La révolution des couleurs à Skopje s’attaque aux monuments grandiloquents du gouvernement nationaliste.

L'arc de triomphe construit en 2011, coloré par les manifestants. Photo: Vanco Dzambaski
L’arc de triomphe construit en 2011, coloré par les manifestants.
Photo: Vanco Dzambaski

En mai 2016, la revue Tracés consacrait un dossier à l’héritage moderniste de la capitale macédonienne Skopje, ainsi qu’au surprenant projet d’antiquisation dont elle fait l’objet. Depuis quelques années, la petite république du sud de l’Europe s’est engagée dans un ambitieux et contestable chantier d’édification de monuments à la gloire du passé.

Le récent mouvement contre la corruption parlementaire qui semble prendre des allures de soulèvement populaire, s’attaque tout particulièrement à ces symboles flamboyants du régime. Supposés faire le lien avec un passé glorieux, ils sont perçus, de plus en plus, comme les emblèmes d’une gouvernance corrompue.

Le néobaroque macédonien : une réaction à l’hostilité grecque.

La dissolution de la Yougoslavie, la menace de la propagation du conflit et l’hostilité des voisins grecs, ont conditionné tant l’évolution du pays vers l’indépendance qu’une nouvelle stratégie de développement pour Skopje. Au début des années 2000 la ville va renier son héritage moderniste au profit d’un désastreux projet d’embellissement, teinté de nationalisme et de grandiloquence.
Le nouveau pays en quête de reconnaissance, menacé par l’isolement économique et les clivages ethniques qui ravagent ses voisins, va devoir affronter une réaction supplémentaire, pour le moins inhabituelle. Les Grecs leur contestent l’usage du nom et des symboles issus de l’héritage de la Macédoine antique. Ils considèrent que cet héritage leur appartient et se montrent peu disposés à le partager avec leurs voisins slaves arrivés dans les Balkans au 6e siècle apr. J.-C. En 1992, les Grecs se lancent dans une campagne internationale de contestation de la légitimité du nouvel Etat et bloquent la reconnaissance internationale de l’ancienne province yougoslave de Macédoine. Aujourd’hui encore, la dénomination officielle du pays à l’ONU, FYROM (pour Former Yougoslav Republic of Macedonia), est provisoire.
Cette polémique, née dans les milieux de la frange droitière du principal parti conservateur grec, pourrait être à l’origine de l’évolution de Skopje ces dix dernières années. Les Macédoniens vont répliquer à cette campagne de dénigrement par une gesticulation en marbre : une surenchère historiciste faite de statuaire géante et de nationalisme exacerbé.
En 2010, est lancé un vaste projet d’antiquisation visant à « rétablir la splendeur perdue » de la capitale macédonienne. On construit à tour de bras sculptures monumentales, arcs de triomphe et ponts, le tout dans un style néo-baroque très gratiné. Les Macédoniens n’ont pas le monopole de cette turbo architecture générique faite de dorures et de bardage en faux marbre, mais ils peuvent se targuer d’en avoir fait beaucoup en peu de temps. Le décor de la grandeur classicisante est moins monumental qu’à Astana, au Kazakhstan, faute de moyens. Il est pourtant très efficace dans sa façon de défigurer les berges du Vardar.

Skopje, un modèle d’urbanisme réussi.

Pourtant, l’identité urbaine de Skopje, repensée par Kenzo Tange après le tremblement de terre de 1963, mêlait assez pertinemment le passé ottoman multiconfessionnel à l’humanisme collectiviste yougoslave. La transition des ruelles de la vieille ville aux rues couvertes ou surélevées du centre commercial avait fait l’objet d’une attention particulière. La dernière couche apposée à la hâte semble nier ce travail d’ajustement qui incarnait pourtant la véritable identité historique de la ville. Elle lui substitue un décor dont l’artificialité ne cesse de rappeler le caractère fallacieux.

Un peuple, malgré tout

La colère des manifestants ne pouvait trouver support d’expression plus adéquat que la blancheur fallacieuse des palais en plâtre du président Gruevski. Elle semble ainsi contester la signification que le régime a voulu faire porter à ces monuments.
Le saccage du décor pourrait finalement accomplir ce que le décor avait échoué à représenter. Le caractère massif des manifestations et l’adhésion populaire dont elles témoignent ne sont-elles pas la plus belle façon de faire consister le peuple macédonien ?
Le président Gruevski devrait se consoler de ce retournement. Peut-être que pour la première fois depuis la dissolution yougoslave, les habitants de Skopje agissent comme un peuple uni.
Finalement, cette révolte pourrait être l’acte fondateur du sentiment de cohésion nationale, tant recherché par les nationalistes. Dans tous les cas, ce ne sera pas la première fois qu’un soulèvement fonde symboliquement un peuple européen.

