L’avenir sera-t-il en bois?

L’Ibois, le laboratoire de l’EPFL consacré à la construction innovante en bois lance un nouvel outil de réflexion.

Les cahiers de l’Ibois proposent une radiographie sociétale, écologique, culturelle et politique de la construction en bois. À travers les travaux et analyses critiques d’auteurs issus de disciplines variées, ces cahiers laissent apparaître le rôle structurant, parfois antinomique et souvent sous-estimé de la construction en bois dans l’évolution architecturale des trois derniers siècles. Ce projet éditorial biannuel dessine les contours d’un récit original et transdisciplinaire.

Dépassant la distinction établie entre sciences humaines et sciences appliquées, les cahiers établiront des filiations alternatives pour la construction innovante en bois. Derrière ce panorama original et transversal où chercheurs, constructeurs et historiens questionnent le potentiel d’un matériau, s’affirme l’ambition d’un changement radical, dont attestent tant les recherches que les réalisations du laboratoire des constructions en bois de l’EPFL.

Trois auteurs inaugurent cette première édition des cahiers de l’Ibois : Françoise Fromonot revient sur l’épopée héroïque de Jørn Utzon et de ce qu’il a vainement tenté de réaliser au moment de la construction de l’opéra de Sydney. Stéphane Berthier offre un panorama assez complet de la place de l’Ibois dans la constellation des laboratoires qui mettent au point des techniques de conception et de fabrication assistées par ordinateur. Quant à Yann Rocher, il s’efforce d’établir les nombreux liens constructifs et symboliques entre le matériau utilisé pour construire le Pavillon en bois du Théâtre de Vidy et sa fonction de lieu scénique.

Le nombre de personnes pouvant assister à la présentation étant limité, l’inscription préalable est obligatoire.

L’évènement sera retransmis en ligne

Le bois, matériau d’un apprentissage du faire

A l’occasion des Rencontres Woodrise Bordeaux-Nouvelle Aquitaine, Yves Weinand architecte et ingénieur civil, directeur du laboratoire IBOIS, EPFL et Agathe Mignon architecte doctorante, laboratoire ALICE, EPFL participeront à la table ronde « Le bois, matériau d’un apprentissage du faire », aux côtés de Flavien Menu et Frédérique Barchelard, tous deux architectes résidents à l’Académie de France à Rome Villa Médicis.

Un certain nombre d’ouvrages emblématiques du patrimoine bâti ont été précédés et rendus possibles par une construction en bois tombée ensuite dans l’oubli. Le cas de la tour Eiffel et de son échafaudage en bois réalisé afin de soutenir les arcs du premier niveau pendant leur construction reste l’exemple le plus édifiant de cette amnésie qui entoure le potentiel constructif du bois.

L’échafaudage en bois de la 1ère plate-forme de la Tour Eiffel, en 1888.
Louis-Émile Durandelle, fonds Eiffel, musée d’Orsay/RMN

Aujourd’hui le bois a le vent en poupe, mais est-ce seulement pour les bonnes raisons­ ? Porté par des politiques de lobbying proactives, il est devenu le vecteur d’une révolution verte préconisant une industrie immobilière décarbonnée et des villes plus durables. Prise dans des stratégies rhétoriques verdoyantes, la filière serait-elle en train de passer à côté du véritable potentiel de ce matériau, qui relève plus de sa constructibilité que de son image ? Une prise en compte de cette dimension requiert de s’intéresser à la fois au passé et au présent de la construction en bois. Elle exige de prendre en compte son histoire constructive et de s’inspirer des expérimentations pionnières menées au sein de laboratoires de recherches et d’enseignement.
Par delà l’image vertueuse d’un matériau vert, ces expérimentations peuvent instruire des pratiques susceptibles d’œuvrer à un déploiement du potentiel constructif et sociétal du bois.
Arc en rêve à Bordeaux accueille deux laboratoire de l’EPFL pour une conférence autour de cette question. L’IBOIS et ALICE, racontent deux démarches différentes. Là où l’IBOIS œuvre sur les marges du constructible, ALICE transforme le bois en matériau de prédilection d’une mathesis du construire. D’un côté l’IBOIS rend constructibles des ouvrages en bois dont l’ingénierie est à ce point innovante qu’elle nécessite à chaque nouveau projet une réécriture des normes. De l’autre, ALICE parvient à transmettre la sensibilité architecturale par l’acte de faire.
L’IBOIS bouscule la capacité de la filière à fournir les éléments nécessaires à certains projets. La recherche allant plus vite que le marché, elle pousse à son tour les plus innovantes des entreprises à réinventer leur rapport au bois. ALICE permet de son côté à l’enseignement de quitter le vase clos académique pour se déployer dans l’espace public matérialisant ainsi dans la ville l’énorme potentiel créatif du bois. Tous deux dessinent les contours d’une utilisation du bois qui renforce la dimension politique, civique et écologique, d’un acte de construction.
Les présentations des deux laboratoires seront suivies d’un débat avec Frédérique Barchelard et Flavien Menu, résidents à la villa Médicis, et initiateurs d’un projet de recherche autour d’un prototype d’habitat en bois, en exposition à arc en rêve.
Table ronde en plein air, mercredi 7 octobre à 18:30


