La vieille camionnette qui arpentait la rue parisienne à la recherche de déchets récupérables venait d’être repeinte en rouge. Vue d’en haut, l’opération de camouflage était parfaitement visible car le toit du véhicule était resté blanc. Quelques mois plus tôt à Saint-Denis, des violences avaient visé des Roms circulant en camionnette blanche, victimes d’une rumeur les accusant d’enlèvements d’enfants. Si ces incidents illustrent la propension des réseaux sociaux à alimenter la paranoïa, ils comportent aussi une teneur anthropologique telle qu’ils pourraient trouver leur place dans une histoire élargie du design. Un certain nombre de ces camionnettes blanches ont été repeintes à la hâte par leurs propriétaires. Cet acte de dissimulation visant à protéger les membres d’une communauté persécutée tout comme la façon dont les réseaux sociaux structurent notre rapport à l’information méritent l’un et l’autre d’être versés au dossier d’une compréhension plus large et plus politique du design.
Cet acte pourrait surtout devenir le symbole d’une nouvelle intelligence de survie face à un monde dont la globalité numérique évoque la circularité forclose de l’arène plutôt que l’ouverture de l’amphithéâtre. Les occupants de la camionnette repeinte trompent en effet toutes les vigilances numériques, celle de l’État et celle de la web paranoïa, afin de poursuivre leur mission ancestrale : récupérer pour vivre.