Le message de la votation de dimanche dernier était sans ambiguïté : Genève s’oppose catégoriquement à un projet d’une des stars de l’architecture mondialisée. Ce n’est pas sur ce terrain que l’on peut donner tort au 54% d’électeurs qui ont voté non à la proposition de rénovation-extension du musée d’art et d’histoire. Surtout, que le dernier exploit de Jean Nouvel, la tant décriée Philharmonie de Paris, semble cumuler les principaux défauts que l’on attribue habituellement à ce type d’architecture : son bâtiment est disgracieux, terriblement cher et mal agencé dans le contexte qui est le sien. On ne comprend pas ce qu’il vient faire sur ce site historique (le parc de la Villette de Bernard Tschumi), ni la façon dont il est supposé dialoguer avec la très élégante Cité de la musique de Christian de Portzamparc. La Philharmonie de Nouvel devait être un envol ; elle n’est que la forme figée d’un soufflé ratatiné.
Sauf que le projet genevois ne s’inscrivait pas dans la lignée de la Philharmonie, celle des grands gestes expressifs accomplis par les grands hommes inspirés. L’intervention au musée d’art et d’histoire appartenait à une autre catégorie de réalisations caractérisées par la maitrise et la rigueur. S’agissant d’une intervention sur l’existant, dans un contexte contraint, il serait plutôt à rapprocher à de projets comme celui de la Fondation Cartier à Paris.
Force est de constater que Nouvel est plutôt bon quand il travaille sans exubérance dans un cadre restreint, prédéfini. Dans le cas de la Fondation Cartier, précisément parce qu’il ne devait pas déborder, parce l’équivalent du plan local d’urbanisme à respecter était contraignant, Nouvel a probablement signé l’un de ses plus beaux bâtiments. Il a joué avec l’enveloppe, respectant la lettre de la loi, tout en réinventant l’articulation dedans/dehors. Les grandes lignes de sa proposition à Genève, l’usage du verre, l’intervention dans un gabarit prohibant les extrapolations expressives, annonçaient un projet du même ordre.
Manque de chance, les Genevois n’en ont pas voulu. Et malheureusement, comme c’est souvent le cas dans ce genre de situation, ils ont encore une fois jeté le bébé avec l’eau du bain. Car ce projet de rénovation était accompagné d’un ambitieux projet culturel pour la ville.
Alors certains diront que l’avenir ne s’écrit pas dans les musées, que l’excellence pour les générations à venir se prépare dans les universités, les pôles d’excellence, et les centres de recherche. Ils oublient qu’une offre culturelle abondante peut s’avérer déterminante pour le développement d’une collectivité. Que New York ne serait pas New York sans le MoMA et le MET, que Paris ne serait pas Paris sans le Musée d’Orsay et le Centre Pompidou, et que Genève ne sera pas la métropole qu’elle aurait pu être si ce projet avait vu le jour.
S’opposer à un projet culturel, c’est aussi priver les générations à venir de dizaines de vocations susceptibles de naitre au cours d’une visite scolaire. C’est oublier que les dispositifs culturels sont bien plus que des loisirs pour les promeneurs du dimanche : ce sont aussi des incubateurs.
La présence de la Cinémathèque sur le territoire romand a sans doute contribué à l’émergence de la nouvelle vague suisse dans les années 70 avec des cinéastes comme Alain Tanner. C’est aussi peut-être parce qu’il y a le SAM que Bâle est en train de devenir un pôle d’excellence architectural. Le retour sur investissement d’un projet culturel ne se mesure pas au nombre de visiteurs, aux abonnements souscrits, aux clics et aux nuitées cumulées. Il se mesure également à la dynamique qu’il engendre, aux vocations qu’il suscite, et à la façon dont il permet à la ville de se forger des représentations d’elle même, de se rêver un peu plus grande qu’elle ne l’est réellement, et d’assouvir ce désir en se développant. Pour dire les choses plus simplement, dimanche dernier, 54% des Genevois ont manqué d’ambition.