La machination grotesque de Christian Kerez

Installation View, Swiss Pavilion at the 15th Architecture Exhibition, Photo by Oliver Dubuis
Installation View, Swiss Pavilion at the 15th Architecture Exhibition, Photo by Oliver Dubuis

 

C’est un objet dialectique que l’on expose au pavillon suisse de la 15e Biennale d’architecture de Venise. Un concept matérialisé qui appelle l’interprétation et le déchiffrage. Forme aléatoire transformée par des outils numériques en module praticable, la grotte high-tech helvétique est loin d’être un geste inédit dans l’histoire de l’architecture, de l’art et des idées.

Incidental space s’expose comme une forme aléatoire, accidentelle – c’est le premier niveau de lecture, non sans rapport avec les théories de l’informe des surréalistes dissidents qui ont gravité, dans les années 1930, autour de la revue Documents et de figures comme George Bataille ou Brassaï.

Pour eux, l’informe était un moyen de questionner la rationalité inhérente à l’ordre géométrique. Un tas de chiffons ou un fragment de corps (un gros orteil) sorti de son contexte représentent ce contre quoi butte la raison cartésienne et sa façon de structurer le monde dans lequel nous vivons.

On pourrait parfaitement s’arrêter là et considérer que Christian Kerez, en descendant légitime des dadaïstes zurichois, s’attaque par sa grotte tarabiscotée aux boites bien orthogonales qui hantent depuis une vingtaine d’années la création architecturale suisse. Incidental space serait un manifeste, l’anti swiss box, le chant du cygne de la droiture et de la standardisation helvétique. Cela aurait pu être pu être le cas si sa grotte avait été rêvée, trouvée ou peinte comme Le jardin d’hiver de Dubuffet.

Or la grotte de Christian Kerez est tout sauf une forme aléatoire, fruit d’une expressivité impulsive ou onirique. Il s’agit plutôt d’un acte calculé. Le module émane d’un processus complexe qui consiste à numériser une forme, la traduire en code et la reconstruire à l’identique à une autre échelle. Autant dire que cette grotte est le clone d’une proto-forme. Quant aux outils paramétriques qui ont rendu possible cette construction, il s’agit de ceux qui permettent depuis une quinzaine d’années de faire tenir debout pratiquement tout et n’importe quoi. L’irrégularité n’est plus l’ennemi de la statique, l’équilibre des structures étant devenu une qualité diffuse et dissimulée, d’apparente qu’elle fut pendant des millénaires.

Victoire de la raison sur l’irrationalité

L'intégration de la roche de la fontaine de Trevi à la façade du bâtiment qui se trouve en arrière plan est caractéristique du conception baroque d'une victoire de l'homme sur la nature.
L’intégration de la roche de la fontaine de Trevi à la façade du bâtiment qui se trouve en arrière plan est caractéristique de la conception baroque d’une victoire de l’homme sur la nature.

Ce qui s’expose donc à Venise, c’est précisément un dispositif de modélisation qui traduit l’aléatoire en module praticable. La technicité du dispositif induit une autre filiation que celle de l’étrangeté surréaliste. Il faut aller chercher un peu plus en arrière, à cette époque de raffinement dont l’Italie excelle et qui consiste en architecture, à saisir le débordement de la nature dans des compositions architecturales ordonnées. C’est dans le goût baroque pour les reliefs bigarrés, les rochers et les grottes qu’il faut chercher la clé du Kerezbau. L’acte de faire entrer dans l’ordre formel d’une composition ordonnée les excès et les débordements d’une forme brute est un leitmotiv architectural du 16e et 17e siècle. Cette mise au pas de l’irrégularité est, pour l’homme cultivé de la Renaissance une allégorie du progrès et de la force; une exhibition de la victoire finale et inconditionnelle de la raison sur l’irrationalité, de la règle sur la nature.

L’homme baroque jouit de se connaître capable de contenir le monde et ses débordements dans les systèmes de captation qu’il est en train de mettre en place. Cet ordre capable de contrôler la nature est aussi une allégorie politique des divers pouvoirs autoritaires qui gouvernent les sociétés européennes à l’époque classique.

C’est bien dans ce rapport d’une techné à un pouvoir qu’il faut chercher le sens politique de la machine vénitienne de Kerez. Si l’informe surréaliste incarne une victoire de l’irrationnel sur l’ordre du monde, le goût pour l’irrégularité baroque est plutôt à classer dans le camp inverse : celui qui proclame la victoire de la raison et de la norme sur les forces et pulsion chaotiques de la nature.

La technicité dont fait preuve Incidental space ne laisse aucun doute quant à sa signification. Il ne s’agit pas de se laisser déborder par l’aléatoire, mais de le contenir, de le saisir pour le faire entrer dans la norme. Numérisée, reconstituée, transformée en matrice, la forme accidentelle devient à son tour une forme standardisée.

En exposant les processus avec le résultat, Christian Kerez scelle le sens de son intervention. Il n’est pas du côté de la forme libre, de la pulsion et du trait qui déborde. Il est du côté des machines qui digèrent et traduisent ce débordement, c’est à dire du côté du contrôle.

La seule question qui reste en suspens est celle de la pertinence d’une telle expérience face à la thématique de la Biennale 2016. Face aux nombreux projets qui clament l’ouverture, allant des niaiseries démagogiques des Autrichiens, aux très sérieuses propositions des Allemands, la Suisse présente un objet dialectique complexe, dont la sophistication pourrait sembler en porte à faux avec l’esprit général de l’événement.

