Nul homme n’est une île n’est pas un feel-good movie, et pourtant on en ressort apaisés, sereins, à l’image de cet ébéniste autrichien qui dit mieux dormir de savoir qu’il a pris soin de l’arbre et de la forêt dont il exploite le bois.
Le film de Dominique Marchais est une lente immersion dans trois univers distincts : une coopérative agricole, sociale et écologique en Sicile, la culture du bâti telle que l’enseigne le grison Gion Caminada, et une approche holistique du travail sur le bois en Autriche.
Refaire une agriculture écologique et sociale là où la marche forcée du progrès n’envisage que des entrepôts et des voies rapides – construire en étant extrêmement attentif à l’existant – traiter le bois et sa transformation comme d’une activité relevant d’un travail sur le vivant et non pas d’un simple matériau de construction.
Trois univers distincts, politiquement séparés, sans liens apparents. Trois insularités qu’il va falloir relier, pour aller de l’avant. Par le cinéma d’abord, qui les juxtapose et les fait tenir dans un cadre commun, puis par notre propre disposition à lier les choses entre elles. Marchais ne va pas loin pour chercher ses sujets. Deux sont alpins, et le troisième italien. L’innovation est ailleurs. Dans le montage d’abord, sobre mais non dépourvu d’intention, et dans sa façon de faire consister le politique, non plus seulement dans ce qui est représenté, dans ce qui est énoncé, mais dans la manière qu’a chacun d’assembler les trois récits distincts.
C’est comme s’il demandait au public de faire une partie du travail : de relier les îles entre elles pour les faire exister dans un tout. Ce qui est politique, c’est précisément ce qui relie, et celui qui tisse pour faire tenir les choses distinctes entre elles, outre le cinéaste, c’est bien le spectateur.
En cela le film de Marchais est une réponse subtile à la crainte croissante d’une dissolution du politique, pulvérisé par la nouvelle fragmentation numérique des causes et des engagements : chacun dans son coin d’écran avec ses propres combats, sa propre sensibilité, sa propre hiérarchie des causes à défendre.
Le film parvient ainsi à réactualiser un vieil impératif de l’action politique. Celui qui prescrit que seule la disposition à relier peut faire avancer les choses. Rien n’est rouge ni noir dans ce film. La bonne gouvernance n’est pas nécessairement partisane. Elle est par contre sereine et juste.
Nul Homme n’est une île sera projeté en présence du réalisateur Dominique Marchais, mercredi 20 juin à 18:30, au Pathé Galleries.
la projection s’accompagnera d’un débat avec Dominique Bourg, Enea Rezzonico et Alberto Mocchi.