En juin, je me suis entretenu avec Konstantinos Pantazis et Marianna Rentzou, membres fondateurs du bureau athénien Point Supreme Architects.
Christophe Catsaros: Une première question concerne la spécificité formelle de votre production qui est très graphique, et très publiée. Un soin tout particulier semble avoir été apporté aux rendus. Le choix des couleurs dans certains visuels de vos projets évoque l’univers de quelqu’un comme David Hockney.
Point Supreme Architects: Le contexte athénien explique en partie ces choix formels. Nous avons fait nos études dans cette ville chaotique, sans hiérarchie, où la forme fait défaut. On l’appelle souvent “la soupe de béton”. Notre façon de représenter émane tout d’abord d’une volonté de réagir à cette situation. Très tôt, en tant que jeunes architectes nous avons cherché à sublimer cette situation, hiérarchiser les choses, créer des repères.
Comme les moyens sont limités et que cela peut se faire difficilement par un travail sur les formes, nous avons rapidement opté pour la couleur. La dimension picturale de nos travaux est aussi une façon assez efficace pour transmettre ce que nous envisageons. La couleur fonctionne comme un palliatif à ce que nous ne pouvions pas faire, faute de moyens, en travaillant sur les volumes, mais aussi comme un outil sémiologique. Ce n’est pas un choix en soi, plutôt une façon de renforcer l’identité de notre architecture.
CC: Vos propositions se distinguent par une certaine radicalité, qui entre en dialogue avec le caractère cru et brut du contexte athénien. Par exemple, votre proposition pour une jetée dans la baie de Phalère était éminemment radicale, en conflit avec une conception d’intégration dans le paysage.
PSA: Le choix de la radicalité est fondamental pour nous. Nous cherchons à travailler dans le monde tel qu’il est. Nous essayons de faire en sorte que nos projets répondent à la réalité, ne pas travailler dans des îlots séparés du réel. Nous ne cherchons pas à faire du design. Jamais d’idéalisation du contexte pour commencer. C’est cette approche réaliste que nous essayons de traduire dans nos propositions. Pas de simplifications, pas d’idéalisation. Pas d’abstraction non plus dans les images que nous produisons. Dans les années 1980, les Hollandais appelaient cette tendance « dirty realism ».
CC: C’était aussi le thème de l’exposition au pavillon grec de la biennale de Venise en 2002: «absolute realism».
PSA: En effet, il y a plusieurs projets qui allaient dans ce sens à l’époque. C’est un point de départ pour nous. Ce qui allait en découler plus tard est tout autre chose. Prenons l’exemple de la jetée du Phalère, que tu as mentionnée. Nous cherchons à travailler sur une base programmatique, dans une conception koolhaassienne. Ce qui détermine en dernière instance nos propositions, ce n’est ni la forme, ni l’esthétique, mais plutôt le fonctionnement, l’activation d’un dispositif. La jetée était un dispositif essentiellement programmatique. Le projet définissait de façon très précise un mode opératoire, et tout devait découler de ce programme. L’apparence très visible, presque sémiologique, de la jetée découle de sa fonction : une jetée est aussi un repère de navigation, qui se doit d’être visible. Il n’y a rien d’ornemental dans ce choix.
CC: L’identité de votre bureau est en grande partie reliée à la ville dans laquelle vous exercez. Comment définiriez-vous la situation à Athènes, eu égard à la gentrification du centre-ville et la crise qui a quelque peu freiné cette tendance ?
PSA: La gentrification d’Athènes est une question complexe. Tout d’abord parce que le modèle de ce type de spéculation ne convient pas à la réalité athénienne. La gentrification opère par îlots, par portions oubliées, puis ressuscitées. Or, Athènes est trop homogène. Il me semble que la ville dans son intégralité se prête à un potentiel de développement de ce type.
Certes, le centre-ville est aujourd’hui vide. Exception faite des devantures occupées par des commerçants, les étages de bureaux sont vides. Il y a bien évidemment des quartiers comme Gazi ou Metaksourgeio où l’on peut observer des phénomènes de gentrification.