Cela dit, la proposition a le mérite de situer la chose architecturale non pas dans une sorte d’objectivité irréfutable à laquelle nous condamne l’hypernormativité de la pratique professionnelle actuelle, mais bel et bien dans la sphère du symbolique. Ainsi le déplacement qu’opère Kerez ouvre de nouvelles perspectives au rôle de l’architecte en général. Elle l’invite à s’extraire d’une vision purement procédurale de sa fonction pour se projeter dans l’habit de quelqu’un qui manipule des concepts, traduit des situations ou en crée de nouvelles. Pour Christian Kerez, il ne s’agit pas d’ériger la gesticulation formelle en principe – il n’est pas de ceux-là -, mais plutôt de concevoir l’architecture comme un langage expérimental, sujet à traduction, interprétation et réfutation.

Culture du vélo à New York : de Mad Max à Amélie Poulain.

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New York est-elle cyclo-compatible ? Un simple coup d’œil sur une carte de la ville suffirait à répondre par la négative. La trame orthogonale et la récurrence des croisements qu’elle induit ne privilégient pas la fluidité des parcours cyclistes. A ce défaut de fabrication s’ajoute l’identité de la rue new-yorkaise et le nombre d’automobiles qu’on y rencontre : à New York, cette ville-quai conçue comme une gigantesque zone de déchargement, les camions sont nombreux. Un cycliste s’expose donc avant tout à un pénible slalom entre des seize tonnes et des automobilistes frustrés.

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Toutes ces raisons, auxquelles s’ajoutent la rudesse du climat (hiver moscovite, été madrilène), en font une ville peu avenante pour les cyclistes. Seules osaient s’y aventurer en vélo d’étranges créatures sur des cycles cabossés, rouillés, repeints, solides mais très éloignés des critères esthétiques du dandysme cycliste européen. Ces cyclistes de la première heure, sortis de l’imaginaire d’un film de science fiction post-apocalyptique, livrèrent une lutte féroce pour avoir le droit d’exister sur la chaussée new- yorkaise.

Cela est en train de changer avec la création d’un réseau d’axes cyclables sur de nombreuses avenues et l’extension du réseau de vélos en libre service. Aux bike-warriors camouflés sous leur cagoule, sont venus s’ajouter de gentils pédaleurs, touristes et autres amateurs de promenades qui commencent à peser dans la balance.

Indice immanquable du rôle gentrificateur du vélo en libre service, celui de New York sponsorisé par Citybank, ne couvre pas la partie nord de Manhattan. Harlem, peuplé majoritairement d’afro-américains, devra attendre la prochaine vague de spéculation immobilière pour pouvoir pédaler à moindre frais.

La Biennale d’architecture de Rotterdam, victime de ce qu’elle a rendu possible.

 

Image: Maarten Hajer

Faisons un bond en arrière. Nous sommes à Rotterdam, en 2003. La ville est une ruche multiculturelle et créative. Des jeunes architectes et artistes affluent des quatre coins du monde pour travailler avec ou sans rémunération dans les grands bureaux tels que l’OMA ou MVRDV. Les nombreux squats règlementés (on en dénombre plusieurs centaines) offrent d’innombrables espaces d’habitation et de travail.
L’atelier van Lieshaout, le collectif qui crée des œuvres et des dispositifs urbains en résine est déjà un acteur incontournable de la création rotterdamoise et César Peren, cofondateur du collectif Superuse, évolue encore dans les milieux des architectes squatteurs.
A Rotterdam, il y des grandes écoles d’art et de design qui assurent des cursus en anglais. Il y surtout l’institut Berlage, un des meilleurs post-diplômes en urbanisme d’Europe. La ville, à l’instar de son festival de cinéma, est fière de son cosmopolitisme. Elle se projette comme un modèle réussi de mixité ethnique, avec plus de la moitié de sa population se définissant comme allochtone ; entendez, étranger ou néerlandais naturalisés.

2003 est aussi l’année de la première Biennale d’architecture. Un événement hybride qui se tient au très prestigieux NAI, à deux pas d’une maison de Rietveld. L’IABR se démarque dès la première session par certains choix radicaux : il n’est pratiquement pas question d’architecture, au sens courant du terme. On y traite plutôt de la ville, d’écologie, d’urbanisme informel, de cybernétique et de politique. On y trouve tous les ingrédients qui déterminent l’architecture, mais ni projets, ni maquettes, ni grands noms de la création internationale. On est plutôt dans la ligne ouverte par l’AMO de Rem Koolhaas, celle qui trouve dans l’extra-architectural le matériau qui conditionne la pratique des architectes.