La conversion de Rem Koolhaas, un entretien

Pour Rem Koolhaas, Countryside, The Future n’est pas une exposition de plus. C’est une conversion personnelle : un projet de recherche initié il y a dix ans qui tente de repenser le clivage entre urbanité et ruralité. Il s’est confié à Christophe van Gerrewey, Arjen Oosterman et Christophe Catsaros au cours d’une rencontre qui s’est tenue à Rotterdam le 26 juin dernier.

Christophe Catsaros : Le projet intitulé Countryside, initié il y a dix ans, n’est pas exactement le même que l’exposition montrée au musée Solomon R. Guggenheim, à New York. Quelle serait la différence entre les deux projets, et peut-on imaginer que la pandémie puisse à nouveau modifier votre point de vue sur la campagne ?

Rem Koolhaas : Ce dont je faisais part, il y a dix ans, est une sorte de conversion personnelle. Plus précisément, une intuition, forte, que notre focalisation sur la condition urbaine n’avait plus de sens, et que certaines choses qui se déroulaient dans les campagnes méritaient plus d’attention. C’était le début d’un basculement .. C’était très personnel, contrairement à l’exposition actuelle qui est beaucoup plus collaborative. Countryside, The Future est le fruit du travail de 15 « rapporteurs » auxquels il a été demandé d’explorer et de décrire des conditions très spécifiques, aux quatre coins de la planète. Cela avec leurs propres vocabulaire, leur propre langage et leurs propres arguments. Il s’agit donc d’une synthèse, d’une orchestration, bien plus que d’une déclaration personnelle. Une autre différence entre la première phase et celle actuelle concerne la façon dont, au cours des dix dernières années, l’articulation de la ville et du néolibéralisme semble avoir créé un mécanisme à générer et accentuer des inégalités. Ce malaise est renforcé par l’influence croissante des entreprises technologiques qui façonnent la condition urbaine et fixent la plupart de ses paramètres, tels que l’intégration d’éléments technologiques dans l’architecture, ce qui aboutit au modèle de la smart city comme apothéose de la culture urbaine.

Christophe van Gerrewey : À quel moment le Guggenheim est-il devenu important dans le projet, à quel moment avez-vous réalisé que vous faisiez une exposition pour cette institution et ce bâtiment ? Le fait que Countryside, The Future soit situé dans un musée d’art a-t-il une quelconque incidence ?

RK : Il y a quatre ans, le Guggenheim m’a demandé de faire cette exposition. À partir de ce moment, ce qui était initialement une « recherche » est devenu un projet d’exposition. Ce n’est pas la première fois que nous organisons une exposition dans un contexte d’institution d’art. Contrairement à ce que nous avons fait avec Content en 2004 à la Neue Nationalgalerie de Berlin, nous avons choisi à New York d’utiliser les possibilités offertes par l’architecture du lieu. Le Guggenheim est un espace d’exposition complexe. Sa spécificité repose sur une interaction contraignante avec un seul mur déployé en spirale.

