En France, les travailleuses et travailleurs de la culture occupent des théâtres et expriment leur colère, leur désespoir. En Suisse aussi, le désarroi est immense, comme le montraient les réflexions et les témoignages publiés par Le Temps samedi dernier (6.3). Ces gens souffrent, évidemment, de la situation financière catastrophique créée dans leur branche par la pandémie; mais ce qu’on entend dans leurs propos, c’est encore autre chose, de plus profond.
Les revendications de réouverture sont peut-être prématurées et irresponsables au vu de la situation sanitaire, ça dépend des activités, je ne sais pas. Mais ce que je trouve déchirant et accablant, c’est que, dans le domaine de la culture comme dans d’autres domaines, nos sociétés restent totalement dans le déni par rapport à ce que la crise a pourtant révélé au grand jour : la nécessité d’une révolution copernicienne dans notre manière d’envisager et de traiter la production des biens symboliques en général.
Ma première chronique sur ce blog, datant d’il y 5 ans, à un mois près, avait pour sujet la votation de 2016 sur l’instauration en Suisse d’un revenu de base inconditionnel, à laquelle j’étais favorable. Il est toujours délicat de se citer soi-même, et je ne vais pas le faire, mais j’avoue que j’ai le cœur serré en constatant que, malgré le traumatisme qui nous est infligé depuis un an, la majorité de nos décideurs et décideuses restent accrochés comme des moules à leur rocher à un système économique basé sur des principes inadéquats et illusoires.
La production de biens symboliques au sens large, notamment les arts et les idées mais également, et c’est un gros morceau, les soins donnés à autrui dans leur irremplaçable dimension humaine, ou la transmission de valeurs, ne se prête pas à une rémunération comptable. C’est ni plus ni moins que l’oxygène qui nous fait vivre. Elle doit être reconnue comme vitale et sécurisée financièrement selon d’autres critères que la rentabilité visible, par un revenu universel ou par d’autres moyens. Ce qui asphyxie les producteurs et productrices de culture, c’est bien sûr la précarité des conditions matérielles actuelles, mais c’est aussi, peut-être surtout, et ce n’est pas nouveau, la rage d’être considéré.e.s comme inessentiels.
Bien dit! Excellent!
Etudiant en lettres (musicologie, littérature et linguistique) et ayant une passion pour l’écriture, je ne peux que confirmer ce jugement ô combien de fois vécu: La littérature, ça ne sert à rien. Qu’est-ce que tu vas faire avec tes études? Tu ferais mieux de faire du concret. L’art est inutile. Etc.
Et pourtant, personnellement, je pense que l’on sous-estime les branches et les domaines de la culture. Ces domaines nous offrent des pistes de réflexion, nous apprennent à réfléchir et last but not least nous font travailler des moyens d’expression (que ce soit des lettres, des mots, des notes, de la peinture, etc.) qui sont excellents pour apprendre à comprendre les rapports humains. Mon avis …
Tout à fait – c’est ce que je constate chaque jour chez mes ami.e.s qui travaillent dans le domaine culture musique art. Si l’on parle de soins c’est même plus compliqué, car c’est avant tout l’une des domaines de travail gratuit des femmes, et puis c’est une affaire philosophique; est-il possible d’établir une politique qui met le soin au centre de sa stratégie? qui considère le pouvoir seulement comme une manière d’influencer la réalité au profit des soins, l’un.e pour l’autre, l’Etat pour les citoyens? Une étique des soins – c’est bien la route qui cherchent bcp de féministes, et pourtant c’est si loin des préoccupations de la politique historique et habituelle.
L’accès à la culture n’a jamais été aussi facile que maintenant à travers la radio, TV, internet. Quant aux livres, les éditeurs croulent sous les offres d’écrivains amateurs.
Quant à l’oxygène, il vient principalement de la culture populaire/traditionnelle à travers les mariages, les types de carnaval, les concerts pop, les théâtres populaires (vaudeville), le sports spectacle, ….. Le lien entre eux, c’est le rassemblement en un seul lieu de la diversité sociale. Ceci doit être soutenu par l’Etat.
A côté il y a la culture élitiste locale, (art plastique, opéra, orchestre symphonique, …) qui est prisé par les bobos ou bourgeois, mais dont la majorité de la population ne se déplace pas ou rarement. On ne peut pas parler d’oxygène ou d’une nécessité. C’est l’affaire du mécénat.
La gauche veut sanctuariser la culture élitiste locale, comme si la vie en dépendait. La culture n’a pas créé de vaccin, ne fait pas le pain et a besoin de l’argent de ceux qui font tourner la société.
Il faut sanctuariser la culture populaire, les écoles d’arts, mais la culture “élitiste” locale doit rechercher le mécénat.
L’autre aspect, c’est le travailleur de la culture, et c’est sous cette angle que doit se pencher l’Etat, l’angle travailleur.
En résumé, l’accès à la culture est facile, ce qui est à préserver c’est la culture populaire/traditionnelle.
La culture locale “élitiste” dont l’opéra, est une histoire de fierté de la ville/canton dirigé par des universitaires, mais n’est pas une nécessité. Lorsque l’on voit l’état de la société, il y a un manque de stratégie pour la culture populaire. Ce n’est pas l’art élitiste/ intellectuel local qui peut être une béquille à la société.
tout à fait d’accord avec vous. D’ailleurs, dans l’Histoire, ça a été toujours le cas : les Papes et le grands Seigneurs étaient les mécénats des grands artistes et le peuple s’amusait au Carnaval, aux fêtes du genre “ l’Arbre de Mai ” ancien culte païen et autres divertissements dont les Bobos se sont récemment appropriés, tout en se réservant l’exclusive d’autres divertissements.