En assistant, en décembre dernier, à une «chantée de Noël» dans une école primaire vaudoise, j’avais été prodigieusement agacée par la logique d’épuration religieuse qui avait visiblement présidé au choix du programme. Pas un seul chant traditionnel genre «Entre le bœuf et l’âne gris», une succession de mélodies insipides prêchant l’amour universel, tendance tutti frutti. Les parents et grand-parents présents étaient largués, émotion zéro, mis à part bien sûr l’attendrissement devant les bouches en ô de leurs chérubines et chérubins.
Le même agacement, mais à l’envers, m’a saisie lorsque j’ai appris l’«heureuse» conclusion de la polémique confessionnelle concernant la bénédiction du nouveau tunnel ferroviaire du Gothard. Il y aura bel et bien un pasteur protestant, aux côtés d’un prêtre catholique, pour représenter la religion chrétienne. Mais qu’est-ce que la religion vient faire dans l’inauguration de ce grandiose ouvrage civil, dans un pays qui, que l’on sache, n’a rien d’une théocratie ?
Contrairement aux apparences, mes agacements ne sont pas contradictoires. Notre problème, en Suisse comme dans d’autres pays occidentaux, c’est de ne pas savoir formuler clairement la distinction entre, d’une part, la transmission d’un patrimoine culturel historiquement nourri de christianisme, qui fonde à la fois notre identité et son potentiel d’évolution; et d’autre part la perpétuation de rituels religieux officiels devenus désormais illégitimes dans un contexte étatique en principe laïque.
Nous n’avons pas à expurger artificiellement notre culture des représentations, coutumes et légendes qui en constituent le matériau symbolique. Puisqu’elles et ils vivent ici, laissons les enfants noirs, jaunes, rouges et beiges chanter le petit Jésus, griller des cervelas et allumer des lampions le 1er août, ça les aidera plus tard à choisir leur place dans le monde. En revanche, arrêtons une bonne fois de mêler le christianisme à l’appareil étatique. Un tunnel ferroviaire n’a pas à être béni en présence des autorités dans un pays où la religion n’a strictement aucun rôle à jouer dans le fonctionnement des institutions, de même qu’un crucifix n’a pas sa place sur les murs des écoles publiques.