Si au moment de la fermeture de la Samaritaine en 2005, les investisseurs avaient annoncé ce qu’ils comptaient faire, ils auraient provoqué une émeute. Il a donc fallu d’abord calmer le jeu. Faire semblant de faire B quand on était en train de faire A. Prétexter d’importants travaux de mise aux normes, lancer un premier chantier plutôt modeste, affronter des recours. Et enfin, passer aux choses sérieuses. Le temps et l’oubli ayant fait leur œuvre, il a été possible d’annoncer ce qui était prévu : un hôtel de luxe, des lofts pour princes saoudiens, un programme commercial de luxe dans la partie historique du bâtiment, face à la Seine. Côté Rivoli, 85 % du bâti est reconstruit par Sanaa et offre un programme mixte fait de tertiaire haut de gamme, de logements sociaux et même d’une crèche de 60 places. Le compte y est. Rien à redire. La ville a fait ce qui était attendu d’elle en imposant au prestigieux programme de reconversion une part d’habitat social.
Entre les très riches auxquels est destinée la nouvelle Samaritaine, et les très pauvres auxquels sont destinés les logements sociaux, reste une majorité qui peut légitimement se sentir lésée. C’est cette fameuse classe moyenne, à laquelle Paris livre une guerre sans merci. C’étaient eux les clients du centre commercial historique et ils sont totalement évincés du tableau. Ni ce qui s’y vend, ni le palace, ni la vue imprenable sur la Seine ne leur sont destinés. Quant aux logements sociaux, ils iront à ceux qui font tourner la ville des supers riches. Il faut bien du personnel dans ce type de programme à haute valeur ajoutée : des balayeurs, des vigiles, des femmes de ménage.
En visitant la nouvelle Samaritaine le 21 juin, deux jours avant son ouverture, Emmanuel Macron n’a fait que saluer ceux pour qui il travaille. Le 5 % tout en haut de la pyramide. Les autres ne mettront jamais les pieds à Nouvelle Samaritaine. Il est très probable qu’ils ne vivront même plus à Paris. Dans un tout autre contexte, un immeuble du 18e arrondissement que je connais bien, trois familles avec enfants s’apprêtent à quitter définitivement la capitale faute de pouvoir s’y loger. Trop riches pour les logements sociaux, trop atypiques pour l’intermédiaire, trop pauvres pour se loger dans le privé. Mères célibataires, couples avec un seul salaire et des bouts de choux qui ont grandi, ils se retrouvent piégés dans des appartements trop petits. Certains profitent de la virtualisation du travail pour quitter la ville. Angoulême, Nice, Colombes. À l’école élémentaire mitoyenne, une classe va encore fermer cette année. C’est la face cachée du cocktail vertueux luxe / social affiché en grande pompe à la Samaritaine. Et c’est à cette classe moyenne qu’était adressé le centre commercial historique. Ils ont bien fait de le démolir. N’ayant plus leur place dans le nouveau Paris des super riches, cela fait déjà un bon moment qu’ils n’y sont plus.