La LED, à l’heure de la qualité

Jake Dyson, designer et concepteur de lampes nous parle d’innovation, des tendances dans l’éclairage et de l’avenir des lampes LED.

Christophe Catsaros : En révolutionnant la technologie des aspirateurs, votre père a tourné le dos à une pratique de merchandising basée sur des consommables indispensables et onéreux. Faisant cela, il s’est attaqué à une méthode, largement pratiquée par les grandes enseignes du secteur, qui pourrait s’apparenter à de l’obsolescence programmée. Avec vos lampes vous semblez vous attaquer à une autre branche célèbre pour ses pratiques d’obsolescence programmée : celle des ampoules. En fait, le produit est différent mais la méthode est la même.

Jake Dyson : L’industrie de l’éclairage est obnubilée par la baisse des coûts. Ils ne se demandent pas comment faire pour produire une meilleure lampe. Leur seul objectif est de faire moins cher. Ils sont prisonniers de cet objectif, et de leurs lignes de production, en général.
Quand on est nouveau, quand on démarre, on a la possibilité de tout repenser sur de nouvelles bases : qu’est-ce qu’une lampe et que signifie d’éclairer ? On n’est pas contraint par une gamme de produits, ou les attentes des clients. Tout peut être réinventé.

Le même conditionnement s’applique aux architectes et aux éclairagistes. Ils utilisent des logiciels qui déterminent en grande partie ce qu’ils peuvent, ou ne peuvent pas faire. En tant qu’architecte, tu introduis tes plans dans un logiciel qui te génèrent un plan lumière quasi automatiquement. Le problème, c’est la technologie qui a servi de référence pour programmer le logiciel. S’il a été conçu pour de l’éclairage fluorescent, et que tu travailles avec des LED, il va y avoir un problème. Certes, la quantité de lumens sera respectée, mais la qualité de la lumière n’est plus la même, et c’est là que le système s’avère défaillant.
Vous pouvez remplacer des plafonniers en néon par d’autres en LED, obtenir la même intensité, mais échouer dans le résultat, dans la qualité de lumière générée. C’est une erreur courante. Tout cela pour dire que le changement de technologie que représente l’arrivé des LED exige de repenser toute la chaîne de production et de calibrage de l’éclairage.

C.C. : Qu’est ce qui fait la différence entre un bon et mauvais éclairage ?

J.D. : Les meilleurs éclairagistes aujourd’hui travaillent sur des combinaisons entre l’éclairage indirect, qui illumine des parois et l’éclairage ciblé. C’est dans la combinaison que vous obtenez les meilleurs résultats. Mais il faut impérativement repenser en fonction la technologie qui est la nôtre aujourd’hui. Il faut tout reprendre à la base.

C.C. : L’éclairage conditionne le rapport au bâti. La généralisation de l’éclairage fluorescent dans les années 1950-1960 a changé l’image des villes. Le Seagram de Mies ne serait pas ce qu’il est sans ses plafonds lumineux. L’arrivée du LED va-t-il faire évoluer la façon dont nous occupons les intérieurs, va-t-elle redéfinir le rapport entre le dedans et le dehors ?

J.D. : Un changement majeur, qui est probablement lié à la généralisation des LED, serait l’acceptation d’intensités moins élevées, eu égard à l’éclairage public. On commence à apprécier la pénombre. L’éclairage urbain intense qui change la nuit en jour est considéré, de plus en plus, comme une forme de pollution. Les espaces publics peu éclairés sont finalement bien plus beaux.
Il y a une analogie à faire avec la viande que l’on consomme. Nos arrière-grands-parents mangeaient de la viande nourrie d’herbe, sans pesticides, sans antibiotiques. Puis, sont venus les viandes industrielles bourrées de médicaments, pour arriver à la demande actuelle, celle de pouvoir consommer des viandes moins chargées en antibiotiques. On se bat finalement pour avoir à nouveau ce qui existait tout naturellement il y a un siècle.
Peut-être que quelque chose d’analogue est en train de se produire avec l’éclairage. On cherche la qualité qui était celle des soirées autour d’un feu. On essaye d’obtenir à nouveau cette cohérence entre la lumière et la source d’où elle émane. Je pense que c’est quelque chose qui revient. Le défi n’est pas seulement dans le fait d’atteindre la qualité de l’éclairage naturel, mais surtout de travailler sur la cohérence de l’éclairage. Faire que la lumière fasse sens.
Même la lumière extérieure, celle du soleil, nous parvient filtrée, déviée par les nuages, les éléments qui la réfléchissent. La lumière se repend en fonction des particules de l’atmosphère. Ce qui fait la différence, c’est la façon dont la lumière est diffusée. C’est pour cela que je pense qu’il faut éviter les ampoules. Une ampoule est une source artificielle apparente. C’est inefficace, c’est calorifique, c’est jetable et tu dois la cacher pour t’en servir sans t’éblouir. C’est probablement ce qu’il y a de plus éloigné de la lumière naturelle. L’ampoule est la chose à éviter.

C.C. : Faut-il multiplier les sources d’éclairage ou au contraire essayer de les concentrer ?

