Symbole contre symbole

Les images de la façade du Grand Théâtre badigeonné auront marqué les esprits. Ils l’auront fait d’autant plus que la cité de Calvin n’est pas habituée à ce genre de débordements. Déjà des voix s’élèvent pour demander des changements dans le mode opératoire de la police, l’usage de moyens plus puissants, la mise en place de forces d’intervention rapide, l’usage de gaz lacrymogène, de balles en caoutchouc, etc. Et pourquoi pas le déploiement de casques bleus !?

Donner dans ce type de surenchère, c’est omettre que les incidents très symboliques du week-end n’étaient pas gratuits mais constituaient une réponse, dont la manière est certes regrettable, à une proposition tout aussi symbolique de la majorité du Conseil municipal : celle d’une coupe linéaire de 2% à toutes les structures subventionnées.

Car comment comprendre une baisse de cet ordre sinon sur le plan symbolique ? Ou faudrait-il vraiment se dire que cette réduction dérisoire est réellement essentielle pour l’équilibre des finances d’une des cités les plus prospères au monde ? Genève croule-t-elle sous les déficits ? Sommes nous à deux doigts de l’insolvabilité ? Certainement pas. L’attaque lancée contre les acteurs de la culture est purement idéologique, et en tant que telle, a fait l’objet d’une réaction tout aussi idéologique.

Reste qu’aujourd’hui, ceux qui voulaient en découdre avec la culture alternative ont d’autant plus d’arguments. Ils seraient même disposés à casser leur tirelire, c’est-à-dire à investir davantage dans la dissuasion et la répression que ce qu’ils cherchent à économiser en coupant les vivres aux milieux culturels alternatifs. Situation paradoxale diront certains que de devoir dépenser plus pour économiser moins. Risque de surenchère diront d’autres, qui risque de coûter cher. Qui a dit que les conflits symboliques étaient sans coût ?
Entre temps, l’Atelier, la revue étudiante de la section d’architecture de l’EPFL a envoyé ses vœux. La carte électronique composée à cet effet n’est autre qu’une version pixélisée du barbouillage symbolique de la façade du Grand Théâtre.

La culture aura-t-elle le dernier mot ? On l’espère.

Bonne année 2016!

 

carte de voeux

Circulez : la COP 21 interdite aux cyclistes et peu favorable aux piétons

Peut-on arriver à la COP 21 en vélo et surtout peut-on en repartir à pied ? La question pourrait paraître anecdotique face à l’importance des enjeux de la conférence sur le climat si elle ne révélait pas une incohérence profonde entre les objectifs affichés et les moyens mis en œuvre pour y parvenir.

J’ai tenté de quitter l’enceinte du Bourget pour rejoindre à pied la ville homonyme. Cela n’a pas été facile ; parcourir les 300 mètres qui séparent les espaces de la conférence des premières habitations ne va pas de soi. Il convient d’abord de traverser le parking pour se diriger vers la sortie de l’enceinte du site. A plusieurs reprises, il faut expliquer à des hommes lourdement armés ce que l’on souhaite faire : quitter la COP 21 à pied.

Les moins informés vérifient que c’est bien prévu par le règlement. La confirmation arrive ; oui, c’est possible, vous pouvez y aller. Arrivé au portique, le piéton doit emprunter la voie des bus qui font la navette avec la station de RER qui se trouve à moins d’un kilomètre. Autant dire que venir à pied au Bourget ne relève pas de l’exploit. Tout au plus, cela représente dix minutes de marche.

– Attention, ne vous faites pas écraser.
– Merci, au revoir.

De Suède en vélo

L’exploit, c’est un Suédois rencontré au portique qui venait de l’accomplir. Avec le vélo couché de sa conception, il avait pédalé depuis son pays pour arriver à la COP 21 sans compter sur rien d’autre que la force de ses pieds. J’ai assisté à l’étrange négociation entre un gendarme posté à l’entrée et le frêle suédois dans son engin futuriste. L’entrée sur le site lui était bel et bien refusée. Rien dans le règlement n’était prévu pour les engins de ce type.

– Mais c’est un vélo monsieur, vous pouvez l’inspecter.
– L’accès aux vélos a été supprimé pour des raisons de sécurité. Vos pouvez laisser votre engin sur le trottoir et entrer à pied.
– Mais j’ai pédalé de Suède pour échanger sur mon expérience cycliste avec les gens à la COP 21.
– Impossible d’entrer, libérez le passage Monsieur.

Urpo Taskinen et son engin interdit d'accès à la COP 21
Urpo Taskinen et son engin interdit d’accès à la COP 21

Urpo Taskinen restera interdit devant le portique. On peut se demander si cette goujaterie organisationnelle dit quelque chose de l’événement dans son ensemble. Le rejet des piétons et des cyclistes seraient-il le symptôme d’un égarement fondamental ?

La COP21 ne propose pas de travailler sur les changements radicaux qu’il faudrait entamer dans la production et la vie de tous les jours pour inverser la dégradation climatique planétaire. Tout au plus, elle cherche les remèdes afin de prolonger la longévité des dispositifs et des habitudes qui sont à l’origine du problème. Polluer un peu moins pour continuer à polluer ; consommer moins d’énergie fossile pour continuer à rouler en 4X4. Renoncer purement et simplement au pétrole n’est pas une option.

Les radicaux, ceux qui prônent une révolution sociétale pour remédier au désastre annoncé, ne sont pas au Bourget. Quand ils ne sont pas assignés à résidence, ils tournent le dos à cette gigantesque foire médiatique, à ses compromis inatteignables et à ses milliers de conférenciers venus du monde entier. La COP 21 est un royaume éphémère de bonnes intentions non contraignantes, de revêtements en bois « façon écologique » et de stands de fondations qui affichent des desseins louables mais ne sont sans doute parfois que la caution verte de multinationales aux objectifs bien moins estimables.

Certes l’écologie est en train de devenir un secteur important de l’industrie. En tant que tel, il est en concurrence avec d’autres branches industrielles. Les constructeurs de panneaux solaires et autres producteurs d’éoliennes seront peut-être un jour en position de faire face aux pétroliers. Est-ce vraiment le point de basculement auquel nous devons aspirer ? L’enjeu de la sauvegarde du climat se résume t-il à une révolution techno-scientifique qui pointe mais peine à s’imposer ?

Dans le train du retour deux jeunes employés de l’entreprise qui vient de conclure le marché du siècle en louant l’équipement de la COP 21 comparaient, en toute innocence, la conférence sur le climat et le dernier salon sur lequel ils étaient intervenus:

– Tu ne comprends pas; pour Milipol nous n’étions que quelques dizaines. A la COP 21, on est des centaines. Ce n’est pas du tout la même chose. Le chiffre d’affaires pour le salon de Milipol se comptait en centaines de milliers d’euros. Pour la COP 21, ce sont des dizaines de millions.

– C’est dingue.
– Oui, c’est fou.

 


Photo: AFP