La Biennale est une réussite et vient conforter la réputation de Rotterdam d’être un haut lieu de la création architecturale. Expérimentale par définition, elle investit à plusieurs reprises différents locaux désaffectés dans une ville qui n’en manque pas. Chaque déplacement coïncide avec la reconversion urbaine d’une zone délaissée. Les entrepôts Las Palmas, où se sont déroulés plusieurs sessions, sont aujourd’hui au cœur d’un prestigieux quartier d’affaires et de loisirs. Comme c’est souvent le cas, l’inventivité des créateurs ouvre le chemin pour les entrepreneurs et leurs projets de développement urbain. En 2012, c’est un bâtiment de bureaux désaffectés près de la gare qui est investi et réactivé. Aujourd’hui, c’est autour de fenixloods 2, un entrepôt de café dans le port, d’entreprendre sa mutation.

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Le nouveau Rotterdam

Nous sommes en 2016. Le lobby ferroviaire français a réussi à convaincre flamands et néerlandais de construire une LGV d’Amsterdam à Anvers. Il est vrai que le temps gagné entre Rotterdam et Amsterdam ne justifiait pas l’investissement considérable. L’appât du gain aura été la contribution européenne à la réfection des gares d’Anvers et de Rotterdam. La plupart des quartiers populaires du centre ont été transformés en quartiers huppés mêlant culture, loisirs et résidences pour la classe moyenne supérieure.
Les commerces marocains et surinamiens du centre ont été supplantés par les restos vegans, les épiceries bio et les concept-stores. Rotterdam n’a plus deux ou trois quartiers branchés mais peut sans exagération se targuer d’avoir reconverti la majorité du centre ville en un gigantesque quartier gentrifié, mêlant lofts inabordables, tours de bureaux et anciens quartiers populaires reconquis par une classe moyenne encore trop homogène. Pourtant l’équilibre entre les nouveaux quartiers d’affaires et anciens quartiers résidentiels font de Rotterdam un des meilleurs arguments qui soit en faveur de l’urbanisme des tours.
La machine urbaine est tellement bien lancée que la ville a décidé tout simplement de cesser de construire de nouveaux logements sociaux. La dynamique immobilière fait que cela n’est plus nécessaire, dit-on. L’Etat, engagé dans une cure d’austérité liée à la crise de l’Euro a réduit considérablement sa contribution aux institutions culturelles.
Le NAI, un des plus beaux musées d’architecture d’Europe a disparu, englouti par une drôle d’institution mêlant mode et design. Quant à l’IABR elle a vu son budget divisé par deux en 2013. La machine néolibérale a décidé qu’elle peut se passer de nombreux acteurs qui ont indéniablement contribué à la success story de la renaissance urbaine de Rotterdam. La dixième session de la Biennale dans un entrepôt de café au sud de la ville jouxte un projet de constructions de lofts avec vue sur le pont qui franchit la Maas. Les promoteurs ne prennent même plus le soin d’attendre la fin des évènements pour lancer les pelleteuses.

Africa What's Next: iShack2, Kaapstad, Zuid-Afrika. Foto: Megan King
Africa What’s Next: iShack2, Kaapstad, Zuid-Afrika.

 

 

NEXT Economy

Cette biennale, qui lutte pour sa survie, est consacrée à l’économie. On y expose une soixantaine de projets inédits, qui constituent autant d’occasions de repenser la façon dont certains a priori conditionnent le possible. Les organisateurs restent fidèles à leur conviction que l’avenir doit impérativement faire une place aux économies informelles. On y affine des raisonnements qui, tout en faisant partie de la doxa mêlant développement durable, participativité et société du partage, ne manquent pas d’indiquer des pistes fertiles. L’intérêt de l’exercice consisterait à questionner la généralisation de certaines pratiques remarquables. C’est un peu comme si l’entreprenariat conventionnel devait trouver dans l’économie informelle les concepts dont il a besoin pour aller de l’avant.
Du collectif Digua qui requalifie des abris antiaériens de Beijing, dans lesquels vivent plusieurs centaines de milliers de travailleurs, à ces villes africaines qui se portent bien en refaisant rouler nos voitures envoyées à la casse, la Biennale invite à penser la ville comme un écosystème pouvant évoluer en dehors des chemins balisés. On y parle beaucoup d’anthropocène, de reverse engineering, de low tech à forte valeur ajoutée.
Seule contribution helvétique, le Future Cities Laboratory est présent avec une étude sur l’activité professionnelle dans les arrières cours en Asie du Sud-Est. L’idée qu’il va falloir tolérer à nouveau la manufacture dans les quartiers résidentiels fait lentement son chemin.

L’IABR reste encore aujourd’hui, 13 ans après son lancement, un formidable laboratoire sur ce qu’est une ville. Un lieu qui rend explicite les mécanismes de production et de représentation à l’origine de l’événement urbain. Reste à savoir si la dynamique qu’elle a engendrée va lui laisser une place dans l’avenir.

La place de la République, nouveau centre politique de Paris

 

 

 

 

Est-ce d’avoir vu autant de mobilisations citoyennes, royalement ignorées par les gouvernements auxquels elles faisaient face, qui permet encore à certains d’affirmer que la dernière en date, contre la loi Travail en France, n’aboutira pas plus que les autres ?