Il y a cette idée reçue selon laquelle les architectes travaillant dans le bâtiment de Frank Lloyd Wright doivent impérativement engager une sorte de dialogue avec le chef-d’œuvre. Jean Nouvel l’a peint en noir, et Zaha Hadid a également fait quelque chose d’assez ambitieux. Dans tous ces cas, l’architecte semble obligé de réagir à l’architecture du lieu en le transformant radicalement. Nous avons décidé de délaisser cet usage et d’utiliser simplement la rampe comme un outil pratique. Nous avons interprété la spirale comme un dispositif astucieux pour relier entre eux des épisodes indépendants.

CC : Quelles sont les chances de voir cette exposition en Europe, compte tenu de la pandémie, de la diminution du mécénat et des montants alloués aux grandes expositions ?

RK : Arc en rêve à Bordeaux s’est engagé à reprendre l’exposition. Si nous la faisons à Bordeaux, il serait intéressant de faire aussi quelque chose sur Bordeaux. Le rôle des expatriés dans la promotion de la viticulture locale et biologique est une piste. La relation entre la vinification, le paysage et l’artificialité en est une autre. De plus, venir à Bordeaux pourrait être une occasion de collaborer avec Sébastien Marot, dont l’exposition Taking the Country’s Side : Agriculture and Architecture est en quelque sorte liée à la nôtre [à ce sujet, voir le dossier signé Sébastien Marot, précédemment publié dans Archizoom Papers]. Sébastien a participé au projet d’enseignement du studio de Harvard à Rotterdam. Nous avons toujours pensé que les deux projets pourraient éventuellement fusionner. Il y a un intérêt pour le projet en Afrique, en Russie et en Chine. Le matériau rassemblé est à ce point abondant que nous pouvons toujours faire des sélections différentes, mettre l’accent sur des questions différentes, développer d’autres collaborations et d’autres idées.

Arjen Oosterman : Lequel des deux titres se rapporte à l’aspect itinérant du projet, est-ce
l’« avenir » ou le « rapport » ?

RK : Les deux. L’une de mes préoccupations durant ces 25 dernières années a été de me défaire de l’eurocentrisme en architecture. Cela, en introduisant d’autres sujets, comme la métropole de Lagos ou encore en exposant d’autres schémas de pensée, comme celles des métabolistes dans le livre Project Japan: Metabolism Talks. Comment faire pour être un Européen convaincu, presque un fanatique, tout en essayant de ne pas être eurocentrique ? En ce sens, l’aspect reportage du projet et le format d’exposition, plus démonstratif, sont complémentaires.

AO : Cela semble lié au fait que, d’un point de vue politique, la culture contemporaine se replie sur elle-même. Ce projet cherche à renverser cette situation.

RK : Prenez la question des masques et la polémique autour de leur utilisation, dans différentes régions d’Europe. Il y a dix ans, on se moquait des Japonais qui portaient des masques. Même au début de la pandémie, certains affirmaient que les masques étaient inutiles. Puis les médecins français ont commencé à analyser l’effet de leur utilisation sur la transmission et ont finalement conclu que l’usages généralisé des masques réduisait fortement la contamination. Cela expliquerait entre autres, l’efficacité des métropoles asiatiques dans leur lutte contre la pandémie. Cela montre surtout que l’Europe n’a plus confiance en elle, qu’elle ne croit plus en sa supériorité, tout en restant attachée à cette idée. C’est un peu comme si, nous cherchions à nier notre infériorité croissante, en dénigrant le reste du monde.

L’intégralité de cet échange peut être consulté sur Archizoom Papers, la revue en ligne itinérante, fruit d’un partenariat entre l’Architecture d’Aujourd’hui et Archizoom, la galerie de l’EPFL.

Dans la tête d’un mécène. Sur la bourse du commerce par Tadao Ando, à Paris.

