Database, Network, Interface, l’architecture de l’information

Le savoir est structuré comme peut l’être un édifice. Tel est le point de départ du stimulant projet de Mariabruna Fabrizi et Fosco Lucarelli que l’on pouvait voir jusqu’au 7 décembre à la galerie Archizoom de l’EPFL.  En cherchant les liens entre les savoirs et l’architecture des dispositifs qui les archivent et les diffusent, cette recherche permet d’entrevoir les antécédents dans la constitution des systèmes d’organisation des connaissances. Il est question des bibliothèques, et de leurs systèmes de classement, décimal chronologiques et alphabétiques comme celui de Dewey, ou reposant sur des analogies et des rapprochements par affinités comme ceux de Sitterwek ou de Warburg. Il y est aussi question d’architecture des lieux de diffusion de la connaissance, avec certains plans d’universités comme ceux que  Candilis, Josic et Wood ont réalisés pour l’université libre de Berlin en 1963, et qui préfigurent des organisations non hiérarchiques du savoir. Il est finalement question de l’architecture de ces nouveaux espaces virtuels qui aspirent à se substituer au monde réel en s’appropriant la part d’aléatoire et d’imprévu qui le distingue ( certes plus pour longtemps ), des mondes virtuels. La centaines de projets exposés sous forme de plans ou de dessins forment une sorte de trame archéologique des supports d’assistance et d’organisation des connaissances à travers les âges, sans aucune prétention d’exhaustivité, mais plutôt avec la volonté d’exposer l’étendue du champs et la variété des éléments pouvant relever du sujet. Passant des dessins de Saarinen pour un « data center » dans les années 50, à ceux de Cedric Price pour un centre d’apprentissage modulable, en passant par des  “machines” élaborées pour convertir les musulmans du 14e siècle, on évolue dans un espace qui organise les éléments qu’il contient selon une logique qui lui est propre. Il ne s’agit pas d’épuiser le sujet mais de l’ouvrir.

L’exposition qui donne lieu à un très beau catalogue aux éditions Caryatide / Cosa mentale, est stimulante pour une raison supplémentaire. Elle pose l’exigence d’une compréhension des systèmes et des réseaux de connaissance et d’information, à un moment très précis de l’histoire des techniques ou une partie non négligeable des acteurs du numérique œuvrent pour leur opacification. Faces aux obscures dystopies immersives auxquelles nous voue Zuckerberg et à l’invisibilité des algorithmes prédateurs qui scandent nos vies privés et professionnels, Database, Network, Interface apparaît comme une ultime tentative de porter un regard critique et de se souvenir que ce filtre qui nous entoure et que nous appelons tantôt toile, tantôt réseau est bel et bien une construction, un édifice duquel on devrait pouvoir sortir de temps en temps. À défaut de détenir les clés du système, nous devons nous satisfaire de l’information qu’il s’agit bien d’une construction.  Cyril Veillon, directeur d’archizoom, me confiait que les étudiants de l’école d’architecture s’intéressent peu à ces choses là. Comprendre les machines qui les englobent n’est pas une priorité pour eux. La bataille pour garder le contrôle citoyens des  systèmes qui organisent le savoir, n’a pas été perdue; elle n’a tout simplement jamais eu lieu, et ne risque pas d’avoir lieu sur tik tok, sauf sous forme de parodie.


Article paru dans l’édition de janvier 2022 de la revue artpress