans appeler François à la démission.

Enfin, il y a tous ceux qui se retirent dans un exil intérieur, se taisent et refusent de prendre part à ce débat. C’est dans ce camp qu’on retrouvera la grande majorité des évêques à l’exception de l’une ou l’autre personnalité comme Monseigneur Athanasius Schneider, évêque auxiliaire d’Astana au Kazakhstan, une de ces périphéries si chères au Pape François.

Quo Vadis ?

Pour l’instant, alors que le Pape François nomme des cardinaux qui partagent sa sensibilité, les catholiques conservateurs sont coincés car, répétons-le, il n’existe pas d’Eglise-bis où ils puissent trouver refuge.

Pourtant, La Ligne Claire estime qu’il existe une contradiction au cœur de la voie progressiste empruntée par le Pape François et plus encore par ses partisans. D’une part ils avancent que le pape ne fait qu’apporter des accommodements d’ordre pastoral mais d’autre part ils répètent à l’envi que Bergoglio est un pape révolutionnaire. Le pape lui-même semble parfois perdre la main sur cette Eglise qu’il veut en perpétuel mouvement. Tout récemment, il s’est vu contraint d’adresser une mise en garde à l’Eglise allemande, tentée par une voie synodale, un Sonderweg, qu’il a lui-même encouragée de ses vœux.

Les conservateurs, qu’on retrouve au sein de nombreux courants, ne sont ni des nostalgiques ni des opposants de principe à des réformes dans l’Eglise. Tous croient cependant que le christianisme est une religion révélée à laquelle on adhère par la foi ; certes cette révélation doit sans cesse faire l’objet d’un approfondissement, mais son contenu quant à lui est intangible car d’origine divine et ne saurait faire l’objet d’un supposé progrès.

Ils observent tant le monde protestant que l’aile progressiste catholique et en tirent la conclusion que le soi-disant progrès proposé ne consiste pas à aller de A à B mais qu’il est présenté comme inéluctable, irréversible, et une fin en soi, maintenant et toujours. Oui, mais alors, l’Eternel, le Dieu d’Abraham d’Isaac et de Jacob, ce Dieu qui était avant toute chose, ce Dieu-là à qui désormais on ordonne de changer tout le temps, est-il encore Dieu ? Non, disent les conservateurs, le progressisme comme fin en soi est en fin de compte une idolâtrie. Dans un bel exemple de reductio ad absurdum, on trouvait il y a quelques années un pasteur de l’église luthérienne au Danemark qui déclarait ne plus croire en Dieu mais qui n’y voyait pas malice et entendait poursuivre son ministère tout comme avant, mais sans Dieu.

Toujours est-il que pour le quart d’heure, les conservateurs sont condamnés à porter leur croix et à affirmer leur fidélité à un pape qui se définit lui-même comme un pò furbo, qui ne les aime guère et dont ils ne partagent pas la sensibilité et dont ils reprouvent les orientations. Quia extra Ecclesiam nulla salus.[2]

 

 

[1] En Amérique on qualifiera plutôt les progressistes de liberals tandis qu’en Europe ils se nomment eux-mêmes réformistes ; néanmoins La Ligne Claire retiendra l’appelation progressistes. Quant aux conservateurs, il y a lieu de les distinguer des traditionalistes, attachés à la messe en latin, et qu’on retrouvera aussi bien au sein de l’Eglise qu’en dehors (lefèbvristes).

[2] La Ligne Claire invite ses lecteurs intéressés par cette analyse du pontificat actuel de consulter les publications de Ross Douhat, journaliste au New York Times.