Ni les Indignés de la Puerta del Sol à Madrid, ni les manifestants de la place Tahir au Caire, ni les rassemblements quotidiens à Syntagma pendant les premiers mois de la crise à Athènes, n’auront permis à la rue d’avoir le dernier mot. Si la reine des manifestations ignorées reste la réaction au déclenchement de la Seconde guerre du Golfe, (Bush / Blair vs. des dizaines de millions de manifestants dans les principales métropoles du monde entier), l’indifférence semble être devenue la stratégie habituelle des gouvernements européens face à la mobilisation de leurs citoyens.

Certains pensent que le mouvement porté par les étudiants et les lycéens en France connaîtra inévitablement le même sort. Ils se disent que le gouvernement est allé trop loin pour revenir en arrière, et que l’électorat de gauche devra tôt ou tard se faire à l’idée que les temps ont changé et que l’ère de l’Etat providence façon Trente Glorieuses est définitivement révolue. Le rapport de force dans ce bras de fer est le même que celui qui a été observé dans d’autres capitales du sud de l’Europe ces dix dernières années. Le retour des rapports salariaux au capitalisme bareback du 19e siècle semble inéluctable.

Nuit debout

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S’il est toujours temps de prendre les paris concernant la mobilisation actuelle, on peut déjà être certain que les retombées du mouvement, quel qu’en soit l’avenir, porteront au moins au-delà de ce qui est revendiqué aujourd’hui. Les assemblées générales et populaires, les veillées de jeunes et de moins jeunes qui ont lieu sans interruption sur la Place de la République à Paris depuis que des milliers de personnes ont répondu à l’appel du collectif « Nuit debout » le 31 mars dernier, pourraient apporter autre chose encore que ce qu’elles réclament au nom de la convergence des luttes. C’est un aspect qui échappe aux conseillers qui s’efforcent de rassurer l’exécutif en rappelant que le mouvement est minoritaire parmi les étudiants.

Si toutes les universités et tous les lycées ne sont pas en grève, une majorité de Français se dit déjà sympathisante de la mobilisation contre le projet de loi El Khomri. Et cela n’est pas juste une affaire de sondages d’opinion et de rhétorique conjoncturelle. C’est une réalité maintes fois constatée : des critères émotionnels sans rapport direct avec les enjeux du rassemblement peuvent venir peser dans la balance. Ainsi, il n’est pas rare qu’une mobilisation parvienne à puiser des forces de domaines inattendus, comme par des effets de miroitement avec d’autres évènements, ou encore l’identité de certains espaces publics.

Que la place de la République ait été le haut lieu de la mobilisation affective de tous les Français après les attentats de janvier 2015 n’est peut-être pas sans rapport avec la vague de sympathie que s’attirent les veilleurs d’aujourd’hui. Les manifestations ont une mémoire qui peut se transmettre d’une mobilisation à la suivante. Place de la République, on peut entendre : “je suis zadiste, je suis paysan, je suis air france, je suis goodyear, je suis sans papiers, je suis intermittent, je suis professeur, je suis migrant, je suis la justice, je suis résistant, etc…”

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Le nouveau coeur politique de la ville

Ce qui est certain, c’est que depuis deux ans, la place de la République est en train de se transformer en lieu symbolique de l’idée même de mobilisation citoyenne. En 2014, la place a été drastiquement remodelée. Dédiée jusqu’alors à 80% à la circulation automobile, elle a fait l’objet de travaux qui consistaient à créer un grand espace piéton au centre par la réduction considérable de la voirie destinée aux voitures. La ville de Paris a tout simplement fait de la place là où il n’y en avait pas.

Depuis les rassemblements spontanés qui ont fait suite aux attentats de Charlie Hebdo, la place n’a jamais cessé de fonctionner comme un point de ralliement dans l’inconscient collectif de la ville, et à certains égards du pays tout entier. La République est devenue le lieu d’une veille perpétuelle : à la fois monument informel aux victimes des attentats et point de ralliement de ceux qui veulent encore y croire.

Les 52% de Français qui soutiennent la mobilisation, c’est le transfert inconscient d’une charge émotionnelle de la majorité silencieuse et indifférente vers une minorité combattante, dont elle ne partage pas nécessairement les idées.

La loi sera peut-être votée, et les slogans toujours très inventifs à ce moment de l’année (« Rose promise, chôme dû », « Vous pensiez vraiment qu’on allait rester sur twitter ? », « Regarde bien ta Rolex, c’est l’heure de la révolte »), effacés au Karcher. Ce qui ne sera pas effacé, c’est la façon dont cette place, notamment l’usage qui en est fait par ceux qui s’y rendent quotidiennement, est en train de déplacer le cœur politique de la ville. La République est devenue un lieu où les gens se regroupent pour réfléchir à ce qui pourrait advenir s’ils décident d’agir ensemble. C’est le point de départ de toute révolution.

Nouvelles du front : Paris se barricade.

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Dans le 18e arrondissement de Paris, les bacs à fleurs géants disposés recemment sur le trottoir déjà encombré du Moulin Rouge ressemblent assurément à un dispositif visant à protéger la foule qui s’empresse à l’entrée du célèbre cabaret d’un éventuel mitraillage.

