Le rôle du bois


Propos d’introduction de la 2e journée des Rencontres Romandes du Bois organisées par LIGNUM Vaud au Musée Olympique à Lausanne.

L’engouement pour le bois dans la construction est l’indice d’une demande croissante pour des villes plus saines, moins dispendieuses en ressources énergétiques. Les acteurs de la filière bois ont une responsabilité à ne pas trahir ces attentes et ne pas être en deçà de ce à quoi aspire aujourd’hui la société. Le bois a un rôle central à jouer dans l’effort pour créer des villes et des campagnes plus durables, des économies stabilisées qui n’auront plus besoin d’une fuite en avant spéculative pour ne pas être en crise.
Le bois peut être un régulateur global de nos sociétés. Et je ne parle pas de captation de CO2, mais de l’écosystème global, qui comprend les environnements naturels, les lieux de production, les lieux de vie de travail et de retraitement des déchets. Aujourd’hui, le bois est engagé dans une sorte de compétition pour pour faire aussi grand aussi haut et aussi rapide que l’acier et le béton. Mécaniquement, tout semble possible, tant en termes de portée que de résistance. La limite des 100 mètres pour les structures en bois est sur le point d’être dépassée, ce qui était inimaginable il y a 20 ans. Il n’est pas certain que cette course à la performance soit la meilleure voie, même si les exploits du bois flattent les acteurs de la filière. Il vaudrait mieux laisser le matériau dicter son propre agenda et déterminer un peu plus l’usage qui en fait. Construire des tours en bois peut être intéressant en termes de défi, mais d’un autre côté, en essayant de remplacer l’acier et le béton, le bois s’écarte de plus en plus de ses qualités intrinsèques. Et la principale qualité à laquelle je pense est la circularité de l’économie qu’il rend possible Le bois est le matériau archétypique de l’ économie circulaire qui va de l’arbre au déchet.


Bois global vs bois local

Aujourd’hui le bois est devenu un matériau globalisé. Dans ce contexte, il est légitime de se demander si la globalisation de l’offre et de la demande est la meilleure chose qui pouvait advenir à la filière. Ce bois globalisé qui traverse les océans pour être transformé avant d’être vendu comme « produit vert » est-il toujours en phase avec le récit de transition écologique qui en justifie la demande ? Ce bois globalisé est-il autre chose que la récupération commerciale d’un imaginaire écologique égaré? Face à des acteurs du marché de la construction qui évaluent leurs options à la lumière de leurs seules marges, n’est-il pas encore temps de fixer des règles ou des limites permettant de promouvoir telle pratique plutôt que telle autre? Ne faudrait-il pas plutôt penser le bois comme une ressource ancrée dans un territoire, élément d’une économie qui pense ensemble le produit fini, son façonnage, son impact paysager et son démontage?

Si le bois doit jouer un rôle dans la transition vers une société à faible émission carbone, nous ne devons pas hésiter à promouvoir encore davantage l’utilisation du bois local. Mais pour cela, nous devons apprendre à construire autrement. Il ne s’agit pas de revenir à la charrue et à la scie hydraulique, mais de trouver des façons de faire du bois un régulateur global des écosystèmes humains.
Au plus fort de la foi en l’énergie fossile, On se déplaçait en utilisant de l’essence, ou se chauffait au fioul , les routes étaient pavées de goudron, les aliments réalisés avec des engrais issus d’hydrocarbures et les maisons pleines d’objets en plastique.
L’idée n’est pas de remplacer le pétrole par du bois, mais de laisser le bois dicter de nouvelles règles. Ses propres règles. Celle de sa croissance lente, celles de ses limites mécaniques, celles de ses cycles de déclin naturel.
Le bois peut être une clé de l’émancipation politique des communautés d’habitants. Il peut devenir un gage pour permettre aux gens de prendre part à la configuration de leurs espaces de vie et de travail. Nous pouvons imaginer de nouvelles formes de modularité de l’habitat qui s’appuient sur les caractéristiques techniques du bois. Le bois pourrait nous aider à évoluer collectivement vers des formes de construction moins réglementées et plus abordables.

