La maison Latapie est à vendre

La réalisation emblématique d’Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal est à vendre. Monsieur et madame Latapie, retraités de la SNCF, vendent la maison qu’ils ont fait construire en 1993 et qui a été le point de départ d’une série de projets emblématiques du duo d’architectes auréolé du Pritzker Prize en 2021.

La maison à Floirac, dans la banlieue de Bordeaux, contient l’ADN de la démarche Lacaton et Vassal : ajouter à une maison moderniste et fonctionnelle un volume équivalent translucide, abrité et non chauffé. Le jardin d’hiver comme principe structurant de l’espace domestique. Le couple Latapie peut aujourd’hui témoigner de la qualité de vie rendue possible par ce type de dédoublement. Ils y ont vécu heureux, et souhaitent désormais permettre à d’autres d’en profiter. Tous deux retraités, ils se retirent à la campagne, dans le Gers. Pour ce faire, ils ont soigneusement rénové leur maison. Ils ont remplacé le polycarbonate terni, enlevé tout le bardage extérieur en Eternit amianté des années 1990, et livrent une maison rénovée et saine.

Lors d’une visite organisée par le centre d’architecture arc en rêve en décembre 2022, certains ont été surpris de voir à quel point l’intérieur avait peu changé depuis la visite de presse organisée en octobre 2002, à l’occasion de l’exposition consacrée au duo d’architectes. La maison garde la même pertinence qu’elle avait au moment de sa création : celle d’un espace hédoniste et frugal. On pourrait même s’amuser à discerner dans ses choix fondamentaux ce qui en fait aujourd’hui une réalisation beaucoup plus en phase avec les préoccupations de notre temps. La maison Latapie était un ovni moderniste en 1993 – elle est aujourd’hui une des pièces fondamentales d’une modernité en quête de frugalité.

Monsieur Latapie évoque avec modestie le choix qui fut le leur de s’adresser à des architectes pour réaliser leur maison. Les doutes sur le coût global ont été rapidement levés par la réponse architecturale économe d’Anne Lacaton et Jean Philippe Vassal. Leur maison, en cours d’inscription à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques, vaut beaucoup plus que ce qu’elle a coûté à l’époque de sa construction. Le coût du terrain est à cet égard bien plus déterminant qu’une quelconque volonté de profiter de la plus-value architecturale. La maison Latapie reste un achat très abordable pour quiconque souhaite acquérir une résidence familiale à Bordeaux.

©Emmanuelle Maura

les superpositions urbaines de Marc Mimram


Inspiré par la densité des villes japonaises, Marc Mimram a réalisé à Meudon un centre sportif d’un nouveau type : un lieu de vie qui contraste radicalement avec l’absence d’identité de certains équipements sportifs. Sa superposition d’un terrain de foot et d’une patinoire ne craint pas les effets de proximité avec l’habitat qui l’entoure. Au contraire, il la scénarise pour créer une polarité. Au lieu de déplacer ou de dissimuler, le projet se sert du télescopage des fonctions pour construire l’identité du lieu.

Christophe Catsaros : Commençons par un détail technique : ce que vous appelez les diapasons. C’est l’endroit où ce qui relève de l’apparence du bâtiment, je n’ose pas dire de l’ornement, rencontre ce qui relève de sa structure. Ce télescopage d’une qualité formelle et d’une fonction structurelle est caractéristique de votre travail.