C’est une drôle de scène d’ouverture pour un western. Quatre hommes en costume de soirée — que l’on suppose être des investisseurs et le responsable des affaires indiennes — débattent assis dans des fauteuils d’entreprise. Ils prônent l’élimination des Indiens réfractaires aux grands principes de la civilisation occidentale : la propriété individuelle, le capitalisme expansif et la suprématie blanche. Le plus fervent d’entre eux fait de l’extermination des indigènes la condition du progrès de ce grand pays en devenir que sont les États-Unis. La scène se déroule sous le grand dôme peint de la Bourse du commerce à Paris, au moment de la démolition des Halles. Les motifs coloniaux qui ornent le dôme auront d’ailleurs servi de toile de fond au générique d’ouverture. Touche pas à la femme Blanche de Marco Ferreri, sorti en 1974, est un pastiche de western reposant sur une parabole établissant une analogie entre deux conflits, l’un colonial et l’autre culturel. D’un côté la conquête de l’Ouest et l’extermination des Indiens qui en fut le corollaire, et de l’autre la destruction des Halles de Paris et de la spéculation immobilière qui la stimule. La scène d’ouverture, tout à la fois enjouée et inquiétante, assumant déjà totalement l’anachronisme, retrouve aujourd’hui une certaine actualité. L’aménagement de la Bourse du Commerce par l’architecte Tadao Ando afin d’y accueillir la Collection Pinault résonne étrangement avec ce pamphlet filmique, réalisé il y a 47 ans. Au point qu’on pourrait presque y voir une implacable revanche, le monde des affaires critiqué par Ferreri venant assoir son ultime victoire à l’endroit même où il avait été si violemment parodié.
Touche pas à la femme blanche, M. Ferreri, 1974
L’une des origines du terme signe — σῆμα, sêma en grec — est liée à l’usage qui consistait à ériger sur le lieu d’une bataille une stèle mémorielle qui devait situer et signifier l’endroit où l’ennemi avait été repoussé. Le signe est le rappel d’un revirement. On peut légitiment considérer que tant le projet de Pinault, que sa matérialisation architecturale, consiste à dresser un signe, c’est-à-dire à matérialiser une victoire remportée. Le film oublié de Ferreri rejouait lui aussi une bataille à forte valeur symbolique. Touche pas à la femme Blanche exposait sur un mode allégorique les deux principales dérives de la fabrique urbaine : la spéculation immobilière et la communication se substituant à la démocratie. Ferreri se sert d’une des rares défaites de l’Amérique raciste et chrétienne, celle de Little Big Horn, pour faire un film sur un sujet politique d’actualité : la gentrification qui se profile déjà à son époque comme une menace pour le droit à la ville.

C’est à l’endroit de cet ultime acte de résistance cinématographique que le binôme constitué par le mécène et le grand architecte a décidé de placer le signe de son propre triomphe. Le monument qu’ils dressent est un rappel de l’écrasante défaite de la contre-culture face à la vision affairiste et entrepreneuriale de l’art, et plus généralement de la ville. Un monument à un art contemporain devenu pompier, au lieu de l’acte d’émancipation qu’il était censé accomplir. La Bourse du commerce, de Ferreri à Pinault, raconte le déroulement de cette défaite de l’esprit libre et protestataire. Le maintien du nom « bourse du commerce » est l’un des rares éléments de clairvoyance dans cet épisode qui consacre l’homme d’affaires en bienfaiteur de la société.




La forme du triomphe


Tadao Ando et son équipe n’ont pas dû chercher longtemps pour trouver quelle serait la marque apposée par le grand architecte sur le bâtiment néoclassique circulaire. Leur intervention est d’une grande simplicité et s’inscrit dans la dialectique de la « contrainte libératrice » qui caractérise de nombreuses réalisations d’Ando. Le manque, le confinement, la privation permettent de voir, d’apprécier, de distinguer.
L’intervention altère par une intrusion assumée l’intérieur de la bourse du commerce. Elle déconstruit tout en donnant l’impression de sublimer l’architecture du lieu. L’acte de poser un silo de sept mètres de haut en simili béton sous le grand dôme modifie l’espace central, dont la principale caractéristique était son ouverture à 360 degrés. Actant une obstruction tant visuelle que circulatoire, l’intervention transforme la salle circulaire lumineuse en un espace confiné et mortuaire. Si la possibilité offerte au visiteur de s’élever au-dessus du mur atténue quelque peu cette première impression d’étouffement, le silo reste omniprésent, tant par sa volumétrie que par sa matérialité.
Le recours au langage brutaliste devenu la marque de fabrique du grand architecte, n’est d’aucune aide. L’intervention ne parvient pas à s’arrimer à une quelconque raison architecturale. La gratuité du geste le fait rapidement basculer dans la catégorie des prothèses décoratives. Un maniérisme en béton, qui n’a rien à envier aux projets d’embellissement des bâtiments modernistes de Skopje, recouverts dans un accès de grandiloquence macédonienne, de colonnades néoclassiques en plâtre. Si le langage d’Ando se veut minimaliste et moderniste, sa nature prothétique et ornementale le rapproche plus du néo-clacissisme kazakhe ou du néo-haussmannisme qui fait fureur dans les Hauts-de-Seine. Son silo n’est qu’un artefact scénographique. Le mur de 50 cm d’épaisseur que l’on aurait voulu plein, se révèle creux, comme un décor en carton-pâte dressé pour servir de support à une représentation. La mise en scène à laquelle il participe est une élégie héroïque sur la supposée radicalité du commanditaire. Le grand mécène a bon goût. L’architecture qu’il commande à son architecte attitré devrait sceller pour les siècles à venir son profil d’homme d’idées, audacieux car capable de transformer l’existant et d’offrir à la société ce dont elle a le plus besoin : un grand musée plein des trésors qu’il a patiemment amassés en évitant, autant que possible, de se faire saigner par l’État.