En cette fin de mois de mars, les étudiants et les lycéens manifestent depuis plusieurs semaines contre la loi travail, d’inspiration néolibérale. Dans la rue, les plus mobilisés d’entre eux réclamaient également aujourd’hui la fin de l’état d’urgence. Les attentats de Bruxelles auront-ils raison de cette revendication? La majorité des Français préfère-t-elle le corset étroit mais rassurant d’un quotidien policé?

Ce à quoi les Genevois ont dit non

 

La Philharmonie de Paris, que même son concepteur a reniée.
La Philharmonie de Paris, que même son concepteur a reniée.

 

 

 

Le message de la votation de dimanche dernier était sans ambiguïté : Genève s’oppose catégoriquement à un projet d’une des stars de l’architecture mondialisée. Ce n’est pas sur ce terrain que l’on peut donner tort au 54% d’électeurs qui ont voté non à la proposition de rénovation-extension du musée d’art et d’histoire. Surtout, que le dernier exploit de Jean Nouvel, la tant décriée Philharmonie de Paris, semble cumuler les principaux défauts que l’on attribue habituellement à ce type d’architecture : son bâtiment est disgracieux, terriblement cher et mal agencé dans le contexte qui est le sien. On ne comprend pas ce qu’il vient faire sur ce site historique (le parc de la Villette de Bernard Tschumi), ni la façon dont il est supposé dialoguer avec la très élégante Cité de la musique de Christian de Portzamparc. La Philharmonie de Nouvel devait être un envol ; elle n’est que la forme figée d’un soufflé ratatiné.

Sauf que le projet genevois ne s’inscrivait pas dans la lignée de la Philharmonie, celle des grands gestes expressifs accomplis par les grands hommes inspirés. L’intervention au musée d’art et d’histoire appartenait à une autre catégorie de réalisations caractérisées par la maitrise et la rigueur. S’agissant d’une intervention sur l’existant, dans un contexte contraint, il serait plutôt à rapprocher à de projets comme celui de la Fondation Cartier à Paris.
Force est de constater que Nouvel est plutôt bon quand il travaille sans exubérance dans un cadre restreint, prédéfini. Dans le cas de la Fondation Cartier, précisément parce qu’il ne devait pas déborder, parce l’équivalent du plan local d’urbanisme à respecter était contraignant, Nouvel a probablement signé l’un de ses plus beaux bâtiments. Il a joué avec l’enveloppe, respectant la lettre de la loi, tout en réinventant l’articulation dedans/dehors. Les grandes lignes de sa proposition à Genève, l’usage du verre, l’intervention dans un gabarit prohibant les extrapolations expressives, annonçaient un projet du même ordre.
Manque de chance, les Genevois n’en ont pas voulu. Et malheureusement, comme c’est souvent le cas dans ce genre de situation, ils ont encore une fois jeté le bébé avec l’eau du bain. Car ce projet de rénovation était accompagné d’un ambitieux projet culturel pour la ville.

Alors certains diront que l’avenir ne s’écrit pas dans les musées, que l’excellence pour les générations à venir se prépare dans les universités, les pôles d’excellence, et les centres de recherche. Ils oublient qu’une offre culturelle abondante peut s’avérer déterminante pour le développement d’une collectivité. Que New York ne serait pas New York sans le MoMA et le MET, que Paris ne serait pas Paris sans le Musée d’Orsay et le Centre Pompidou, et que Genève ne sera pas la métropole qu’elle aurait pu être si ce projet avait vu le jour.

S’opposer à un projet culturel, c’est aussi priver les générations à venir de dizaines de vocations susceptibles de naitre au cours d’une visite scolaire. C’est oublier que les dispositifs culturels sont bien plus que des loisirs pour les promeneurs du dimanche : ce sont aussi des incubateurs.

La présence de la Cinémathèque sur le territoire romand a sans doute contribué à l’émergence de la nouvelle vague suisse dans les années 70 avec des cinéastes comme Alain Tanner. C’est aussi peut-être parce qu’il y a le SAM que Bâle est en train de devenir un pôle d’excellence architectural. Le retour sur investissement d’un projet culturel ne se mesure pas au nombre de visiteurs, aux abonnements souscrits, aux clics et aux nuitées cumulées. Il se mesure également à la dynamique qu’il engendre, aux vocations qu’il suscite, et à la façon dont il permet à la ville de se forger des représentations d’elle même, de se rêver un peu plus grande qu’elle ne l’est réellement, et d’assouvir ce désir en se ​développant. Pour dire les choses plus simplement, dimanche dernier, 54% des Genevois ont manqué d’ambition.

A Cologne, un air de déjà vu.

Cologne en 1945.

A ceux qui tenteraient trop rapidement de mettre les évènements de Cologne, pendant la nuit du nouvel an, sur le compte d’une insurmontable fracture civilisationnelle ou pire raciale, nous ne pouvons que recommander la lecture des Nuits de Paris de Retif de la Bretonne, dont voici un extrait.