Marc Mimram: Vous avez employé un mot qui était interdit dans l’architecture moderne : l’ornement. Isoler l’ornement n’a pas de sens pour nous, les choses se présentent un peu différemment. Une façon de comprendre ce que nous faisons serait de dire que nous exprimons activement la pluralité de la raison. À partir de ce constat s’ouvrent des champs structurels, constructifs et formels. Ce qui s’élabore n’est jamais pure inventivité. C’est souvent une interprétation de certaines conditions initiales qui sont prédéfinies. Ce que j’entends par conditions initiales, c’est comme en chimie, l’état d’un système étudié avant d’y intervenir. Cela comprend les données programmatiques et le résultat souhaité. Ce que l’on va produire va découler de ces différents paramètres du projet.
Dans le cas de Meudon, vous avez la structure porteuse de la façade, à savoir un poteau qui doit servir aussi de raidisseur de façade, et qui doit aussi devenir l’élément de clôture du stade de foot au premier étage.
Vous avez donc la fonction structurelle principale, celle du poteau, la fonction secondaire qui est celle du raidisseur de façade et la fonction tertiaire qui est celle de la clôture. Tout cela va fusionner en une seule solution constructive. Il s’agit de trouver le principe unique qui permettra de résoudre ces trois exigences.
Quand je dis que le télescopage entre ces trois fonctions doit être ouvert, cela peut aller jusqu’à la fusion totale. Pour le projet d’AgroParisTech, la fusion est allé jusqu’à la suppression de la grille de façade au profit de la structure. Nous avons complètement supprimé l’une des trois composantes les menuiseries pour garder uniquement la structure porteuse. La structure principale porte le vitrage. Je ne suis pas sûr que nous le referons, mais c’est ce que nous avons fait.
Pour revenir à Meudon, il faut aussi comprendre que l’aspect formel n’est pas aléatoire. Il est, au même titre que l’aspect structurel, une des conditions initiales. Dès le départ, nous avions en tête l’effet de certains équipements urbains japonais, qui sont tournés vers le ciel. Non pas un bâtiment qui monte en hauteur, mais un bâtiment qui regarde vers le haut. Pensez aux terrains de Golf intégrés à l’architecture des quartiers résidentiels de Tokyo.À Meudon, cela prend la forme d’un élément élancé qui bifurque, qui mute de ses deux premières fonctions vers sa troisième. Techniquement parlant, la chose n’est pas si simple. La partie supérieure de ce diapason a tendance à tourner sur elle-même. Pour qu’il tienne, il faut qu’il soit encastré sur la dalle qui est le sol du terrain de foot.
On part de la demande, on arrive à une solution technique et cette solution technique définit à son tour une forme et une géométrie. J’aime penser que la juxtaposition de génératrices crée une surface, comme en mathématiques. C’est ce que nous avons fait à Meudon, où nous avons réussi à créer une enveloppe virtuelle à partir de ce raisonnement spatial et structurel.

Photo : Erieta Attali

Parlons un peu de la théâtralité de cette structure. J’ai l’impression qu’il y a une scénarisation dans la façon dont elle structure ce nouveau quartier. J’entends par scénarisation ce qui, par l’expressivité et l’intensité, rend les choses plus habitées, plus intenses. C’est l’idée de mettre en scène les tensions, même mécaniques, qui définissent une structure. Au lieu de se contenter d’accomplir une tâche, il s’agit de faire et simultanément de montrer ce que l’on accomplit. Par exemple, s’il y a un effet de levier à un endroit précis, la structure peut rendre cela explicite, ou simplement accomplir sa mission sans le dévoiler à l’usager.