Toute cette splendeur supposée s’affaisse pourtant comme un flan quand on considère le caractère scénarisé et fallacieux de l’intervention. Ando en est le maître décorateur qui voudrait encore se faire passer pour le puriste radical qu’il fut à ses débuts. À cette époque héroïque, il construisait des petites maisons bunker dans la trame urbaine japonaise, aux maisons compactes et légères. Ses premières réalisations étaient de véritables actes de guerre. Des manifestes contestataires d’une radicalité à vivre au quotidien. Puis il est devenu célèbre et a mis sa radicalité initiale au service de projets de plus en plus prestigieux, de plus en plus nombreux aussi. Le silo à la Bourse du commerce est l’acte final de ce lent déclin d’une architecture radicale et contextuelle vers le style qui la singe et la décline à l’infini. Que reste-t-il de la force du premier Ando dans ce projet de Pinault si ce n’est sa seule image? Et encore.



Le fond d’une négation

Ando construit pour Pinault. Un grand mécène qui ne veut pas quitter ce monde sans avoir laissé quelque chose derrière lui. Alors il promet un musée, qu’il reprend pour finalement l’installer à Venise. Dans un excès de générosité, il en propose un deuxième où il va pouvoir enfin s’exposer en homme généreux, dans la ville qui l’a vu prospérer. On pourrait presque y croire si une autre affaire, moins glorieuse ne venait pas faire de l’ombre au personnage, précisément sur certains des aspects qu’il prétend incarner dans son temple de la Bourse du commerce : l’audace et la radicalité architecturale.


Suite à leur action contre l’école des Beaux-Arts de Paris, les avocats de la famille Pinault sont parvenus à obtenir la démolition d’un ensemble de salles annexes, réalisées dans le jardin de l’hôtel de Chimay, pour répondre aux besoins pédagogiques de l’établissement. Il s’agit d’un élégant ensemble en métal, une prothèse fonctionnaliste de qualité qui ne gênait personne si ce n’est François-Henri Pinault dont l’hôtel particulier donne sur jardin.
Là, contrairement à ce qui est proclamé à la Bourse du commerce, l’insert moderniste dans le contexte d’un bâtiment historique n’est plus de bon aloi. L’audace qui consiste à ajouter une forme rudimentaire et fonctionnelle dans un cadre classique, offense, blesse, à tel point que c’est un argumentaire patrimonial qui a été invoqué pour exiger sa démolition. La logique prothétique et le goût de la transgression mis en avant dans le projet Ando se dissipent dans le cas de cet ensemble dont l’utilité n’est pas à démontrer. Ici, la prothèse entrait malheureusement dans le cône de vision des appartements du fils du grand homme. Le Conseil d’Etat en a donc ordonné la démolition d’ici le 31 décembre 2020.

En faut-il davantage pour nous convaincre que le geste architectural d’Ando est vide de sens, qu’il ne correspond à aucune vision, aucune conviction des vertus émancipatrices de l’art ? Comment ne pas voir dans la nouvelle institution l’insigne de pouvoir, d’une échelle de valeurs sans le moindre rapport avec la fonction sociétale de l’art ? Le grand mécène est-il autre chose qu’un individu défendant ses propres intérêts, tout en prétendant œuvrer pour le bien commun ?
Article paru dans l’édition juillet-août de la revue Artpress.