Promouvoir le bois en général ne suffit plus. L’option du bois dans la construction, les choix qu’elle offre sont plus nuancés qu’on ne le pense. Entre les murs à ossature bois prêts à monter et le bois brut, il y a des distinctions importantes à faire en termes de performances et de qualités environnementales. Entre une tour en bois et un bâtiment de quelques étages construit sur mesure pour ses futurs habitants, ce n’est pas forcément du même rapport au bois qu’il est question. Il faut aller au-delà de l’image générique du bois. Il est important de développer la capacité des professionnels et des consommateurs à distinguer et évaluer ces différentes options sur des critères autres qu’économiques. Il est également important de mettre en avant les solutions les plus vertueuses en termes de durabilité. Dans le bois, comme ailleurs, il existe des produits “locaux”, “biologiques” et des produits verdis, faussement durables, des produits industriels transformés vertueux et d’autres qui le sont moins.
Au Royaume Uni, ils sont en train de construire le plus grand stade en bois. un stade de 5000 places pour l’équipe Forest Green Rover, qui a fait de l’écologie un étendard. L’équipe est VEGAN et la pelouse sans engrais. Conçu par Zaha Hadid, il est une merveille d’ingénierie et de construction durable. En y regardant de plus près on se rend compte que le nouveau stade implique le déménagement de l’équipe depuis son ancien stade à Nailsworth, une zone périurbaine ou elle se trouve actuellement vers une zone en rase campagne, à la jonction 12 de l’autoroute M5, c’est à dire uniquement desservie en voiture individuelle. Le nouveau stade aura aussi 1700 places de parking. Son bilan, si l’on inclut aussi son fonctionnement, risque donc d’avoir un impact négatif sur l’environnement.

Junk Wood

Il existe beaucoup de choses qui ne servent à rien, et qui s’affichent comme vertes. Le mobilier bas de gamme en panneau aggloméré que l’on ne prend même plus le soin de déménager quand on change d’appartement. Les innombrables gadgets, de la cuillère jetable en bambou, au tableau de bord en chêne d’un SUV diesel. On pourrait appeler cela le junk wood. Tout ce qui est en bois n’est pas forcément vertueux. Il serait peut être temps de faire entrer le bois dans une économie holistique qui tienne compte de toutes les paramètres de la vie d’un produit: de l’arbre planté et l’environnement que constitue cette matière en devenir, sa coupe et son façonnage, au milieu que constitue l’activité qui consiste à le transformer, puis à la qualité environnemental du chantier qui va le transformer en bâtiment, et jusqu’à son démontage et la qualité humaine qui peut accompagner un chantier de démolition.

Le bois permet une gestion globale de la graine au déchet. Dans cette compréhension du bois, il s’agit pas de faire entrer que des paramètres quantitatifs: quantités, transport, énergie grise, recyclage. Il s’agit surtout de comprendre que le bois peut être un acteur du paysage, un acteur social. Il peut aider à modeler nos paysages naturels, aider à rendre les lieux de travail et de stockage plus compatibles avec la ville, les chantiers moins nuisibles, et même parfois festifs. Au Pays-d’Enhaut, au 19e siècle, l’acte de couper un arbre et l’acte de construire étaient intrinsèquement liés. L’acte d’habiter et l’acte d’entretenir étaient liés aussi. Le monde durable et holistique a bel et bien existé. c’était la règle de nos sociétés jusqu’à ce que la fuite en avant d’un développement sans frein nous fasse basculer dans la dystopie que nous traversons actuellement. Peut être qu’il est temps qu’il redevienne équilibré et apaisé. Le bois peut y contribuer.

Le plus petit cirque du monde

Comme la plupart des réalisations de Patrick Bouchain et Loïc Julienne, le plus petit cirque du monde, interagit avec son environnement bâti et imaginaire. À quelques pas du quartier des Tertres, à Bagneux, le bâtiment en bois déploie sa fragilité dans un contexte qui a incarné, le temps d’un film, la dérision du modernisme. Il s’agit d’une comédie de 1967 avec tueurs et truands, et dont l’idée absurde et géniale consiste à greffer dans une cité flambant neuve l’intrigue d’un film policier. Du mou dans la gâchette échoue incontestablement comme pour dire que ceci n’est pas une ville, puisque le crime ne peut pas y être représenté. Plus tard, d’autres crimes biens réels se dérouleront dans le quartier. Ils viendront saturer l’imaginaire de millions de gens, sans que leur renommée néfaste ne contribue à faire de Bagneux le Bronx du sud parisien. Le tristement célèbre gang des barbares qui sévit dans le quartier, a tout au plus renforcé les lieux communs sur la dangerosité des quartiers périphériques.
L’immeuble des tertres en cours de démolition.
 Non, pour le plus petit cirque du monde, l’enjeu est ailleurs. Il s’agit, comme dans certains contes populaires, d’établir un nouveau pacte fondé sur la confiance. Un bâtiment en bois, c’est-à-dire vulnérable au feu, exposé dans un quartier réputé difficile. Le contraste entre la ville orthogonale issue des trente glorieuse et la construction anguleuse est flagrant, au point de constituer un rapport de force. Non pas ceux qui appellent la destruction de l’adversaire, mais plutôt de ceux qui font basculer une réalité immuable, dans un possible qu’on n’osait même pas imaginer.