Le rêve américain du candidat Griveaux – De l’usage des bonnes idées en période électorale.

Haussmanhattan, de Luis Fernandes.

Tout Paris ricane. Tous se moquent de l’idée de Benjamin Griveaux, candidat LREM aux municipales, de créer un « Central Park » dans Paris intramuros en déplaçant vers la Villette, l’une des cinq grandes gares de la capitale, celle de l’Est. Les parodies se succèdent, tournant en dérision tantôt le fond de la proposition, jugée complexe voire impossible, tantôt son esprit, naïvement mimétique, s’inspirant du lointain sans vraiment se demander si ce qui a été possible pour New York il y a 150 ans peut aussi s’appliquer à Paris en 2020. 
Faire Central Park à Paris, c’est un peu comme la mode qui a consisté à planter des palmiers le long des avenues des villes de la Côte d’Azur pour se donner un air de Beverly Hills. La droite n’a pas d’idées, et quand elle en a, ça fait rire tout le monde. 
Pourtant, derrière la proposition utopique du candidat Griveaux, se cache une véritable nécessité que les détracteurs du projet feraient mieux de considérer avec plus d’attention. Déplacer une gare parisienne au-delà du périphérique est une mesure de bon sens qui aurait dû s’appliquer à toutes les grandes gares de la ville.
 Aujourd’hui, pour chaque dix voyageurs qui arrivent dans l’une des cinq grandes gares parisiennes, il y en a sept qui ressortent immédiatement pour rejoindre leur commune de résidence en banlieue. Les gares parisiennes desservent une métropole de 10,5 millions d’habitants, dont seulement 2,5 vivent à l’intérieur du périphérique.
L’emplacement actuel des gares est celui qui convenait à la capitale du 19e siècle : une cité de 4 millions d’habitants, dont 3 millions vivaient dans les arrondissements du centre. La métropole actuelle exigerait donc des gares placées le long du Grand Paris Express, afin d’éviter aux passagers de transiter par le centre ville pour des déplacements entre la province et la banlieue de Paris. Si Paris était la capitale du Japon, c’est ce qui aurait été fait. 
Mais Paris n’est pas Tokyo et elle s’accroche à son âge de gloire, le 19e siècle, où elle fut la capitale du monde. À cette crispation imaginaire et patrimoniale s’ajoute un argument immobilier. 
Si les déplacements ferroviaires parisiens venaient à être rationalisés, les gares actuellement transformées en centres commerciaux perdraient immanquablement une partie de leur clientèle. 
La proposition de Griveaux n’est pas seulement utopique dans le sens urbain du terme, elle est aussi  irréalisable au regard des réactions qu’elle ne manquera pas de susciter chez ceux qui ont des intérêts dans l’état dysfonctionnel actuel. 
Encore faudrait-il, pour qu’on puisse la prendre en considération, que ce déplacement ne soit pas envisagé comme une nuisance que l’on transfère du centre à la périphérie, mais comme un véritable apport pour la partie de la ville censée accueillir la nouvelle gare. 
Est-ce que l’argument choisi pour remettre cette idée sur la table était le bon? Probablement pas, mais la proposition a le mérite de placer l’intérêt public au-dessus des intérêts entrepreneuriaux de la SNCF, qui ne voit plus dans les gares que le potentiel de développement de sa branche immobilière, ou encore le confort d’une minorité  de voyageurs qui peuvent rentrer de la gare chez eux à vélo ou à pied. Pour une fois, ce n’est pas la droite qui aura été du côté des privilégiés.

LE PARC, OUTIL DU DESIGN CIVIQUE

Pour ce nouveau dossier d’Archizoom Papers, disponible sur le site de la revue l’Architecture d’Aujourd’hui, place au travail de l’architecte, paysagiste et chercheur Matthew Skjonsberg autour du civic design, le contrepoint écologique et communautaire de l’aménagement urbain axé sur l’industrie et la technologie. En juin 2019, le chercheur avait dirigé à l’EPFL une exposition intitulée The Living City, Park Systems from Lausanne to Los Angeles, qui présentait un panorama chronologique de la discipline du civic design concrétisée dans sa forme la plus emblématique : la création de parcs régionaux. En guise d’introduction à un dossier présentant des projets exemplaires, de Weimar à Londres, en passant par Los Angeles, retour sur la question du park system et ses enjeux écologiques et sociaux.

Les parcs urbains ont souvent été pensés, dans leur émergence et leur évolution historique, comme des remèdes à la violence environnementale de l’urbanisme industriel. Dans cette approche partagée, les parcs ne sont que des parenthèses « anesthésiques » d’une organisation de la ville qui a souvent traité l’humain comme une élément parmi d’autres dans un processus de production. L’hygiénisme n’a jamais caché sa raison d’être: si l’ouvrier meurt trop tôt, si ses enfants ne survivent pas à l’environnement pollué dans lequel ils sont appelé à grandir, il cessera de faire tourner la machine.
Le panorama que dresse Matthew Skjonsberg sur les typologies de parcs du 18e  au 20e siècle, tente une nouvelle lecture des raisons qui accompagnent leur mise en oeuvre. Il essaye de penser les parcs non plus comme un rouage de l’urbanisme industrielle, mais de manière plus intégrale, comme une solution globale qui aurait pu constituer une autre voie. Un modèle alternatif qui, quoi que minoritaire, aurait tout aussi bien pu servir de structure conceptuelle aux développements
des villes.
Très tôt, certains parcs sont pris dans des réseaux d’espaces verts à l’échelle d’une ville. Cela permet de les penser non plus comme les exceptions anesthésiques dans des métropoles infernales, mais comme des contre-modèles olistiques, qui évoluent parallèlement, et qu’il serait peut-être temps de sortir des tiroirs. Ces parcs faisant système, ces « villes vertes » partiellement réalisées, seraient une orientation avortée de l’urbanisme fordiste. Elle pourraient s’avérer d’une grande utilité au point ou nous sommes arrivés en matière d’environnement. Qu’est ce qui distingue ce modèle alternatif de l’urbanisme du chacun pour soi? Précisément ce qui fait défaut aux métropoles : une disposition à constituer des environnements sociaux et écologiques durables et englobants. L’autre urbanisme, celui qui se dessine dans cette recherche, serait celui où la ville se pense d’abord comme milieu continu et comme communauté cohérente.

1778 — Le Parc de l’Ilm de Goethe et de Charles-Auguste

La séquence de projets rassemblés en trois chapitres, allant du Parc de l’Ilm de Wolfgang von Goethe à Weimar (1778) au Système de parc régional d’Olmsted Brothers pour Los Angeles (1928), en passant par le Parc du peuple de Paxton à Liverpool (1857), constitue une généalogie du tournant écologique urbain, souvent impensée, qui se dessine timidement dans les politiques publiques, mais surtout les nombreuses initiatives sociales et culturelles qui cherchent à refonder l’appartenance à la cité sur des rapports autres que ceux basés sur l’exploitation des ressources matérielles, environnementales ou humaines. En cela son travail éclaire une position vertueuse ( celles de l’activisme civique et écologique ) qui parait souvent infondée, gesticulatoire quand elle n’est pas récupérée par des campagnes de greenwashing. Cette autre ville à laquelle aspirent de plus en plus les habitants des métropoles globalisées est possible pour la simple raison qu’elle a existé, tant sur le plan utopique du projet, que sur celui concret de certains plans d’urbanisme partiellement réalisés. Ce travail tente donc de constituer un socle historique, à partir duquel un nouvel élan serait possible.