Marc Mimram: C’est tout à fait notre culture. Se servir de la question structurelle, c’est d’abord la dépasser, mais aussi rendre explicites certains aspects de ce que la structure accomplit. Exactement comme un pont peut montrer le cheminement des efforts, un bâtiment peut donner à voir comment il se comporte avec la lumière, avec le son, avec les flux matériels ou immatériels qui le traversent. Mais cela peut aller très loin, par exemple, pour la soudure, nous n’utilisons jamais les profils du commerce, car ils ont les bords arrondis et nous essayons plutôt de tendre les choses et tenir compte de la manière dont le profil sera appréhendé. Nous voulons que le bord du profil soudé soit tendu, ce qui n’est pas le cas des profils fermés. C’est un détail, mais il mène directement à la structure globale.
Guillaume André : C’est comme utiliser une contrainte structurelle ou la façon dont elle est assemblée pour en faire un élément du discours architectural. Dans le cas de la patinoire, les poutres s’affinent et la structure se complexifie du côté de la façade. Cela peut sembler être un choix purement formel; il y a pourtant une raison. Celle de libérer la façade. Une poutre invariable aurait impacté le mur-rideau. La dispersion et l’affinement de la structure à cet endroit, renforce l’horizontalité du panorama de la paroie vitrée.
Marc Mimram: La coupe révèle que la structure est asymétrique. Cette asymétrie accompagne et accentue la captation de la lumière par la façade vitrée qui longe le tramway. L’encastrement est décomposé dans une approche similaire à ce qui est fait à l’extérieur.  Le choix formel et technique est toujours justifié.  Ce qui varie, c’est l’interprétation qui en sera faite. Visuellement, ce système produit un drapé continu. En réalité, il est façonné à partir d’éléments discontinus.  Cette transition du discontinu au continu est un aspect essentiel de la structure. 

Guillaume André On a l’impression d’avoir affaire à un objet sériel, mais ce n’est pas le cas puisque chaque élément varie en fonction de trois génératrices: le point d’inflexion en façade, la rive et le haut du pare ballon. Cet effet de similitude d’éléments qui varient est une constante dans notre travail.  C’est une succession de diapasons réglés par la géométrie de ces trois génératrices, et qui constitue l’enveloppe.  

Il y a une expressivité de l’ingénierie qui est assez rare dans le paysage de la construction français.

Marc Mimram: Plutôt que de surjouer l’expression du tout par rapport aux parties, ce qui conduit à des compositions très classiques, cette expression des forces consiste à considérer le bâtiment comme un équilibre stabilisé. Si l’on considère le bâtiment comme l’addition des différentes parties qui le composent, en l’occurrence la patinoire, le court, les salles de fitness et de squash, alors cette expression permet de faire tenir l’ensemble.

On pourrait appliquer cet adage, celui de l’équilibre stabilisé, à l’expressivité technique, dans le sens d’un équilibre de force ou de tension qui serait au bord de la rupture, et qui pourtant tient parfaitement. Compris ainsi, l’équilibre stabilisé serait l’esprit de l’expressivité constructive de nombre de vos projets. Chercher le point où un élément cède et travailler sur cette frontière. On a parfois l’impression que vous travaillez sur cette crête, celle de la fragilité d’une structure, tout en restant, bien sûr, du bon côté de la force. Comme la maison Lemoine à Bordeaux, et sa façon d’évoquer l’instabilité tout en étant parfaitement stable. C’est aussi un bâtiment qui fusionne finement sa fonction iconique, celle d’exprimer la densité, avec sa fonction programmatique, son image urbaine et ce qui s’y passe.

Marc Mimram: Lorsque nous construisons, nous sommes nécessairement dans l’expression d’un rapport gravitationnel. Il y a deux façons de voir l’ingénierie : soit comme une façon de calculer, ce qui ne m’intéresse pas, soit comme une façon de projeter. C’est une écriture qui ne montre pas trop de muscles, mais qui vous fait savoir qu’elle en a.

Guillaume André: C’est un élément qui donne une unité à la hauteur du bâtiment malgré la disparité des équipements qui le composent. Ce système, qui va du sol au ciel, et qui relie le port à faux aux éléments de façade, donne une unité, sans forcément cacher la diversité programmatique.

Marc Mimram: Une des réussites de ce système est sa simplicité apparente, et sa façon d’être en réalité très complexe. C’est un système qui interagit avec les sorties de secours, avec les immeubles en vis à vis et avec le tramway. Il s’adresse à des entités très variées tout en parvenant à maintenir une certaine cohérence propre.

photo: Erieta Attali

Ce qui est intéressant dans ce projet, c’est qu’un attribut dont on cherche habituellement à minimiser l’impact visuel, soit mis en avant.