La ressemblance du récit avec celui des femmes agressées n’excusant rien, elle permet tout au plus de mettre ces faits sur le compte de l’instinct grégaire, et d’une certaine ignominie qui relève du genre.

 

Le feu de la Saint-Jean

 

J’aime quelquefois autant la folie des anciens usages ou leur simplesse bonace, pourvu qu’ils ne soient pas nuisibles, que la sagesse des nouveaux.

C’était le soir de la veille de Saint-Jean. Tout le monde allait à la Grève voir tirer un feu mesquin ; du moins tel était le but du grand nombre. Mais certaines gens en avaient un différent. Les filous regardaient cette fête comme un bénéfice annuel ; d’autres, comme une facilité pour se livrer à un libertinage brutal. Toutes les occasions d’attroupement, quelles qu’elles soient, devraient être supprimées, à cause de leurs inconvénients. Du Hameauneuf m’accompagnait, sans que je le susse. Je l’aperçus à l’entrée du quai de Gesvres. Nous marchâmes ensemble : ” Si vous voulez observer, me dit il, il faut un peu vous exposer. Ce n’est pas à la lisière de la tourbe que rien se passe, avançons.” Je sentis qu’il n’avait pas tort, et quelque répugnance que j’y eusse, je perçai la foule à la suite de mon conducteur. On me parut d’abord assez tranquille. Mais, en écoutant la conversation, je compris qu’un groupe d’ouvriers orfèvres et horlogers de la place Dauphine ne formait un cercle, et ne rassemblaient adroitement, au centre des jeunes personnes assez jolies, que pour les rendre victimes de l’imprudente curiosité qui les aveuglait. (…)

Les imprudentes renfermées dans les différents cercles qu’ils formaient, me parurent enlevées les unes à deux pieds de terre, les autres couchées horizontalement sur les bras ; quelques unes étaient au milieu d’un double cercle. Toutes étaient traitées de la manière la plus indigne et quelquefois la plus cruelle. Leurs cris n’étaient pas entendus car les polissons choisissaient les instants de la chute des baguettes et que dans les autres moments ils poussaient eux mêmes des cris qui couvraient ceux de leurs victimes.

 

Les Nuits de Paris, ( extrait ), Retif de la Bretonne , 1788

La ville et son contraire, à Calais.

 

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Depuis plusieurs mois, la tolérance observée face aux migrants qui construisent des échoppes en bois est en train de transformer le principal campement informel à l’est de Calais en véritable quartier. Au delà des considérations sanitaires sur les conditions de vie déplorables dans ce premier bidonville de France, la Nouvelle Jungle permet à quiconque le souhaite d’observer la naissance d’une ville, dans sa dimension anthropologique.

L’emplacement de la Jungle est signalée de loin par la présence de fourgons de CRS sur la voie rapide surélevée qui longe le bidonville. De là les policiers guettent les migrants et les éventuels groupes qui tenteraient de se diriger vers le port ou l’entrée du tunnel. Le campement commence dès qu’on quitte la voie. On y accède facilement, à pied, après avoir garé sa voiture au parking d’une usine chimique adjacente. L’abord du campement surprend par la joie qui y règne. On y joue au foot, on transporte des vivres à vélo, on attend surtout l’heure des repas.

On y croise essentiellement des hommes, mais aussi des enfants et quelques femmes. En y pénétrant, on est surpris par la qualité des constructions : sur plus de 250 mètres, de part et d’autre d’un axe bien dégagé, des dizaines d’échoppes se succèdent. On y trouve des coiffeurs, des épiciers, des réparateurs de vélos, des kebabs, de la cuisine pakistanaise, afghane, et même une boite de nuit. Chacun produit son électricité, avec des groupes électrogènes que l’on prend soin d’exhiber devant son commerce. On y cuisine au gaz, fourni par des bonbonnes, transportées par des migrants cyclistes. Il n’y a pas d’évacuation des eaux usées, et les point d’eaux sont collectifs et inondés.

Cuisine afghane

Cela peut paraitre snob, mais comparé à la banalité de l’offre culinaire au centre ville de Calais, les restaurants de la Jungle font office d’un gigantesque food court oriental. On y sert des plats cuisinés à base de riz, de lentilles, de poulet et de bœuf. Passé l’enthousiasme de cette découverte, on est cependant vite confronté aux difficultés de survie : le froid, la boue dans laquelle tout le monde patauge, les sanitaires impraticables, les points d’eau débordés.

Un camion électrogène gigantesque permet aux migrants de recharger gratuitement leur téléphone, véritable outil de survie leur permettant de communiquer mais aussi d’accéder à un compte bancaire.

En avançant sur l’axe qui va de l’entrée du camp au centre social où sont logés les femmes et les enfants, un grand chantier d’hébergement d’urgence interpelle. Les rangées de containers bien ordonnés, censés accueillir 1500 des 5000 migrants qui survivent dans le camp contrastent avec le joyeux chaos des tentes et des échoppes.
En continuant, on est à nouveau surpris de voir que certains commerçants du bidonville ont pris le soin de décorer leur vitrine pour les fêtes de fin d’année. Cet effort contribue à l’atmosphère cordiale et accueillante qui règne dans cette cité improvisée faite de gens venus des quatre coins de l’Orient. Le camp est néanmoins séparé en quartiers. Erythréens, Afghans et Syriens cohabitent, séparément.

