Château de Chambord

Châteaux et gilets jaunes

De la plaine fumante qui tremble sous juillet émerge l’immense château de Chambord pensé tout-à-la fois par François Ier, prince philosophe, architecte, mécène et constructeur, comme la Jérusalem céleste descendue du Ciel en cette terre de Sologne et une œuvre qui permettrait aux hommes de cette Renaissance nouvelle de s’élever jusqu’à elle. Le célèbre escalier à double hélice, nouvelle échelle de Jacob, en est à la fois le symbole est le moyen.

Monument emblématique de la Renaissance française, célèbre pour ses toitures, racheté par l’Etat à la famille des Bourbon-Parme dans l’entre-deux-guerres, le domaine de Chambord a su se positionner avec bonheur dans le circuit du tourisme mondialisé. Avec plus d’un million de visiteurs par an, à quinze euros pièce, Chambord compte parmi les châteaux de France qui connaissent la plus grande affluence, aux côtés de Versailles et de Chenonceau, non loin. Géré comme une entreprise, tout y est orienté envers le touriste global : l’audio-guide disponible en une demi-douzaine de langues, les visites guidées en d’autres langues encore et la boutique que bien entendu on appelle shop. On ne négligera pas non plus les recettes émanant d’activités accessoires, la location de canots et de bicyclettes, les billets de concerts de musique classique et, pour les 1%, les droits d’atterrissage en hélicoptère. En somme Chambord appartient à cette catégorie de monuments qui, en raison de leur valeur artistique et de leur renommée, captent le gros des flux et des recettes touristiques et raflent la mise.

Non loin de là on peut apercevoir dans la forêt la ravissante gentilhommière de Savigny (nom d’emprunt), érigée elle aussi sous François Ier. Dans la famille du comte de *** depuis deux siècles, qui l’avait rachetée après que la Révolution lui eut infligé ses outrages, elle attire bon an mal an vingt mille visiteurs qui paieront de bonne grâce sept euros de droit d’entrée. Cent quarante mille euros de recette annuelle contre quinze millions et plus à Chambord, c’est peu, trop peu. Aussi le visiteur aperçoit-il le comte, gilet jaune de la noblesse, qui débroussaille les chemins du parc sur son tracteur tandis que la comtesse court de la guérite où elle accueille les visiteurs au verger, qui fournira une confiture faite maison, Les Confitures de la Comtesse justement. Pas d’audio-guide en anglais ici mais les enfants de la maison qui vous font faire le tour du propriétaire tandis que La Ligne Claire fournit quelques menus services de traduction à un ménage de visiteurs polonais qui peinent à s’y retrouver dans la succession des rois de France. Quelques lieues à peine séparent Chambord de Savigny entre lesquels s’est ouvert un gouffre qui démarque les gagnants du tourisme mondialisé de ceux qui peinent à nouer les deux ailes de leur château.