Ceux qui ont fréquenté la place de la République à Paris pendant Nuit Debout, seraient surpris aujourd’hui de l’absence de toute forme d’activité résiduelle de cet incroyable surgissement d’appétit démocratique.
Le ministère de l’Intérieur et la municipalité d’Anne Hidalgo, après avoir violemment mis fin aux réunions nocturnes et pacifiques ont fait en sorte qu’aucune forme de parole ne puisse s’installer durablement là où s’étaient tenus les débats.
En lieu et place du parlement improvisé, la décision a été prise de laisser une chaîne de magasins branchés financer la création d’un skate park. Si la chose est rare pour une place historique de centre-ville, ce qui surprend surtout c’est le choix de l’emplacement. Le skate parc empêche en effet le fonctionnement d’autres équipements pérennes comme la ludothèque, pourtant plébiscité par les usagers de tout âge.
Le bruit urbain et assourdissant des planches à roulettes exclut toute tentative de discuter à plus de trois personnes. Comme une espèce animale qu’on introduirait dans un écosystème pour en chasser une autre, les jeunes skateurs exhibent avec insouciance leurs figures spectaculaires, inconscients du fait qu’ils prennent part à un acte de censure.
Cette censure passive s’accompagne d’une autre transformation, moins contestable mais tout aussi furtive: l’installation d’un dispositif anti voiture bélier, décidé et mis en œuvre dans la plus grande discrétion. Dissimulé sous la forme de bancs en madrier, ce dispositif périmétrique bloque l’accès des véhicules à la place.
S’il est camouflé, c’est probablement pour ne pas alarmer la population et éviter les effets de bunkerisation de l’espace public qu’ont connu d’autres villes en prise avec le terrorisme, comme Beyrouth, le Caire ou Karachi. Paris se barricade, mais préfère rendre furtifs ces aménagements pour ne pas perdre son attrait touristique.
Au dire de plusieurs architectes qui travaillent actuellement sur des grands projets de places parisiennes, le dispositif anti voiture bélier est devenu quasi obligatoire pour tout nouvel aménagement. Autant dire que la fin de la terreur n’est pas pour demain.