Heroïc land : une vision d’avenir

De retour à Lausanne, j’apprends que la ville de Calais vient d’obtenir de l’Etat français, en compensation des nuisances causées par la présence des migrants, un contrat de territoire qui servira notamment au financement d’un parc d’attraction. Heroïc land coûtera 275 millions d’euros et permettra de créer 750 emplois directs. La première question est bien évidemment celle de la viabilité financière d’un tel investissement. À plus de 100 km de Lille, sur l’axe ferroviaire Paris – Londres, Calais est une ville que l’on traverse mais que l’on visite rarement. J’entends déjà l’argument en or des défenseurs du projet: et si Calais devenait un destination au lieu d’être un point de passage ignoré?

Un parc d’attraction en plein air, dans le rude climat du Calaisis est précisément ce qu’il faut pour retenir une fraction des millions de vacanciers qui traversent la région sans s’y arrêter. S’il est légitime de douter d’un tel business plan, c’est surtout la rhétorique de la compensation qui choque. Répondre à la catastrophe humanitaire des migrations forcées par un parc de loisirs est l’indice d’un manque de vision, sans parler de l’indécence qui consiste à proposer des loisirs pour pallier aux «préjudices» causés par la souffrance des autres.

Mais le plan défendu becs et ongles par la mairesse de Calais est ahurissant pour une autre raison: la dynamique des migrants pourrait, sans trop d’effort, sortir Calais de son marasme de petite ville ignorée. Or le compensation pour les Calaisiens ne va pas dans le sens d’un développement inclusif, qui tiendrait compte de la réalité, mais bien d’un développement excluant, fantasmant des retombées imaginaires et peu probables.

A la ville en train de naître à leur porte et à l’économie informelle qui l’accompagne, les Calaisiens répondent par le projet de création d’une enclave, d’une colonie d’amusement installée à deux pas de la misère.

Au lieu de penser une solution globale qui tirerait sa force de la dynamique actuelle, des millions seront dépensés pour créer des attractions qui tourneront à perte. L’incurie de ce projet n’a d’égal que l’opportunisme d’une administration municipale sans imagination, en porte-à-faux avec ses administrés. A moins que le business plan de ce projet bâclé considère que les migrants coincés, en attente d’un passage qui n’advient pas, iront faire un tour de manège.

En attendant de pouvoir se distraire dans le parc héroïque, on peut toujours visiter ces véritables héros malgré eux que sont les migrants et les membres des ONG qui s’activent dans le camp. Si vous osez manger du street-food à Bangkok, vous n’aurez aucun mal à savourer les délices afghans servis avec grand soin par Abbas!

Symbole contre symbole

Les images de la façade du Grand Théâtre badigeonné auront marqué les esprits. Ils l’auront fait d’autant plus que la cité de Calvin n’est pas habituée à ce genre de débordements. Déjà des voix s’élèvent pour demander des changements dans le mode opératoire de la police, l’usage de moyens plus puissants, la mise en place de forces d’intervention rapide, l’usage de gaz lacrymogène, de balles en caoutchouc, etc. Et pourquoi pas le déploiement de casques bleus !?

Donner dans ce type de surenchère, c’est omettre que les incidents très symboliques du week-end n’étaient pas gratuits mais constituaient une réponse, dont la manière est certes regrettable, à une proposition tout aussi symbolique de la majorité du Conseil municipal : celle d’une coupe linéaire de 2% à toutes les structures subventionnées.

Car comment comprendre une baisse de cet ordre sinon sur le plan symbolique ? Ou faudrait-il vraiment se dire que cette réduction dérisoire est réellement essentielle pour l’équilibre des finances d’une des cités les plus prospères au monde ? Genève croule-t-elle sous les déficits ? Sommes nous à deux doigts de l’insolvabilité ? Certainement pas. L’attaque lancée contre les acteurs de la culture est purement idéologique, et en tant que telle, a fait l’objet d’une réaction tout aussi idéologique.

Reste qu’aujourd’hui, ceux qui voulaient en découdre avec la culture alternative ont d’autant plus d’arguments. Ils seraient même disposés à casser leur tirelire, c’est-à-dire à investir davantage dans la dissuasion et la répression que ce qu’ils cherchent à économiser en coupant les vivres aux milieux culturels alternatifs. Situation paradoxale diront certains que de devoir dépenser plus pour économiser moins. Risque de surenchère diront d’autres, qui risque de coûter cher. Qui a dit que les conflits symboliques étaient sans coût ?
Entre temps, l’Atelier, la revue étudiante de la section d’architecture de l’EPFL a envoyé ses vœux. La carte électronique composée à cet effet n’est autre qu’une version pixélisée du barbouillage symbolique de la façade du Grand Théâtre.

La culture aura-t-elle le dernier mot ? On l’espère.

Bonne année 2016!

 

carte de voeux