Marc Mimram: La raison des choses doit prévaloir dans ce jeu qui consiste à montrer des comportements ou des attributs techniques. Sinon, on tombe dans la vulgarité. Comme dans le cas du bardage néo-Eiffel du pont autoroutier du Petit Clamart. Ce mariage équilibré entre architecture et ingénierie, entre la raison d’être des choses et leur forme finale, est un art du dosage. On se demande parfois si la raison pour laquelle il est si rare, n’est pas plutôt que les architectes ne veulent pas ou ne savent pas le faire.

L’expérimentation comporte toujours un risque. Tout le monde n’est pas prêt à prendre le risque de sortir des solutions standard.

Marc Mimram: C’est vrai pour la nature expérimentale de notre travail. Parfois, je regarde en arrière et je me demande ce qui nous a poussés à emprunter des chemins inexplorés comme nous l’avons fait. Comme avec l’utilisation structurelle du BFUP que nous avons faite pour le toit de la gare de Montpellier. 18 m de portée et 5 cm d’épaisseur. Je me demande parfois comment nous avons pu être autorisés à construire quelque chose d’aussi audacieux. L’intérêt de cette utilisation du BFUP est sa très faible porosité. Il n’y a pas besoin d’autre étanchéité. Et comme nous sommes dans une gare, il n’y a pas d’isolation thermique. Tout est fait avec une seule couche, un seul matériau.

Le projet résulte d’un travail d’agencement quasi-algorithmique. Un générateur de combinaison pour optimiser l’emboîtement des pièces qui composent le centre. 

Marc Mimram: la structure est pensée comme un outil d’agglomération d’éléments programmatiques. Nous nous sommes inspirés des parquets où se superpose le tracé de plusieurs terrains de jeu. À partir de cette image de complexité, nous avons imaginé un principe d’emboîtement en volume.  Ce télescopage dit aussi quelque chose d’un nouvel esprit qui se dessine dans les pratiques sportives, plus individualisées, moins standardisées, et plus à même de contourner les règles pour inventer de nouvelles variantes. Tout le monde peut réinventer les règles.  L’idée a été de s’inspirer de cet esprit d’irrévérence créative vis-à-vis de la norme pour repenser la place du sport dans la ville. Ce projet de générateur d’assemblages part du principe qu’il faudrait faire des maisons du sport comme on a fait autrefois des maisons de la culture. Des lieux ouverts à tous et à toutes sortes de pratiques.À partir d’une structure modulaire, il existe une multiplicité d’affectations spatiales possibles. Des pratiques différenciées et adaptables, mais surtout des vides; des espaces interstitiels qui n’entrent pas forcément dans l’écosystème normé du centre sportif. Un club de bridge, un club de photographie amateur, une salle de projection, etc.…C’est une flexibilité qui va dans les deux sens. L’allocation spatiale peut définir la structure générale, et inversement une structure prédéfinie peut instruire telle ou telle autre configuration. Ainsi perçue, la structure est libératrice.  On peut superposer des choses qui ne s’alignent pas nécessairement. Cela montre à quel point la structure peut être génératrice non seulement d’une écriture architecturale mais aussi d’espaces particuliers. 
C’est un principe que nous avions expérimenté dans un autre contexte, pour un immeuble de bureaux, au-dessus du faisceau ferroviaire de la gare d’Austerlitz. Il s’agit d’un bâtiment pont de 17 000 m2 avec une portée de 60 mètres entre la halle Freyssinet et la grande bibliothèque. Ce qui est inhabituel dans ce projet, c’est qu’au lieu de placer le bâtiment sur un élément de franchissement, nous avons fait de la structure du bâtiment elle-même, l’élément de franchissement.  Ce raisonnement permet d’imbriquer les différents niveaux, tantôt en les posant, tantôt en les suspendant. 

L’entretien avec Marc Mimram et Guillaume André est tiré de l’ouvrage publié aux éditions Archibooks.