Mais je ne pense pas qu’Athènes risque vraiment de devenir, comme d’autres capitales, une ville gentrifiée. Il y a beaucoup trop d’espace disponible pour qu’une telle dynamique spéculative puisse prendre pied.
Par contre, ce qui fonctionne à Athènes, c’est Airbnb. D’autres villes touristiques comme Venise subissent de plein fouet les conséquences de ce phénomène. Les habitants laissent leur appartement aux visiteurs. On commence à voir dans certains quartiers comme celui de Petralona, des phénomènes similaires, ou les propriétaires préfèrent louer sur Airbnb plutôt qu’à des résidents permanents.
Il existe plusieurs quartiers d’Athènes qui n’ont plus de résidents, comme Plaka par exemple. Cela veut dire que des pans entiers de la ville deviennent de gigantesques hôtels diffus dans le tissu urbain.
Il existe des entreprises qui se chargent de louer votre bien sur Airbnb, qui le rénovent et l’exploitent pour vous. Une de ces entreprises gère plus de 120 appartements. En taille, cela représente un grand hôtel. Sans parler des bénéfices de cette activité, eu égard à la fiscalité très avantageuse.
PSA: Malgré cela, le secteur de l’hôtellerie est florissant à Athènes. Plusieurs nouveaux projets le démontrent.
C’est vrai. C’est nouveau car Athènes n’a jamais été une destination. Elle est en train de le devenir. C’était le passage obligé pour aller dans les îles. Cela est en train de changer. Aujourd’hui de plus en plus de gens viennent à Athènes pour y passer quelques jours.
CC: Etre jeune architecte à Athènes en 2017 ?
PSA: C’est difficile. Ces huit dernières années, l’activité s’est terriblement réduite. Les quelques bureaux qui ont survécu, qui n’ont pas mis la clé sous la porte, ont développé des approches plus expérimentales, plus prospectives, plus sensibles au contexte social aussi.
Ces derniers temps, les choses semblent repartir, essentiellement pour des projets liés à l’industrie du tourisme. Les investisseurs prennent moins de risques qu’avant la crise, avec des projets plus retenus. Il y a un sens de l’économie et de la modération.
CC: La crise a-t-elle suscité un nouvel éthos ? Est-ce réaliste de commencer une pratique architecturale aujourd’hui à Athènes ?
PSA: Pas vraiment. La génération qui vient après la nôtre est vraiment perdue. Nous plaignons les jeunes architectes qui cherchent aujourd’hui du travail. On n’en peut plus de refuser des diplômés qui nous proposent de travailler sans rémunération. C’est terrible de ne pas avoir l’espoir de pouvoir vivre de votre métier. S’enrichir de son travail n’est plus à l’ordre du jour, et même en survivre, aujourd’hui, devient difficile.
CC: Concernant votre proposition sur la place Kotzia à Athènes, de quoi s’agit t-il ?
PSA: C’est une proposition inspirée de la crise. C’est une intervention low cost. Sur une place très minérale, au-dessus d’un parking souterrain face à l’Hôtel de Ville, une place impraticable eu égard à l’été grec, nous avons proposé une extrême végétalisation : de la pelouse et des arrosoirs agricoles pour rafraîchir les passants.
CC: La pelouse à cet endroit va dans le sens d’une certaine artificialité ? C’est une proposition à certains égards ironique ?
PSA: C’est une hétérotopie. On transpose au cœur de la ville une portion de territoire venue de l’extérieur. On transpose un champ de la Béotie voisine sur une place athénienne. C’est ironique et radical, mais c’est aussi une façon de signaler que la ville n’a pas besoin d’être à ce point recouverte de bitume et de béton. La place Kotzia, sans arbres et sans ombre, est un cas extrême de dysfonctionnement tellement elle est invivable pendant les mois chauds.
CC: Vous travaillez en binôme ?
PSA: Notre collaboration est facile. Nous sommes absolument complémentaires, l’un plus rigoureux, l’autre plus impulsif.