J.D. : Ce qui compte, c’est d’apporter la lumière là ou vous en avez besoin, avec la meilleure qualité possible, et le moins de points de diffusion. C’est une question d’économie.
Ce qui distingue nos lampes à éclairage directionnel, c’est d’avoir été pensées comme une technologie qui requiert un système de refroidissement. Cela permet de créer des gerbes lumineuses plus intenses. Il fallait repenser l’ingénierie des LED, et c’est ce que nous avons fait.
Si vous ne traitez pas la chaleur, vous devez espacer les LED, travailler avec des réflecteurs, donc perdre en intensité. Ce que nous avons fait, c’est condenser la gerbe, et surtout repenser l’optique du luminaire. Nous pouvons ainsi créer des dispositifs optiques ajustables, qui vous permettent de varier l’orientation de l’éclairage à partir d’un plafonnier.

Learning from Bengal, à Archizoom

Archizoom papers#2

Après l’exposition Bengal Stream au Swiss Architecture Museum à Bâle, L’architecte Niklaus Graber et Andreas Ruby, directeur du S AM, reviennent à la charge à l’École polytechnique fédérale de Lausanne. Ils y présentent jusqu’au 7 décembre Faraway So Close, une exposition monographique sur une des figures les plus intrigantes de l’architecture bangladaise : Kashef Chowdhury.

De tous les projets réalisés par Chowdhury, le friendship center, construit en 2011 dans une région rurale de Gaibandha, est sans aucun doute celui qui illustre le mieux les aspirations du régionalisme critique et sa volonté de composer avec les grandes lignes de la topographie bangladaise : son hydrographie et son climat. Raconter l’identité architecturale du pays en prenant appui sur ce bâtiment, revient à expliquer la modernité helvétique à partir des thermes de Valls de Zumthor. L’œuvre s’y prête.
La forme du bâtiment revisite de façon subtile l’une des qualités majeures de la construction vernaculaire en brique : sa disposition à constituer des entités compactes et insubmersibles, dans un contexte de grande instabilité eut égard aux crues. Plus qu’une stérile opposition, la compacité de l’ouvrage semble rechercher l’équilibre avec l’élément fluvial, aussi bien sur un plan constructif qu’iconique. Il s’agit de construire des bâtiments pérennes, salubres c’est-à-dire fondamentalement modernes, mais qui composent avec le milieu.

Friendship Centre. Gaibandha, Bangladesh

L’effet bunker en brique fait évoluer un principe que l’on retrouve dans de nombreuses constructions anciennes. C’est le même effet que s’efforce de reconduire Kahn en donnant sa forme au parlement national réalisé entre 1964 et 1982. Kashef Chowdhury ajoute à cette typologie compacte traditionnelle, la bonne échelle : celle d’une architecture à échelle humaine qui s’accorde avec l’eau. Son architecture bioclimatique faite d’une succession de cours, s’approprie des qualités typologiques vernaculaires, en les restituant dans le contexte qui leur a donné lieu. Le rapport au paysage devient un élément structurant du projet.
La compacité, l’usage de la brique et l’omniprésence de l’eau dans l’aménagement des espaces partagés sont bien plus qu’un emprunt à l’histoire du pays. Ils constituent un redéploiement holistique des solutions les plus adéquates dans le contexte le plus approprié. En cela son projet parvient à clore un cycle qui commence avec l’ère colonial et qui a consisté d’abord à s’éloigner des modèles vernaculaires, pour y revenir par la suite de manière consciente.

Friendship Centre. Gaibandha, Bangladesh

Par son architecture mais aussi par sa fonction de centre de formation populaire, ce projet résout certaines des contradictions de l’héritage colonial. Celles qui opposent, sur un mode binaire, la campagne à la ville, l’Occidental à l’autochtone, le moderne au vernaculaire. L’architecture de Chowdhury relève ces contradictions en étant urbaine et rurale, locale et globale, vernaculaire et moderne.
Si l’adéquation entre fonction et forme permet à l’architecture de Chowdhury d’être au bon endroit au bon moment, c’est-à-dire spécifique au lieu, cela ne l’empêche pas de faire preuve d’universalité s’agissant des questions environnementales. Au Bangladesh, il n’est pas rare de voir des nouvelles constructions renoncer à la climatisation mécanique. Si le manque de moyens explique dans certains cas ce choix, il est loin d’être la seule raison qui pousse les Bangladais à se passer de climatisation. Ce qui, en première lecture apparait comme un manque, s’avère en fin de compte être un choix assumé. Dans ce cas de figure, le rejet de la climatisation apparait comme un gage de qualité : celle de produire des environnements tempérés par la forme du bâti, l’aération et les jeux d’ombres.

Mosquée Rouge, Keraniganj, Bangladesh.

Opter pour des intérieures naturellement tempérés dans un contexte tropical quand la planète en surchauffe ne jure que par « la clim », est une grande leçon d’écologie. Une leçon que devraient entendre les adeptes d’un développement durable techno-scientifique, nécessairement en contradiction avec ce qu’il prétend accomplir. L’écologie pensée comme un gadget sophistiqué, dépendant de capteurs et de mécanismes de plus en plus complexes parait chimérique face au principe rudimentaire d’un travail sur la forme du bâti. Dans cette optique, l’architecture devient l’art de bâtir en adéquation avec un contexte, des rythmes de vie, des échelles, des besoins et des moyens endogènes plutôt qu’exogènes. C’est assurément l’une des leçons que l’on retirera de la découverte de l’architecture de Kashef Chowdhury.

L’intégralité de cet article est disponible sur Archizoom Papers, un projet d’édition itinérant dans le cadre d’un partenariat entre la revue AA et Archizoom, la galerie de l’EPFL.